ne fais pas ça (marley)

Depuis le soir où Eden est venue me chercher au café et qu’elle m’a presque embrassée sous les yeux de Marley, j’essaye de fuir ma meilleure amie. Je ne suis pas bête, le jour où nous parlerons de tout cela, notre jeu, à l’institutrice et moi, sera fini. Alors autant faire durer le plaisir le plus longtemps possible, n’est-ce pas ? Pour une fois, le destin a été de mon côté, puisque nous avons eu deux journées assez chargées et nos deux emploi-du-temps nous ont fait partir plus tôt, chacune notre tour. Bien sûr, il y a des fois où nous aurions pu être seules, toutes les deux, mais dans ces moments-là, je me suis toujours arrangée pour avoir quelqu’un de l’équipe avec nous – je n’ai jamais autant expliqué le fonctionnement du café à la nouvelle venue. Mais ça ne pouvait pas durer indéfiniment et je le comprends bien aujourd’hui. Contrairement aux autres jours, l’établissement est assez calme et je ne vais pas pouvoir fuir Marley toute la journée. J’essaye pourtant, je me découvre même un attrait particulier pour toutes les tâches administratives que j’ai l’habitude de repousser les autres mois. Lorsque je me retrouve seule dans une pièce avec elle, je m’échappe vite dans une autre. Mais elle voit mon petit manège, je le sais : ce n’est pas ma meilleure amie pour rien. Je crois même qu’elle s’en amuse un peu, sinon elle ne me suivrait pas partout où je vais, non ? Après avoir récupéré un document dans mon sac, posé dans la salle qui sert de vestiaire, je me retourne et tombe sur elle. « Marley.. » Dis-je, presque suppliante. À ce moment précis, je ne sais pas vraiment ce qui est le mieux. Fuir une nouvelle fois ou alors confronter la jeune femme une bonne fois pour toute ? La deuxième des options est sûrement la meilleure : vivre en l’ignorant comme ça, ça ne me ressemble pas du tout et je sais que je n’arriverais pas à tenir très longtemps encore. « Ne me regarde pas comme ça, s’il te plaît. » Nous savons toutes les deux ce qu’elle veut. Mais a-t-elle compris tout ce que nous avons mis en place ou est-elle tombée dans notre piège et s’attend à des informations supplémentaires de ma part ? Pour le coup – et pour éviter de me griller trop vite –, je préfère la laisser prendre les commandes de la conversation.

Fuir Marley. J’y suis bien arrivée jusque là, mais je savais que ça ne pourrait pas durer. Nous travaillons au même endroit et l’un de mes fils est son filleul : à moins de vivre dans une grotte le temps que cette histoire se tasse, je ne donnais par cher de ma peau. Surtout que la brune me connaît plutôt bien et qu’elle sait ce qu’il faut faire pour que je craque. On peut encore le voir aujourd’hui : j’ai essayé, mais la journée n’est pas terminée et voilà que Marley me bloque le passage. À en croire ce qu’elle dit, je ne pourrais pas passer à moins de lui parler. J’ai mangé récemment, les deux garçons dorment chez leur grand-mère ce soir, alors je peux toujours faire un sit-in dans la salle de repos. Bon.. d’accord, c’est idiot de devoir en arriver là. Mais si je cède déjà, c’est Eden qui va m’en vouloir. Et si je ne le fais pas, c’est Marley qui va le faire. Quelle idée de se retrouver entre deux sœurs, deux sœurs qui ne communiquent pas tant que ça visiblement. « C’est un enfer de travailler avec toi. » Dis-je, en soupirant légèrement. Je ne dis pas cela honnêtement. Disons plutôt que je fais référence au fait de la croiser souvent, surtout quand je n’en ai pas particulièrement envie comme en ce moment. « C'est toujours sur moi que ça tombe.. » Je souffle ces quelques mots et lève les yeux au ciel. Finalement, en étant institutrice, Eden a de la chance – même si elle doit courir après des enfants à longueur de journée. Je laisse un petit silence s'installer entre nous. Loin de moi l'idée de penser que ça lui fera lâcher l'affaire, mais au moins, ça me permet de trouver ce que je pourrais bien dire. « Est-ce qu'Eden t'a parlé de quelque chose ? » Je ne pensais pas vraiment faire ça, pourtant c'est bien comme ça que je commence. Peut-être que cette fois-ci, c'est sa demi-sœur qui a craqué la première ? C'est beau de rêver, je sais.. mais si Marley a déjà tout compris, il ne sert à rien que je m'enfonce encore plus. « Il n'y a peut-être rien à dire. » Je hausse légèrement les épaules et lui offre un sourire charmeur. Est-ce que j'essaye de l'attendrir ? Bien sûr. Mais c'est pour le bien de tout le monde – le mien surtout. Si je commence à parler, je crains de ne pas pouvoir m'arrêter et je pourrais dire des choses à haute voix que j'essaye de cacher depuis plusieurs semaines maintenant.

