northern nights → hakon

Comme à chaque fois, Aveleen se demandait ce qui lui avait pris d’accepter. Avant de se rappeler que la réponse était toujours la même : l’argent. En tant que livreuse de pizzas, c’est sûr qu’elle n’était pas riche alors quand l’occasion se présentait de mettre un peu de beurre dans les épinards, elle sautait pratiquement dessus. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée caissière de nuit dans une station-service qui s’était fait braquer, aide dans un rave party où elle avait tout fait sauf aider et maintenant monitrice dans un camp de vacances. Sans rien connaître aux enfants, quel plaisir ! Parce que non, elle ne pouvait même pas compter sa nièce comme de l’expérience en la matière puisque Leona n’était pas beaucoup plus jeune qu’elle. Et comme c’était pas vraiment la saison des camps de vacances façon Vendredi 13, tout ça se passait à la montagne. Dans la neige. On n’irait pas jusqu’à dire qu’elle se pelait les miches parce que ça pourrait être pire, mais disons que pour quelqu’un qui ne savait pas skier ni faire du snowboard, on se demandait bien ce qu’elle foutait là. Même elle, du coup. Enfin, c’était toujours mieux que de repartir en croisière comme l’année passée. Bien que cette croisière avait marqué un tournant dans sa vie alors aussi pénible qu’elle avait pu être par certains aspects, elle n’allait pas non plus lui cracher dessus. C’est juste qu’elle ne savait pas non plus nager, donc bon. Tout ça pour dire que ça faisait une semaine et demi qu’ils étaient là – par « ils », comprenez Hakon et elle parce qu’il était là aussi et que c’était même pas le fruit du hasard puisqu’ils s’étaient inscrits ensemble – et qu’il leur restait encore deux ou trois jours à tirer avant de pouvoir rentrer au bercail. Ce qui signifiait que tout le monde avait pris ses petites habitudes, la rouquine y compris. Comme à son habitude, donc, à la tombée de la nuit, elle aimait bien récupérer son télescope pour aller observer les étoiles. Autant en profiter tant qu’ils étaient suffisamment à l’écart de la ville pour ça. Elle termina son petit rituel quotidien en prenant sa douche un peu plus tard que les autres pour ne pas se retrouver avec les autres monitrices dans les douches publiques ; c’était pas que ça la dérangeait tellement, mais il s’y passait de ces trucs, dans ces douches. Retourna dans son dortoir en laissant très volontiers le couple venant de s’engouffrer dans la douche d’à côté à leurs occupations – comme quoi, c’était pas qu’un mythe, certains ne devenaient moniteurs que pour avoir l’occasion de pécho -, passa un rapide appel à ses parents pour leur donner de ses nouvelles, s’empara de son télescope et retourna dans le couloir du grand chalet où elle tomba nez à nez avec une bande de filles âgées entre douze et quinze ans, estimait-elle. Estimation très approximative, soit dit en passant.
« On peut savoir ce que vous faites là à cette heure ? »
C’est ce qu’elle demanda en faisant mine de prendre une voix autoritaire. Pour se voir répondre par un roulement d’yeux et un soupir exaspéré suivit d’un :
« Hakon a dit qu’on pouvait. »
Ah. Et voilà, toute son autorité réduite à néant.

