f*, we're stuck ✩ andrea

Je suis consciente que ma vie est différente des autres personnes de mon âge, surtout au niveau des fêtes. C'était déjà le cas à l'adolescence : alors que mes amis faisaient le mur pour la première fois, j'étais sur un vélo à m'entraîner pour réussir. Selon certains, ce n'est pas une vie. Mais moi, à ce moment-là, c'est quelque chose qui me plaisait, surtout que les résultats étaient là. Ma rencontre avec Micah a quelque peu changé les choses. Il était musicien, alors forcément, il connaissait très bien le monde de la nuit et des soirées qui s'éternisent parfois un peu trop. Par amour, je l'ai suivi – le tout sans alcool, car pour le coup, il n'a pas réussi à me faire changer d'avis là-dessus – et j'ai presque commencé à apprécier cela. Mais après plusieurs années d'idylle, la chute fut brutale et je me suis éloignée de ce monde qui ne me correspondait pas vraiment quand j'étais seule. Pour oublier tout cela, son départ, notre relation, mon cœur brisé, je me suis replongée dans le sport. Un peu trop selon certaines de mes amies qui me poussent parfois à lâcher prise et à sortir – à rencontrer du monde aussi, mais il faut croire que mes attentes sont un peu trop élevées, puisque je n'ai pas encore trouvé chaussure à mon pied. Ce soir, c'est à une crémaillère que je suis invitée. Comme à mon habitude, j'ai bien essayé de trouver une excuse à la dernière minute, mais c'était sans compter sur l'amie qui est venue me chercher directement chez moi.L'expression de mon visage, celle de la surprise, devait être marrante à en voir sa réaction. Au moins, j'aurais amusé quelqu'un ce soir. Grâce à sa voiture, il ne nous faut pas longtemps avant d'arriver au nouvel appartement de notre amie, malgré le fait qu'il soit à Wellington. Sur place, malgré mes tentatives de socialisation et le sourire que j'arbore sur mes lèvres, je me sens rapidement de trop et j'ai le besoin de m'éloigner, de m'aérer un peu l'esprit. Pour ça, rien de mieux que le toit terrasse qui est accessible pour les locataires de l'immeuble. À mon arrivée, je remarque que quelqu'un est déjà là. Une femme que j'ai eue l'occasion d'apercevoir un peu plus tôt. Sans vraiment comprendre pourquoi, les choses s'enchaînent, comme dans les plus grands films du box-office et nous nous retrouvons enfermée sur le toit. Est-ce que j'ai fait quelque chose qui a causé cela ? Je ne crois pas. La porte était ouverte à mon arrivée et je n'ai pas cherché à la fermer. C'est sûrement le vent. « Merde.. » Dis-je, en écho à sa phrase. « Est-ce que tu as ton téléphone ? J'ai laissé le mien dans l'appartement. » Pour le coup, je ne suis pas d'une grande aide. Mais si l'on veut sortir de là, il va falloir qu'on arrive à contacter quelqu'un qui se trouve à l'intérieur. « Au moins, la vue est belle. » Un mal pour un bien dirons-nous.

