comme avant (eden #3)

Depuis plusieurs jours, depuis la venue d'Eden au café pour être plus précise, je ne peux m'empêcher de penser au moment où l'on se retrouverait. Mes sentiments à ce sujet sont partagés, entre la joie de pouvoir passer du temps avec elle et la peur de ne plus être celle qu'elle appréciait à l'époque. Depuis que je sais que la jeune femme a retrouvé la personne qui partageait sa vie dans son lit avec une autre, je crains que mon histoire avec Archie ne l'emballe pas. Ce qui serait compréhensif, c'est quelque chose que je me suis longtemps reprochée. Je me le reproche encore parfois, jusqu'à ce que je vois les deux garçons qui sont nés de cette relation. En parlant d'eux, maintenant que je suis prête à partir pour me rendre chez Eden, je dois les déposer chez Marley et chez Lou. J'ai toujours été bien entourée et ça, ce n'est vraiment pas négligeable. Je ne m'attarde pas, ni chez l'une, ni chez l'autre. Surtout pas chez Marley, elle pourrait vouloir me poser des questions sur cette soirée et sur les sentiments que j'ai à ce sujet : ce qui n'est pas une bonne idée. Je dois y aller l'esprit léger, sans question superflue. Tout le monde déposé, je peux maintenant prendre la direction de North Bay et après une demi-heure de route, me voilà enfin devant sa porte. Je cogne et attends que la brune vienne m'ouvrir. « Je suis désolée pour le retard. Il y avait un accident sur la route et cela a engrangé des bouchons. » J'ai essayé de prendre de l'avance dans mon programme, pour palier à toute éventualité avec les enfants. Mais ça, je ne l'avais pas prédit. En même temps, est-ce que quelqu'un de censé irait jusqu'à supposer que des personnes souffriraient et qu'il serait judicieux de prévoir une dizaine de minutes supplémentaires ? « Comme prévu, notre boisson. » Dis-je, tout en lui montrant la bouteille de vin que je tiens dans mes mains. La jeune femme m'invite à la suivre à l'intérieur de sa maison. Elle récupère la boisson que je lui ai montrée juste avant, alors que je retire ma veste. De nature curieuse, je ne peux m'empêcher de regarder ce qu'il y a autour de moi, de détailler la décoration qu'elle a installée. « C'est très joli chez toi. » Bien sûr, à première vue, son intérieur est moins personnalisé que le mien. Mais il n'y a rien d'étonnant à cela, Eden n'est ici que depuis quelques semaines, alors que je construis mon intérieur depuis des années maintenant. Surtout qu'avec Elliot, depuis qu'il sait marcher, j'ai dû faire et refaire plusieurs fois les murs. Au moins grâce à ça, j'ai appris : il ne faut pas laisser un enfant avec un crayon sans surveillance.

Je ne sais pas vraiment comment cette soirée sera, ni comment je dois l’aborder. Eden et moi, nous avons un passé et c’est sûrement cela qui rend la tâche plus compliquée. De nombreuses années se sont écoulées depuis la dernière fois, depuis le moment où nous étions un couple et aujourd’hui, nous sommes toutes les deux célibataires. Savoir cela, c’est ce qui peut biaiser un peu mon raisonnement, mais ce n’est sûrement pas une bonne chose. Peut-être que nous devrions apprendre à redevenir amies avant d’envisager autre chose. Peut-être même que la jeune femme n’envisage rien d’autre que cela. J’en saurais certainement un peu plus là-dessus une fois ce moment passé avec elle. Elle m’accueille chez elle et je ne peux m’empêcher de commenter sa décoration une fois rentrée. Rien de méchant bien sûr, car même si c’est plus léger que chez moi, c’est un style qui me plaît. Elle me confie ne pas avoir eu le temps d’aménager toute sa maison comme elle le veut. Son retour remonte à pas si longtemps que cela, alors elle a encore le temps pour cela. Sauf si soudainement, elle décide de refaire ses valises pour repartir à l’autre bout du monde. La brune m’invite à rejoindre le salon pour pouvoir y prendre l’apéritif, avant de manger. Alors que je m’exécute, Eden rejoint la cuisine et m’interroge sur ce que je veux boire. « Je ne sais pas. Qu’est-ce que tu me proposes ? » Je sais que je n’ai pas toujours la panoplie complète de boisson, alors je préfère me renseigner sur ce qu’elle a en sa possession avant. Surtout que c’est elle qui a cuisiné, elle est donc la plus à même de déterminer si le vin que j’ai amené peut attendre le repas ou si nous pouvons l’ouvrir pour lancer les hostilités. Je m’assois sur son canapé, lui laissant ainsi le temps de voir ce qu’il y a dans ses placards. Rapidement, elle énumère tout ce qu’elle peut trouver. « Qu’est-ce que tu vas prendre ? La même chose sera très bien. Je n’ai pas d’enfant ce soir, je suis libre de faire ce que je veux. » Alcool doux ou fort, je n’ai pas de limite. Enfin si.. il faut tout de même que je sois capable de rentrer chez moi après tout ça. « Est-ce que tu sais toujours faire le cocktail dont tu avais le secret il y a treize ans ? » J’arrive encore à me souvenir le goût qu’il avait, les jus qu’elle pouvait mettre dedans. Je ne sais pas si c’est comme cela qu’elle a réussi à m’envoûter, mais cela a fonctionné. « Je peux même t’aider si tu as besoin de mains supplémentaires. » Rester assise à ne rien faire, alors que l’on me sert, ce n’est pas dans mes habitudes :  ce n’est pas pour rien que je continue d’aider au café dès que j’en ai la possibilité.