Je lutte. Cependant, j’ai conscience que ça ne pourra pas durer. Parce que c’est Marley face à moi, mais aussi parce que je n’ai pas les armes pour le faire. Je me suis lancée dans quelque chose que je ne maîtrise pas et c’est bien pour cela que j’essaye de fuir la jeune femme depuis quelques jours. Encore là, j’essaye de donner la patate chaude à Eden – qui n’est pas ici, mais c’est sous-estimer ma meilleure amie de penser qu’elle baissera les bras aussi facilement. Surtout qu’il n’y a pas foule aujourd’hui, alors elle n’a aucune raison de me laisser filer. « Je dois avouer qu’exposer comme ça, ça ne va pas vraiment dans mon sens. » Dis-je, après l’avoir entendu exposer les faits. Mon regard dans le sien, j’attends. Quoi ? Je ne sais pas. Une alerte incendie ou un bus de touristes peut-être. Mais rien. Surtout qu’elle, elle m’attend moi. « J’ai peut-être exagéré tout à l’heure, ce n’est pas un enfer de travailler avec toi. Mais c’en est un d’être entre vous deux. » Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve que c’est un bon moyen de relancer la conversation. Je ne me défile pas, j’essaye juste de poser les bases pour que la brune comprenne pourquoi je ne dis pas tout en ce moment. « Si je te cache quelque chose, j’ai l’impression de te trahir et si je fais quelque chose à l’encontre d’Eden, c’est contre elle que j’ai l’impression d’être. » Pourtant, il n’est pas question de choisir un camp : les deux femmes sont importantes pour moi et je n’ai pas envie de les voir quitter ma vie. « Je me suis embarquée dans quelque chose que je ne maîtrise pas du tout. » J’ai beau essayé de fuir, je sais que je n’y arriverais pas. Alors autant être honnête avec elle maintenant et au pire, je lui demanderais de me couvrir plus tard, pour qu’Eden ne me déteste pas trop. « Elle et moi, c’est de la comédie. On voulait faire ça pour se venger du coup que tu nous as fait. » À bien y réfléchir, ce n’est sûrement pas le meilleur plan. Mais ce jour-là, au festival de la bière, c’est le seul qui nous est venu à l’esprit. Peut-être qu’au fond de moi, ça ne me déplaisait pas tant que ça de jouer les petites amies avec l’institutrice. « Mais je crois que j’ai de vrais sentiments pour elle. » Des sentiments qui n’ont sûrement jamais vraiment disparus, mais qui se retrouvent remis sur le devant de la scène. Quelque chose qui ne surprendra sûrement pas Marley, sinon elle n’aurait pas mis tout cela en place pour qu’on se retrouve toutes les deux.

Mentir à Marley, c’est tout bonnement impossible. Depuis que nous nous sommes retrouvées, peu avant la naissance d’Elliot, rien n’a pu se mettre entre nous et ce n’est pas aujourd’hui que cela va commencer. Malheureusement pour moi, heureusement pour elle. Bloquée entre cette pièce sans issue et ma meilleure amie, il ne faut pas attendre longtemps avant de me voir craquer. Je commence par lui dire à quel point c’est difficile d’être entre elle et sa demi-sœur. J’aurais sûrement pu dire autre chose pour commencer, mais sans ça, j’avais l’impression qu’elle ne pouvait pas vraiment comprendre pourquoi je mentais – encore. J’aborde ensuite ce mensonge que nous avons mis en place avec Eden et tout d’un coup, tout devient plus clair pour la brune. Maintenant qu’elle a toutes les clefs en main, je pourrais m’arrêter. Mais à la place de ça, j’enchaîne avec les sentiments que j’éprouve pour Eden. Je ne sais pas pourquoi je fais cela, sûrement parce que je me dis qu’elle est la mieux placée pour pouvoir me comprendre et m’aiguiller pour la suite. Et puis, je peux bien être un peu honnête avec elle. Soudainement, c’est une toute autre Marley qui se trouve face à moi. Le stratagème que nous avons mis en place contre elle semble déjà bien loin. J’aurais dû m’en douter : après tout, si elle ne voulait pas nous voir ensemble, alors elle ne se serait pas donné autant de mal pour nous organiser ce rendez-vous. « Tu sais que nous sommes deux dans cette histoire ? » Même si j'ai fini par ouvrir les yeux sur ce que je pouvais ressentir pour l'institutrice, rien ne dit que nous finirons de nouveau ensemble un jour. « Je te trouve très confiante, trop confiante. Est-ce que tu sais quelque chose que j'ignore ? » Depuis que je sais qu'Eden doit retourner à Londres, dans le cadre d'une adoption avec sa femme – future ex femme, je peux difficilement être optimiste. Il est quand même question d'un enfant, ce n'est pas rien. Et je ne trouverais pas étonnant que cette Morgane tente de reconquérir la brune, malgré ce qu'elle lui a fait. Mais peut-être que les choses ont changé depuis la dernière fois où nous nous sommes vues, depuis la fois où nous nous sommes presque embrassées devant Marley. Si c'est le cas, ce serait normal que sa demi-sœur soit au courant avant moi. C'est pour cela que j'essaye de la sonder à mon tour : avec un peu de chance, elle sera aussi faible que moi. « S'il te plaît, avec Eden, fais comme si je ne t'avais rien dit ! » Rien à voir avec le sujet que j'ai lancé, mais si elle veut vraiment qu'il se passe quelque chose entre l'institutrice et moi, alors elle doit aller dans notre sens : ce serait dommage qu'Eden me reproche de ne pas avoir su tenir ma langue. C'est facile de dire cela, surtout face à quelqu'un qui aimerait nous voir ensemble. Oui, peut-être que j'en joue un peu.

