Night fever (Ezra)

Encore une belle journée en perspective. Samira profitait d'un jour de repos bien mérité entre deux gardes, ne devant pas travailler avant le lendemain. Elle adorait son boulot, mais elle aimait tout autant ces moments de répit ou elle pouvait penser à elle avant de penser aux autres. Surtout qu'elle n'avait pas à jouer la comédie auprès de ses internes. Nan parce qu'à la longue, c'était usant, même si c'était un mal nécessaire pour qu'ils puissent progresser et devenir d'excellents chirurgiens. Alors qu'avec Marley, elle n'avait pas à faire semblant. En même temps, qui pouvait bien s'énerver devant l'adorable boule de poils qui dormait à pattes fermées sur le fauteuil qui se trouvait dans la chambre de sa maitresse ? Enfin ça n'était pas parce que c'était son jour de repos que l'iranienne allait passer toute la journée à trainer au lit. Même si elle s'était permise de faire la grasse matinée jusqu'à une heure que ses parents auraient clairement jugée indécente, elle avait du pain sur la planche, entre sa séance de sport quotidienne, des courses à faire pour pouvoir cuisiner pour le restant de la semaine, plus aller faire un tour au magasin de bricolage histoire de faire quelques repérages de peinture parce qu'elle voulait rénover sa salle de bains. Clairement, ses jours de repos ne se résumaient pas à glandouiller sur le canapé en regardant la dernière série à la mode sur Netflix ou n'importe quelle autre plateforme de streaming. C'était pas son genre, Sami avait besoin de faire des trucs histoire de ne pas avoir l'impression de perdre son temps.

Enfin ça, c'était ce qui était prévu à la base. Elle n'avait pas passé la case des courses, la faute à un pauvre joggeur percuté par une camionnette alors qu'elle se garait sur le parking du supermarché. Ni une ni deux, elle avait prodigué les premiers soins à la victime, avant de l'accompagner à l'hôpital jusqu'au bloc opératoire, le chirurgien de garde aux urgences étant occupé avec un autre patient. Une bataille de longue haleine pour sauver la vie de cet homme qui n'avait cessé de supplier pour qu'on prévienne sa femme et ses quatre enfants pendant tout le voyage en ambulance, ce dernier n'ayant pas été épargné par la collision avec le véhicule. Mais elle avait pu annoncer avec soulagement à la famille de l'homme que le mari et père de famille était tiré d'affaires et que ça n'était qu'une question d'heures avant qu'il ne se réveille. La chirurgienne resta encore un peu, le temps de donner quelques instructions supplémentaires aux infirmières et s'assurer que tout était en place pour la nuit. Le plus dur était passé pour l'homme, mais les choses ne faisaient que commencer. Le pauvre allait passer un petit séjour ici et c'était sans compter sur la rééducation qu'il allait devoir suivre s'il voulait récupérer pleinement de son accident.

Une brève remontrance de la part de Donna qui ne pouvait s'empêcher de lui rappeler que les gens normaux ne passaient pas leur jour de repos au boulot et Samira reprenait le cours de sa journée qui touchait déjà quasiment à son terme et largement chamboulée. Elle pouvait faire une croix sur son programme de la journée soigneusement établi et se dirigea finalement vers son activité favorite en dehors du boulot. Écumer les bars à la recherche au mieux d'une charmante demoiselle avec qui passer le reste de la nuit et au pire un pigeon qu'elle se ferait un plaisir de plumer. En plus, elle avait bien mérité un verre après la journée qu'elle venait de passer. Même si elle avait ses adresses favorites, Sami n'aimait pas tomber dans la routine, raison pour laquelle elle ne passait pas deux soirs de suite dans le même bar. Elle passa un certain temps à tourner, profitant du temps clément malgré la nuit déjà tombée pour flâner devant les magasins plus que pour trouver l'endroit ou elle comptait se poser. L'iranienne était déjà passée devant deux ou trois bars, mais aucun qui ne lui donnaient vraiment envie d'y entrer. Surtout qu'elle commençait à avoir sacrément faim. Sauver des vies, ça avait tendance à ouvrir l'appétit. Surtout qu'elle avait sauté le repas de midi, se contentant d'une maigre barre énergétique volée dans la salle de repos des infirmières avant d'entrer au bloc. Et en plus de ça, elle n'aimait pas trop boire le ventre vide.