Il n'avait pas réfléchi au boulot de moniteur, c'est la première fois qu'il accepte un tel job et Hakon est toujours prêt pour relever des défis, mais il n'avait pas pensé que cela demanderait autant d'imagination et d'énergie pour divertir les gamins de nos jours. Eux, qui ont toujours la tête collée à leur écran, c'est le vrai défi de leur faire changer les idées. De plus, Hakon n'a jamais été dans un camp de vacances, du coup, il n'a aucune référence pour créer des activités, bien évidemment, les autres organisateurs avaient déjà des idées, mais des idées banales selon lui. Il est loin d'être comme les autres moniteurs, à vouloir observer les oiseaux ou se promener sans but dans la forêt, il ne croit pas que cela ait déjà amusé des adolescents, sauf peut-être dans les séries américaines, où il y a toujours un nerd qui veut apprendre tout sur tout. Quoi qu'il en soit, il pouvait au moins compter sur Aveleen pour passer le temps, lorsqu'ils ne s'occupent pas des mioches et même pendant, ils se soutiennent, ils étaient venus ensemble, ce n'était sûrement pas pour se séparer et s'ignorer tout le long des vacances. Hakon avait pris l'habitude d'être plus permissif que les autres, sûrement parce qu'il n'est pas vraiment de nature autoritaire et que dans sa tête, les vacances, c'est fait pour s'amuser, pas pour être en punition, bien qu'en soi, c'est surtout organisé pour que les parents soient tranquilles, bizarre que son père n'ait jamais choisi cette option pour être libéré du gamin hyperactif qu'était Hakon. Ce dernier sort des cuisines, avec un milkshake à la fraise, plutôt qu'un chocolat chaud avec des marshmallows miniatures comme il a pu voir défiler ces derniers jours. Il emprunte le couloir qui mène vers les chambres des moniteurs et il tombe sur une bande d'adolescentes et Aveleen. « Tout va bien ici ? » Il sourit, elles ricanent avant de partir en trombe, comme si elles avaient fait un mauvais coup, même s'il avait accepté qu'elles n'aillent pas dormir dans l'immédiat. « Hé bien, on dirait qu'elles ont un truc important à faire. » Important, un bien grand mot, mais qui es-t-il pour juger.

En parlant du loup, voilà Hakon qui débarque. Et comme souvent, Aveleen était contente de le voir. C’était un peu son seul allié dans cette aventure. En tout cas, c’était comme ça qu’elle en était venue à le voir parce qu’avec un caractère comme celui de la rouquine et surtout des années d’isolement derrière elle, c’était pas toujours facile de nouer des liens. Là au moins, il était déjà noué et il s’était même resserré parce qu’au cours de ce séjour, il avait fallu qu’ils se serrent les coudes. Voyant tout cet attroupement dans le couloir, il demanda si tout allait bien et Aveleen répondit d’un hochement de tête avant de vouloir ouvrir la bouche pour expliquer la situation. Ce dont on ne lui laissa pas le temps puisque les filles s’étaient déjà dispersées en pouffant bêtement. Les adolescentes… Non, pire : les filles… Et c’était pas parce qu’elle en était une que ça changeait quoi que ce soit. Ce fut ensuite à son tour de pouffer mais pas de manière aussi bête, s’il vous plaît.
« Ouais, comme d’appeler Bloody Mary trois fois de suite dans le miroir de la salle de bains, j’imagine. »
Ou autres conneries de ce genre. Qu’elle n’a jamais faites en ce qui la concerne. Principalement parce que quand elle était plus jeune, sa seule raison de veiller tard, ç’avait été pour observer les étoiles. Pas pour essayer de se faire peur. A quoi bon ? C’est pas ça qui lui aurait assuré une place à l’université. Puis à la ferme, c’était bien connu qu’on allait se coucher avec les poules. Presque littéralement, d’ailleurs. Montrant l’étui qu’elle tenait en mains depuis tout à l’heure, elle expliqua ensuite :
« Je m’apprêtais à aller regarder les étoiles, tu veux venir avec ? »
Elle proposait ça alors qu’elle avait plutôt l’impression que c’était pas trop son truc à lui. Mais si ça se trouve, ils croiseraient en chemin des enfants qu’il faudrait renvoyer dans leur chambre. Ou surveiller tout du moins. Puis, comme si elle venait de se rappeler que c’était pas son truc, justement, elle ajouta :
« Ou bien on peut les suivre et voir si elles parviennent à invoquer l’esprit, si tu préfères. »
Ça serait probablement pas d’un grand intérêt mais ça pourrait être marrant de les voir se foutre la trouille entre elles. Voire même d’y ajouter leur grain de sel pour leur apprendre une gentille petite leçon.

