skeleton dance → james

Un de ses grands rêves, une fois que Sarah avait intégré son paysage, avait été qu’elle soit assez grande pour pouvoir la déguiser en Mercredi Addams. Qu’elle-même soit déguisée en Morticia n’était jamais que du bonus en revanche parce que même si, comme tout le monde sans doute, elle aimait beaucoup la matriarche de cette famille des plus spéciales, c’était quand même Mercredi qui lui avait servi de role model durant son enfance. En tout cas l’un d’eux. Et bien sûr on parle là de celle de Christina Ricci. La meilleure, et de loin. Puis Netflix était venu y foutre son grain de sel en sortant sa nouvelle version soi-disant de Tim Burton avec une actrice qu’elle trouvait un peu insipide. Et quand Sarah était enfin venue lui demander de la déguiser en Mercredi Addams – c’était bien sûr toujours la fillette qui choisissait ses déguisements -, c’était de cette version qu’elle voulait et non celle de Christina Ricci. Triste mais vrai. M’enfin, mieux valait se concentrer sur le positif, et c’était pas que sa fille ait préféré se déguiser en Mercredi plutôt qu’en Enid – parce que vous savez, blonde sur blonde, ç’aurait carrément pu être une possibilité -, non, c’était surtout que c’était elle et pas son ex-mari qui avait la garde de la petite cette année. C’était pas toujours le cas et quand ça ne l’était pas, Noomi était généralement au fond du seau. Alors tant pis si Sarah avait expressément demandé une robe de bal et que Noomi lui remonte les nattes sur le sommet du crâne au lieu du costume classique. Puis, tant qu’à faire, la blonde avait tenu à ce que tout le monde joue le jeu. C’était pour ça qu’elle se retrouvait dans la peau de Morticia et Jimmy dans celle de Gomez. Mais version film, pas version série parce que bon, l’un était quand même plus attirant que l’autre et qu’il y avait des limites à ne pas dépasser. Même Hades s’était vu relooké. Il garderait ce machin sur le dos l’espace de dix secondes mais peu importait : ils diraient quand même qu’il s’agissait de Cousin Machin qui était parti en vacances ou quelque chose comme ça. Vérifiant que sa perruque tenait bien en place – parce que forcément, en dehors du teint cadavérique, la grecque n’avait rien en commun avec Morticia -, elle vint ensuite se presser contre Jimmy pour pincer sa moustache postiche entre ses doigts pour bien la courber comme il fallait.
« T’sais qu’ça t’va pas mal du tout ? J’pourrais m’y habituer… »
Mais pas sûr que ça lui plaise à lui. Puis la vérité, c’était qu’elle trouvait que tout lui allait bien. C’était ça d’être beau comme un Dieu. Puis elle se tourna vers Sarah qui venait à son tour de débarquer dans le living, portant son petit panier en forme de main – parce que que serait la famille Addams sans la Chose ? Je vous le demande ! – et Noomi sourit. A elle aussi, ça lui allait bien. Puis, autre point positif de cette histoire, sa fille était en train de parler de prendre des cours de violoncelle et rien ne pourrait faire plus plaisir à la blonde que d’avoir une musicienne de plus dans la famille.
« Tout l’monde est prêt, on peut y aller ? »

En fait, ça dérangeait pas tellement Noomi de changer de couleur de cheveux pendant un temps. Elle l’avait déjà fait et avait dû passer par à peu près toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Quand plus rien n’allait dans votre vie, c’était un moyen d’en changer parce que quand vous changiez de couleur ou de coupe de cheveux, vous deveniez une toute nouvelle personne. C’était comme ça que ça marchait. En tout cas pour les femmes. Peut-être était-ce moins le cas avec les hommes. Tout ça pour dire qu’elle avait déjà eu les cheveux noirs et que si ça plaisait tant à Jimmy, elle pourrait recommencer. C’était là tout l’intérêt des colorations : ça n’était jamais que momentané. Parce que quelque chose lui disait qu’il préférerait sa blondeur naturelle. Principalement parce que c’était ainsi qu’il était tombé amoureux d’elle et qu’on en revenait toujours aux bases. La grecque rit à sa constatation avant d’hausser les épaules.
