Pretending (Kiamira 2)

Voilà des jours que Samira et moi nous croisons dans les couloirs de l’hôpital et que je refuse de lui raconter mon ´date’ mystérieux. Impossible pour moi d’être concise quand on voit ce qu’il s’est passé. Et puis nous n’avons pas vraiment pris le temps non plus de reparler de notre soirée billard. Je n’ai aucun regret et je lui ai dit à plusieurs reprises pour éviter qu’elle ne culpabilise. Ça ne change rien entre nous, notre amitié n’en pâtira pas. Il est vingt heures passées quand je l’intercepte dans la salle de repos de son étage. Oui, je suis volontairement venue jusqu’ici pour la voir. « Tu as entendu les bruits de couloir ? » que je lui demande pour attirer son attention. Son regard change. Elle sait. Un regard à ma montre et je déclare « Je t’ai croisée hier à la même heure et je doute que tu sois rentrée entre temps. Tu sais qu’une garde de plus de vingt quatre heures est contre productive… » Évidemment qu’elle le sait. « Maintenant tu vas te changer, on va manger un morceau. » J’ai bien pris soin de vérifier qu’il n’y avait personne pour entendre mes mots avant de l’inviter à manger. Parce que même si nous n’avons rien à prouver sur notre amitié, je sais que les rumeurs sont bien vite alimentées pour moins que ça.

Je lui donne rdv au parking dans le quart d’heure qui suit sans lui demander son avis. Je sais qu’elle viendra. Une fois installée sur le siège passager de ma voiture, je lui offre un sourire. « Leah est chez ma mère cette semaine puisque c’est les vacances. Je vais te faire à manger, et je te ramènerai chez toi après. Ou tu pourras rester évidemment. » Ce n’est pas une invitation indécente et elle le sait très bien même si je prends le risque qu’elle y fasse une fausse allusion pour me taquiner. « J’espère que tu ne vas pas trop manquer à tes internes… » Je lance déjà les hostilités, parce que j’ai bien remarqué l’alchimie qu’elle partageait l’autre soir au gala de charité, avec une jolie brunette qu’elle a sous ses ordres depuis quelques années.

Nous arrivons à la maison et je dépose mes affaires naturellement sans faire attention à ce que les choses soient bien rangées. « J’ai fait des lasagnes ricotta épinard hier soir ? ça te va ? » Je mange très peu de viande, juste à quelques occasions, et j’essaie d’en faire de même avec l’alimentation de ma fille, pour préserver la planète avant tout. « Installe toi fais comme chez toi. » Je ramène deux bières blondes peu alcoolisées - ne prenons pas de risques on sait ce que ça donne - et rejoins la chirurgienne dans mon canapé. Après avoir lâché un soupir, je la regarde en souriant. « C’est quoi cette tête ? Tu as quelque chose à me dire ? » . C’est peut être plutôt moi qui ait quelque chose à lui raconter, mais peut être qu’elle aussi, après tout ?

Samina est mon amie, je la connais assez bien pour savoir que malgré ce qu’elle prétend, elle est plus fatiguée qu’elle n’en a l’air. Donner le change est une de ses occupations favorites, mais avec moi ça ne prend pas, je ne suis pas dupe. Alors après avoir fait attention à ce que personne ne m’entende, je lui donne rendez-vous dans le parking quinze minutes plus tard. Avouons que ce genre de rendez-vous pourrait facilement porter à confusion surtout vu les rumeurs qui circulent.

Une fois la chirurgienne dans ma voiture, je lui propose de venir chez moi - en réalité ce n’est pas vraiment une proposition - et lui propose même de rester dormir, sans arrière pensée aucune. Juste une soirée entre amies qui pourra s’éterniser un peu sans qu’on ait à reprendre la voiture. Je dois admettre que poser le pied chez moi me donne un sentiment partagé. A la fois celui de pouvoir enfin me détendre, et à la fois me plombe un peu le coeur en pensant à ces moments que j’ai pu vivre en famille mais qui n’arriveront plus. Le fait que ma fille ne soit pas là pour happer mes pensées n’aide pas, alors je me concentre sur mon hôte de ce soir pour palier à ça. Pas très envie de faire la cuisine non plus, mais mon plat végétarien de la veille, à peine entamé, sera parfait j’en suis sûre. Je mets ce dernier dans le four et rejoins la brune avec une bière. Je me demande bien ce que signifie la moue qu’elle m’adresse. « À ton avis ? C'est toi qui a abordé le sujet tout à l'heure. » Ah, oui, les bruits de couloir. Je lève les yeux au ciel en arborant un petit sourire en coin, avant d’avaler deux bonnes gorgées de ma bière.

« À l'heure qu'il est, la moitié de l'hôpital sait qu'on s'est embrassées. Et la moitié d'entre eux pensent qu'on s'est carrément envoyées en l'air. » Cette fois je ris et la regarde en arquant un sourcil « Ça pose problème à ta réputation ? » « Je te jure que si je chope la personne à l'origine de ça... » J’attrape un coussin pour lui balancer dessus gentiment. « Ne commence pas à faire ta grognon ! » Je la taquine, malgré ce qui se dit, je n’ai pas envie que ça ternisse notre amitié. « Que je sache, personne n’a de preuve de ce qui a pu se passer… » J’espère en tout cas. « Et puis en fait, je crois que je m’en fous. » Je la regarde avec un petit sourire en coin, je pense qu’elle ne s’attendait pas à une telle réaction de ma part. « J’ai passé l’âge de me prendre la tête avec les rumeurs. Je regrette pas ce qu’il s’est passé, et oui je suis marié, mais il y a peu de chances pour que ça lui arrive aux oreilles de là où il est… » Je souffle un peu en disant ça, parce que c’est plutôt cette partie qui me met sur les nerfs, pas les rumeurs qui peuvent courir et qui me concernent. « Par contre, pour toi, ça anéantit les chances de faire quoi que ce soit avec qui que ce soit. Enfin en dehors de moi je parle… » Je sais bien que je joue avec le feu mais c’est trop tentant. A voir sa tête je me mets à rire. « Ne me dis pas que y’a vraiment aucune nana dans l’hôpital qui te plait. Même un peu..? »