La troupe enfin dispersée, il se retrouvait en tête-à-tête avec Aveleen, tout était devenu soudainement plus calme. Non, pas que cela dérange Hakon, loin de là, mais il est vrai que cela épuise vite la barre d'énergie, même pour quelqu'un comme lui, qui a un peu l'habitude d'être hyperactif. Est-ce que c'est tout ce que les jeunes savent faire ? Invoquez une légende urbaine, dans l'espoir qu'elle vienne vous prendre votre vie ou celle de vos proches ? Non, pas qu'il suppose que les filles de leur âge sont plus du genre à parler de maquillage et des garçons, enfin, un peu, il a quand même été témoin de commérages de gamins. Dans tous les cas, il ne comprend absolument rien à tout cela et c'est peut-être pour le mieux, à part avoir regardé les films, honnêtement, cela ne lui a jamais tenté de tester ce classique devant le miroir de sa salle de bain, seul, avec une simple bougie, non, ce n'est clairement pas son délire. « Je ne voudrais pas gâcher ton moment ? » Il dit cela, parce que c'est son truc à elle, il l'avait déjà surpris cette semaine à observer les étoiles et il avait eu l'impression que c'était un instant privilégié pour elle-même. Il comprend que parfois, il y a des personnes qui ont envie d'être seules avec soi-même, d'où le fait qu'il ne veut pas être dans ses pattes, malgré la proposition à laquelle il dirait oui. « On peut, peut-être faire les deux ? sauf s'il sera trop tard pour observer les étoiles. » Aveleen s'y connaît mieux pour savoir quand c'est le bon moment de le faire. « Tu savais que Jade avait le béguin pour Théodore, mais qu'Emma avait déjà posé son droit de veto ? » Oui, il ne comprenait absolument rien aux amourettes des jeunes, dans tous les cas, il savait juste que Jade en voulait à Emma et qu'à l'heure actuelle, elles ne se parlent plus. Il pouffe de rire. « Toi aussi, tu étais comme ça à cet âge ? »

Gâcher son moment ? Oh, c’était pas du tout le cas. Enfin, disons qu’Aveleen était une solitaire dans l’âme, mais qu’elle n’était non plus contre l’idée de partager sa passion. C’est juste que pas grand-monde avait l’air de s’intéresser à l’Espace. La plupart des gens avait l’air complètement paumé dès que ça devenait un peu plus spécifique. A juste titre d’ailleurs, parce que c’est tellement grand et encore bien mystérieux pour les humains. Et le truc, c’est que personne n’aimait trop ça, être complètement paumé, alors forcément... Avec un sourire, elle répondit :
« Pas du tout, c’est juste que je croyais que ça t’intéresserait pas. »
Sinon, elle aurait peut-être même proposé avant. Puis la rouquine acquiesça à la proposition de faire les deux. En théorie, les gosses de cet âge ont quand même besoin de sommeil alors ça devrait pas leur prendre toute la nuit non plus. Pas vraiment à pas feutrés non plus mais quand même sans faire trop de bruit, voilà qu’ils prennent la même direction que les filles et qu’Hakon s’amuse à lui raconter les derniers potins qu’il a pu glaner auprès des gamins. Et une fois qu’elle fut capable d’associer les prénoms aux visages, ça la fit rire parce que c’était tellement un autre monde… Auquel elle n’avait jamais appartenu. C’est pourquoi la réponse fut toute trouvé quand Hakon lui demanda si elle avait été comme ça plus jeune elle aussi.
« Vraiment pas. Je peux le dire maintenant, je crois, j’étais chiante. Le genre à avoir le nez toujours plongé dans les bouquins, qui s’intéressait à rien d’autre. »
Et quand elle disait à rien, elle voulait vraiment dire à rien : elle avait jamais fait la fête, jamais eu de petit copain, ni même rien d’encore moins sérieux. Chiante, quoi. Surtout pour les gosses de cet âge. Et ça, c’était pas intéressant, c’est bien pour ça qu’elle l’observa une seconde.
« Et toi ? T’étais du genre à faire chavirer tous les cœurs comme ce petit Teddy ? »
Ça ne l’étonnerait pas parce qu’il était plutôt mignon, ça devait aussi être le cas ado et même enfant. Voyant la lumière allumée en provenance de la salle de bains et entendant des gloussements venant de cette même direction, la rouquine désigna le tout à son ami et lui fit signe de faire le moins de bruit possible pour qu’on ne les repère pas ; c’était le moment de leur donner ce qu’elles étaient venues chercher. Le grand frisson.