Je me sens naturellement bien avec Eden. Elle a toujours eu ce don avec moi et visiblement, ce n’est pas ce qui s’est passé entre nous qui a fait changer cela. Il faut dire que notre séparation, bien que crève-cœur, était voulue de nous deux. L’amour était présent, mais la distance aussi et celle-ci aurait très vite pris le dessus sur nos sentiments. Pour que notre histoire ne devienne pas un mauvais souvenir, c’était la bonne chose à faire et nous le savons toutes les deux. La voir s’activer pour me proposer une boisson me fait me rappeler qu’à une époque, elle avait le don de faire un cocktail qui ravivait mes papilles. Je me permets de lui rappeler aussi et qui sait, si elle a tout le nécessaire, il sera peut-être possible pour elle de le faire ce soir. Visiblement, elle est partante et cela a le don de me faire sourire. Surtout qu’en plus de cela, elle accepte mon aide et me propose de couper les citrons. Je quitte le canapé pour la rejoindre dans la cuisine. Je lui demande où se trouvent les citrons, ainsi que les couteaux et une fois tout le nécessaire en mains, je me mets au travail. Il n’y a rien de fou là-dedans, mais l’idée même de pouvoir aider, plutôt que de rester assise à la regarder, me ravit. Très vite, nous terminons le cocktail et nous pouvons retourner au salon pour le savourer. « Au bon vieux temps ! » Dis-je, alors que nos verres s’entrechoquent. Sans parler de nous, il est vrai que c’était une bonne période. Nous étions jeunes, insouciantes et la vie nous attendait. « Nos vingt ans ne sont pas si loin que ça. » Ça remonte à plus de dix ans maintenant, c’est vrai, mais nous sommes comme le vin : nous nous améliorons en vieillissant. « Je suis sûre que malgré les années, au fond, nous sommes restées les mêmes. » J’ose croire que je suis toujours celle qu’elle a connu à l’époque, celle qu’elle a aimé. Même si j’ai conscience que certains aspects de mon histoire pourraient me faire défaut. Mon histoire avec Archie surtout. La jeune femme a trouvé la personne qui partageait sa vie dans son lit, avec une autre, qu’est-ce qu’elle pourrait bien penser d’une femme qui a maintenant deux enfants avec un homme marié ? Un homme qui n’a jamais quitté sa vie, même si à une époque, je l’ai espéré. Les sentiments que j’avais pour lui m’ont sûrement un peu aveuglé, mais ce n’est plus le cas maintenant et je ne le laisserais plus jouer avec moi comme il a pu le faire. « Qu’est-ce que tu nous as préparé de bon pour ce soir ? » Ce n’est peut-être pas une si bonne idée de se lancer directement sur ce sujet, c’est bien pour cela que je décide de me renseigner sur le repas qui nous attend. Si elle décide de me mettre à la porte de chez elle, autant que ce soit le plus tard possible.

