love is beautiful but friendship is better (charli)

Est-ce qu’il faut s’inquiéter pour moi ? Je ne sais pas. Je ne pense pas. Je ne suis peut-être pas très objective, surtout que je ne cherche même pas à demander de l’aide. Dans mon cas, avec les troubles alimentaires qui m’ont hanté par le passé, ce n’est sûrement pas une si bonne idée que ça de vouloir m’en sortir sans personne. Mais je suis Charli Lindström et Charli Lindström se débrouille toujours toute seule — finalement je tiens peut-être plus d’Iggy que je ne veux l’admettre. Après ma journée de cours, je décide de prendre un peu de hauteur et monte sur le toit de l’un des bâtiments de l’université. Même si c’est prohibé, il est simple de monter sur celui de l’immeuble dédié aux sciences, alors c’est un peu comme un appel à aller à l’encontre des règles. Et puis, à cette heure là, toutes les personnes qui pourraient mettre leur autorité à exécution sont déjà partis ou sur le point de le faire. Raison de plus pour sortir la bouteille d’alcool cachée dans mon sac. Je glisse mes écouteurs dans mes oreilles et lance la musique a plein volume. Je retire ensuite le bouchon de la bouteille et en bois plusieurs gorgées. Si je veux pouvoir redescendre d’ici, je ferais certainement mieux d’y aller doucement. Mais ça.. quand on est lancé, c’est bien plus facile à dire qu’à faire. Après de longues minutes à faire un air concert et déjà un bon quart de la bouteille vidé, je décide d’envoyer un message à l’une de mes meilleures amies. Je ne sais pas si c’est une bonne idée et encore moins pourquoi je fais cela, mais un peu de compagnie ne peut pas faire de mal. Rapidement — plus que ce que je m’attendais, la brune débarque sur ce toit et me demande ce qui m’arrive. Cette question est rhétorique ou plutôt, disons qu’Abby a déjà la réponse. Quand elle reformule et me demande si j’ai beaucoup bu, je hausse machinalement les épaules. « Si tu en veux vraiment, il m’en reste. » Même avec beaucoup d’envie, je doute de pouvoir être en capacité de terminer la bouteille — au risque de finir aux urgences sinon. « Je crois qu’il n’y a pas grand-chose à dire.. » Dis-je, alors qu’elle me demande si je désire en parler. « Ça fait mal, c’est tout. » Et ça, je n’aime pas du tout. Se faire dicter sa vie par ses sentiments.. il faudrait être sadique pour apprécier ça, surtout quand ils sont négatifs comme les miens. « Est-ce que c’était pareil avec Lane ? Est-ce que tu avais l’impression d’être au fond du gouffre ? » Je sais que la jeune femme a déjà été amoureuse, mais je n’arrive pas à me souvenir si elle était comme moi, comme ça, comme une loque.

Il est vrai que je l'ai mise dans une position délicate en la faisant venir ici, mais sur le coup, je n'ai pas vraiment réfléchi. J'avais besoin de compagnie et Abby est la première personne à qui j'ai pensé. « Au moins deux. Dans ce genre de situation, il est bien d'avoir une certaine endurance, histoire de pouvoir s'enfuir au plus vite si quelqu'un arrive. » De nous deux, je suis sûrement la plus sportive, mais je ne doute pas une seule minute que dans une telle situation, Abby serait capable de courir bien plus vite que moi – il faut dire que l'alcool que j'ai déjà bu n'a pas forcément un bon effet sur mes capacités sportives. Maintenant qu'elle a bu une gorgée, je me dis que la jeune femme est plus à même de répondre à mes questions, même si le sujet n'est certainement pas celui qu'elle préfère. Je l'écoute et essaye de comparer ce qu'elle dit à mon histoire. Est-ce que je pensais que ce serait pour la vie avec Sofia ? Je n'en suis pas sûre. Il faut dire que nous avons toujours mis un point d'honneur à prendre notre temps, alors autant dire que le mariage était loin d'être dans nos plans – nous ne vivions même pas ensemble, pas de manière officielle. Et pourtant, si je suis comme cela aujourd'hui, c'est sûrement parce que je m'attendais à une histoire un peu plus longue, à quelque chose de plus. Pour l'instant, penser à Sofia est compliqué. J'ai envie de la détester, mais mon cœur n'est pas encore prêt pour cela et c'est peut-être ce qui rend les choses compliquées. L'amour, c'est pour les faibles. C'est ce que j'ai toujours pensé. Mais en réalité, ce n'est peut-être pas ça. C'est peut-être même l'inverse. Pour s'attacher à quelqu'un de la sorte et prendre le risque de souffrir, il faut être sacrément solide. Et pour le coup, je ne le suis peut-être pas. Pas tout de suite en tout cas. Abby passe l'un de ses bras autour de mes épaules et je laisse ma tête se poser sur la sienne. « Merci. C'est gentil. » Tout ce qu'elle dit, je le sais déjà. Mais je n'ai pas vraiment envie d'être celle qui minera l'ambiance dans le groupe, ça ne me ressemble pas. « Je te rassure, j'ai conscience que l'alcool n'est pas la solution. Mais.. c'est juste que c'est récent et j'ai besoin d'oublier un peu. » J'aurais peut-être pu trouver autre chose, mais j'ai préféré jouer la facilité. Il est possible de trouver des bouteilles un peu partout et puis, c'est de mon âge, non ? La plupart des personnes qui me croisent avec de l'alcool entre les mains ne vont pas forcément penser que quelque chose cloche et c'est très bien comme ça. « L'autre jour, je suis retournée au centre pour mes troubles alimentaires. J'avais peur de faire une bêtise. » Je ne sais pas vraiment si je comptais lui parler de cela avant ce soir, mais il faut croire que l'alcool semble prendre le contrôle malgré moi.