Il hausse les épaules. « Après, je n'y connais pas grand-chose, c'est certain. » Il en profite que durant l'été près de sa caravane, s'allonger sur le sable ou s'asseoir dans une chaise de camping tout en buvant une bière et en regardant le ciel, ça, il sait faire, mais après, pour nommer les étoiles, c'est une autre histoire. Quoi qu'il en soit, si elle a la patience de lui expliquer, libre à elle, sinon ils pourront toujours observer en silence. Pour l'instant, ils se dirigent vers le lieu où se dirigent les campeuses. Pour être honnête, les deux premiers jours, il en avait quasiment la migraine, à force d'entendre toutes ces histoires d'adolescents, machin aime l'autre machin, puis machin trois préfère l'autre, finalement, il a presque pris goût à écouter ces conneries, venant à les conseiller, alors qu'il n'est pas le mieux placé pour jouer l'entremetteur, surtout que ce sont des lycéens, autant dire qu'il faisait attention à ce qu'il leur disait et rien qui pourrait le mettre dans le trouble. « Pourquoi chiante ? Je peux te dire que tout le monde ne s'intéressait pas qu'à miss pom-pom girl. » Enfin, le concernant, il ne passait pas son temps à courir après la belle blonde du lycée, d'ailleurs, il ne le faisait avec aucune fille, non, pas qu'il n'a jamais eu de petites copines, seulement, elles étaient différentes. « J'attirais les regards, mais je ne sais pas si c'était pour ça ou parce que j'étais plus le mec qui aimait faire les 400 coups, celui qu'on pouvait foutre à l'extérieur de la classe, à cause d'une simple blague. » Il hausse légèrement les épaules avant de glousser. Bien sûr, cela ne plaisait pas à son père, qui a toujours eu tendance à être strict comme parent, mais bon, les coutumes italiennes et l'honneur, tout ça, tout ça. Bref, Hakon s'apprête à enchaîner, mais ils arrivent à destination et son amie lui fait signe de ne pas faire de bruit, logique, mieux vaut éviter d'attirer l'attention. Les lumières s'éteignent, pour laisser placer à la lueur d'une bougie, il suppose. Il doit avouer qu'il s'attendait à des commérages, mais il suppose que ce n'est pas pour cette raison qu'elles se sont réunies là-dedans. « On fait quoi ? » Qu'il demande dans un murmure.

Sûr qu’Aveleen ne s’attendait pas à ce qu’Hakon s’y connaisse plus que ça en astronomie. A moins d’être un véritable passionné, personne ne s’y connaissait jamais plus que ça. C’était tellement complexe et déroutant par moment… Bref, elle reviendrait pas là-dessus, c’était juste pour dire qu’elle comprenait et trouvait même ça tout à fait normal qu’il s’y connaisse pas. Haussant les épaules avec désinvolture, elle répondit :
« Pas grave, ça, je t’apprendrai. Puis si je m’emballe trop, faut surtout pas hésiter à me le dire. »
Mais en vrai, elle était quasi sûre que ça pouvait l’aider à brancher, si jamais. Bon, c’est une théorie qu’elle aurait dû tester d’abord, mais quand bien même les occasions n’avaient jamais manqué, ça ne lui était pas vraiment venu à l’esprit sur le moment. Juste maintenant. Et elle ne le dit pas parce qu’elle était quasi sûre qu’il avait de toute façon pas besoin de ça. Tout ça pour dire que là-dessus, la traque pouvait commencer. Et tout en marchant pour retrouver les filles voilà qu’ils discutent des potins de la colonie. Puis de leur propre adolescence, par la même occasion. Quand il lui demanda pourquoi elle était chiante, précisant en passant qu’il y avait pas que les pompom girls qui plaisaient, la rouquine pouffa.