Retrouver Eden ce soir, c’est comme faire un bon en arrière. Naturellement, tous nos souvenirs se bousculent dans ma tête et il est donc logique pour moi de lui parler de ce cocktail qu’elle avait l’habitude de faire. Même si des années se sont passées, notre histoire ne s’est pas effacée. Je me souviens encore de détails sur elle et inversement, comme le démontre son attention pour le repas de ce soir. Des lasagnes. La jeune femme a visé juste. Depuis de nombreuses années, c’est un plat qui me fait fondre. J’en ai d’ailleurs fait une consommation importante lorsque j’attendais Elliot. C’était mon péché mignon, plus que d’habitude, avec les fraises - pas ensemble, bien sûr. « C’est un excellent choix. » Naturellement, un sourire se dessine sur mes lèvres. Bien que sportive et parfois stricte avec mon corps, je sais aussi me faire plaisir. Ça serait quand même dommage pour une propriétaire de café/pâtisserie de proposer des choses sans pouvoir y goûter. « Je n’ai aucun doute sur tes talents culinaires. Si tu veux, une fois goûtées, je pourrais te dire à quelle place tes lasagnes se positionnent dans mon classement. » L’avantage de ce plat, c’est qu’il est difficile à rater. Bien sûr, il ne faut pas mettre les plus novices au défi, car ils seraient capables de mettre le feu à la cuisine en faisant des lasagnes. Mais pour des personnes qui s’y connaissent un minimum et pour qui cuisiner ne se fait pas uniquement le dimanche, c’est à portée. Néanmoins, chaque personne a sa définition des lasagnes et c’est bien là que je pourrais faire mon jugement. D’ailleurs, les propos de la jeune femme se rapprochent rapidement des miens, puisqu’elle évoque des panneaux, afin d’attribuer une note à la fin du repas. Si elle a prévu cela, ce n’est pas la même histoire pour l’animation et pour ça, elle compte sur moi pour l’aider. Si nous gardons le thème de nos vingts ans, qu’est-ce que nous pourrions faire ? « Les premières idées qui me viennent à l’esprit ne sont pas vraiment raisonnables. » D’ailleurs, je n’aurais peut-être pas dû le dire à voix haute, mais tant pis, maintenant c’est fait. « Même si nous avons déjà essayé, je me souviens que le karaoké n’était pas mon point fort. » Notre relation était connue de nos familles et de nos amis les plus proches. Pour les autres, cela ne nous importait pas vraiment. Néanmoins, ce n’est pas ce qui empêchait de sortir et d’essayer des lieux en tout genre. Le bar à karaoké a fait partie de nos expériences, mais ce n’était certainement pas la meilleure. « Nous pouvons danser, je suis beaucoup plus à l’aise avec ça. » Le cheerleading remonte à mes vingts ans justement, c’est peut-être pour cela que j’ai toujours eu quelques facilités dans ce domaine. « Peut-être plus tard. Quand la soirée battra son plein. » Mon corps est un peu frais pour l’instant. Mais avec ce cocktail, le vin et son repas, ça ne durera pas, j’en suis convaincue. « Quelles sont les coutumes en Angleterre pour de telles soirées ? » Même si Eden connaît bien la Nouvelle-Zélande, c’est quand même deux salles, deux ambiances avec son pays natal.

À ce qu'Eden me laisse comprendre, ce repas s'annonce comme une réussite. Des lasagnes ? Je n'aurais rien pu demander de mieux. En semaine, je dois parfois m'activer pour trouver le temps de faire à manger. Ce soir, c'est sûrement mon premier repas digne de ce nom. Je ne suis pas mère au foyer, j'ai mon propre café désormais, alors parfois, je me retrouve obligée de sortir quelques choses du congélateur pour les garçons. Ce n'est pas quelque chose qui m'enchante, mais je préfère cela à les voir en sous-nutrition. Que je néglige mes repas est une chose, que je le fasse pour ceux de mes enfants en est une autre. Le menu maintenant abordé, Eden évoque l'animation et contrairement au précédent sujet, elle est un peu moins préparée et me demande de l'aide pour trouver ce que nous pourrions faire, dans l'idéal, quelque chose que nous avions l'habitude de faire quand nous étions plus jeunes. « Tu tiens vraiment à ce que je te rappelle ce que nous avions l'habitude de faire ensemble ? » J'arque légèrement l'un de mes sourcils, ne laissant que très peu de place au doute. Même si je vivais encore chez ma mère à cette époque là, il n'était pas rare que nous finissions nos soirées ensemble, parfois de manière intime. Heureusement, j'ai d'autres idées en tête. Cette soirée s'annoncerait longue et gênante sinon. Je lui parle du karaoké et de la danse. Cette deuxième idée semble plaire à Eden qui acquiesce ma proposition de garder cela pour plus tard. Il ne nous reste plus qu'à trouver ce qui va pouvoir nous occuper dans les minutes à venir et pour cela, je compte bien sur son expérience anglaise pour proposer quelque chose qui pourrait me surprendre. Malheureusement, d'après la brune, il n'y a pas