une première rencontre (malone)

C’est un peu la course. Mais ce n’est pas comme si c’était quelque chose de nouveau pour moi, surtout en ce moment. Maintenant que mon entraînement est terminé, je file dans l’une des boutiques qui se trouvent à côté du vélodrome pour trouver un sandwich. Ce n’est pas le repas idéal, notamment après une séance physique, mais je n’ai pas d’autre choix, puisque je dois me rendre à North Bay pour visiter un possible appartement, avant d’aller en centre-ville pour ouvrir la boutique. Des fois, je me demande ce qui fait que je n’ai pas encore baissé les bras. Surtout quand des épreuves, comme le dégât des eaux de mon appartement, se rajoutent. C’est peut-être cela qui fait ma force : ma persévérance – ou mon entêtement selon le point de vue de certains. Mon en-cas acheté, je prends la direction de l’arrêt de bus le plus proche. Aujourd’hui, je n’ai volontairement pas pris mon vélo, histoire d’avoir un peu de temps, les mains libres, pour manger ce midi. Cependant, comme le demandent les panneaux à l’intérieur du véhicule, j’attends que mon trajet se termine avant de pouvoir vraiment me sustenter. Avant de venir ici, j’ai étudié Google Maps. Je sais donc parfaitement où je dois aller et le temps que cela me prendra. En regardant ma montre, je comprends que je me suis suffisamment hâtée et que j’ai maintenant quelques minutes devant moi pour savourer ce magnifique sandwich thon-crudités. Mais pas que, n’étant pas du genre à tenir en place trop longtemps, surtout à l’approche d’un rendez-vous important, je vais pouvoir me balader un peu dans le quartier pour voir ce qui s’y trouve. Si vraiment je déménage ici, ça pourrait toujours me servir. Le temps passe et arrive le moment du rendez-vous. Je marque jusqu’au numéro trente-et-un et je sonne. Je n’ai pas longtemps à attendre avant de voir la porte s’ouvrir. Je monte les différents escaliers qui me séparent de l’appartement et je sonne une nouvelle fois, à la porte d’entrée cette fois-ci. « Bonjour. Êtes-vous Malone ? » Dis-je, alors qu’un jeune homme apparaît devant moi. N’étant pas à l’abri d’avoir sonné à la mauvaise porte, je préfère m’assurer d’avoir le bon interlocuteur devant moi. « Andrea, enchantée – officiellement. Mais appelez-moi Andi. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, alors que je lui tends ma main. Pour l’instant, nous ne nous connaissons pas, alors je ne me vois pas le saluer autrement. Néanmoins, si tout se passe bien, alors les choses devraient évoluer légèrement entre nous. « C’est donc ici que vous vivez. » Et où je vais potentiellement vivre aussi, si tout se passe bien. La dernière fois où j’ai été en colocation, j’étais encore au lycée, en sport-étude, et pour être honnête, je ne pensais pas repasser par cette case dans ma vie. Mais parfois, le destin fait que des choses surprenantes se passent.