« Nan c’est sûr, mais les gens ont quand même tendance à préférer les filles moins sérieuses, celles qui savent parfois se détendre. C’est pas vraiment comme ça qu’on m’aurait qualifiée à l’époque. »
Puis les gens n’aimaient pas tellement qu’on leur rappelle qu’ils sont bêtes pour la plupart. Et comment ne pas se sentir bête à côté d’une tête qui s’est mis dans la sienne de devenir astrophysicienne ? Elle avait su dès les premières minutes que ça serait une barrière pour elle mais elle s’en fichait en ce temps-là. Toujours maintenant, mais disons que les gens se sentaient moins stupides à côté d’une livreuse de pizzas. Une preuve de plus de la stupidité de certains, mais bon… Puis en ce qui concernait Hakon, elle était pas surprise d’apprendre qu’il attirait les regards. Mais il semblait pas savoir pourquoi.
« Sûrement les deux. Le genre que tout le monde aimerait être. »
Sans forcément avoir le cran de le faire parce que ça pouvait demander quelques sacrifices. On n’a rien sans rien. Ils se turent alors voyant la lueur d’une bougie vaciller devant eux et entendant les gloussements et chuchotements typiques des filles de cet âge. Sans s’approcher assez pour se faire voir et surtout en baissant le ton, elle dit :
« Je crois que je peux entrer sans qu’elles me voient. Je vais leur foutre la trouille puis toi, t’auras qu’à les accueillir dans l’encadrement pour en rajouter une couche. »
Ce disant, elle se mit à quatre pattes pour entrer parce que forcément, une perche d’un mètre quatre-vingts, ça se remarque, sinon et avança tout au fond. Puis elle attendit le bon moment pour bondir en criant, provoquant ainsi une vague de hurlements encore plus stridents.

Ils semblaient avoir leur planning pour le reste de la soirée, mais à présent, ils vont s'occuper des filles, après quoi, elles vont vite retourner à leur dortoir pour aller dormir, plutôt que traîner dans les couloirs, même s'il a donné son accord, ce n'est pas pour veiller toute la nuit. Ils prennent également le temps de discuter, principalement sur leur adolescence, une époque qu'il a un peu oubliée, enfin, comme la plupart des choses, il continue d'avancer sans se retourner. Tout cela pour dire qu'il ne croit pas qu'elle devait être ennuyeuse à l'époque, en tout cas, pour lui, car il n'était pas le genre à juger par rapport à l'apparence ou encore au passe-temps, cela dit, il comprend bien que tout le monde n'était pas ainsi, les joies du lycée quoi, encore aujourd'hui, parce que la société n'évolue pas beaucoup. Il pouffe de rire, c'est vraiment tout ce qu'il ajoute, parce qu'il est loin d'être prétentieux et qu'il n'a jamais demandé l'avis de personne, après tout, il se fiche bien de savoir s'il plaît ou non, ça l'aurait plus dérangé de savoir qu'on le déteste sans en connaître les raisons et il n'a jamais eu cette impression à l'école. Quoi qu'il en soit, retour au présent, après ce léger saut en arrière, ils se positionnent de sorte à ne pas se faire surprendre, Hakon hoche la tête, il la laisse se faufiler dans la pièce, pendant qu'il se tient dans la pénombre avec les bras croisés, les cris ont dû se rendre jusqu'aux oreilles des autres jeunes, voire des possibles moniteurs qui traînent encore dans les environs, pourvu que non, histoire qu'on ne les prenne pas pour des sadiques, à s'amuser à faire peur aux gamins, même si en soi, ce n'est pas eux qui ont voulu appeler une légende urbaine. « BLOODY MARY ! » Qu'il hurle presque pour leur faire davantage peur, elles crient de nouveau en courant jusqu'à leur dortoir, du moins, il l'espère. Il retient qu'il préfère être dans un concert que d'entendre à nouveau les cris stridents. « Je doute qu'elles ressortent avant demain matin. » Dit-il en riant.

Au fond, Aveleen était pas mécontente qu’Hakon ait permis aux filles de traîner un peu avant de regagner leur dortoir, parce que sinon, jamais ils auraient eu l’occasion de leur foutre la pétoche comme ça. Non, c’était pas vraiment une pensée sadique, c’est juste qu’elles l’avaient bien cherché et qu’elles en avaient eu pour leur argent. Hilare, la rouquine les vit toutes détaler en direction de leurs chambres, probablement déjà prêtes à se planquer sous leurs couettes comme elles le faisaient encore y a pas si longtemps, au moindre coup de tonnerre, à la moindre ombre évoquant un croque-mitaine avec un crochet à la place de la main qui, elles en avaient la certitude, n’hésiterait pas à leur couper un bras ou une jambe si le membre avait le malheur de sortir du lit.