« Faut bien qu’on donne l’impression de sortir d’une tombe. »
Et d’avoir besoin de sang frais. Enfin, pas forcément parce qu’après tout, il existait bien des vampires au teint halé, à en croire Une Nuit en Enfer, mais Noomi avait à cœur de coller au thème autant que possible alors pas d’autobronzant pour elle. Y avait plus qu’à demander si tout le monde était prêt et on lui répondit que oui. A condition que Jimmy n’ait pas l’air d’un présentateur télé avec sa fausse moustache. Qu’il se rassure à ce sujet. Plissant les yeux, elle l’observa d’un peu plus près.
« Hm nan, j’trouve pas. Tu m’rappellerais plus Tom Selleck. Enfin, un peu, manque la Ferrari et les Dobermans quand même. »
Non parce que la ressemblance n’était pas non plus frappante bien qu’ils soient très canons chacun dans leur genre, mais en termes de moustache, elle pouvait citer lui et Pedro Pascal. Oh et puis aussi le motard des Village People. Autant dire qu’il valait mieux qu’elle s’en tienne à Tom Selleck. Bref, si tout le monde était prêt, y avait plus qu’à se mettre en route. Ce qu’ils firent. Pour rejoindre toute une troupe de fillette de l’âge de Sarah fichées de leurs parents. C’était toujours ça le plus dur pour la blonde : s’apercevoir que sa fille n’avait plus tant besoin d’elle qu’à une époque où y avait qu’elles qui comptaient. Mais elle pouvait pas y couper ; fallait bien que Sarah grandisse. Suivant le groupe de près afin de s’assurer qu’elles ne faisaient pas de bêtises et qu’il ne leur arriverait rien de mal, Noomi se sentait pourtant mise à l’écart. Surtout qu’ils n’allaient pas partir de leur côté avec Jimmy pour réclamer des bonbons, ils étaient un peu trop adultes pour ça, ils pouvaient qu’accompagner. Se hissant sur la pointe des pieds, elle se pencha pour venir murmurer à l’oreille de Jimmy :
« Ça t’rappelles nos soirées d’Halloween à la Nouvelle-Orléans ? »
C’était rare que la grecque évoque la Nouvelle-Orléans, de peur de faire ressurgir des souvenirs pas très agréables à Jimmy. Mais le fait est que c’était de là qu’ils venaient tous les deux et qu’avant la mort d’Amelia, ils en avaient fait des conneries là-bas. D’ailleurs, leurs soirées d’Halloween étaient bien plus excitantes que ça puisque généralement, Noomi s’amusait à piquer les récoltes de bonbons aux mioches qui avaient le malheur de ne pas y faire attention puis fonçait à l’un des cimetières de la ville. Pas forcément pour faire du spiritisme parce qu’en ce qui la concernait, elle n’y avait jamais cru, mais parce qu’elle aimait bien l’ambiance qui y régnait ce soir-là en particulier. Par contre, elle avait aucune envie que l’idée vienne à sa propre fille. Maintenant qu’elle était adulte, elle se rendait compte que c’était quand même pas si safe que ça, bien qu’il s’agisse d’une tout autre époque.

Et dire qu’elle croyait, visiblement à tort, que tout le monde avait oublié l’existence de Twilight… Enfin, sauf sur Twitter, bien sûr. Sur Twitter, il existait des gens pour dire que la saga n’était pas si mauvaise que ça, tout compte fait. Mais y en avait aussi pour trouver que Jennifer’s Body était un chef d’œuvre en avance sur son temps… Mouais, pour les avoir tous vus, Noomi trouvait qu’ils étaient tous nuls, elle, mais pas au point de ne pas pouvoir les regarder non plus. Des nanars, quoi. Du genre qu’on aimait bien regarder entre potes pour se moquer gentiment. Ce que Jimmy était en train de faire puisqu’il ne se priva pas pour lui signaler que s’il ne s’apprêtait pas à faire nuit, il aurait carrément pu s’attendre à la voir briller sous le soleil plutôt que sortir d’un caveau. Jouant le jeu, la blonde fit la moue.