tellement de différence entre l'Angleterre et la Nouvelle-Zélande. La seule différence, c'est que les personnes ont l'habitude de sortir dans un Pub et non dans une maison individuelle. Mais comme Eden le souligne, nous sommes bien mieux ici pour ce soir. Il ne faut pas oublier que si je lui ai proposé cette soirée, c'est pour pouvoir parler plus calmement de nos vies respectives. En parlant de la mienne, l'institutrice m'interroge sur les garçons. « Elliot s'occupe de son frère. Il m'a promis qu'ils ne veilleraient pas trop. » J'essaye de garder un air sérieux, mais celui-ci disparaît rapidement et je ne peux m'empêcher de rigoler. À quatre ans et quelques mois, jamais je ne laisserais mes enfants seuls. Pas avant de nombreuses années au moins. « Je rigole. Je ne suis pas une mère indigne à ce point. Ils sont chez leurs marraines. Chez ta sœur et chez la mienne. Elliot est chez Marley et Leo chez Lou. » J'ignore si Eden était au courant de cela. Ce n'est pas un détail très important, mais je me dis que c'est sûrement rare pour elle d'avoir en élève, le filleul de sa demi-sœur. Le fils de son ancienne petite amie au final, enfin je suppose, c'est peut-être moins rare que ce que nous pourrions le penser. « La seule chose qui m'attend à mon retour, c'est mon lit et une grasse matinée demain ! » Quelque chose qui n'est pas arrivé depuis longtemps maintenant. Je suis bien entourée et il n'est pas rare que l'un de mes proches se propose pour prendre, le temps d'une nuit, Elliot ou Leo. Rares sont les fois où ils sont absents tous les deux en même temps, il y en a donc toujours un pour me rappeler que je suis mère aux aurores.

Bien souvent, je dois faire bonne figure : je suis mère célibataire de deux enfants, rare sont les fois où je peux me laisser aller. Mais là, avec Eden, ça se fait naturellement. Sûrement parce que la dernière fois où nous avons été proches comme cela, c’était à une époque où la seule personne dont j’avais à me soucier était moi. Petit à petit, nous retrouvons nos automatismes et même quand elle aborde des sujets d’actualités, je ne peux m’empêcher de plaisanter un peu. Elle n’est pas idiote, elle sait très bien que mes deux fils sont gardés par quelqu’un. Mais reste à savoir qui. Pour le coup, elles sont deux, nos deux sœurs. Et forcément, évoquer Marley la pousse à se questionner sur ce que ma meilleure amie sait de ma soirée. « Elle est au courant. » Pendant plusieurs années, nous ne nous sommes pas parlées. Mais une fois que les choses sont redevenues fluides entre nous, la jeune femme a retrouvé ce talent qu’elle avait avec moi : celui de lire en moi comme dans un livre ouvert. Alors forcément, même si j’avais essayé de lui mentir ce soir, elle aurait compris. « Mais.. j’ai presque jeté Elliot sur son porche pour pouvoir éviter les questions. » L’image n’est pas vraiment représentative de ce qu’il s’est passé, mais l’idée est belle et bien là. Que ce soit chez Lou ou chez Marley, je ne me suis pas attardée. « J’ai aussi mis mon téléphone en silencieux en arrivant ici. On ne sait jamais jusqu’où elle peut aller. » En espérant qu’aucune des deux femmes ne cherchera à me joindre pour une urgence. Même si dans ce cas-là, il y aura toujours une solution : ma meilleure amie pourra facilement contacter sa demi-sœur pour qu'elle me transmette un message et ma sœur se tournera vers ma mère – une femme qui a élevé cinq enfants, alors je lui fais entièrement confiance. « Tu dois peut-être te préparer à un interrogatoire. Avec ses grands yeux qui te regarderont, sans qu'elle ne les fasse cligner, pour te mettre la pression. » Si j'ai réussi à échapper à tout cela ce soir, rien ne dit que j'y arriverai demain ou la prochaine fois où nous nous verrons et si jamais elle n'arrive pas à obtenir des informations de ma part, je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle ira les chercher chez Eden. Avec le retour de mon ancienne petite amie, Marley n'a pas voulu mettre son nez dedans en se gardant bien de m'en parler, mais maintenant que je suis au courant, plus rien ne l'empêche d'être curieuse à souhaits. Voyant que mon verre est vide, l'hôte de la maison propose de le remplir. « Je veux bien. » Très vite, la brune fait une remarque qui fait écho à ce que j'ai pu dire au café, la dernière fois où nous nous sommes vues. « Peur ? Je ne pense pas. » Pourtant, le teasing que je lui fais ne va sûrement pas aider pour aller dans ce sens-là : j'en ai trop dit ou pas assez. « Disons que nos deux vies se ressemblent sur un point. À la différence près de l'angle sous lequel on le regarde. » C'est assez vague, mais ce n'est pas plus mal. Nous n'en sommes qu'à l'apéritif, je ne peux pas encore lui dire que je ne suis pas mieux que cette femme qu'elle a retrouvé au lit avec la personne qui partageait sa vie.

