La surprise du chef

Petit voyage d’affaire à Auckland. Quasiment l’autre bout de l’île ouais. Mais ça va vite. T’arrives à l’aéroport tout pile, t’en as pour une heure trente. T’atterris et voila c’est plié. Même pas besoin de jet privé bien que ce serait plus confort. Au diable ceux qui te parlerait d’écologie. Ecolo-quoi ? Y’a que les cons qui font rien de leur vie qui peuvent être écolo. Sont rigolos eux. Est-ce que tes réunions pourraient pas se faire en visio ? Peut-être bien. Mais dans le business, être en vrai, en face de la personne, y’a que ça de vrai. Se serrer la main pour parfaire le deal. Sinon, ça vaut rien. Le business donc. La boite tourne très bien, tout va bien. C’est pas demain la veille que vous allez être dans la merde. Financièrement ou légalement ou autre. Qui dit business, dit aussi bon repas le midi avec toutes les parties. C’est dans la procédure dira-t-on. Ca permet aussi de pas parler que boulot même si ça se résume un peu à ça faut pas se mentir. Restaurant étoilé évidemment. Chic. On y mange très bien. Deuxième ou troisième fois que tu viens ici. Toujours par rapport à des affaires. Fin de repas, il est temps de partir. Retourner en direction du siège de l’autre entreprise pour continuer les discussions. Passage par la case toilettes te concernant. Et c’est là qu’en y allant tu remarques une personne attablée. Une femme bien sûr. Qui d’autre ? Tu crois vite fait la reconnaître alors tu t’y attardes et ouais. C’est elle. Mlle Franklin. Tu pars faire ta petite affaire et quand tu reviens, tu t’avances vers elle. Alors comme ça on m’invite même pas ? Elle aurait pu dire la même chose. Après tout, ça aurait été à toi de l’inviter. Les hommes invitent les femmes, pas l’inverse. Elle a très certainement terminé son repas elle aussi. Vu l’heure. Ou alors elle attend le café qui doit encore arriver. Si je t’avais vue avant ! Tu m’aurais été d’une meilleure compagnie que ma tablée. Tu fais un petit coup de tête en direction des autres personnes avec qui t’as partagé le repas. Elle aura très certainement compris qu’il s’agit d’affaires et pas de plaisir. Quant à elle, semble qu’elle soit seule. A moins que son compagnon du jour se soit lui aussi absenté. T’as pris quoi de bon ? Pas besoin de demander si elle s’est régalée. C’est un établissement reconnu. Ils se loupent jamais en cuisine.

Encore un réveil à Auckland, j’y suis depuis la veille pour une réunion aujourd’hui. Réunion très importante puisque j’ai peut être trouvé quelqu’un de confiance pour l’ouverture de mon nouveau bar ici. Le matin, je commande le room-service pour mon petit déjeuner, je réside – bien entendu – dans l’hôtel de mon père, ils me connaissent bien ici. Réunion autour d’un café, j’aime bien ce genre de réunion, c’est rapide, ça permet à la personne de se vendre rapidement, de me montrer la motivation et je sais aussi que si on me conseille la personne, ce n’est pas pour rien. L’entrevue s’est bien passée, je suis prête à faire une offre à la personne, elle m’a convaincue, je me laisse quelques heures de réflexion pour tout revoir et d’ici la fin de la journée, je devrais avoir une personne en charge du bar à Auckland. Rien de mieux que de réfléchir autour d’un bon repas. Ça ne m’a jamais dérangé de manger seule, surtout dans les restaurants étoilés. Je rentre dans un que j’ai déjà testé plusieurs fois et m’installe à une des tables. Une fois n’est pas coutume, je prends le menu dégustation du chef, le meilleur des menus. Un regard vers les autres tables, sûrement des repas d’affaires dans certains cas, des repas classiques pour d’autres, des habitués, il y a de tout. J’aime bien regarder les autres quand je suis seule au restaurant. Repas terminé, j’attends un café et regarde un homme qui passe proche de ma table, je reconnais cette silhouette. Même de dos j’ai reconnu la silhouette et ça se confirme lorsque je le vois sortir des toilettes. Monsieur O’Reilly en personne. Il s’avance vers moi, je croise les bras en le voyant se rapprocher de ma table.  Je ne savais pas que tu étais à Auckland. Je regarde la table qu’il me montre d’un signe de la tête et esquisse un petit sourire. Une bonne affaire ? J’aurai aussi eu une meilleure compagnie avec toi. Je montre mon téléphone en souriant, seule compagnie de mon repas ce midi mais ce n’est pas non plus pour me déplaire. Le menu dégustation du chef, une valeur sûre. Je lui montre d’un geste de la tête la chaise en face de moi. Si t’as envie d’un café, installe toi. Oui, comme ça, pas d’hésitation de mon côté, s’il a envie tant mieux, s’il ne veut pas, tant pis pour lui, je trouverai une autre compagnie.