« Dans c’cas, ça voudrait dire que j’me suis carrément gourée de déguisement. »
Et ça serait quand même très dommage parce que le but, en cette nuit si particulière, c’était de faire peur, pas de faire sourire. Ou d’émerveiller, si tel avait le but en faisant des vampires des êtres scintillants. C’était surtout à cause de ça – et sûrement aussi à cause de l’histoire d’amour impossible entre une lycéenne et ado d’une centaine d’années à peu près – qu’on comprenait que l’auteur était juste bonne à écrire des fanfictions à destination d’autres personnes encore en pleine croissance. En dépit du succès que sa saga avait pourtant rencontré. Mais bon, faut dire qu’il y en a plein des ados, sinon toutes les séries Netflix de maintenant ne seraient pas créées uniquement pour eux. Y avait la demande, fallait que l’offre suive. Mais fallait veiller à ne pas oublier qu’il n’y avait pas qu’eux non plus. Puis le sujet bascula sur les Magnums. Les glaces autant que la série et le personnage portant ce nom. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la remarque de Jimmy la fit rire. Haussant les sourcils d’un air entendu, elle y alla de son petit commentaire :
« A quoi bon nier ? Mais on s’garde ça pour la fin d’soirée. »
Sur cette belle promesse, ils se mirent donc en route et Sarah se hâta de retrouver ses copines de classe. Ce qui ne cessait jamais de rappeler à Noomi que sa fille grandissait et que bientôt, elle ne voudrait même plus partager ces moments-là avec elle du tout. Bon, elle doutait de lui faire un jour honte auprès de sa bande de potes comme ç’avait pu être le cas de sa propre mère parce qu’après tout, elle était animatrice radio et que son audience était surtout composée de jeunes, donc elle serait toujours cool à leurs yeux tant que ça durerait mais quand même, c’était pas le plus agréable dans la parentalité. Autant se consoler au bras de Jimmy, à évoquer leurs soirées d’Halloween d’autrefois. Il la fit rire une fois de plus ; c’est qu’il s’en rappelait aussi bien qu’elle. On pourrait trouver ça morbide d’aller s’amuser dans les cimetières mais si vous pensez ça, c’est que vous n’avez foulé un cimetière de Louisiane. Les gens vont y faire la fête et de la musique, c’est autrement plus joyeux qu’à peu près n’importe où ailleurs.
« Naaan, bien sûr que non ! »
Loin d’elle l’idée d’emmener Sarah au cimetière. Pas tellement parce qu’en devenant adulte, elle trouvait ça glauque, mais plutôt parce qu’elle était certaine que sa fille n’en aurait pas envie, elle. Peut-être que ça viendrait avec le temps, cela dit.
« T’imagines un peu l’délire ? Si ma mère m’avait proposé d’aller au cimetière avec elle, j’l’aurais jamais fait. »
Pourtant, sa mère aimait bien rappeler quand elle en avait l’occasion qu’elle était une enfant de là-bas et qu’il lui arrivait très souvent de frayer avec celle qui se faisait appeler la reine du vaudou. Une espèce d’illuminée, d’après Noomi. C’était pas parce qu’elle aimait tous ces trucs qu’elle y croyait pour autant. En fait, c’était même le contraire ; elle avait si souvent appelé Bloody Mary devant son miroir quand elle était plus jeune que s’il y avait la moindre trace d’une vie après la mort, elle en serait la première au courant, pensait-elle.