Me retrouver bloquer sur ce toit ne faisait clairement pas partie de mes plans. Est-ce mon mauvais mojo qui s’abat sur moi pour avoir cherché à être solitaire — encore ? Je ne sais pas, je ne pense pas. Sinon cette jeune femme ne se retrouverait pas bloquée avec moi — il serait dommage de la punir pour quelque chose dont elle n’est pas responsable. Lorsque je l’interroge sur un possible téléphone pour pouvoir appeler de l’aide, je comprends rapidement qu’elle est dans la même situation que moi : dans l’incapacité de pouvoir joindre quelqu’un. « Andrea. » Dis-je, alors que je viens serrer la main qu’elle me tend. Notre cas n’est pas désespéré et cette fameuse Grace essaye de trouver des options pour me le prouver. Néanmoins, je suis visiblement un peu plus pessimiste qu’elle. « C’est un soir où Juliet doit être beaucoup demandée.. » Je ne veux pas lui faire peur, mais d’ici le moment où elle se sera rendu compte de son absence — ou de notre absence, le soleil se sera déjà couché et peut-être même depuis longtemps. Comme elle le souligne, peut-être que, par chance, un autre invité aura l’idée de venir s’aérer un peu l’esprit. « Vous avez le vertige ? Dans le pire des cas, il reste la descente en rappel. Mais vraiment, en dernière solution. » Pour le coup, je plaisante. Jamais je ne demanderais de faire cela à quelqu’un, que ce soit elle, une parfaite inconnue à mes yeux, ou quelqu’un de mon entourage. En plus, nous n’avons même pas le matériel pour ça. On risque seulement de se blesser, ou pire encore. « Ça nous apprendra à vouloir échapper à la fête.. Vous ne vous y sentiez pas bien ? » Comme je ne suis pas bien placée pour la juger, je me risque à cette question. Même si la réponse peut prendre deux directions bien différentes : soit cette fête était un peu étouffante pour elle, soit elle ne se sentait pas bien physiquement et dans ce deuxième cas, je ne suis pas certaine qu’un petit coup de stress supplémentaire, lié à notre emprisonnement ici, aide.

Se retrouver bloquée ici, sans téléphone, n’est certainement pas la meilleure chose qui pouvait m’arriver ce soir. Je vais quand même essayer de me rassurer avec le fait que je ne suis pas toute seule sur ce toit : deux absentes à la soirée, ça va peut-être attirer plus facilement l’inquiétude — s’il n’y avait eu que Grace, ou que moi, peut-être que les invités se seraient rapidement orientés sur une fin de soirée précipitée de notre part. Là, la coïncidence sera forcément trop forte. Quoique.. seul l’avenir nous le dira. Pour plaisanter, j’évoque la possibilité de descendre d’ici en rappel. Ce n’est certainement pas les meilleures des idées, mais si c’est la seule qui s’offre à nous à un moment donné, ça ne semble pas effrayer la jeune femme qui se tient face à moi. « Pas à ma connaissance. Mais c’est souvent quand nous y sommes confrontés qu’elles se révèlent chez nous. » Dis-je, alors qu’elle m’interroge sur mes angoisses et phobies. Lorsqu’elle évoque la température et le fait que c’est elle qui pourrait nous poser le plus de problèmes, je réalise qu’avec ma simple veste, je ne ressens sûrement pas les choses comme elle, qui n’a rien sur les épaules. Par chance, elle a encore son verre pour l’aider à se réchauffer. Même si je doute que la quantité de liquide à l’intérieur l’aide beaucoup. « Malheureusement, ça ne m’aidera pas. Je ne suis pas vraiment portée sur l’alcool. » Dis-je, alors qu’une grimace se dessine sur mes lèvres. Ce n’est pas dramatique en soi et ça ne devrait pas nous causer de problème sur ce toit, c’est le principal. Avec une simple question, j’interroge la brune sur sa présence ici. Si nous ne sommes que deux ici, ce n’est sûrement pas pour rien. Cette idée se confirme avec la réponse que j’obtiens de Grace. Vouloir s’éloigner un peu des gens qu’on ne connaît pas, je ne peux clairement pas lui reprocher ça. « Après un trop gros bain de foule, je crois que je ressens le besoin de m’isoler un peu. » Sur ce point, nous nous ressemblons un peu. « Vous connaissez Juliet depuis longtemps ? » Dis-je, tout en plongeant mes mains dans mes poches. Quittes à être bloquées ici, autant discuter un peu.