Une fois rassasiée, Samira finit par s'arrêter devant un bar qui ne se distinguait pas forcément des autres, mais qui lui envoyait de bonnes ondes. Poussant la porte de l'établissement, elle ne fut plutôt surprise de voir qu'il était assez peu fréquenté, Sami devinant à l’attitude des quelques clients présents qu'il devait s'agir d'habitués. Tant mieux, elle n'aurait pas à attendre trop longtemps avant qu'on s'occupe d'elle. S'asseyant sur un tabouret, Sami n'eut pas à patienter bien longtemps avant qu'une barmaid ne vienne l'accueillir chaleureusement « Une pinte de bière. Rousse de préférence. » Le temps que sa commande soit prête, Sami jeta un coup d’œil au reste de la salle. Elle aurait peut-être du choisir un bar un peu plus fréquenté. Ou se balader un peu moins. Tant pis, elle s'amuserait un autre soir. Sami allait boire sa bière, rester un peu et aller récupérer sa voiture avant que cette dernière ne se fasse embarquer par la fourrière. Entendant le bruit d'un verre qu'on posait devant elle, Sami se tourna à nouveau vers la barmaid, avant d'attraper sa boisson « Merci. C'est plutôt calme ce soir, non ? » Fut une époque ou Samira avait été à la place de la jeune femme, et elle pouvait être sûre que ça ne dérangeait pas la demoiselle.

Elliott était mariée. Ce n’était pas une nouvelle à laquelle je m’attendais vraiment. Je n’y avais même pas songé une seule seconde, pour être honnête. Cette nouvelle avait fait l’effet d’une bombe dans mon esprit, et depuis ce jour, j’avais l’impression de dépérir un peu. Comme une rupture amoureuse, c’était douloureux, mais je n’arrivais pas à comprendre pourquoi. J’aurai dû être préparée à une annonce pareille. Elliott n’était pas obligée de rester seule toute sa vie. Je soupire en y repensant tandis qu’un habitué du bar réclame un nouveau verre de whisky. Ce soir, je remplace mon oncle derrière le comptoir… mais aussi de l’autre côté. Un jour de semaine, il n’y a pas grand monde et les clients ne m’en voudront pas trop si je bois quelques verres. Tant que je suis encore apte au service, ça ira, et tonton ne m’en voudra pas. Il n’en saura rien, c’est le premier à faire la même chose de toute façon. J’offre son verre à l’habitué, cadeau de la maison, avant de me servir un shooter de vodka pour tenter d’oublier un peu plus la nouvelle. Sans déconner, un mariage.

Je suis très vite distraite par une brune entrant dans le bar. Elle ne l’avait jamais vue par ici… ou ne s’en souvenait plus vraiment. Je pars l’accueillir avec un immense sourire, elle a l’air très cool et je n’oublie pas mon sens du service. “Bonsoir ! Qu’est-ce que je vous sers ?” dis-je en offrant un clin d’œil à la brune. Celle-ci me réclame une pinte, et je me tourne dos à elle histoire de lui préparer. Une rousse, ce n’est pas une commande des plus courantes. Je remplis au maximum la pinte, veillant à ne pas la renverser puis retourne vers la femme pour lui déposer son verre. “Désolée, ce soir, c’est une brune et non une rousse.” Je ris légèrement avant de me gratter la gorge. Sérieusement, c’est quoi cette phrase de beauf ? J’ose espérer qu’elle ne m’en voudra pas trop. La femme remarque le calme ambiant de la salle et j’hausse les épaules. En même temps, nous fermons bientôt, alors j’imagine qu’elle doit faire partie de mes dernières clientes. “Ouais, c’est calme la semaine. Je ferme bientôt en plus, à mon avis, vous êtes la dernière cliente.” Je lui offre un immense sourire. L’alcool commence un peu trop à me monter au cerveau. “Et je ne vais pas m’en plaindre. Vous allez bien ce soir ?” demandais-je, sincèrement. J’aime prendre la température chez mes clients, et celle-ci en particulier. Elle a vraiment l’air sympathique et j’imagine que ma soirée va prendre une allure différente finalement. Loin de la déprime, je l’espère.

Une petite bière avant de rentrer. C'était loin d'être la première fois que Samira faisait ce genre de choses et ça ne pouvait pas faire grand mal. Pour certains, c'était juste une excuse pour se mettre la tête à l'envers à coup d'alcools plus ou moins fort, mais pour Sami, c'était du sérieux. Elle s'était toujours imposée une stricte limite en matière de consommation d'alcool, limite à laquelle elle ne dérogeait jamais. Même quand elle sortait faire la fête en compagnie de collègues. S'il y avait bien un truc que l'iranienne ne pouvait pas supporter, c'était de se réveiller avec une gueule de bois un jour ou elle était de garde. Par chance, elle tenait plutôt bien l'alcool, mais ça n'était pas une raison pour pousser le vice trop loin juste sous prétexte qu'elle ne roulait pas sous la table au bout de cinq minutes.

