Vivre dans un donjon c'est difficile pour un homme de 44 ans qui a la peurdesavie

A moitié dans le coffre du véhicule qu’ils avaient loué pour l’occasion, Noomi récupérait son matériel tout en entendant Jeremiah débiter le genre de répliques que lui seul pouvait sortir. Levant les yeux au ciel, elle ne put faire que rire en entendant sa menace. Qu’il soit doué ou non en tant qu’archer, un autre problème se posait.
« Ah ouais ? Et où est-ce que tu vas les trouver, ton arc et tes flèches ? »
Ah mais, était-elle bête ! Ils se trouvaient toujours en Nouvelle Zélande et c’était le genre de matériel qu’on devait retrouver au pied de chaque arbre, des fois que quelqu’un ait une envie subite de se prendre pour Legolas. La chevelure blonde et soyeuse en moins parce qu’on dira ce qu’on voudra mais elle n’avait jamais vu d’aussi belles crinières en vrai. Bref, la grecque prit le temps de s’équiper et de remarquer que Jeremiah n’avait pris que le minimum syndical, lui. Elle aurait pu laisser Sunny lui faire la remarque mais… Ça serait mal la connaître. S’emparant d’une autre GoPro, elle s’avança vers lui et l’équipa, comme s’il n’était pas assez grand pour le faire tout seul.
« Un jour, t’oublieras ta tête. »
En terminant par un pincement de joue des plus moqueurs. Puis elle se tourna vers Sunny avec un grand sourire, visiblement très fière d’elle, et lui adressa le signe okay que tous les plongeurs connaissent bien avant de revenir terminer ses propres préparatifs. D’ailleurs, elle lui laissa le soin de parler de l’endroit qu’ils s’apprêtaient à explorer parce que ses recherches étaient toujours bien plus poussées que les siennes et qu’elle aussi allait découvrir. En attendant, elle laissait Jeremiah faire ses suppositions tout en commentant :
« Ouuh, badass. »
Un peu à la Hugh Crain, ce scénario. Celui du bouquin, pas celui de la série. Et lorsqu’elle fut fin prête, le nom d’Elisabeth Bathory avait été jeté dans la conversation. La fameuse comtesse supposée prendre des bains de sang de vierges pour rester éternellement jeune. Ça faisait quand même très méchante Disney, cette histoire.
« Tu sais que rien d’tout ça n’a jamais été prouvé, pas vrai ? Une femme avec pouvoir et influence, fallait la stopper à tout prix et c’est ainsi que naquit la légende. »
Qui en inspira tant d’autres.

Assis sur le siège conducteur, les jambes en dehors du véhicule, Sunny vérifiait pour la dernière fois que tout son matériel était en ordre, surtout l’état de charge de son Canon et les batteries de rechange. Il aurait plus manqué qu’ils tombent à cours de jus en plein tournage : son pire cauchemar. Il aurait mille fois préféré se retrouver face à un esprit frappeur assoiffé de sang que de ne plus pouvoir tourner : dans le premier cas de figure, au moins, ça finissait avec une vidéo du tonnerre ― à moins de tomber sur un lutin technophile mais ça, c’était une autre histoire.

Pendant ce temps, Jeremiah et Noomi, fidèles à eux-mêmes, s’échangeaient des piques. Sunny se redressa, claqua la portière et les rejoignit, se parant d’un ton de grand-frère pour les taquiner :

« Hé, attendez au moins ça que tourne pour commencer à vous arracher la gueule, vous savez que ça fait toujours des vues en plus ce genre de truc. »

Sur ce, il se tourna vers le château qu’ils étaient venus investiguer. Château était un bien grand mot, mais c’était bel et bien ainsi que cette bâtisse était désignée par les locaux depuis près de cent cinquante ans.

« Je vois qu’il y en a qui ont encore oublié de faire leurs devoirs, railla Sunny en lorgnant vers Jeremiah du coin de l’œil quand ce dernier s’enquit de l’histoire des lieux. T’as de la chance que j’aime m’entende parler. Alors… »

Il alluma son Canon, cadra le château, et laissa passer quelques secondes avant de commencer :