« Merde alors, si j’avais su, j’aurais pris mon téléphone pour immortaliser la scène ! »
Aveleen avait un téléphone mais elle ne l’avait pas en permanence sur elle ; aucune envie qu’on sache son emplacement exact tout le temps. Puis qui pourrait bien l’appeler, de toute façon ? Ses parents ? Ils savaient pertinemment qu’ils avaient plus de chances d’arriver à joindre un de ses frères et sœurs qu’elle. Bon, en théorie maintenant, ils devraient être tranquilles parce que, comme le souligna Hakon, elles devraient plus sortir du dortoir jusqu’au matin. Mais la rouquine avait très vite compris que rien n’était jamais sûr dans une colonie de vacances ; en fait, y avait eu que les premières nuits qui avaient été vraiment calmes parce que les enfants n’avaient pas encore eu le temps de s’acclimater, mais maintenant qu’ils avaient bien pris leurs marques et qu’en plus de ça, la fin du séjour approchant, l’excitation de rentrer bientôt chez eux se faisait sentir, la rouquine serait plutôt d’avis de faire une croix sur une nuit tranquille. Mais elle dit rien, histoire de pas leur porter la poisse. Bref, en attendant, elle alla récupérer son télescope et prit la direction du toit. C’était pas aussi bien aménagé que chez elle où y avait de quoi se mettre bien, c’est sûr, en fait, y avait que des chaises de jardin en plastique mais ça faisait l’affaire. Le sortant de sa boîte, elle se mit à monter le télescope tout en commençant déjà à jeter un coup d’œil au ciel nocturne.
« On a de la chance, le ciel est dégagé ce soir. »
Ç’avait pas toujours été le cas depuis leur arrivée alors autant en profiter.

Il allait peut-être passer pour le moins cool maintenant, malgré la permission de ce soir, plus celui qui voulait les effrayer, il trouvera bien une raison de justifier cela, surtout si ça venait aux oreilles de l'organisateur. Après, elles ont quand même voulu invoquer une légende urbaine, à une époque, c'était cliché, tout le monde le faisait, ça et le ouija, de nos jours, il pensait que c'était moins fréquent, entre les danses stupides de tik tok et les potins. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas comme si Hakon allait revenir à chaque été ou hiver, pour animer un camp de vacances, ça fait de l'expérience, certes, mais surtout de l'argent. « En tout cas, ça devrait rester dans leur tête pour un petit moment. » Du moins, elles vont peut-être avoir peur de la noirceur le restant du séjour, surtout avec Aveleen et Hakon dans les parages. Dans tous les cas, ils peuvent être tranquilles pour le moment, à moins que les garçons décident de faire un mauvais coup, après tout, c'est souvent eux que l'on soupçonne de faire des bêtises, enfin, c'est ce que la société aime faire croire, que les filles sont plus sages, ici, il dirait que tout le monde est égaux, car il a tout de même surpris certains adolescents en train de voler un paquet de cigarettes à un des moniteurs du camp, vraiment ? Culotté de leur faire la leçon à propos de la nicotine et de remettre le paquet à sa place, pourtant, c'est peut-être la seule fois où Hakon s'est montré autoritaire avec les gamins durant les derniers jours. Tout cela pour dire, qu'ils n'ont pas toujours été très sages, mais il s'attendait quand même à pire. Il rejoint le toit, se disant qu'il est toujours le bienvenu pour la séance d'observation d'Aveleen. « Tu cherches une étoile précise ou autre chose dans le ciel ? »

C’est sûr qu’elles se souviendraient de cette colo et de ce soir en particulier. Tout ça grâce à eux. Quand même, ils étaient des moniteurs vraiment cool. Hakon plus qu’Aveleen parce que sans doute plus permissif mais bon, on n’irait pas jusqu’à dire qu’elle avait passé son temps à leur gueuler dessus non plus, à ces mômes, juste quand ils dépassaient les bornes. Bref, maintenant, place à l’Espace ! Suivie d’Hakon, la rouquine récupéra son télescope et prit le chemin du toit. A la question de son ami, elle répondit presque du tac au tac :
« Oh nan, je cherche plus rien, j’ai retenu la leçon. Je me contente d’observer, maintenant. »
Le mouvement des planètes, tout ça. Peut-être bien qu’elle en avait trop dit en laissant entendre qu’à force de chercher, elle avait fini par trouver quelque chose dans les étoiles. Quelque chose qui lui avait valu une punition et Hakon n’étant pas bête peut-être bien qu’il ferait le rapprochement. Ou peut-être pas et ça serait tout aussi bien. Disons que la rouquine n’aimait pas s’épancher sur les raisons de son renvoi, de peur de mettre des gens dans la confidence et de leur attirer des ennuis par la même occasion, mais d’un autre côté, elle en était venue à voir Hakon comme un ami, de ceux à qui ont peut raconter certaines choses. Bref, elle orienta le télescope dans une certaine direction avant de lui céder la place pour qu’il puisse regarder à son tour.