Pour l’instant, il faut croire que seule deux personnes avaient envie de prendre l’air sur ce toit terrasse et ces deux personnes, ce sont elle et moi. Alors autant dire que nous pouvons rester bloquées ici encore longtemps. Ce n’est pas ce que je souhaite, mais je me dis qu’en partant avec cette idée en tête, alors peut-être que ce sera moins compliqué à accepter à mesure que les minutes passeront. Les peurs rapidement évoquées, notamment celle du vide et des hauteurs, j’interroge Grace sur son amitié avec l’organisatrice de la fête. De ce que j’arrive à comprendre, elles se sont rencontrées il y a plusieurs années et retrouvées plus récemment. Cela ne concerne pas Juliet de mon côté, mais il faut croire que son schéma ressemble grossièrement au mien. « Un an, je dirais. » Dis-je, alors qu’elle me retourne la question. « J’ai grandi ici, mais je suis partie plusieurs années. À mon retour, j’ai retrouvé d’anciennes amies et Juliet s’était greffée au groupe. » Depuis, j’ai eu l’occasion d’apprendre à la connaître et finalement, entre nous, c’est comme si nous nous connaissions depuis toujours. Du moins, depuis aussi longtemps que les autres. « Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » Depuis tout à l’heure, mon regard oscille entre l’horizon et la jeune femme. Avec cette nouvelle question posée, je me tourne naturellement vers elle, avant de réaliser que je suis peut-être aller trop loin dans mon indiscrétion. « Je suis désolée.. ça ressemble à un interrogatoire. Vous n’êtes pas obligée de répondre. » C’est juste que parler semble être la seule solution actuellement pour faire passer le temps et comme je ne la connais pas, en apprendre un peu plus sur elle pourrait me donner matière pour trouver un sujet de conversation moins formel.

Bloquées sur cette terrasse, dans l’attente que quelqu’un nous trouve, nous n’avons rien de mieux à faire que d’échanger. Comme nous sommes toutes les deux des amies de Juliet, nous devrions bien nous entendre, il ne reste qu’à faire un peu connaissance et pour cela, nous devons passer par des questions un peu banales. La question concernant son boulot est posée alors qu’elle boit une nouvelle gorgée de son verre, la dernière, et en me répondant, elle manque de s’étouffer. Ce serait bien d’éviter les catastrophes, car je ne suis pas en posture pour pouvoir vraiment lui venir en aide. « Vous savez pour quel genre de reconversion ? » Dis-je automatiquement, à sa réponse. Mon interrogatoire ne ressemble pas vraiment à cela selon elle, alors je peux continuer sur cette lancée sans trop de mal. C’est maintenant à moi de lui répondre, lorsqu’elle s’intéresse à ma vie professionnelle. « J’ai plusieurs casquettes. Je fais du sport au haut niveau, du moins j’essaye d’y revenir, et en parallèle, je tiens une boutique de vélo. » Je touche à cela depuis mon adolescence, alors quand j’ai dû faire un choix, à mon retour en ville, il s’est fait sans trop de mal. « Pour être sûre de boucler mes fins de mois, il m’arrive aussi de faire du baby-sitting. » Travailler pour gagner de l’argent, ce n’est pas ce qui me fait peur. J’avais l’habitude de faire cela à Auckland, alors pourquoi m’en priver ici – surtout quand il n’y a plus qu’une personne qui renfloue le compte en banque et non deux. Le temps passe sur ce toit, malheureusement, et nous sommes toujours que deux ici. « Peut-être que nous devrions tambouriner un peu à la porte. Si quelqu’un se trouve dans le couloir de l’étage du dessous, nous serons peut-être entendues. » Bien sûr, je ne propose pas de faire cela pendant des minutes, sans s’arrêter, car nous pourrions facilement fatiguer.