Que Sarah ne dise pas non d’ici quelques années ? Noomi était bien moins optimiste que Jimmy à ce propos. Parce que les années à venir allaient sonner le début de l’adolescence. Une période que la grecque redoutait. Ça pouvait soit relativement bien se passer, comme elle avec son père au même âge, ou alors tout le contraire, ça ne pouvait faire que casser, comme elle avec sa mère au même âge. Et quand elle pensait « relativement », c’est parce que tout était relatif effectivement, puisque même si son père tolérait Frank à l’époque, il n’était pas vraiment chaud pour qu’elle l’épouse la majorité à peine atteinte non plus, ni pour qu’elle fasse plein d’autres conneries. Sur ce coup-là, elle espérait que Sarah serait plus intelligente qu’elle. Mais pour être tout à fait honnête, elle trouvait déjà que c’était le cas alors même si ça l’empêchait pas de redouter ce moment, elle se disait aussi que tout pouvait rouler, que sa fille continuerait de réfléchir avant d’agir. Avec un soupir un peu rêveur, elle conclut :
« Je l’espère en tout cas. »
Bien que ça puisse paraître une chose bien bizarre à espérer, que sa fille accepte de l’accompagner au cimetière. Là-dessus, Noomi comme Jimmy firent leur travail de parents en surveillant ce qu’on donnait à Sarah. Ça faisait quelques années qu’elles faisaient la tournée des maisons du quartier pour récolter des bonbons maintenant et personne n’avait jamais rien donné de suspect aux enfants – probablement parce qu’on parlait là du quartier où se trouvait l’école alors tout le monde l’associait aux enfants mais justement, cette façon de voir les choses pouvait être à double tranchant quand on y réfléchissait un peu -, mais comme pour bien des choses, il suffisait d’une fois. Quelques maisons encore et la blonde vit revenir Sarah avec un sac qu’elle ne l’avait pas vue prendre. La parano commença alors tout doucement à s’installer. Du coup, elle attira l’attention de Jimmy là-dessus et, à la seconde où sa fille fut devant elle, l’interrogatoire débuta :
« C’est quoi, ça ? Qui te l’a donné ? Y a quoi dedans ? »
Sans lui laisser vraiment le temps de répondre, elle lui prit le sac des mains en croisant les doigts pour qu’elle n’ait pas encore touché à ce qui se trouvait à l’intérieur, ouvrit et vérifia le contenu. Des bonbons, bien sûr. Chelou. Voyant que son stress était communicatif et que Sarah, ne s’y attendant pas, commençait à paniquer un peu aussi, ne pouvant dès lors pas répondre à ses questions, elle se pencha sur elle et posa la main sur son épaule pour la tranquilliser.
« Allez, bébé, un p’tit effort, qui t’a donné ça ? »
Tout ce qu’elle obtint comme réponse fut :
« Un monsieur là-bas. »
Et une main tendue dans une direction bien précise : celle qu’elle et ses copines avaient prise pour aller aux toilettes chez l’une d’entre elles, en groupe, pour faire comme les grandes. Son instinct lui gueulait de se mettre en chasse et surtout de mettre ce gars hors d’état de nuire sans même savoir s’il s’agissait de bonbons trafiqués ou non mais elle allait tout de même attendre d’avoir l’avis de Jimmy d’abord. Ce qu’elle lui demanda d’un regard.

A son tour, Jimmy prit le sac de bonbons et commença à en renifler le contenu. Ça pouvait aider mais pas forcément non plus, Noomi supposait qu’il existait des drogues indétectables. Du genre de celles qu’on verse dans le verre des femmes en soirée quand elles ne font pas attention. Ce qui lui était jamais arrivé parce que pour le coup, elle avait été bien éduquée et n’avait jamais quitté son verre des yeux du temps où elle sortait, mais comme tout le monde, elle avait entendu raconter bien des choses. C’est alors qu’une nouvelle question lui vint, la première qui aurait dû lui venir sans doute, mais dans la panique…
« Et t’en as pas encore mangé, hein ? »
Son ton s’était quelque peu radouci, sachant pertinemment qu’avec sa fille, c’était toujours pour la douceur qu’il fallait opter, mais ça devenait rapidement un problème quand on avait le sang chaud, comme elle. Sarah eut l’air de fouiller sa mémoire à la recherche de cette information puis finit par secouer la tête de gauche à droite et Noomi put souffler. Si c’était pas la preuve qu’elle était une bonne mère… Mais elle trouverait le temps de s’auto-congratuler à ce propos plus tard. C’est alors que Jimmy lui demanda si elle pouvait identifier l’odeur du bonbon qu’il lui tendait. Elle le prit entre ses doigts qu’elle porta à ses narines pour humer le parfum dudit bonbon. Y avait des moments où un fumeur regrettait systématiquement de fumer ; quand il doit courir pour sauver sa vie, par exemple ou encore quand il doit sentir ou goûter quelque chose d’assez subtil parce que ça affecte le goût comme l’odorat. Mais ces merdes chimiques donnaient si souvent l’impression d’avoir été plongées à même la cuve de parfum fruité que ce n’était même pas un de ces moments.