Mais la demoiselle qui se trouvait en face d'elle était le genre de femme pour laquelle elle aurait été prête à faire un écart... même si elle ne le faisait jamais. En dehors de qualités purement physiques qu'il était difficile de louper, la barmaid semblait être le genre de femme qui valait le détour. C'était peut-être juste un genre qu'elle se donnait histoire de charmer les clients et les pousser à consommer d'avantage, mais Sami avait un bon pressentiment sur le sujet. Même si son humour laissait un peu à désirer. Mais la chirurgienne savait reconnaître une perche quand on lui en tendait une, même involontairement « Vous avez de la chance, j'aime bien les brunes aussi. » Si on parlait uniquement de bière, c'était faux. Elle détestait la bière brune, c'était beaucoup trop fort et amer à son goût. Mais si on parlait d'un tout autre sujet par contre, les choses étaient bien différentes. Sami n'était pas femme à s'arrêter à une simple question de physique quand il s'agissait de ses relations avec la gent féminine. Certes, ce critère entrait en ligne de compte, mais elle préférait largement une femme à l'apparence un peu moins renversante mais qui n'avait pas l'intelligence d'une de ces bimbos siliconées à l'extrême qu'on voyait dans les émissions de télé-réalité.

De l'autre côté du bar, la demoiselle lui confirma que l'établissement était plutôt calme en semaine, ajoutant le fait qu'elle allait de toute façon bientôt fermer boutique pour la nuit. Vu l'heure tardive, ça n'était guère étonnant. Et au moins, ça éviterait à Samira de trop s'attarder avant de rentrer chez elle « Je vous comprends. J'ai été à votre place y a longtemps. Des fois on a hâte que la journée se termine. » Même si ses années dans le monde de la nuit remontaient à loin, elle en gardait encore un parfait souvenir. Et pas forcément pour les meilleures raisons qui soient « Mais je vais essayer de pas vous garder ici trop longtemps dans ce cas. » Samira porta sa pinte à ses lèvres, avant de répondre à la question de la jeune femme « Disons que ma journée a été... elle ne s'est pas vraiment déroulée comme je l'espérais. » Ça c'était rien de le dire. Mais elle n'allait pas tout déballer à la brune en face d'elle. Elle lui avait juste demandé comment elle allait, pas de lui faire le résumé complet de sa journée avec tous les détails.

Se penchant un peu afin de mieux faire face à son interlocutrice, Samira afficha un petit sourire charmeur « Et vous alors ? Pas de clients trop lourds à signaler ? » La chirurgienne ignorait totalement quel genre de clientèle venait ici, mais des fois on était pas à l'abri d'un client particulièrement con qui avait décidé que son grand objectif de la journée était de pourrir la votre. Et des types comme ça, on en croisait partout, peu importait le métier qu'on pouvait bien exercer. Alors qu'elle levait la main afin de repasser une mèche de cheveux derrière son oreille dans un geste machinal, le regard de Sami tomba sur une tache écarlate qui maculait le bout de la manche de son t-shirt à manches longues. Elle essaya tant bien que mal de la dissimuler en reposant le bras sur le comptoir du bar, mais réalisa bien vite que la barmaid avait vu la même chose qu'elle. Et merde « Vous inquiétez pas, c'est juste la raison pour laquelle ma journée ne s'est pas du tout passée comme prévue. Mais rien d'illégal hein. Je passe plutôt mes journées à éviter que des gens ne meurent que l'inverse. » En même temps, un chirurgien qui tuait ses patients, c'était la dernière chose qu'on voulait voir. Non pas qu'elle était parfaite en toute circonstance et qu'elle n'avait jamais connu d'échec, mais elle avait toujours tout fait pour que ce genre de tragédies arrivent le moins souvent possible.

La soirée avait été difficile. Toutes celles depuis mon dernier rendez-vous avec Elliott l’avaient été. Apprendre qu’elle était mariée n’arrangeait pas la chose, et j’en venais à me poser un tas de questions. Était-ce une bonne idée d’être revenue ? Ne serait-ce pas mieux de repartir ? Pourquoi est-ce que cette annonce me perturbe autant ? Des questions qui restaient pour l’instant sans réponse. Ce soir, au bar de mon oncle, je tentais d’oublier un peu cette histoire dans l’alcool. En compagnie des clients. Un verre, puis deux, puis je ne comptais plus. Le bar allait bientôt fermer quand une nouvelle cliente vient s’installer au comptoir. Belle brune me commande une bière et je ne peux m’empêcher de blaguer en venant lui déposer sa commande. Je ris un peu lorsqu’elle m’annonce qu’elle aime bien les brunes, aussi. Ma blague était un peu déplacée, mais finalement, elle a l’air de l’avoir plutôt bien prise.