Un bon repas, ça s’achève toujours par un bon café. T’en as déjà bu un mais il est fort possible que t’en viennes à en prendre un deuxième. Car après un rapide passage aux petits coins, tu croises une personne connue. Bien connue même. Enfin non. Enfin ça dépend. Mais ce joli petit minois tu l’as déjà croisé trois, quatre fois en effet. Elle est un peu comme toi. Niveau caractère. Niveau belle gosse aussi. Elle dégage une certaine classe qui se voit très vite. Sauf pour les gueux probablement. Tu t’arrêtes donc à sa table pour lui parler. Que vient-elle faire par ici ? Affaire aussi ? Ce serait pas étonnant. Tu savais pas qu’elle était là. En même temps, comment t’aurais pu. Et c’est pareil pour elle. La prochaine fois je penserai à t’envoyer un message alors. Ou pas. Aussitôt dit, aussitôt oublié grosso modo. C’est souvent comme ça avec toi. Sauf quand c’est hyper important. T’as une bonne mémoire. Et quelques pense-bêtes aussi. Je ne fais que de bonnes affaires ! Sourire que certains jugeraient hautain. Faut juste être conscient de ce qu’on sait faire. Ah oui. Après, mieux vaut être au téléphone qu’avec un mec bien chiant. Elle a déjà du connaître ça. Le gars qui la charme mais qui est un peu trop pompeux ou inintéressant au possible. Ou stupide. Ceux là sont les pires. Tu connais bien ça avec les femmes. Après, suffit simplement de faire autre chose que parler avec elles quoi … Menu du chef pour madame. Pas étonnant. Et donc, second café ? Comment refuser ? T’as juste une petite chose à régler alors tu t’excuses auprès de Maggie. Faut bien aller voir les partenaires et leur dire que t’arrivera un poil en retard. Ils seront compréhensibles. C’est pas urgent la suite de toute façon. Et tu reviens vers l’autre table, tu tires la chaise et tu t’installes. Tu fais un petit signe au serveur que vous puissiez commander. Et voila. Un simple café pour toi, pas de petit supplément. L’Irish ou tout autre genre de coffee, ce sera plus tard. Et t’es ici pour combien de temps alors ? La journée ou un peu plus quand même ?

Je ne m’attendais pas à finir ce repas en compagnie de quelqu’un et encore moins en la compagnie de Jimmy. Il est lui aussi là pour les affaires, pas étonnant quand on le connaît un minimum, ce qui est mon cas, on ne s’est croisés que quelques fois mais assez pour que je le reconnaisse. Un de mes sourcils se arque lorsqu’il me dit qu’il enverra un message la prochaine fois, je ne relève pas cette réflexion. Un petit rire s’échappe de mes lèvres lorsqu’il me dit ne faire que de bonnes affaires, comme je le comprends, je suis pareille. Il n’y a rien de pire qu’un mec chiant qui nous tiens compagnie. J’ai malheureusement bien trop connu ça, les mecs ultra relous qui ne sont là que pour mon nom de famille, pour se montrer aux bras de quelqu’un de respectable. Ça ne m’intéresse absolument pas les gens comme ça. Je me contente de sourire face à sa remarque. J’ai juste un message à envoyer donc le temps que tu quittes ta moins bonne compagnie ça ira. Je ponctue ma phrase par un sourire et prend mon téléphone le temps qu’il s’éclipse pour prévenir mon père que j’ai sûrement trouvé quelqu’un pour Auckland. Jimmy ne tarde pas à revenir, il fait signe au serveur, je prends aussi un café et pose mes yeux sur lui. Pour le moment je suis là jusqu’à demain sûr. Je verrai comment se passent les choses pour moi. Et toi ? Tu es là pour combien de temps ? Et puis, on ne va pas se mentir qu’il y a des choses qui peuvent me faire rester plus longtemps comme une bonne soirée en bonne compagnie.

Maggie Franklin ! Ravi de la voir ici. Une femme de bonne, voir très bonne, compagnie. Sans quoi tu serais pas venue la voir. Enfin quoique. Ca t’arrive d’aller parler à des gens que t’aimes pas juste pour se moquer un peu d’eux, voir combien tu leur es supérieur, ce genre de chose. Mais là non. Là tu viens juste pour causer un peu. La libérer de sa solitude. Tu me classes pas dans la catégorie des emmerdeurs de première j’espère. Elle pourrait te répondre que si, avec un genre un petit sourire, que ça te dérangerait pas tant que ça en vrai. Même que ça te ferait sourire en retour. Tu serais bien capable de le lui dire toi. Bien que vous soyez pas non plus si proche que ça. Surtout que, avec certains, t’es quand même bien un petit con. Ce serait pas volé de le dire. Allez ça marche. Tu pars prévenir les partenaires et elle au moins n’aura pas à être sur son téléphone pour prendre le café avec toi. Chose que, en tant que businessman, tu comprendrais. T’en as déjà passé des repas au téléphone. A envoyer des mails, des messages, etc. C’est ça d’avoir des responsabilités. Mais faut parfois savoir le mettre en muet et profiter un peu. Donc tu reviens. Tu t’installes, deux cafés. Vite fait bien fait. Une journée à Auckland. Deux. Pour toi. Pour Maggie tu sais pas. Minimum. Le voyage s’allongera si elle a rien d’urgent à traiter peut-être. Pareil. Presque. J’ai l’avion de retour demain. Je fais juste l’aller-retour. Ca sert pas à grand-chose de rester ici trois jours de plus. Tout sera réglé aujourd’hui. A la rigueur les toutes dernières formalités demain matin. Ou par après, à distance. Ca ne posera pas problème. Tu remercies ensuite le serveur qui vous apporte vos boissons. Tu vas juste attendre deux minutes que ça soit pas bouillant. T’as tes petites adresses ici alors ? Je me cherche un endroit où manger ce soir. Tu peux aussi aller voir sur le net. Mais t’as une guide spéciale donc autant en profiter.