« Larnach Castle. L’un des lieux réputés les plus hantés de Nouvelle Zélande. La construction, sous les ordres du businessman et politicien William James Mudie Larnach, a commencé en 1871 et s’est terminée en 1887. Style néogothique, matériaux importés d’Europe, le grand luxe… Un monument à la gloire de ce bon vieux Larnach, quoi. Mais je ne veux pas vous spoiler la découverte des lieux avant l’heure ! Revenons-en à notre histoire : le gars avait tout pour être heureux, du moins c’est qu’on aurait pu croire… On dit qu’une malédiction a été jetée sur sa famille, car ses trois femmes sont toutes mortes avant leur heure, les deux premières chacune au même âge, trente-huit ans. Pire, cette série de morts tragiques se termina par celle de sa fille aînée qui fut emportée par la faucheuse dans la petite vingtaine. Déjà au bout du rouleau, Larnach s’est retrouvé en situation de crise financière, et le pauvre bougre a préféré mettre fin à ses jours. »

Sunny se tourna momentanément vers Jeremiah pour le cadrer et ajouta :

« T’étais pas loin du compte, en fait. »

Il sourit, puis se tourna de nouveau vers le château.

« Depuis, des témoins ont régulièrement rapporté avoir aperçu le fantôme d’un homme barbu habillé à la mode victorienne, avoir senti des odeurs de fumée de cigare dans des pièces vides, et d’avoir eu la sensation de se faire brusquement pousser dans le dos par une présence invisible. »

Attendre de se chamailler avec Jeremiah devant les caméras ? Ça jamais ! Le fait est que devant ou derrière, ils trouvaient toujours matière à de toute façon, alors ça ne changeait pas grand-chose. Voyant que Sunny s’apprêtait à leur raconter l’histoire du château, elle alluma sa caméra et commença à faire des plans d’insert avant de se mettre à rire bêtement en entendant le nom de l’endroit. Ce n’était pas la première fois qu’elle l’entendait, non, mais pour elle qui parlait français et qui ne croyait pas le moins du monde à toutes ces conneries, c’était… Juste parfait. Puis elle y alla de son petit commentaire :
« Ah, el famoso club des trente-huit, bien sûr. »
Tandis que Jeremiah ne se privait pas pour faire comprendre à tous leurs spectateurs – en tout cas quand ils verraient la vidéo et si Sunny avait décidé de garder ça au montage – à quel point ça l’emmerdait. A nouveau, la blonde leva les yeux au ciel avec un petit sourire. Que Sunny se rassure : elle l’avait écouté, elle.
« Bon ben y a plus qu’à aller s’faire pousser dans l’dos, maintenant. »
Mais avant ça, il semblerait que sa Nemesis ait quelque chose à redire au sujet de Bathory. Rapprochant le pouce de l’index, elle répondit :
« C’est fou comme t’as l’air de t’sentir attaqué dans ta masculinité. Des siècles plus tard. Vraiment fascinant. »
Mettant un terme à ce débat, Noomi se tourna vers l’entrée. Quand faut y aller, faut y aller. Et pour tout dire, en bonne adepte d’urbex qu’elle était, on peut affirmer qu’elle avait connu bien pire. Pas besoin de regarder où mettre les pieds en espérant de toutes ses forces que le plancher pourri n’allait pas céder sous son poids ou encore de se payer un coup de flippe en se demandant d’à quand pouvait bien remonter son dernier rappel du vaccin antitétanique – et non, dans ces moments-là, ses petits problèmes de mémoire n’aidaient en rien.
« Moi c’qui m’file la chair de poule, ce sont ces courants d’air. Sérieux, a-t-on idée d’faire des couloirs aussi grands qu’personne prend jamais la peine de chauffer ? »
C’était un peu comme dans une église – enfin, pas qu’elle soit particulièrement au courant, vous vous en doutez -, il fait plus froid dedans que dehors. S’éclaircissant la gorge, la grecque s’annonça comme elle seule savait le faire :
« Yo, yo, yooo ! Alors l’escroc*, t’es là ? »

*en français dans le texte.

Jeremiah n’avait pas perdu de temps pour sortir son numéro de chieur professionnel. À croire que pour lui, c’était carrément un sport, et il était pas loin du niveau olympique. Et bien sûr, Noomi n’avait pas attendu longtemps pour renchérir, encore et toujours. Tant mieux, ça plaisait à l’audimat. Sunny aurait pu les laisser tourner en roue libre, ils s’en sortaient très bien tous les deux, néanmoins, il n’allait pas non plus laisser Jeremiah s’en tirer sans y mettre son grain de sel. Étirant un grand sourire faussement innocent, il répliqua :