Naturellement, la discussion s’installe entre nous. Le bar est plutôt calme ce soir et la brune me le fait remarquer. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose, ça me permet de discuter avec les clients, dont elle la première. Elle m’annonce avoir déjà été à ma place dans le passé, mais je grimace lorsqu’elle m’indique qu’elle ne restera pas tard. Sa journée ne semble pas s’être très bien passée et je l’interroge. “Vous rigolez, vous êtes la meilleure chose de la soirée. Restez autant que vous voulez, je peux essayer de vous faire oublier votre journée difficile !” Je lui offre un immense sourire avant de ranger les verres que je viens de laver. La femme était d’humeur charmeuse, et ça ne me dérangeait pas tellement. Je l’étais aussi, après tout. Sans doute à cause de l’alcool, mais qu’importait. La brune était très agréable à regarder et de bonne compagnie. “Non ce soir pas de clients relous. Des clients habitués principalement, et une cliente très sympathique…” À mon tour de charmer. Je lui offre un léger sourire, mais mon attention est vite troublée par un geste de main de sa part. J’observe le sang sur le bout de sa manche. Est-ce que tout va bien pour elle ? Elle s’est battue ? Ou pire, est-ce qu’elle a tué quelqu’un ? Mon cerveau commence à imaginer un tas d’explication les plus folles les une après les autres. Heureusement, la femme me rassure. Derrière ses mots, je comprends qu’elle travaille dans le secteur médical. “Ah ! Vous êtes médecin ? Je suis dans le médical aussi.” Je souris un peu. Je ne sauve pas vraiment des vies, mais plutôt des carrières sportives à mon stade. Ce sont des vies… d’une manière différente. Je me demande ce qu’elle fait vraiment. Est-elle médecin ? Chirurgien ? Infirmière ? Cette femme m’intrigue réellement. “Et Docteur qui aime les rousses et les brunes porte un prénom ?” demandais-je. Je m’éloigne quelques instants pour me servir à mon tour une bière – une blonde, avant de revenir vers elle. La soirée s’annonce plus qu’intéressante, finalement.

Finalement, cette journée qui ne s'était pas déroulée le moins du monde comme prévu allait peut-être finir sur une bonne note. Et en charmante compagnie. La jeune barmaid était jolie, plutôt sympathique au premier abord et savait visiblement mettre les gens à l'aise. Ce qui était loin d'être de mauvaises choses quand on était à sa place. Si le client était face à du personnel qui savait le mettre dans de bonnes conditions, il était plus susceptible de rester et donc de dépenser plus d'argent. C'était le b. a.-ba du métier et tout bon patron de bar savait ça. Les établissements ou les barmaids étaient aussi aimables que des portes de prisons ne donnaient pas vraiment envie qu'on y retourne. Bon, dans le cas de Samira, son temps à jouer les barmaids avait surtout été l'occasion d'allonger sensiblement sa liste de conquêtes. Fallait bien trouver quelques petits avantages en dehors de la paye après tout.

Petit à petit, un petit jeu s'installait entre la chirurgienne et la barmaid. Est-ce que ça allait bien loin ? Sami s'en foutait, du moment que l'une comme l'autre y trouvaient leur compte et que les choses ne devenaient pas malaisantes pour qui que ce soit. L'iranienne ne draguait pas systématiquement toutes les femmes qui passaient à portée de voix. Elle avait surtout pas envie de devenir comme un de ces mecs lourdingues qui prenaient les femmes pour des morceaux de viande interchangeables et qui vous draguaient avec la lourdeur d'un semi-remorque. Et quand la demoiselle de l'autre côté du bar parla d'une cliente très sympathique, Samira fit mine de chercher autour d'elle, comme si elle n'avait pas conscience de qui était cette fameuse cliente « Ah ouais ? Va falloir que vous me la présentiez, si elle est si sympathique que ça. » Mais visiblement, la barmaid semblait être réceptive à ses charmes. Est-ce qu'elle était du même bord qu'elle? Bonne question. Samira n'accordait aucun crédit à cette théorie selon laquelle les membres de sa communauté étaient capables de se repérer d'un simple coup d’œil grâce à un soi-disant « gaydar ». Et nombre de femmes qu'elle connaissait ne cochaient pas la moindre case dans la liste des stéréotypes de la lesbienne type.