« C’est d’la mangue, j’crois. Mais t’sais, pas la vraie mangue, la mangue chimique qui a un goût d’savon. »
C’est en tout cas ce qu’elle pensait. Bref, elle s’en fichait un peu de ce à quoi ça pouvait être et même si elle se trompait carrément et qu’il s’agissait jamais que de bonbons inoffensifs, Sarah n’y toucherait pas. Et aucun autre enfant si elle pouvait l’empêcher en tout cas, ce sac avait sa place au fond d’une poubelle. D’ailleurs, elle se retint tout juste de récupérer le sac pour mettre sa menace à exécution comme si celui-ci lui avait brûlé les doigts. En revanche, elle jeta le bonbon qu’elle tenait en main au fond et se tourna vers le parent le plus proche pour lui demander de garder un œil sur Sarah l’espace d’une seconde tout en le mettant également au parfum concernant cette histoire d’homme offrant des bonbons bizarres aux enfants avant de faire signe à Jimmy de la suivre tandis qu’elle prenait la direction indiquée par sa fille un peu plus tôt.
« J’sais pas toi mais en c’qui m’concerne, j’ai quand même bien envie d’aller voir à quoi il ressemble ce si gentil monsieur. »
Et de lui mettre les points sur les I concernant cette distribution non autorisée de bonbons. Pas forcément en le secouant comme un prunier, non plus. Enfin, ça dépend de qui se dresse en face d’elle, bien sûr. Mais en tant qu’organisatrice de cette petite activité, c’était son devoir de rappeler les règles pour que tout continue de bien se passer l’année d’après.

Jimmy posait la question mais celle-ci n’appelait pas vraiment de réponse. Parce qu’il devait déjà la connaître : oui, elle voulait alpaguer tous les gars à l’air louche qui auraient le malheur de croiser leur chemin. Bien sûr. Même s’il fallait y passer la nuit. Pourtant, ils avaient d’autres choses de prévues ce soir-là, mais la santé de sa fille avait peut-être – ou peut-être pas – été mise en danger et il était hors de question qu’elle laisser passer ça, évidemment. Puis bon, avant de leur casser la gueule à tous, elle allait quand même d’abord s’assurer de ce que c’était que ces bonbons. Et qui de mieux pour répondre à cette question que la personne qui les avait donnés, hm ? Avant de foncer bille en tête, Noomi écouta quand même le plaidoyer de Jimmy. Qui était, comme souvent, plein de bon sens. Avec les costumes, ça serait compliqué. Sous-entendu que tout le monde paraîtrait louche, ce soir. Pas faux. Mais il était d’accord pour observer un peu les gens dans la direction donnée par Sarah. Bon, c’était mieux que rien. Ensuite, ils aviseraient, comme toujours. Satisfaite, la blonde hocha la tête.
« Promis, j’sauterai pas sur tous les passants pour leur faire une prise de catch jusqu’à c’qu’ils crachent l’morceau. »
Ça restait à voir, mais elle ferait de son mieux pour tenir parole en tout cas. Laissant le soin à d’autres parents de poursuivre la récolte de bonbons, ils partirent donc tous deux dans cette fameuse direction, faisant mine de flâner alors que Noomi inspectait méticuleusement chacune des personnes entrant dans son champ de vision. L’air de rien, bien entendu, parce qu’il faudrait pas non plus trop attirer l’attention sur eux. Jusqu’à repérer quelqu’un a l’air suspect. De quoi décevoir un peu par contre parce que l’homme en question portait même pas d’imper. Ni de lunettes de soleil, vous savez, comme le Gremlin flasher. Rien de tout ça, juste un type portant un costume de clown. Pas même celui de Pennywise, un clown tout ce qu’il y a de plus banal. Assez mal fait, en fait, on aurait surtout dit qu’il avait enfilé la première perruque bouclée venue à la va-vite. Bref, ce clown, depuis quelques mètres, s’amusait donc à aller voir des groupes d’enfants, auprès desquels y avait jamais de parents, pour leur donner des bonbons. Bien sûr, le premier réflexe de Noomi était d’aller voir les enfants pour leur prendre ces fameux bonbons des mains et les jeter dans la poubelle la plus proche, juste au cas où, mais ça reviendrait à griller sa couverture. Par ailleurs, elle n’en voyait aucun en train d’en enfourner une poignée alors ça devrait aller. Du coude, elle attira l’attention de Jimmy sur la scène.