« T’as pas écouté ? Dommage parce qu’à la fin, y’aura interro écrite, et pour chaque mauvaise réponse, ça sera retenu sur ton salaire. Ça te fera une bonne raison de chouiner, pour une fois. »

Ricanant, il lui adressa un clin d’œil, alors qu’ils se mettaient à avancer vers la bâtisse qui semblait bien plus imposante de nuit que de jour. La porte était entrouverte, ils n’eurent qu’à la pousser pour pénétrer dans un hall plongé dans la pénombre et qui semblait s’étendre en un long couloir dont on ne pouvait apercevoir le fond à l’œil nu. Machinalement, Sunny vérifia sur son écran de retour que le mode nuit captait suffisamment d’images pour en tirer quelque chose en post-prod. Il était cependant étonné de constater que les lieux semblaient déserts car, lors des arrangements passés avec les propriétaires, ils étaient convenus que l’équipe se ferait accueillir à l’arrivée. Pendant ce temps-là, Noomi commentait sur la température des lieux avec sa rationalité habituelle. Et à vrai dire, pour l’instant, il n’y avait aucune raison de mettre cette dernière en doute, mais Sunny se fit un malin plaisir de l’asticoter :

« T’es sûre que c’est des courants d’air ? Tu sentirais pas une odeur de cigare en fond ? »

Ce disant, Sunny observait les lieux via son écran retour à la recherche d’un interrupteur, car le château étant en parfait état, meublé et décoré tel qu’il l’avait été à l’époque de sa construction, il estimait que l’effet capsule temporelle suffisait largement à transcrire l’ambiance de lieu hanté et qu’il n’y avait nul besoin de l’obscurité pour la renforcer. Trop occupé, il ne fit pas attention à la silhouette de la propriétaire, une vieille dame toute de blanc vêtue qui apparut alors dans l’encadrement d’une arche et qui les interpella depuis l’obscurité d’une voix chevrotante :

« Bonsoiiiiiir mes petits… »

Sans surprise, Noomi laissa aux hommes les questions d’argent : ça ne l’avait jamais intéressée et ça n’allait pas commencer maintenant. En revanche, ce qui l’intéressait, c’était de ne pas y passer toute la nuit non plus. Même si elle savait que c’était une possibilité, elle ne pouvait s’empêcher de rêvasser à un matelas, même du genre dont elle sentirait les ressorts toute la nuit, plutôt que d’envisager devoir somnoler à même le marbre dans un sac de couchage. Raison pour laquelle elle prit les devants, faisant une entrée fracassante signée Savalas. Mais aucune réponse. Rien d’autre que ces foutus courants d’air. Qui, selon Sunny, n’en étaient peut-être pas. La grecque huma l’air pour tenter d’y détecter une odeur de tabac mais soit son odorat était complètement flingué, soit elle s’était trop préparée à ce que tout ça ne soit que des conneries – comme d’habitude -, parce qu’elle ne sentit rien. D’autre qu’une vague odeur de poussière assez subtile.
« Nan mais c’est bien dommage, j’aurais pas dit non ! »
Ni à l’Escroc, ni au Baron Samedi, comme le fit très justement remarquer Jeremiah. Pour sûr que ça lui plairait.
« Ouais, d’ailleurs, faudra quand même qu’on fasse un jour le déplacement jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Y a des tas d’trucs prétendument hantés. »
Ce qui risquait pas d’arriver avant plusieurs années maintenant mais elle pouvait toujours rêver. C’est alors qu’une voix s’éleva et résonna au fond du couloir. Une meuf en blanc – comme celle de plein de légendes urbaines, ouais, ouais – leur demanda d’approcher. Tout le contraire de ce que fit Jeremiah qui se mit alors à pousser tout le monde pour courir en sens inverse – dans n’importe quel film d’horreur, il faudrait penser à le sacrifier tout de suite, avant que ce soit lui qui ait cette bonne idée -, et finit par se rétamer lamentablement sur le tapis. Noomi regarda Sunny et secoua la tête de gauche à droite d’un air aussi dépité qu’amusé. Puis elle lui fit signe de rejoindre la femme tandis qu’elle revenait un peu sur ses pas pour donner un coup de main à leur très impressionnable ami. Et ils purent les rejoindre. A condition que Jeremiah soit revenu à la raison n’ait pas décidé de prendre la tangente une fois de plus, bien sûr, mais la blonde ne vérifia pas.
« Bonsoir ! Alors comme ça, c’est l’endroit le plus hanté de Nouvelle Zélande, c’est ça ? Vous nous conseilleriez de nous enfermer solo dans quel placard dans l’espoir que l’un de nous s’fasse pousser ou fumer au visage ? »