Si nous ne nous voilerions pas autant la face, alors peut-être qu’Eden et moi serions ensemble aujourd’hui. Ensemble et épanouies. Mais pour l’instant, cette évidence, Marley est la seule à la voir. Peut-être que nous nous cachons derrière notre passé et la relation d’Eden qui vient de se terminer d’une manière assez chaotique. Ou alors, peut-être que c’est ma meilleure amie qui idéalise un peu les choses. Avec ce qu’elle dit et ce que j’ai en ma possession, j’ai l’impression de manquer d’informations. C’est bien pour ça que je la sonde à mon tour. Elle arrive si facilement à avoir des informations de ma part, pourquoi est-ce que ça ne se ferait pas un peu dans l’autre sens pour une fois ? Bingo ! Enfin presque.. même si la jeune femme ne me parle pas d’une discussion similaire à celle-ci avec sa demi-sœur, elle évoque le fait que je fais partie de leurs sujets de conversations et ça me fait sourire. « Il vous arrive souvent de parler de moi ? » Cette idée est loin de me déplaire – tant qu’elles restent gentilles à mon sujet. Mais cela attise ma curiosité : j’aimerais pouvoir être une petite souris et pouvoir me glisser dans la pièce où elles échangent pour pouvoir écouter ce qu’elles se disent. Peut-être qu’un jour, je l’apprendrais, de l’une ou de l’autre, mais il n’est pas question de cela aujourd’hui. Pour l’instant, je dois m’assurer que Marley ne dira rien à l’institutrice, de peur de me brûler les ailes, avant même d’avoir essayé de prendre mon envol. Sur ce point, j’ai sa parole. Une parole que je viens sceller en attrapant son doigt avec le mien. « Si je finis le cœur brisé, tu en seras la principale responsable ! » Eden aura sûrement son rôle aussi. Mais si je décide de me lancer à un moment, cette discussion avec Marley, et toutes les autres, aura forcément pesé dans la balance. Faire un grand geste pour mon ancienne petite amie, juste avant qu’elle ne parte à Londres, c’est sûrement une bonne idée. Mais c’est aussi très risqué. Si les choses se passent bien, alors ça lui donnera une excuse pour rentrer plus vite. Mais à l’inverse, si ça ne se passe pas comme je l’aimerais, alors peut-être que la jeune femme choisira de rester là-bas et ce n’est pas ce que je veux. Néanmoins, je sais que me poser des questions ne changera rien tant que je ne me bougerais pas un peu pour avoir des réponses. « J’ai quand même l’impression d’être l’une des actrices de ta série romantique préférée. Tu t’ennuierais un peu sans nous, non ? » Mais peut-être qu’elle aurait l’esprit plus tranquille aussi, si jamais les choses se passaient plus rapidement, sans qu’on ne se pose une multitude de questions.