Par chance, le petit incident de la manche ne sembla pas perturber plus que ça la barmaid, qui prenait avec un calme olympien le fait de voir la manche d'une personne maculée de sang. Tant mieux, ça aurait été vraiment chiant qu'elle appelle la police et que Samira soit obligé de multiplier les coups de téléphone à l'hôpital histoire de prouver qu'elle était bien qui elle était et ce qu'elle avait fait aujourd'hui. Sami haussa même un sourcil quand la jeune femme lui avoua travailler elle aussi dans le secteur médical « Sérieusement ? Le monde est petit. » Est-ce qu'elle travaillait dans le même hôpital ? Est-ce qu'elles s'étaient déjà croisées dans les couloirs ? Samira avait une plutôt bonne mémoire, mais impossible de remettre cette femme dans le contexte de l'hôpital. Bon après, la chirurgienne ne connaissait pas tous les médecins de l'hôpital, ça aurait été impossible vu le nombre de services et d'employés. En tout cas, Sami afficha un grand sourire, tendant la main en direction de la barmaid « Docteur Hajar, chirurgienne en traumatologie et orthopédie, pour vous servir. Mais Samira, ça suffit. Ou Sami. Et vous alors, c'est quoi votre petit nom ? » Après tout, si elles en étaient à l'échange des prénoms, il n'y avait pas de raisons que ça soit à sens unique. Et ça serait mieux que de se contenter de l’appeler « la jolie barmaid » dans sa tête.

En tout cas, c'était curieux de voir un médecin faire des heures sup' derrière un bar. Ouais non, c'était pas curieux du tout pour être honnête. Pas avec les sommes faramineuses qu'il fallait débourser pour payer ses études de médecine « Vous aussi vous essayez de remplir tant bien que mal le gouffre laissé par vos études dans votre compte en banque ? Je me souviens de l'époque ou j'enchainais des gardes de trente heures avant de passer la soirée à servir des clients. » et gratter quelques heures de sommeil à la volée avant de recommencer. Clairement, elle avait été contente le jour ou elle était devenue titulaire et qu'elle avait touché le salaire qui allait avec « Mais du coup, j'ai été témoin d'un accident. Piéton contre camionnette. J'allais pas rester sans rien faire. Résultat des courses, j'ai passé mon jour de repos au bloc. » Mais c'était ça ou laisser ce pauvre homme mourir. Et ça c'était hors de question. « Et du coup, vous êtes dans quelle spécialité ? Vous connaissez la mienne, j'ai le droit de connaître la vôtre. » Dit-elle en ponctuant sa dernière remarque d'un clin d'oeil aussi charmeur qu'exagérément appuyé.

Ça fait du bien d’avoir des clients agréables. C’est souvent le cas, mais ce soir, je suis bien contente de discuter avec cette femme. Elle est jolie, agréable et le jeu qui s’installe entre nous me plaît déjà. Je ne sais pas trop ce qu’il en adviendra pour le reste de la soirée, mais je décide de profiter pour l’instant. De toute façon, j’ai déjà un peu bu alors je ne suis plus vraiment raisonnable. Une cliente sympathique, qu’elle souhaite rencontrer et je ne peux m’empêcher de rire un peu. “Ouais, j’y songerai un jour, mais pour l’instant, j’ai envie de la garder un peu pour moi.” dis-je en rigolant. Petit à petit, nous apprenons à nous connaître davantage et je souris lorsqu’elle annonce être dans la médecine. Chirurgien, infirmière… Je ne sais pas encore mais ma curiosité est grande. Je lui annonce être également dans le médical. J’écarquille les yeux lorsqu’elle m’annonce être chirurgienne, en traumatologie. C’est tout de même impressionnant et je ne peux m’empêcher de l’envier un peu. “Enchantée, Samira ! Ah ouais, chirurgienne, c’est plutôt pas mal.” Je ris un peu. Je gère les trauma également de mon côté, mais disons que c’est moins glorieux. Malgré tout, j’adore mon métier et j’en suis fière mais peut-être pas autant que si j’étais chirurgienne. Samira évoque le possible crédit étudiant, que je cherche peut-être à rembourser et je secoue rapidement la tête. Ça a été son cas, mais pour être tout à fait honnête, je n’ai pas eu besoin de souscrire à un prêt bancaire. Déjà je ne suis pas médecin, et en plus, j’ai eu la chance d’avoir des parents tout à fait généreux… Même si je n’aime pas tellement m’en vanter. “Non, pas tout-à-fait, en fait ce bar est celui de mon oncle et je l’aide un peu sur mon temps libre. Du bénévolat familial rémunéré, on va dire.” Je lui offre un léger sourire avant d’écouter la suite de son discours. Elle est intervenue sur un accident de la route – forcément, en tant que chirurgienne spécialisée trauma et ortho. J’écarquille un peu les yeux malgré tout, impressionnée par son sang froid, et ce, sur son jour de repos. “Ah ouais, impressionnant quand même ! Heureusement que vous finissez votre jour de repos en bonne compagnie…” Enfin j’espère. Je lui offre à nouveau un sourire avant de reprendre la parole pour lui répondre. “Je suis dans les traumatismes aussi… mais les traumatismes sportifs. Je suis kinésithérapeuthe. Je suis pas trop du genre à ouvrir les corps, même pas du tout. Et je suis Ezra.” Je ris. Je n’aurai jamais pu être chirurgienne, déjà les études sont trop longues et puis je n’ai pas suffisamment de sang froid. J’aime avoir du temps libre et ce n’est pas tellement compatible avec un tel métier. “On sera peut-être amenés à bosser ensemble. À tous les coups, j’ai vos patients en suivi au cabinet. Essayez de pas trop les massacrer pour pas trop me donner de travail si vous voulez encore me voir ici.” Je ris un peu, ironiquement. Je ne doute pas de ses compétences, bien-sûr, c’est simplement pour la titiller. “Je vous sers autre chose ? Cadeau de la maison.” Je ne sais pas trop si c’est une bonne idée, mais après tout. “Et Madame la chirurgienne est-elle mariée ? Elle doit être carrément convoitée.” Autant mettre les pieds dans le plat dès maintenant. Ma curiosité me tuera peut-être un jour, mais pour l’instant, c’est surtout l’alcool qui fait les choses.