Ensemble, nous avons un passé et nous ne pouvons pas y échapper. Si nous nous sommes séparées, c’est en grande partie à cause de la distance qu’il y avait entre nos deux résidences. À ma connaissance, c’était même la seule. Si nous avions réussi à nous mettre d’accord sur une ville commune pour nos études, peut-être que les choses auraient été différentes et ça, je pense que Marley en a conscience. Son côté curieuse n’aide en rien cela. Par chance, même si elle essaye d’obtenir des informations de la part de sa demi-sœur, elle n’en obtiendra pas d’Eden. C’est peut-être plus facile à dire qu’à faire de lui résister, seul l’avenir nous le dira. Même si pour l’instant, il n’y a pas vraiment grand-chose à dire sur cette soirée, sur nous. Peut-être qu’il n’y aura jamais rien à dire de plus d’ailleurs. Nous avons grandi, évolué, nous aspirons sûrement à deux choses différentes. Quoi qu’il en soit, nous n’en sommes pas là. Surtout qu’il reste encore quelques parts d’ombres sur nos vies respectives et la jeune femme le souligne rapidement avec sa remarque sur mon verre vide : lors de notre dernière rencontre, j’ai mentionné le fait de devoir boire quelques verres avant de lui parler de mon histoire avec Archie. Néanmoins, pour l’instant je reste évasive. Peut-être un peu trop. Surtout qu’Eden ne semble pas vouloir en rester là. Elle m’interroge sur ce que j’entends par là, avant d’évoquer le fait que je suis très mystérieuse. Mais pour arriver à ses fins, l’hôte du jour est prête à vider sa cave. Heureusement que je la connais un minimum, je pourrais facilement penser qu’elle a une mauvaise idée derrière la tête sinon. « Il va falloir que je mange dans ce cas, pour éponger tout l’alcool que je vais boire. » Si je veux rentrer chez moi, je dois pouvoir reprendre le volant et pour ça, je ne dois pas être trop alcoolisée : je ne voudrais pas me mettre ou mettre quelqu'un d'autre en danger. « J'ai envie de croire que tu as gardé une bonne image de moi durant ces treize dernières années. Je ne voudrais pas que ça change. » Finalement, cette phrase est valable pour deux choses. Pour l'alcool, mais aussi pour cette histoire d'amour compliquée. Alors oui, la raison de cette soirée est belle et bien l'idée de rattraper le temps perdu. Cependant, je n'ai pas envie qu'elle me déteste ou alors qu'elle me récupère à la petite cuillère d'ici une heure ou deux. Je pourrais encore tourner autour du pot longtemps, mais à force de le faire, je vais finir par vraiment l'inquiéter. Alors une fois mon verre remplit et une nouvelle gorgée bue, je décide de prendre mon courage à deux mains. « J'ai été la maîtresse d'un homme. » Pour le coup, je n'y suis pas allée par deux chemins. Maintenant, la brune a pleinement conscience du point commun que nous avons. « Quand les choses ont commencé entre nous, je ne savais pas qu'il était avec quelqu'un d'autre. » Je me sens obligée de me justifier, sûrement pour ne pas trop passer pour une méchante. Au début de notre histoire, je pensais que j'étais la seule femme dans la vie d'Archie. Après plusieurs mois ensemble, j'ai dû me rendre à l'évidence. Pourtant, après un certain temps loin de l'autre, j'ai fini par revenir vers lui, malgré sa petite amie officielle, ça fait peut-être de moi quelqu'un de mauvais. Cette révélation est un début pour l'instant, mais il me reste encore d'autres choses à avouer. Notamment qu'il est le père de mes deux enfants, même si pour le coup, ils sont tous les deux arrivés par surprise.