Si Sunny n’avait pas vu l’apparition de la dame blanche, il l’avait entendue, et dire qu’il était resté de marbre aurait été mentir. En effet, il eut un sursaut qui le fit bondir de quelques centimètres dans les airs et le fit retomber de façon à se trouver face avec Mrs Barker, la propriétaire ― le tout en faisant automatiquement suivre le mouvement à son appareil afin de ne pas en perdre une miette, on ne savait jamais. Ce fut d’ailleurs avec le même réflexe qu’il pivota aussitôt qu’il entendit le cri strident que poussa Jeremiah, juste à temps pour capturer sa chute. Autant par souci de narration que par amusement un poil sadique, Sunny s’attarda un instant à filmer Jeremiah qui se débattait sur le tapis, tel un poisson hors de l’eau, pour tenter sans grand succès de se relever.

« On dirait bien que le château Larnach a fait sa première victime, » commenta-t-il en terminant par un ricanement de circonstance.

Pas vache, il profita du fait que Noomi ait pris les devants d’aller saluer la propriétaire ― qui avait entre-temps allumé la lumière ― pour tendre une main à Jeremiah et l’aider à se relever. Lorsqu’il rejoint les deux femmes, il constata que Mrs Barker dévisageait sa comparse avec un petit sourire confus, l’air de ne pas avoir compris grand-chose à son flot de paroles. Posant une main sur celle de Noomi comme pour s’excuser, elle chevrota gentiment :

« Je crains qu’il va vous falloir parler un peu moins vite, très chère. Vous savez, à mon âge, je suis un peu dure de la feuille. Est-ce que votre ami va bien ? » ajouta-t-elle en jetant un coup d’œil inquiet vers Jeremiah.

S’étant mis d’accord avec la propriétaire au préalable et sachant qu’il avait son autorisation de la filmer, Sunny s’approcha alors, caméra en main et sourire poli aux lèvres.

« Bonsoir, Mrs Barker ! Ne vous en faites pas pour lui, il en a vu d’autres. »

Il songea un instant à ajouter qu’ils avaient eu de la chance qu’il n’y ait pour une fois pas eu de casse dans la débâcle mais préféra s’abstenir de crainte que la propriétaire ne voie soudain d’un mauvais œil l’idée de lâcher ces trois hurluberlus dans son château.

« Avant tout, reprit Sunny, je tiens encore à vous remercier pour nous avoir ouvert les portes de votre demeure.

- Oh mais c’est avec grand plaisir, mon petit, répondit Mrs Barker avant d’étirer un sourire qui dévoila ses canines. J’espère néanmoins pour vous que vous parviendrez à en sortir avant l’aube… »

Sunny cligna bêtement des yeux. Il tomba un silence gênant et incertain qui dura quelques secondes avant d’être brisé par le rire de Mrs Barker, visiblement ravie de l’effet de sa petite blague.

A mesure qu’elle parlait, Noomi avait la très nette impression de perdre cette mamie un peu loufoque mais au demeurant fort sympathique. Et lorsque celle-ci lui fit remarquer qu’elle parlait un peu vite pour elle, elle ne le prit bien évidemment pas mal, très consciente du fait qu’une fois qu’elle n’était plus à l’antenne, son débit de paroles très rapide et ses tics de langage reprenaient le dessus. Avec un sourire d’excuse, elle secoua la tête pour lui faire comprendre que c’était pas uniquement de sa faute avant de la tourner en direction de Jeremiah. Qui avait l’air outré que personne ne lui ait dit que l’endroit était habité. Enfin, peut-être pas habité mais qu’il appartenait à quelqu’un qui serait potentiellement sur place. Même qu’en les rejoignant, il lui demanda de manière un peu sèche si elle était au courant. La blonde le dévisagea alors comme s’il débarquait de Mars avant d’acquiescer.
« J’me suis un peu renseignée sur l’endroit avant d’venir, ouais. C’que tu d’vrais faire aussi, on dirait, ça t’évit’ra d’frôler la syncope la prochaine fois. »
Noomi se posant en élève modèle, qui l’eut cru ? Pas elle en tout cas, mais il fallait croire que ça allait de pair avec ses problèmes de mémoire, d’une manière ou d’une autre. Elle reporta ensuite son attention sur Sunny qui avait repris son rôle d’animateur d’émission pour remercier madame Barker. Qui ne manquait décidément pas d’humour comme elle le prouva une fois de plus en essayant de leur filer les chocottes. Elle avait beau ne pas croire une seule seconde à toutes ces conneries, cette dame avait au moins le mérite de lui vendre un truc et elle marchait. C’était un peu comme quand vous entriez dans le Haunted Mansion de Disneyland, vous étiez là pour le show, pas pour frissonner. Là, c’était pareil. Pour elle, tout du moins. Peut-être un peu moins pour ses collègues – et amis, ne l’oublions pas. Madame Barker leur parla des faits et endroits à visiter que Sunny leur avait cité un peu plus tôt, ceux qu’on pouvait facilement retrouver sur la page Wikipédia du château ou en faisant quelques autres petites recherches sur le net, en gros. Mais elle ne s’arrêta pas là et c’est avec l’œil brillant qu’elle ajouta, comme si elle leur faisait une confidence à eux et personne d’autre, qu’il valait mieux ne surtout pas se tenir au sommet de la plus haute tour du château sur le coup des trois heures du matin pour d’obscures raisons. Noomi avait déjà hâte de tenter l’expérience.