« Téma c’clown, là. Il a un comportement un peu bizarre, tu trouves pas ? »
En fait, la seule chose qui l’empêchait de foncer cette fois-ci, c’était le fait que Sarah n’ait pas parlé d’un clown. C’était quelque chose dont elle se serait souvenue, non ? Après, vu le costume, peut-être bien qu’il n’était pas encore déguisé quand il avait abordé son groupe à elle. Peut-être que juste après, il s’était enfoncé une perruque colorée sur la tête et un nez rouge sur le nez et que l’effort se serait arrêté là. Peut-être pour être moins reconnaissable, d’ailleurs. Mais là, l’esprit de la grecque était clairement en train de s’emballer et cette fois encore, elle préférait avoir un deuxième avis. D’autant que Jimmy écrivait des romans policiers. Sans tout en connaître non plus, imaginait-elle, il était sûrement plus à même qu’elle de dire comment agirait un criminel. Peut-être même pourquoi mais à vrai dire, c’était pas du tout ce qui l’intéressait pour le moment. Non, ça, ils verraient plus tard. Une fois que l’individu serait appréhendé. Ou au moins une fois qu’il aurait avoué son méfait.

S’il y avait bien une chose dont Noomi se foutait, là, tout de suite, c’était de son maquillage. D’ailleurs, quelles que soient les circonstances, c’était toujours le cadet de ses soucis. Et ça, Jimmy le savait. Puis là où ça devenait un peu complexe, c’est qu’elle savait qu’il le savait. Bref. Elle se doutait donc que s’il disait ça, c’était parce qu’il n’avait rien trouvé de mieux comme argument mais qu’il souhaitait quand même pas qu’elle se la joue façon Undertaker à l’approche de chaque personne qui pourrait lui paraître suspecte. D’autant qu’il avait pas l’air si sûr que ça qu’il y avait danger. Non, c’est sûr qu’elle non plus pouvait pas en être sûre, mais peut-être bien qu’elle avait raison. Et quand on était mère – à fortiori une mère comme elle -, « peut-être » c’était déjà trop. Raison pour laquelle elle le tranquillisa d’un hochement de tête et ainsi partirent-ils donc à la chasse aux types chelous. Etant une femme, la blonde serait d’avis de dire que c’était un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin, mais le fait est qu’un type très, très louche, se démarqua assez rapidement des autres. Un clown. Rien que le choix de déguisement le plaçait automatiquement dans cette catégorie parce que c’était même pas d’un clown tueur qu’on était en train de parler. Avant de faire quoi que ce soit, Noomi préférait quand même demander son avis à Jimmy. Mais le truc, c’est qu’il avait pas l’air d’en mener large. Et l’espace d’une seconde, elle s’en voulut de l’avoir une fois de plus embarqué dans ses mésaventures. Avant de se dire qu’oh bon, elle trouverait bien un moyen de se faire pardonner. Un peu perdu, il lui proposa donc de retourner demander à Sarah une description un peu plus poussée. Elle secoua la tête.
« Nan, ça s’rait risquer d’le laisser filer. »
Oui, elle s’entendait parler mais ça lui paraissait pas trop extra non plus. De plus, c’est vrai que s’ils prenaient la décision de faire le chemin en sens inverse, ils perdraient un temps fou et ça serait sans garantie de retrouver le clown à leur retour. Autant foncer, pas vrai ?