Boire à l’université, qui plus est dans un endroit qui nous est interdit d’accès, n’est certainement pas une bonne idée, mais il est maintenant trop tard pour se dire cela. Si jamais nous nous faisons prendre, il ne nous restera que nos jambes pour fuir le plus vite possible et Abby semble avoir quelques doutes à ce sujet. « J’ai pris de l’avance sur toi.. » Dis-je, tout en indiquant la bouteille d’alcool d’un signe de la tête. « Mon endurance et la vitesse sont bien loin d’être au top ce soir. » Pour traduire, si je n’avais aucun doute sur mes capacités un autre jour, ce n’était pas le cas aujourd’hui et ma meilleure amie aurait largement la possibilité de prendre de l’avance sur moi et de se sauver la mise. Il faut croire qu’il y a un peu de justice dans ce monde : je lui ai demandé de venir, il est donc normal que je sois la personne punie si cela devait arriver. Sans me dire que ce sujet pourrait déranger Abby, je finis par aborder sa relation avec Lane, son ancien petit ami. Nous sommes jeunes, il est donc normal d’avoir des histoires et d’apprendre de celles-ci, mais il faut reconnaître que c’est difficile quand une rupture arrive. « C’est un peu ça avec Sofia. C’était mon premier amour.. » Utiliser le passer est douloureux, mais c’est certainement une bonne chose de le faire. Je ne suis pas bête, il n’y aura pas de retour arrière possible : elle vit à plusieurs centaines de kilomètres maintenant, si ça n’a pas fonctionné là, ça ne le fera pas plus dans quelques jours — surtout si nous restons loin l’une de l’autre. Avec les années, j’ai l’impression de m’assagir un peu. Il y a quelques temps, je ne sais pas si je serais arrivée à cette conclusion rapidement. En réalité, il y a quelques temps, je ne sais même pas si j’aurais pu avoir une telle relation. Et je ne parle pas que de sentiments pour ma maturité. Il y a aussi ce qui me lie au centre où j’allais pour mes troubles alimentaires. Craintives que les choses recommencent avec cet événement, j’ai préféré prendre les devants et y retourner avant un incident. « Ils m’ont proposé des séances de groupe et j’ai pu voir une psychologue. » Je ne sais pas si c’est ce qui évitera un passage difficile dans les troubles, mais au moins, on ne pourra pas dire que je n’ai pas essayé. « Ça peut. Tout ce qui est lié aux émotions peut avoir un rôle dans une crise. » Vouloir se changer les idées dans la nourriture, vouloir se faire du mal, il y a finalement plusieurs raisons qui pourraient me pousser à sombrer. Mais il faut que je résiste et que je prouve que j’en suis capable.