« Oh. » Un bruit simple, mais efficace. Il faut être né de la dernière pluie pour ne pas comprendre qu'il s'agit là d'une réaction de surprise de ma part. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je ne pensais pas qu'il arrivait aux deux jeunes femmes de parler de moi – pas aussi souvent. Et c'est d'ailleurs sûrement pour cela que je reste méfiante quant à l'affirmation de la brune sur les sentiments que pourrait avoir sa demi-sœur à mon égard. Si Marley semble si sûre d'elle, c'est peut-être qu'elle a des informations que je ne possède pas encore. Depuis son retour à Island Bay, nous avons eu l'occasion d'échanger avec Eden, à de nombreuses reprises mêmes, mais nous avons rarement parlé de nos retrouvailles et des sentiments qu'elles pouvaient créer. Avec autant de certitudes, je devrais suivre ma meilleure amie les yeux fermés et pourtant.. si c'est si simple que cela, alors pourquoi ne nous sommes-nous pas encore avoué nos sentiments ? Bien qu'alcoolisée ce soir-là, j'ai fait un premier pas vers la jeune femme en l'embrassant un soir et malheureusement, elle m'a repoussé. Peut-être que c'est Marley qui se fait des films, peut-être qu'il ne se passe rien entre nous et qu'il ne se passera plus jamais rien. Soit c'est ça, soit nous sommes plutôt douées pour tourner autour du pot, sans vraiment s'avouer la réalité, avec l'institutrice. Au festival de bière, au lieu d'envisager de jouer les faux couples, nous aurions peut-être pu être plus honnêtes envers nous-mêmes. Enfin tout ça, c'est si j'écoute la logique de Marley. Il reste quand même une probabilité, faible selon elle, où Eden ne ressent pas la même chose. La brune finit par se rapprocher de moi et m'offre une accolade, me glissant par la même occasion quelques mots à l'occasion. Des mots qui ne prendront sens que si je décide d'arrêter de lui cacher certaines choses. « Le jour où tu ne capteras plus ma comédie, alors j'aurais de quoi m'inquiéter. » Si on y réfléchit bien, les deux fois où j'ai essayé de jouer la comédie, Marley m'a percé à jour, preuve que notre amitié est intacte aujourd'hui. « Maintenant que tu as eu ce que tu voulais, est-ce que nous pouvons retourner à notre travail ? » Par chance, l'activité du café ne s'est pas décuplée durant notre petit aparté, mais quand on est propriétaire d'un tel endroit, il y a toujours du travail, même quand il n'y a pas beaucoup de monde. « Sauf si peut-être tu as des choses à me dire aussi. » Maintenant que l'attention portée sur moi est terminée, peut-être qu'elle a des choses à m'avouer. Pour déceler d'éventuels mensonges, je ne suis pas très forte, mais j'ose espérer qu'elle saura me trouver le jour où elle en aura besoin.

Mes révélations faites, il n'y a plus vraiment de raisons pour que nous restions ici, enfermées dans cette petite pièce. Surtout que le café est grand, autant se servir de tout l'espace possible. Nous regagnons le comptoir et laissons les employés qui nous ont remplacé reprendre ce qu'ils faisaient à la base. Ils sont gentils et se plaignent rarement et ça, je crois que nous leur rendons bien. Nous essayons de faire en sorte que l'environnement soit le plus agréable possible pour travailler et nous restons à l'écoute de ce qu'ils ont à dire. Un client arrive et je m'occupe de sa commande. En parallèle, je demande à ma meilleure amie si elle a des choses à me dire aussi. A priori, il n'y a rien à l'horizon. Enfin.. rapidement, la brune se rétracte et me parle du chien que sa nouvelle colocataire a ramené chez elles. Je ne sais pas trop si je la voyais avec un chien avant ça, mais il faut croire qu'il y a des surprises partout. Elle avec Tegan, moi avec Eden. « Les garçons ? C'est facile de se servir d'eux de la sorte. » Dis-je, sur le ton de la plaisanterie. Bien sûr, Elliot sera content de courir après quelque chose – Leo aussi, quand il sera plus en équilibre sur ses appuis –, mais je pense que l'idée de prendre soin d'une bête, d'avoir un peu de changement chez elle fait plaisir à Marley. « Je suis presque sûre que de vous trois, ce sera toi la plus fan de ce chien. » Si ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, ça changera rapidement. Je n’ai jamais eu d’animal de compagnie, mais je suppose qu’avec le temps, tu t’attaches forcément à ces boules de poils, surtout s’il s’avère mignon. « Tu as un vrai petit cœur mou. Une chambre, un chien.. j’ai hâte de voir ce qu’il en sera après ça. » Je ne pense pas qu’elle s’imaginait quelqu’un comme Tegan en tant que colocataire, mais à bien y réfléchir, c’est sûrement une bonne chose : même chez elle, elle sort un peu de son quotidien. Une nouvelle personne rentre dans le café et Marley file s’en occuper. Si elle pensait pouvoir reprendre cette conversation rapidement, elle s’est trompée. Cette dame semble bien indécise sur ce qu’elle veut et ma meilleure amie se retrouve à exposer les ingrédients de toutes les pâtisseries proposées. Bien occupée, je suis celle qui sert et encaisse les autres clients. Avec la sortie du boulot, les entrées et sorties de la boutique s’enchaînent. Nous devrons attendre un peu ou s’organiser une sortie à deux plus tard si jamais elle désire me parler plus en détail de sa cohabitation avec Tegan et ce nouveau chien.