Au boulot, Sami était une femme qu'on disait professionnelle. Ses internes eux disaient qu'elle était tyrannique. Il était vrai qu'elle avait parfois tendance à prendre les gens de haut, surtout quand elle se savait meilleure qu'eux. Certains s'en foutaient, là ou d'autre prenaient la mouche. Mais tant qu'elle faisait son boulot dans les règles, tout se passait bien pour elle. Et puis de toute façon, l'iranienne savait bien qu'elle ne pouvait pas plaire à tout le monde. Il y avait toujours des gens avec qui on n'avait jamais d'atomes crochus, peu importait le nombre de fois ou on essayait de mettre les deux pièces du puzzle ensemble. Quand ça voulait pas, ça voulait pas. Elle préférait se concentrer sur des gens comme Kiana avec qui elle s'entendait comme cul et chemise. Avoir des millions de followers sur Instagram dont elle n'en connaissait pas 99%, ça ne l'intéressait pas. Et de toute façon, elle n'avait pas Instagram.  Les réseaux sociaux, ça n'était pas vraiment son truc.

Mais là dans ce bar, en compagnie de cette jolie demoiselle de l'autre côté du comptoir, c'était la véritable Samira qui s'exprimait. Celle qui déconnait, qui draguait et qui aimait bien se détendre devant un verre. Même si le dernier point, elle évitait de trop s'en vanter. Non pas qu'elle avait un problème avec l'alcool, mais les gens avaient souvent tendance à sauter aux conclusions, même quand elles étaient erronées. Quand la jeune femme dit que chirurgienne c'était « plutôt pas mal » l'iranienne fit semblant d'être offusquée. Plutôt pas mal ? Vu le nombre d'années d'études qu'il lui avait fallu pour en arriver là ? En comptant les années en plus pour la double spécialité ? Et la qualité de son travail qui se devait d'être en permanence au top du top si elle voulait éviter qu'une tragédie ne survienne ? C'était quand même un peu plus que plutôt pas mal, non ? Mais bon, maintenant si on était pas une star de ciné, un joueur de foot ou qu'on passait pas son temps à faire des vidéos sur les réseaux sociaux, on passait à la trappe. Et merde, voilà qu'elle se mettait à penser comme ses parents. Ça commençait à devenir grave là. Ne lui manquait plus qu'une fille à constamment rabaisser et elle cocherait toutes les cases. Mieux valait se concentrer sur ce que son interlocutrice racontait avant qu'elle ne finisse par faire une bêtise. Alors comme ça, elle donnait un coup de main à son oncle sur son temps libre ? Il en avait de la chance. Et puis les conditions de travail devaient être un peu mieux quand on restait dans le cadre de la famille. Enfin elle supposait.

En parlant de bonne compagnie, la jeune femme – du nom d'Ezra – finit par lui dire qu'elle était kinésithérapeute. Le maillon suivant dans la chaine de soin des patients. Si Samira s'occupait de les rafistoler, les gens comme Ezra eux avaient la lourde tâche de faire en sorte que les patients puissent retrouver une vie aussi normale que possible après le traumatisme qu'ils avaient subit. Une tâche plus que louable, même si elle n'était « pas trop du genre à ouvrir les corps » comme disait la barmaid. Mais quand la demoiselle la titilla en insinuant qu'elle massacrait ses patients, Samira ne put s'empêcher de saisir la perche qui lui était tendue « Hey, je suis pas bouchère. Je suis une artiste. Alors oui, pour exprimer mon art, faut souvent que je casse quelques os pour mieux les remettre en place, mais quand même. Je vous le dit, à côté de moi, Picasso c'est une tanche. » Puis elle éclata de rire, avant de finir sa bière d'une traite. Ok, elle en faisait peut-être des caisses, mais il fallait quand même avouer que Samira était douée dans ce qu'elle faisait.