« Tiens, tu vois ce rassemblement d’étoiles qui ressemblent à un chariot ? C’est la Grande Ourse. Et là, le carré ? C’est Pégase. Et si tu cherches, tu verras un chariot encore plus grand, c’est Andromède, c’est une déesse de la fertilité qu’on appelle aussi la dame des Cieux. »
Pour Hakon, ça devait pas signifier grand-chose, tout ça. Et à vrai dire, à moins d’être passionné, ou de devoir se repérer, tout ça servait strictement à rien, ça revenait un peu à étaler sa science. Mais quand vous le faisiez, les gens avaient tendance à vous prendre au sérieux. Tant que vous vous en serviez pas pour prédire l’avenir en tout cas. En parlant de ça… :
« T’es de quel signe, toi ? »
Non, elle avait pas prévu de lui lire l’avenir là tout de suite – ni jamais -, surtout que ça marchait pas du tout comme ça mais elle supposait que ça l’intéresserait davantage si elle rendait ça un tout petit peu plus personnel.

On ne peut pas dire qu'il s'y connaisse vraiment, Hakon s'est toujours contenté de regarder le ciel et d'admirer ces petites choses qui brillent dans le ciel, sans se demander ce qui se trame là-haut, sans en connaître les noms et tout ce qui s'ensuit. Il préfère se contenter de hausser les épaules pour ne pas lui rappeler de mauvais souvenirs ou peut-être qu'elle en a tellement regardé qu'elle ne cherche plus rien en particulier, dans tous les cas, il laisse toujours la porte ouverte si elle souhaite parler, il ne croit pas avoir besoin de le dire à voix haute, elle le sait. Le brun se rapproche pour pouvoir prendre la place et observer le rassemblement d'étoiles. « Oh, oui, je vois ce que tu es en train de me dire, c'est pas mal cool ! » Il bouge le télescope pour regarder la Grande Ourse et les autres étoiles qu'elle lui indique. Il connaît la grande et la petite ourse, mais uniquement le nom sans pouvoir la reconnaître, dans le ciel étoilé puisque comme déjà dit, il n'a jamais prêté attention, peut-être que maintenant il le fera en se disant qu'il sait maintenant la reconnaître grâce à Aveleen. L'Italien se recule de quelques pas pour lui laisser la place et lui répondre. « Je suis bélier, né le jour du poisson d'avril. » Non, ce n'est pas une blague. « C'est pour savoir si nous sommes compatibles ? » Il pouffe de rire. Non, ce n'est pas une tentative de flirter avec elle, mais maintenant qu'ils en sont là, il est curieux de savoir ce qu'elle a à dire sur son signe, même si Hakon n'est pas le genre à croire à l'astrologie, il souhaite tout de même en savoir plus par simple curiosité.