Face à la réaction virulente de Jé’, Sunny était resté quelque peu perplexe. Le prévenir ? Le prévenir de quoi, au juste ? Que les lieux, meublés et minutieusement entretenus au point d’en être rutilants, avec des installations manifestement là pour accueillir des visiteurs, n’étaient pas abandonnés ? Même sans avoir fait de recherches ou écouté les nombreuses fois où Sunny avait parlé de cette exploration afin de la préparer, c’était quand même pas difficile à comprendre une fois sur place. Sauf quand on s’appelait Jeremiah, apparemment. Ça n’aurait pas été la première fois qu’il était à ce point à côté de la plaque alors Sunny avait préféré ne pas relever plus que ça et plutôt s’occuper de s’entretenir poliment avec la propriétaire qui en plus d’être accueillante avait ce petit côté taquin qui la rendait particulièrement attachante. Déjà respectueux de base, Sunny n’allait pas manquer d’autant plus remettre les points sur les i auprès de ses coéquipiers une fois que l’exploration allait bel et bien commencer car il était hors de question pour lui de décevoir Mrs Barker en manquant de respect à son château et ses biens. Elle-même n’avait pas l’air inquiet, d’ailleurs, elle devait avoir l’habitude de voir les visiteurs avoir des réactions très émotives une fois plongés dans l’atmosphère des lieux, spécula Sunny. Toujours en se prêtant au jeu de l’inquiétante ambiance, Mrs Barker répondit donc à la question de Nooms en les informant sur l’endroit qui serait le plus hanté des lieux, la plus haute tour, qui d’après elle était l’endroit à éviter sur le coup des trois heures du matin. Indubitablement, Sunny était le moins sceptique de la bande, aussi une part de lui prenait déjà cet avertissement avec sérieux. Néanmoins, avant de se faire un avis, il avait tout de même besoin d’en savoir plus.

« Est-ce que c’est pour l’ambiance, ou il y a vraiment quelque chose de dangereux là-haut ? s’enquit-il donc auprès de la proriétaire.
- Hé bien, répondit cette dernière avec une moue dubitative, disons qu’on n’a jamais eu de morts…
- Oh, alors si c’est ça, ça va, » ironisa Sunny avec un ricanement.