Je devais m’y attendre : la jeune femme n’a pas oublié que je devais lui faire des révélations. Je ne vais pas mentir, j’aurais préféré que cela arrive un peu plus tard. Mais tant pis, qu’il en soit ainsi. Je profite de l’ambiance légère pour plaisanter un peu et Eden rentre dans mon jeu. Elle a prévu de quoi manger, m’évitant ainsi de tomber dans l’ivresse trop vite. Elle ne voudrait pas profiter de ma faiblesse pour arriver à ses fins. Arriver à ses fins ? C’est lourd de sens. Ou alors, ça ne l’est que dans mon esprit. Elle doit lire dans mes pensées, puisqu’elle se rattrape assez vite, ce qui a le don de me faire sourire. J’essaye de faire traîner un peu les choses, mais je ne peux pas le faire indéfiniment. Sans transition, je lui avoue notre point commun, même si dans l’histoire, nous n’avons pas le même rôle. À ma révélation, je vois une grimace se dessiner sur les lèvres de mon ancienne petite amie. C’était prévisible, c’est bien pour cela que je n’ai pas voulu lui en parler au café. J’essaye de me justifier en évoquant que je n’étais pas au courant de son histoire au moment où les choses ont commencé entre nous. Est-ce que ça me rend plus humaine ? Je l’ignore. Un silence s’installe doucement entre nous. J’aimerais poursuivre, mais je dois aussi lui laisser l’occasion de réagir. Sa réponse finit par arriver, un peu froidement, puis s’en suit une généralité. Comme quoi, ce sont tous les mêmes. Je me contente de hocher la tête, pour approuver ses propos : je ne suis pas certaine de pouvoir faire autre chose. Eden est visiblement contrarié par tout cela. Je ne sais même plus si ses phrases sont destinées à Archie ou à moi. « Si tu préfères, je peux partir. » L’ambiance a bien changé suite à ma révélation, alors en fonction de ce qu’Eden dira, je lui obéirais. « Je n’ai jamais voulu briser de couple. » Et pour être honnête, tout semble aller pour le mieux pour Archie et sa femme. Car oui, depuis la première fois où nous sommes sortis ensemble et aujourd’hui, le père de mes enfants s’est marié. « Elliot était une surprise. Notre relation n’était déjà plus ce qu’elle était à ce moment-là. Nous n’étions plus "ensemble". » Dis-je, tout en mimant des guillemets avec mes doigts. J’essaye de me justifier, pourtant, j’ai l’impression de m’enfoncer un peu plus. « J’ai quitté mon boulot, pour devenir serveuse et ainsi avoir plus de temps pour m’occuper de mon fils. » J’insiste bien sur le "mon", car même si Archie tenait à venir le voir certains soirs par semaine, il n’a jamais été présent comme devrait l’être un père. Du moins, un père vivant. « Il ne l’a jamais reconnu. Il a toujours considéré que l’argent qu’il donnait était suffisant. » Les personnes qui ont les moyens ne voient pas les choses comme nous. Archie a toujours utilisé son chéquier pour obtenir ce qu’il voulait. C’est sûrement quelque chose qu’il a appris de son père. L’argent et sa réputation, c’est bien plus important qu’un enfant. « Leo n’était pas prévu non plus. Encore moins qu’Elliot. » Mais loin de moi l’idée de penser que ces deux garçons sont des erreurs. Si je devais refaire les choses, je pense que je ne changerais rien. Être leur mère est une bénédiction pour moi, je n’échangerais cela pour rien au monde. « J’ai fait un déni de grossesse. Je l’ai appris à Noël dernier, trois mois avant le terme. » Même si j’avais appris cela plus tôt, ça n’aurait rien changé. Jamais je n’aurais fait le choix d’avorter. « Ça, il ne le sait pas. » Le déni de grossesse. L’existence de Leo aussi. « Il a quitté la ville et je ne voulais pas lui annoncer ça par téléphone. Il se porte bien sans nous et nous aussi. » Je parle peut-être beaucoup, mais j’ai peur qu’Eden me demande de partir, alors je préfère être complètement honnête avec elle tant que j’en ai la possibilité.