Comme toujours quand elle parvenait à capter l’intérêt de son audience, Aveleen était ravie. Ça n’arrivait pas souvent, enfin pas toujours parce que les gens étaient quand même toujours un peu intéressés par l’Espace, c’est juste que toute leur vie ne tournait pas autour de ça, comme c’était le cas de la rouquine et qu’ils avaient tendance à oublier qu’ils étaient perdus dans un univers vaste et fascinant. Bref, elle se faisait donc un plaisir de partager un peu de ses connaissances avec un ami. Quand elle lui demanda de quel signe astrologique il était, la réponse la fit sourire. Pas tellement parce qu’il était bélier, en fin de compte, elle s’y connaissait quand même assez peu en astrologie et n’avait qu’une vague idée de ce que ça signifiait mais parce qu’il lui donna aussi la date et que ça aurait carrément pu être une blague.
« Ah ouais ? Ça m’étonne qu’à moitié en fait. »
Ce qu’elle voulait dire par-là c’est que quelqu’un qui prenait tout tellement à la légère devait voir la vie comme une blague justement. Partant de là, c’était pas déconnant que sa date de naissance soit le jour officiel des blagues. Puis elle pouffa de concert avec lui quand il lui demanda si elle posait la question pour vérifier leur compatibilité. Sans doute qu’ils l’étaient puisqu’elle était née sous le signe du sagittaire et que, si elle se trompait pas, c’était tous les deux des signes de feu. Secouant la tête, elle colla son œil à la lentille et fit pivoter le télescope jusqu’à trouver ce qu’elle cherchait. Après quoi, elle lui fit signe de venir voir.
« On la voit que partiellement mais ça, c’est la constellation du bélier. C’est là que se trouvait le soleil le jour de ta naissance. »
Et ça lui faisait une belle jambe de le savoir, elle en était sûre. Mais au moins pourrait-il se vanter de savoir à quoi ça ressemblait. Bref, c’est alors qu’une odeur très reconnaissable monta jusqu’à eux, accompagnée de rires étouffés. Aveleen leva aussitôt les yeux au ciel. Pas moyen d’être tranquilles ce soir, visiblement.
« On dirait bien qu’ils ont décidé de tout nous faire ce soir. Par contre, je me demande qui est la tête de nœuds qui a cru que ça serait une bonne idée de filer des clopes à des ados. »
Qu’ils fument déjà ou non, c’était pas son problème, le problème c’est que si elle disait rien, ça pourrait leur retomber sur le dos.

Cela aurait pu être difficile à vivre à l'école, avec les poissons d'avril et les blagues débiles des gamins de son âge, mais en fin de compte, pas tellement, Hakon a toujours été quelqu'un qui adorait faire quelques bêtises et il a donc toujours été bon joueur, ce qui faisait qu'à la longue, il avait compris comment éviter les poissons dans le dos ou ce genre de conneries durant le lycée. Heureusement, on lui avait jamais foutu un poisson mort dans le casier, par contre, ouais, on lui déjà offert des poissons rouges, bonjour l'originalité à chaque année. On peut également dire que ce n'est pas étonnant, comme elle le mentionne, Hakon aime rire, faire les quatre cents coups, il est probablement né le bon jour, si on veut. Quoi qu'il en soit, il est curieux de connaître la suite avec la rouquine, décidément, cela n'a rien à voir avec la compatibilité et puis, peut-être que cela se serait si c'était tout le contraire, même en sachant qu'il s'entend plutôt bien avec la plupart des gens, la situation aurait été différente, il suppose. Il se rapproche pour regarder à nouveau dans la lentille et il sourit. « Effectivement, je vois bien le début, même si je ne suis pas certain de savoir à quoi le bélier entier doit ressembler dans le ciel. » Mais peu importe, ils n'ont pas tellement le temps d'en discuter plus longtemps, il y a des gamins qui ont décidé de leur pourrir l'air, ils ont même l'air de s'amuser, en juger par les rires. « Pour une fois, je n'ai rien à voir avec ça, mais j'ai surpris l'un d'eux en train de voler, je pense que ça vient de là, je croyais tout de même l'avoir empêché, apparemment, ça veut à tout prix fumer. » Il pourrait juger sur l'éducation, néanmoins, ça part souvent du lycée et oui, ça arrive aussi à Hakon de fumer, la différence est bien évidemment l'âge. « On s'y prend comment les morveux ? J'ai comme l'impression qu'ils ne voudront pas rentrer si rapidement. Je partirai bien sur le fait de leur faire honte, mais si tu as mieux, je suis preneur. »