Il serait mentir de dire que cette soirée prend une tournure que j’envisageais. Me sortir de mon appartement était déjà un exploit pour mes amies, mais me retrouver sur ce toit, à faire connaissance avec quelqu’un de nouveau, l’est d’autant plus. Après avoir évoqué quelques banalités sur notre présence ici, sur ce toit et sur Juliet, le sujet de nos occupations est naturellement évoqué. La sienne pour commencer, même si ça semble un peu compliqué pour elle en ce moment. « C’est parfois en s’essayant à certaines choses que l’on se découvre des passions. » Je ne sais pas ce qu’elle faisait jusque là et où elle se voit dans quelques années, mais si elle n’est pas pressée, alors elle peut toujours multiplier les expériences pour trouver ce qui lui plaira vraiment. Quand c’est à mon tour de répondre à la question, j’évoque le sport et ce que je fais à côté aussi. « C’est ça, du cyclisme sur piste. Je ne sais pas si vous connaissez. » Ici, c’est le rugby le sport local et même si de nombreux champions du monde de cyclisme sont néo-zélandais, ce n’est pas une discipline qui est beaucoup médiatisée. Concernant le baby-sitting, c’est une option de facilité. C'est le genre de petits boulots qu'il est possible de trouver un peu partout, c'est d'ailleurs à Auckland que j'ai commencé à faire cela. À mon retour à Island Bay, je me suis servie de ce que j'avais appris pour m'occuper des filles de mon frère, et enfin, pour boucler mes fins de mois, lorsque j'ai vu l'annonce du couple Weaver, j'ai sauté sur l'occasion. Après cet échange, je décide de revenir à l'assaut au niveau de la porte. Si nous restons là, à ne rien faire, alors peut-être que nous resterons bloquées toute la nuit – surtout si Juliet pense que nous sommes rentrées chez nous. « Même si la porte s'ouvre, rien ne vous oblige de redescendre à la fête. » Je comprends ce qu'elle veut dire par là et vu ce qui s'offre sous nos yeux, je ne peux pas vraiment la contredire : je suis plutôt soirée au calme que dans le brouhaha d'une fête. « Néanmoins, je trouve cela plus rassurant de savoir que nous pouvons quitter ce toit dès que bon nous semble. » Cette fois-ci, si quelqu'un vient bien nous ouvrir, alors nous pourrons mettre un cale-porte. Je m'éloigne du garde-fou et viens donner plusieurs coups sur la porte. Pour l'instant, ils sont plutôt calmes. Si vraiment je vois que c'est inefficace, alors je passerais à la force supérieure.

« Rassurez-vous, vous n’êtes pas la première à me dire cela. La Nouvelle Zélande est pourtant bien réputée dans ce domaine. » Que ce soit sur la piste ou avec le BMX, le pays est doté de plusieurs talents. Cela me concerne, alors naturellement, je sais tout cela et je serais capable d’en parler pendant des heures. Mais il n’est pas question de cela ici et je ne voudrais pas l’ennuyer avec ça : la passion de quelqu’un n’est pas forcément celle de quelqu’un d’autre et il n’y a pas à l’imposer. Après ce temps passé sur le toit, je propose de repasser à l’action, dans l’espoir de pouvoir partir d’ici – ou au moins, d’avoir la porte ouverte et bloquée si la jeune femme veut rester ici encore un peu. Nous nous éloignons du bord et nous rapprochons de l’endroit où nous sommes arrivés. Si je commence par donner quelques coups légers, dans l’espoir que quelqu’un soit juste derrière, Grace me fait remarquer que ce ne sera pas suffisant. « Ça va ? » Dis-je, alors que la jeune femme prononce un mot qui fait généralement référence à la douleur, après avoir donné quelques coups sur la porte. Si je suis d’avis à se remettre à taper sur la porte, il ne faudrait pas en arriver à un point où c’est désagréable. Par chance, malgré cela, elle ne semble pas découragée. « J’espère aussi. » Et si ce n’est pas la porte de l’escalier qui nous sauve, j’espère que cela pourrait venir d’une fenêtre ouverte à l’étage inférieur. Il y a la musique de la fête de Juliet, c’est vrai, mais si les murs sont un minimum isolés, alors peut-être qu’un des habitants pourraient nous entendre crier et taper à la porte, de par l’extérieur. Nous nous acharnons sur cette porte pendant quelques minutes. Peut-être deux ou trois et pourtant, ça ressemble à une éternité. Alors que nous nous accordons une pause bien méritée, je ne peux m’empêcher de remarquer que les personnes qui viennent ici sont rares, contrairement à ce que je pouvais imaginer. « Je pensais qu’il y avait plus de fumeurs que ça. » Ou alors, ils ont fait le choix d’aller fumer au rez-de-chaussée, sur le trottoir. Quelle idée. La pause terminée, nous reprenons les coups sur la porte et alors que je commence à désespérer, je semble reconnaître des bruits derrière. « Est-ce qu’il y a quelqu’un ? »