Je ne suis pas la personne la plus bavarde sur Terre, mais je n’ai pas non plus de mal à aller vers les autres. Pourtant, aujourd’hui, ce rendez-vous me rend légèrement nerveuse. Peut-être parce que je suis un peu dans l’urgence – une situation dans laquelle je ne me suis jamais retrouvée jusque là. L’heure arrivée, je me dirige vers l’appartement et sonne. Je n’attends pas longtemps avant de voir la porte se déverrouiller. Je monte les escaliers, non pas deux par deux, mais à un rythme élevé tout de même. La deuxième porte, celle du logement cette fois-ci, s’ouvre et un jeune homme apparaît face à moi. À travers les quelques messages échangés, il était difficile d’imaginer un visage. Néanmoins, grâce à des échanges avec mon propriétaire, je savais que Malone était quelqu’un de jeune, dans mes âges ou presque. « Enchantée ! » Dis-je, une fois les présentations faites – ou plutôt refaites, de manière plus officielle. Pour lancer la conversation, j’évoque rapidement l’appartement où nous sommes. Bien sûr que c’est celui dont nous avons parlé, nous ne serions pas ici sinon, mais je n’ai rien trouvé de mieux pour me lancer. Par chance, le jeune homme ne semble pas m’en tenir rigueur, puisque rapidement, il enchaîne sur mes mots. Il parle du logement, puis du quartier et pour le coup, de ce que j’ai eu l’occasion de voir pour l’instant, je ne peux que lui donner raison : j’ai eu l’occasion de me balader un peu et je me suis sentie bien. En entrant dans l’immeuble, j’ai aussi eu un bon pressentiment. Il ne reste que l’appartement à voir, mais je n’ai que peu de doutes sur le fait que je pourrais me plaire ici. « Pourquoi pas de l’eau, ce sera très bien. » Je n’ai pas besoin de plus. Non pas parce que je ne veux pas qu’il se fasse une mauvaise image de moi, mais bien parce que c’est la boisson que j’ai l’habitude de prendre chez moi. Il propose que l'on passe ensuite à la visite de l'appartement, notamment pour qu'elle ne dépasse pas sur mon temps de travail. « Ne t'en fais pas. Je n'ai pas pris de rendez-vous directement après l'ouverture de la boutique et comme je suis ma propre patronne, je ne devrais pas être trop méchante avec moi-même. » Dis-je, sur le ton de la plaisanterie. Rapidement, je remarque que j'ai naturellement employé le tutoiement et je décide de m'excuser, au cas où cela ne lui irait pas. Après tout, nous venons seulement de nous rencontrer, peut-être préfère-t-il que nous en restions à l'utilisation du vous et advienne que pourra pour la suite. « Pardon.. ça te va si nous nous tutoyons ? » Je lui laisse le choix, même si j'avoue que le vouvoiement me fera sûrement bizarre si cette colocation a vraiment lieu – j'ai tendance à le faire avec mes clients, avec des personnes du monde du cyclisme ou des personnes plus âgées que moi, mais pas de quelques années seulement. En tant qu'hôte exemplaire, Malone me serre le verre d'eau promis et après en avoir bu quelques gorgées, il est grand temps de passer aux choses sérieuses. « Allons-y pour un petit tour. Même si je ne serais pas très compliqué, surtout vu l'état de mon appartement. » Aujourd'hui, j'en rigole. Mais je faisais moins la fière quand l'eau du logement du dessus a commencé à couler chez moi. Par chance, plusieurs membres de ma famille habitent en ville et peuvent me dépanner pour l'instant. Cependant, j'aimerais bien retrouver un semblant d'indépendance et ça, le plus tôt sera le mieux. « Je me déplace beaucoup en vélo. Est-ce qu'il y a un endroit où je pourrais le mettre éventuellement ? » Dans l'idéal, il faudrait que ça se trouve au rez-de-chaussé de l'immeuble, mais si jamais, ça me fera sûrement les bras si je dois le monter jusqu'ici à chaque fois. Et oui, je commence déjà au côté logistique si jamais je dois bien habiter ici à un moment donné.