Constatant que son verre était vide, Ezra lui proposa de la servir à nouveau, lui faisant même cadeau de la consommation. Sami réfléchit quelques instants, avant de sourire « Vous savez quoi, surprenez moi. » L'iranienne n'était pas bien difficile quand il s'agissait d'alcool. La jeune et joli kiné finit par lui demander si elle était mariée, en profitant au passage pour vanter de façon plus ou moins discrète ses charmes. Levant ses deux mains, Sami agita les doigts, exhibant ses annulaires vierges de toute alliance « Madame la chirurgienne est libre comme l'air. Ça arrivera peut-être un jour, mais pour le moment, rien de tout ça à l'horizon. » Un jour, peut-être. Encore fallait-il qu'elle trouve la bonne personne « Et vous alors ? Y a une jolie dame qui vous attends à la maison ? Ou un mec, je juge pas. » C'était la question qui allait déterminer comment la soirée pouvait continuer. Si Ezra lui disait qu'elle était mariée ou en couple, alors leur petit jeu de séduction en resterait là. Sinon... on verrait bien comment la soirée se déroulerait « Une barmaid telle que vous doit faire tourner pas mal de têtes. » En tout cas, elle faisait tourner celle de Samira, ça c'était sûr.

Ma soirée était plutôt ennuyeuse, et voilà que la chose change avec l’arrivée de cette brune. Je n’ai pas pour habitude de flirter avec des clientes, mais ce soir, je n’ai pas envie de m’en empêcher et encore moins de me prendre la tête. Alors, nous discutons, nous nous charrions et elle semble aussi ravie que moi de notre rencontre. Samira m’informe qu’elle est chirurgienne – je l’admire, et je m’amuse à lui indiquer que je suis aussi dans le médical, mais que je compte sur elle pour ne pas massacrer mes patients. Si elle est plutôt dans le sauvetage des membres, je m’occupe souvent de la rééducation post-opératoire, et je suis donc directement liée à ses compétences… La brune me répond qu’elle n’est pas bouchère, mais artiste, alors j’entre dans son jeu. “Ah ouais je vois… Une artiste alors ? C’est une belle façon de voir les choses ! J’espère juste que tu ne t'inspires pas des gueules cassées de Picasso pour remettre en place les os, sinon, tes patients risquent de lancer une nouvelle mode.” J’explose de rire à mon tour alors que la brune termine sa bière. J’ai à présent pas mal bu moi aussi, et j’observe les autres clients sortir du bar. De toute façon, c’est l’heure de la fermeture. Je propose toutefois à la brune de boire autre chose, tout en la questionnant sur son statut matrimonial. Une chirurgienne, ça doit faire rêver les hommes… et femmes. C’est un métier qui donne carrément envie, même si c’est pas toujours évident de vivre avec un médecin. Je l’ai bien vu avec mon père. La chirurgienne me laisse le choix sur la boisson alors je décide de lui faire une de mes spécialités qui n’est pas à la carte : un cocktail, assez fort en alcool, mais aussi excellent. J’écoute attentivement Samira lorsqu’elle m’indique qu’elle est libre, et je ne peux m’empêcher de sourire. C’est une bonne nouvelle… et puis, elle me retourne la question, et là, je ne peux pas m’arrêter de rire. “Ah bah de mon côté, ouais, je suis libre aussi, l’amour c’est plus pour moi depuis que je suis tombée amoureuse de ma meilleure amie quand j’étais ado.” Qu’est-ce qu’il me prend de me dévoiler, comme ça ? L’alcool sans doute. Samira évoque le fait qu’une barmaid comme moi doit faire tourner des têtes, et je lui offre un immense sourire. “Car je te fais tourner la tête ? Les barmaids, les chirurgiennes… ça créé du fantasme, ça, c’est sûr. C’est étonnant que tu sois encore libre, je devrais peut-être en profiter !” Je ris un peu avant de lui tendre son verre de cocktail. Je m’en suis préparée un aussi, pour fêter… notre rencontre. “Cheerz ! Spécialité de celle qui fait tourner des têtes.” Je ris avant de chiner dans le verre de la brune. La soirée ne fait que commencer.