Compliqué ? C’est le moins que l’on puisse dire. C’est d’ailleurs un peu dingue de se mettre dans un tel état pour quelqu’un. Je suppose que cela veut dire que Sofia comptait, compte, vraiment pour moi. Pourtant, je m’étais fait la promesse un peu plus jeune que personne n’arriverait à me faire ressentir ce genre de choses. Il faut croire que j’étais trop naïve, au point de croire que je passerais au-dessus des lois de la nature. D’aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais été habituée à pleurer, encore moins pour quelqu’un, et pourtant, avec la brune, c’est arrivé plusieurs fois. Avec elle, j’ai ressenti beaucoup de choses, certaines plus agréables que d’autres, mais finalement, peut-être qu’elle m’a rendu un peu plus vivante qu’avant. Entre Stockholm et ici, j’ai toujours cru que j’étais seule face au reste du monde, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai longtemps gardé secret mes troubles alimentaires. Cependant, la brune a fait changer cela, Iggy et mes amis ont sûrement joué un rôle dans tout cela aussi, mais c’est vraiment Sofia qui a été le déclic. J’ai voulu être bien, j’ai voulu être mieux et j’ai fait des efforts pour m’en sortir. C’est peut-être risque de miser sa santé sur une seule personne — sur une personne tout court en réalité, c’est bien pour cela que j’ai eu peur d’une rechute et que j’ai pris les devants avec le centre : j’avais fait des progrès, il n’était pas question qu’une mauvaise passe mette tout cela à mal. Néanmoins, c’est toujours plus simple à dire qu’à faire. Au sein des groupes ou auprès de la psychologue, j’ai toujours l’impression de ne pas pouvoir être comprise si je dis les choses telles que je les ressens — d’ailleurs, suis-je capable de dire ce que je ressens vraiment ? « Pour l’instant, je n’ai pas fait de crise de boulimie, je suppose qu’il y a quelque chose de positif dans ces séances. » Cependant, je sais que tout  cela est fragile, qu’une simple soirée peut m’être fatale. « C’est gentil. Même si j’espère que tu ne me verras jamais comme ça. » Dis-je, alors qu’elle réitère sa proposition d’aide. Si j’ai déjà mangé l’équivalent de trois repas en dix minutes, je n’ai pas vraiment envie qu’elle vienne pour me voir vomir mes tripes aux toilettes. « J’espère bien. Si ça pouvait aller vite, ce serait cool. » Surtout que l’alcool n’est pas forcément une bonne chose dans mon traitement. « Merci d’être venue. Même si je suppose que tu avais de meilleurs plans. » Je viens déposer un tendre baiser sur sa joue et je remets ma tête sur son épaule. « Est-ce que tu avais de meilleurs plans ? »

J’ai comme l’impression de faire une descente aux enfers depuis quelques jours — même si je ne devais pas en être très loin vu mon comportement dans certaines situations. L’amour.. pourquoi vouloir souffrir ainsi.. J’ai réussi à tenir vingt-et-un ans, jusqu’à ce que mon regard accroche celui de la jolie brune, résidente en médecine. Les choses n’avaient pourtant pas commencé de la meilleure des façons pour nous, puisque je m’étais faite passer pour quelqu’un que je n’étais pas. Avec le temps, elle avait fini par apprendre à me connaître et par apprécier qui j’étais. Nous avions eu des hauts et des bas, mais je suis persuadée que si elle n’avait pas eu ce poste à Auckland, alors nous serions encore ensemble aujourd’hui. C’est peut-être là-dessus que je dois travailler.. je dois me dire que ce n’est pas de ma faute, que la vie est faite ainsi et que je dois apprendre à dépasser les obstacles qu’elle met sur mon chemin. Indirectement, cette pensée me rapproche de ce qu’Abby essaye de me dire. C’est juste que c’est plus simple à dire qu’à faire. Du temps. C’est ça qu’il me faut. Le problème, c’est que quand je pense à Sofia, le temps semble ralentir et en ce moment, je pense beaucoup à elle. Pour me divertir un peu, je peux compter sur mes amis et comme ils ne peuvent pas toujours être disponibles pour moi, je dois profiter des occasions lorsqu’elles se présentent — comme aujourd’hui, avec Abby. « On ne devrait pas avoir de mal à trouver un endroit qui sera plus attractif qu’ici. » Dis-je, alors qu’elle me propose de bouger pour de meilleurs plans. L’université de Wellington n’est sûrement pas la plus à plaindre en terme d’environnement, mais comme nous passons la majeure partie de notre temps ici, nous pourrions facilement trouver mieux ailleurs. « Je crois que je commence à avoir un petit peu faim.. » Ce n’est pas grand-chose pour l’instant, mais peut-être que dehors, une fois mon estomac plein, alors j’aurais d’autres idées. « Que dirais-tu d’une glace ou de quelque chose dans le genre ? » Je ne m’attends pas à un restaurant gastronomique, juste quelque chose à emporter que nous pourrons manger où nous le désirons. « Il va falloir qu’on soit discrètes : ce serait quand même dommage de se faire prendre alors que l’on s’en va. » Je laisse ma meilleure amie se lever, histoire qu’elle puisse m’aider à en faire autant. Je récupère la bouteille d’alcool et la glisse dans mon sac. Avant de quitter le toit, je m’assure de ne rien avoir oublié : il serait dommage de devoir revenir.