Cet appartement n’est sûrement pas le plus grand de la région, ou bien même du quartier, mais ce n’est pas ce que je recherche – surtout vu l’urgence liée aux dégâts causés par la fuite d’eau de l’appartement du dessus du mien. D’ailleurs, le logement que je cherche à quitter peut facilement ressembler à celui que je suis en train de visiter, à l’exception près qu’il était fait pour une personne vivant seule – ou un couple à la rigueur. Il faut parfois savoir être lucide dans la vie : je n’ai pas forcément les moyens de me permettre quelque chose de plus grand, même si je fais de mon mieux pour ne pas avoir à me soucier de mes fins de mois. Dans ce sens-là, partager le loyer d’un logement un peu plus grand avec quelqu’un d’autre est une bonne option. Certes.. il faut revoir certains points au niveau de l’intimité qu’il est facile d’avoir dans un appartement où l’on vit seul et beaucoup moins dans une colocation, mais je suppose qu’après quelques jours, ce sont des habitudes que l’on prend. Le petit tour des pièces communes et de la chambre que je pourrais occuper terminé, je pose une première question. Une question que je trouve intelligente, surtout quand on sait que mon vélo est plutôt coûteux : je ne pourrais pas le laisser dans la rue et si un endroit pourrait me permettre de ne pas avoir à le monter dans l’appartement chaque jour, c’est tout bénéfique. Par chance, le jeune homme répond positivement. Me voilà soulagée ! En plus du local à vélo, le logement semble offrir d’autres prestations externes, mais celle-ci m’intéressent moins : je n’ai pas de poussette dans mes affaires – ce n’est pas prévu pour les mois ou années à venir – et je n’ai pas de voiture. Je suppose que c’est tout de même bon à prendre, nous ne sommes pas à l’abri de changements un jour. Il me demande ensuite si j’ai d’autres questions. « Comme ça, je ne vois rien de plus. Je suppose que pour l’organisation, ça se fera au fil des jours. » Je pourrais le bassiner avec les histoires de courses, de réfrigérateur, de rangement ou encore de ménage, mais il est peut-être préférable que j’attende un peu avant de lui faire peur. « Est-ce que tu as déjà été en colocation avant aujourd’hui ? » La seule fois où c’est arrivé, j’étais au lycée, alors je suppose que je ne suis pas vraiment une experte dans le domaine. Peut-être que lui l’est. « Tu es ici depuis combien de temps ? Est-ce que tu connais bien les voisins ? » C’est sûrement un peu bête, mais autant savoir rapidement si les autres personnes du bâtiment sont un peu embêtants sur les bords. Je ne suis pas du genre à faire du bruit jusqu’à pas d’heure ou à laisser mes affaires traîner dans les parties communes, alors je ne devrais pas m’attirer d’ennuis. « Ah si.. j’ai un chien. Est-ce que ça va poser problème. Il n’est pas méchant ! Et est plutôt habitué à rester seul, donc il n’aboiera pas à tout va. » Oups.. c’est un détail assez important quand on y réfléchit bien. J’aurais d’ailleurs peut-être dû en parler dès nos premiers échanges.

Même si ce genre de choses est une première pour moi, je trouve que ça ne se passe pas si mal. Peut-être que Malone aide un peu. Il a l’air d’être un gentil garçon et il vend plutôt bien son appartement. Je ne sais pas exactement comment ça se passe pour lui, mais je suppose qu’il peut être urgent pour lui de trouver une deuxième personne, histoire de s’alléger un peu des charges mensuelles. Finalement, j’ai comme l’impression que nous avons autant besoin l’un de l’autre, même si nos situations sont bien différentes. Le tour de l’appartement terminé, je lui pose quelques questions. Sur l’endroit où je pourrais éventuellement mettre mon vélo – à défaut d’avoir une voiture, sur les voisins et enfin sur l’éventualité pour Flèche serait un problème. Par chance, il a réponse à tout et cela semble aller dans mon sens. « C’est le principal ! » Si j’emménage dans une colocation, je ne m’attends pas à ce que les voisins se rajoutent à l’équation – se retrouver avec une personne que je ne connais pas, c’est déjà bien. Les croiser de temps en temps, leur dire bonjour, c’est la moindre des choses. S’il y a parfois quelques soirées partagées, je suppose que c’est un plus. Mais il ne faut pas non plus en oublier sa tranquillité et les moments que l’on souhaite passer seul. « Me voilà rassurée ! Je ne me