Ce qui n'était à la base qu'un simple arrêt histoire de boire un verre ou deux avant de rentrer chez elle pour une bonne nuit de sommeil était petit à petit en train de prendre une toute autre tournure. La faute – ou plutôt grâce à – la jeune barmaid de l'autre côté du comptoir avec qui le courant avait l'air de plutôt bien passer. Voir même très bien passer. Sami n'était pas du genre à courir après les potentielles conquêtes comme certaines personnes pouvaient le faire, mais elle savait quand même reconnaître quand les choses prenaient peu à peu cette direction. Même si l'iranienne ne prenait pas la chose comme déjà acquise. Non, même si l'ambiance entre les deux femmes était propice à la séduction, rien n'indiquait que la soirée se terminerait comme ça. Des fois, un flirt n'était rien d'autre qu'un flirt. Son amie Donna en était un parfait exemple. Elles n'arrêtaient pas de se chercher, de se balancer des phrases plus ou moins osées à longueur de temps, mais les choses entre elles étaient purement platoniques. C'était un jeu entre elles, histoire de pimenter un peu leur amitié. Ce qui adviendrait ce soir restait encore à déterminer et Samira n'aimait pas vraiment di genre à faire des plans sur la comète pour si peu. Ou pour n'importe quoi en fait. Et ça n'était pas ce soir qu'elle allait s'y mettre.

Alors elle profitait. Sans trop se soucier de comment tout ça allait se terminer. Un bon moment, avec une femme sympathique, dans un cadre propice à la discussion. Et la discussion en question allait bon train. Même si comme à son habitude, la chirurgienne avait tendance à en faire un peu des tonnes. C'était une facette de sa personnalité qui se manifestait surtout dans le cadre du boulot – et en particulier devant ses internes – mais qui avait parfois tendance à montrer le bout de son nez même en dehors des murs de l'hôpital. Alors que la salle se vidait petit à petit, Ezra l'informa que personne ne l'attendait, se confiant même sur ses amours d'adolescente « J'ai connu ça. En quelque sorte. » En même temps, qui n'avait pas eu son premier cœur brisé à cette période charnière ou les gens avaient les hormones en totale ébullition et se laissaient aller à tout un tas d'expérience et de découvertes sur eux et sur les autres ?

Buvant une gorgée de son cocktail, Samira sentit l'alcool descendre le long de son œsophage dans une longue trainée brûlante. La vache, Sami ignorait ce que la barmaid avait mit dedans, mais ça n'était clairement pas un truc pour les petites natures. Mais il fallait plus que ça pour envoyer Sami dans son lit avec une grosse gueule de bois. Même si elle allait quand même éviter de trop boire. Si elle était de toute façon obligée de rentrer en taxi, sa voiture étant toujours sur le parking du supermarché ou elle l'avait laissée pour grimper dans l'ambulance, ça n'était pas pour autant une raison de faire exploser sa consommation d'alcool. Parce que pour une maniaque du contrôle comme Samira, se retrouver en état d'ébriété, c'était limite du supplice. Alors que la jeune femme parlait du fantasme qui entourait leurs professions respectives, la chirurgienne laissa échapper un petit rire « Sans oublier les flics, les pompiers, les militaires... les uniformes ça a tendance à mettre certaines personnes dans tous leurs états. » Elle en savait quelque-chose. Grey's Anatomy avait tendance à en faire des caisses sur les coucheries entre collègue... mais ça n'était pas entièrement faux pour autant. Elle-même avait eu deux trois aventures avec des collègues depuis le début de sa carrière « En profiter hein ? » Demanda Samira en prenant un air faussement intriguée. Comme si elle ne comprenait pas le sous-entendu qu'on venait de lui faire. C'est qu'elle n'avait pas froid aux yeux dites donc. Mais elle aimait bien ça, Sami. Un peu de piment, ça avait du bon.

Buvant une nouvelle gorgée de son cocktail, Samira bougea quelque peu sur son tabouret histoire d'être un peu mieux installée avant de tapoter sur le bois du bar « Tu sais quoi ? Tu devrais me laisser ta carte. Comme ça je pourrais t'envoyer des patients. » Ezra s'était bien mise à la tutoyer, alors elle pouvait lui rendre la politesse. Mais l'intention était louable. Beaucoup de ses patients avaient besoin de rééducation ou de soins sur la durée et si elle avait moyen de trouver une kiné fiable et efficace à leur conseiller, ça faciliterait une partie de son travail « Sinon je peux toujours les envoyer ici. J'imagine déjà l'offre spéciale. À la dixième consommation, on vous offre une séance de kiné gratuite ! » Et elle éclata de rire devant l'absurdité qu'elle venait de proférer. Pas sûr qu'elle serait très contente d'offrir des séances gratuites à ses patients. Pour son cabinet, ça n'était pas forcément très top « Mais en attendant... » Sami laissa volontairement sa phrase en suspens, laissant à Ezra le bon soin d'imaginer la finalité éventuelle de ce petit jeu qui se déroulait entre elles.