« On a qu’à aller l’voir plutôt. En douceur, on lui pose quelques questions l’air de rien et on voit c’que ça donne. »
L’improvisation n’était-elle pas son fort, après tout ? La blonde s’élança alors en direction du clown, tout en s’exclamant :
« Regarde chéri, c’est Ronald McDonald ! Salut Ronald, on peut en avoir nous aussi d’tes bonbons ? »
Phrase à ne pas sortir de son contexte, bien sûr. Le clown les regarda tout deux de la tête aux pieds puis leur demanda :
« Vous seriez pas un peu vieux pour réclamer des bonbons ? »
Parce qu’il préférait en donner uniquement aux enfants, c’est ça ? Noomi serait à deux doigts de le traiter de pervers dégueulasse si elle n’avait pas promis quelques minutes plus tôt à peine qu’elle se tiendrait à carreaux.
« Oh allez, c’est quand même pas deux poignées de bonbons en moins qui vont y changer quelque chose. On dirait que vous en avez pris pour en régiment, ça doit être lourd à transporter, non ? On ferait que vous en délester. »
Non, la grecque savait pas tellement où elle allait avec ça, mais elle continuait de trouver ça louche qu’il veille vraiment pas leur en donner. Un peu comme s’il avait quelque chose à cacher. Comme des bonbons drogués, peut-être ? Elle se tourna ensuite vers Jimmy pour voir ce que lui en pensait où s’il pouvait même se montrer un peu plus persuasif.

Elle n’aurait su dire ce qui avait finalement poussé le clown a leur tendre une poignée de bonbons, lui qui s’était montré si réticent jusque-là. Peut-être bien la présence de Jimmy à ses côtés qui, s’il ne disait strictement rien – même que ça commençait à devenir un peu bizarre -, en imposait par sa carrure. Sans se faire prier, Noomi prit la poignée tendue, le remercia et tourna les talons. Rien de plus ? Rien de plus puisqu’elle avait promis de pas faire de prise de catch au premier venu. D’une bonne foulée, elle repartit par là où ils étaient venus et attendit de s’être suffisamment éloignée du suspect pour s’arrêter, légèrement à l’écart d’autres personnes. Elle prit alors la poignée de bonbons qu’on avait donné à Sarah dans sa main encore libre puis examina et soupesa les deux. Puis elle en vint à la conclusion que c’était vraiment con de faire ça parce qu’elle était pas Gil Grissom, putain, et finit par se décider.
« Bon, j’me sacrifie. Si jamais j’me sens mal, on ira au poste de police et on leur demandera d’avertir les gens qu’un cinglé court les rues le soir d’Halloween. »
Ce qui faisait très Michael Myers dit comme ça, c’est sûr. Ce disant, elle déballa un des bonbons reçus du clown et le mit en bouche. Qu’est-ce qu’elle risquait de toute manière ? Pas d’être empoisonnée, c’était certain, alors quoi ? D’être défoncée ? La belle affaire ; à une lointaine époque, si ça avait pas été son quotidien, ç’avait au moins été son rituel hebdomadaire, alors elle y survirait. D’autant que cette fois, c’était pour une bonne cause. Puis, ce genre de trucs n’agissant que très rarement dans la seconde, ils purent retrouver leur groupe. Si ça n’avait tenu qu’à elle, la grecque aurait bien poursuivi la filature, mais elle avait un peu l’impression que ça tentait pas trop Jimmy de passer la soirée à jouer les espions. Et dans le fond, si elle était tout à fait franche avec elle-même, Noomi préférait de loin passer ce temps en compagnie de sa fille dont elle avait pas toujours la garde, c’est sûr. Mais bon, c’était pour le bien de Sarah et y avait rien qu’elle ferait pas pour la prunelle de ses yeux, voilà tout. Pourtant, lorsqu’ils revinrent, c’est à peine si elle remarqua la différence tant elle était occupée à s’amuser avec ses copines. Se refusant à la déranger, elle attendit un moment plus calme pour lui demander si l’homme qui lui avait donné les bonbons était déguisé en clown. Fronçant les sourcils sous l’effet de la concentration, elle finit par révéler que peut-être bien, qu’il avait une perruque rouge mais qu’il portait pas de nez qui allait avec alors ç’aurait tout aussi bien pu être autre chose. Ce à quoi la blonde acquiesça avant de se tourner vers Jimmy.
« A moins qu’y ait un autre à peu près clown dans l’coin, j’pense que j’me suis pas trompée d’personne. »
Et ça, c’était pratiquement un miracle, quand même.