D’après Noomi, que l’endroit soit habité ou non ne changeait strictement rien à la découverte puisqu’ils étaient là pour vérifier que l’endroit était hanté. Et comme y en a pour en faire leur fond de commerce, c’est que certains de ces endroits étaient toujours habités aujourd’hui comme ce château. L’enquête ne différerait en rien des autres fois si ce n’est qu’il leur faudrait faire moins attention à où ils mettraient les pieds parce que le plancher ne menacerait pas de céder sous leur poids à tout instant et ça, c’était déjà une bonne nouvelle. Bref, elle laissa parler Jeremiah en se contentant d’un haussement d’épaules en guise de réponse parce que franchement, elle ne savait pas quoi répondre d’autre à ça et écouta la propriétaire leur apprendre qu’il n’y avait pas eu de morts au sommet de cette fameuse tour qu’il fallait apparemment à tout prix éviter vers les trois heures du matin. La blonde se joignit à leur rire et, pour le spectacle, voulut fait un commentaire quand Jeremiah lui coupa l’herbe sous le pied. Certains pourraient y voir le mauvais œil mais pas Noomi qui ne croyait définitivement pas à tous ces trucs. Dans tous les cas, quant à savoir ce qui faisait qu’il fallait éviter cet endroit précis à cette heure précise, le mystère restait entier. Ils se remirent alors en marche après avoir pris congé de leur hôte. Elle y voyait même une manœuvre assez peu subtile de les pousser à aller voir et, dès lors, il fallait s’attendre à tout comme le fit une fois de plus assez justement remarquer le comique de la bande. Ça lui plaisait qu’à moitié d’admettre qu’il pouvait avoir raison mais parfois, comme là, en l’occurrence, y avait pas le choix.
« Mouais, j’crois en tout cas qu’on peut s’attendre à un screamer quelconque et si faut soi-disant pas y aller à cette heure précise c’est parce qu’il doit s’déclencher à c’t’heure-là. »
La suite prêtait à sourire en revanche.
« C’est ça, Madame Barker c’est la sorcière dans Big Fish, en fait ! Elle cache bien son jeu. »
Se tournant plus spécifiquement vers Sunny, elle questionna :
« Quand tu parles de pièces vides, tu veux dire de gens ou de tout ? Y a genre une cave ou un grenier ou encore une aile qui s’rait plus ou moins interdite au public à cause de ça ? »
Elle aurait pu profiter d’avoir madame Barker sous la main pour lui poser la question, mais puisque Sunny avait fait ses devoirs, lui, autant lui demander pour avoir une meilleure idée de par où commencer.

Mrs Barker avait répondu à Sunny avec un petit sourire complice que celui-ci lui rendit. Il était désormais temps de se mettre à l’exploration proprement dite et, remerciant encore profusément la maîtresse des lieux, il fit signe à sa bande de se regrouper, pendant que Mrs Barker, après leur avoir souhaité une bonne visite, regagnait ses quartiers ― la seule partie à laquelle, bien entendu, ils n’auraient pas accès par souci de vie privée. Une fois seuls tous les trois, Jeremiah commençait à poser des hypothèses à la Scoobygang ― fallait avouer qu’ils y ressemblaient quand même vachement ― sur ce qui devait les attendre au sommet de cette fameuse tour. Noomi n’était d’ailleurs pas en reste. Sunny avait l’habitude de ces hypothèses, farfelues de la part de Jé’, terre-à-terre de celle de Nooms. Sunny lui-même était celui qui se tournait plus facilement vers les explications dites « surnaturelles ». Ces différents profils faisaient le sel de leur équipe, et ce n’était sûrement pas étranger au petit succès qu’ils avaient rencontré sur la toile.

« Des pièces vides de gens, expliqua Sunny pour répondre à la question de Noomi. Apparemment, ça peut arriver n’importe où, ça pourrait même arriver maintenant. Enfin, si Jé’ veut bien arrêter de faire la crécelle, parce que si tu continues, dude, j’suis sûr que tu vas juste les faire fuir, les fantômes, » termina-t-il en ricanant et en lui mettant un petit coup de poing complice sur l’épaule.

Sunny rajusta machinalement le harnais de sa caméra puis se fit craquer les doigts, signe qu’il était prêt à se mettre aux choses sérieuses.

« On a encore du temps avant qu’il soit trois heures. Alors je propose qu’on commence par le rez-de-chaussée. »

Une dernière vérification à son équipement pour s’assurer que tout enregistrait bien et Sunny, ouvrant la marche, passant la grande porte à double battants qui se trouvait à l’opposé de celle dont Mrs Barker avait surgi un peu plus tôt. Cela les mena dans un grand salon qui avait presque une allure de salle de réception. Sûrement que devaient se tenir là divers événements organisés pour le public par les châtelains, de même que des mariages, pour les noceurs férus d’adrénaline. Mais cette nuit, bien sûr, la pièce était déserte. Pas tout à fait obscure, cependant : la lueur de la lune se déposait à l’intérieur par les grandes fenêtres anciennes, dessinant les silhouettes de leurs cadres sur le plancher, le mobilier et la haute cheminée qui trônait juste en face d’elles. Bien entendu, Sunny ne perdait pas une miette de ce spectacle, ravi par la beauté qui émanait de ces jeux d’ombre et de lumière. L’ambiance était parfaite pour un shot d’introduction.

« On dirait que le temps s’est suspendu ici, » chuchota-t-il, autant pour commenter les images que pour s’adresser à ses comparses.