voyais pas le laisser. » Dis-je, cette fois-ci au sujet de mon chien. « C'est un Berger Australien et il s'appelle Flèche. Rassure-toi, son prénom n'a pas été choisi en fonction de son caractère : il n'est pas du genre à courir dans tous les sens, sans pouvoir s'arrêter. » Je ne peux m'empêcher de rigoler légèrement en l'imaginant faire. C'est un chien, alors il a forcément besoin de se défouler un peu. Cependant, il arrive plutôt bien à comprendre quand il peut faire le fou et quand il ne peut pas le faire. Je pense que le fait de l'emmener à la boutique avec moi l'aide dans ce sens : quand il y a des clients, il a le droit d'aller les voir – s'ils lui autorisent, mais il doit toujours le faire sans excès. « Je crois que nous avons fait le tour. » Je regarde autour de moi, comme si les détails de l'appartement pouvaient me donner des réponses. « Juste.. le loyer. Tu payes combien par mois, avec les charges ? » Concernant le logement, c'est sûrement la dernière chose que j'ai à demander et ce n'est pas rien comme question. Peut-être que plus tard, quand je me serais posée et que je réfléchirais à la possibilité d'emménager ici, alors de nouvelles me viendront à l'esprit. « C'est peut-être indiscret.. » Du moins, pour l'instant. Si cette colocation se fait bien, alors nous devrons apprendre à nous connaître, sans avoir peur de froisser l'autre avec nos questions. « Tu travailles dans quoi ? » Lors de notre premier échange de messages – et le seul en réalité, il a évoqué le fait de souvent travailler d'ici. Si j'ai à occuper l'une des chambres de l'appartement, c'est peut-être mieux que je me renseigne un peu sur ce sujet.

La visite commence doucement à toucher à son terme. Mais avant de quitter le jeune homme, je l'interroge sur le loyer qu'il paye. Ce n'est pas forcément le sujet le plus agréable à aborder, mais il reste important de le faire, puisque c'est potentiellement ce que j'aurais à sortir de mon compte chaque mois. Huit cent.. c'est une certaine somme et cela va sûrement me pousser à la réflexion. Mais c'est peut-être un investissement qui vaut le coup. Après tout, je suis en discussion pour un nouveau contrat de partenariat. Si certaines de mes affaires pour le vélo me sont offertes, alors je vais pouvoir mettre mon argent dans autre chose. Cet appartement n'est pas un taudis et je suis sûre qu'il est très agréable de vivre ici au quotidien. Pour l'instant, je vis chez mon frère, mais c'est quelque chose de temporaire et je suis sûre qu'il serait ravi d'apprendre où j'ai la possibilité de poser mes valises. Je vais y réfléchir, je vais faire mes comptes et nous verrons où cela me mène. En parlant d'argent, je demande à Malone comment il gagne sa vie. Bien loin de ma vie rythmée par le sport, il est illustrateur de bandes dessinées pour enfant. Visiblement, il est souvent ici, car il apprécie travailler de chez lui. Un point commun qui n'existe pas chez moi, puisque je passe le plus clair de mon temps à l'extérieur, que ce soit à ma boutique, au vélodrome, à la salle de sport ou encore en compétition. Il arrive parfois que je m'entraîne de chez moi, grâce à mon home-trainer, mais j'ai toujours eu une préférence pour les tours de piste que pour l'écran au fond qui change de l'application qui me permet de faire des kilomètres dans ma chambre. « Merci, c'est gentil. Là, comme ça, je crois que j'ai fait le tour de mes questions. Mais je te recontacte très vite ! Si j'ai d'autres interrogations au sujet de l'appartement ou pour te tenir au courant de ma décision. » Ce n'est pas avec lui que je signerais les papiers, si je décide d'emménager ici, mais il a eu la gentillesse de me faire visiter, alors c'est la moindre des choses de le tenir informé. « Je ne vais pas t'embêter plus longtemps. » Surtout que j'ai une boutique à ouvrir. « Si tu penses à quelque chose de ton côté, n'hésite pas à me contacter aussi. » Les questions viendront sûrement plus facilement de mon côté, mais cela n'empêche en rien le fait qu'un détail lui revienne à l'esprit. Je le laisse me raccompagner jusqu'à l'entrée et le salue, avant de reprendre le chemin inverse de tout à l'heure. Il y a quelques mois, j'aurais certainement refusé une colocation, mais les choses changent – souvent pour une bonne raison, alors c'est peut-être l'occasion pour moi de faire le grand saut.