l'histoire de ma vie
should have known better
« Tu aimes le paysage, mon amour ? » Elle murmure, bébé dans les bras et pieds nus dans le sable. Island Bay, Nouvelle-Zélande. Il est excessivement tôt, peut-être 6h du matin. Le vent souffle une douce fraîcheur sur les visages, semble se calquer sur le rythme des vagues. Tout est calme. À New-York, il est aux alentours de 15h. Peut-être que cette tempête de neige qu'ils annonçaient depuis des jours est enfin arrivée. Cela ne la concerne plus, maintenant qu'ils ont fui. Ils ne rentreront pas aux Etats-Unis, recommenceront leur vie ici. Il y aurait pu y avoir pire, comme destination. Pour la jeune femme qui n'a toujours connu que la grisaille américaine, les bâtiments salis par la pollution et les gens pressés, le contraste est monstrueux. Pourtant, ce n'était pas comme s'ils avaient eu le choix.
Elle s'étonne d'être la seule éveillée dans la maison. Le vol les a tous exténué, les a encouragé à s'affaler sur les matelas, à même le sol. Elle n'est pas encore meublée, cette maison. Immense, magnifique, mais vide. Ce ne sera que l'affaire de quelques jours, le temps de s'installer, acheter des meubles. Décorer. Faire comme si la situation était normale. Il faudra trouver un mensonge pour le fils de Rhys.
On ne va pas lui dire que son père a tué un homme par légitime défense. Un homme important, influent, mauvais. Un homme qui aurait pu les détruire. Un homme qu'elle aimait bien plus que ce qu'il n'aurait fallu, et ce depuis qu'il l'avait récupérée dans la rue à ses dix-sept ans pour lui mettre de la drogue dans les mains et l'envoyer la vendre. Elle avait mené cet homme jusqu'à Rhys, les avais mis en danger. Elle était responsable, elle aussi.
Au moins, elle n'a pas vu la scène, trop occupée à protéger son bébé dans une des chambres. Le ton qui monte, la bagarre qui se déclenche. Celio avait promis de se venger un jour. Il n'avait eu qu'à venir au moment propice pour avoir les cibles servies sur un plateau d'argent. Van, Rhys, Emily. Le meurtre peut sauver. Rhys les a sauvé.
Et puis cela n'a été qu'une suite effrayée d'événements. Se débarrasser du corps, laisser entendre à la mafia russe et l'adversaire italien n'était plus de la partie. Filer en douce en espérant que ce type ne manquerait à personne. Elle est la seule à ne pas avoir décidé de changer de nom. Étrangement, elle n'est pas la plus inquiète. La place était trop belle, et l'on ne gâche pas de temps à traquer les personnes ayant permis une ascension pareille. À moins que ce soit pour les remercier.
C'est peut-être l'occasion de prendre un réel nouveau départ. Les États-Unis ne lui ont jamais réussi. Une enfance passée à espérer ne pas avoir droit aux coups d'humeur de son père, aux coups tout court. Une adolescence à se foutre dans des ennuis pas possible en espérant que quelqu'un saisirait son appel à l'aide. Au final, elle a été récupérée dans la rue par un type à peine plus vieux qu'elle, Celio. Fils d'un haut placé de la mafia italienne, le charme et le respect qui va avec. Elle était l'une de ses dealeuses, la plus efficace, sa petite préférée. Elle a fini dans son lit, dans son cœur aussi. Couple caractériel, alternant les violentes disputes et les réconciliations brûlantes. C'était malsain comme forme d'amour, pourtant, ils fonctionnaient avec. Et puis elle est tombée enceinte. Elle avait dix-neuf ans, de l'optimisme à n'en plus savoir que faire. Pendant des semaines, elle s'est délectée de ce petit secret, cherchant les meilleurs moyens de l'annoncer. En attendant, elle rêvait, s'imaginait avec leur enfant dans les bras. Le rêve s'est coupé net le jour où au terme d'une dispute, il l'a poussée dans les escaliers.
Le verdict a été sans appel. Il n'y aurait pas d'enfant.
Et encore aujourd'hui, elle n'arrive pas à regretter d'avoir pété les plombs en le poignardant plusieurs fois.
Case prison. Cinq années fermes, dont trois années en haute surveillance à New-York à cause des lettres de menaces reçues. Celio n'était pas mort, juste déchu de toute la fierté familiale. Il comptait le lui faire payer.
Elle en est sortie salement abîmée moralement, remplie d'angoisses et de paranoïa. Dans un premier temps, elle a voulu faire l'effort, trouver un travail passe-partout. Serveuse, par exemple. Mais cela ne s'est jamais déroulé comme il le fallait. La routine la rendait trop repérable aussi. C'est la peur qui a signé un nouveau stade dans la décadence. Elle s'est mise à voler et à se vendre. Disparaître tête baissée une fois les billets verts en poche.
Pourtant, la blonde avait trouvé le bon filon pendant un moment ; un homme, plus âgé mais riche, prêt à débourser sans compter. D'abord une solution pour avoir un endroit où squatter et se faire entretenir, les choses ont pris un tournant inespéré : il l'a demandée en mariage. Demande intéressée, motivée par le besoin de redorer son blason pour avoir la garde de son fils. Mack a accepté ceci dit, a pris l'argent, le porte-monnaie, et a disparu à nouveau, dissimulée sous son nouveau nom.
Le reste n'a été que galères, survie, et aléas de la vie. Elle a fréquenté des gens, s'est fait une liste longue comme le bras d'endroits où ne jamais revenir si elle tenait à se liberté. Elle a dû une partie de sa satisfaction monétaire à un client récurrent, Van Andreïev. Salopard de russe manquant cruellement de bonnes manières, mais généreux quand elle y mettait du sien.
Et puis Rhys l'a retrouvée, l'a contrainte à rester auprès de lui en échange de sa discrétion. Van est devenu plus qu'un client. Elle a arrêté ses activités, a quitté la rue grâce à eux.
Celio l'a retrouvée, a organisé son agression.
Elle s'est découverte enceinte.
Elle a signé les papiers du divorce, puisque Rhys n'avait plus besoin d'elle, et a disparu des radars.
Trois mois en Hongrie à penser pouvoir s'assumer, elle et son bébé, seule. Cela n'a pas duré.
Van l'a accueillie, une fois rentrée. Ils sont repartis aussi sec en croisière, comme pour éviter de faire face à la réalité. Ils sont devenus un couple, aussi étrange que cela puisse paraître. C'est sur l'océan qu'elle a accouché de leur fille. Un test de paternité laborieusement quémandé à l'hôpital au Japon a permis de faire la lumière sur l'identité du père, chose qu'il lui a longuement cachée.
Ils sont rentrés, ont emménagé dans l'appartement que Rhys avait laissé à sa disposition suite au divorce.
Celio l'a retrouvée. L'a menacée, lui a fait l'amour, l'a violemment passée à tabac. Le plus pathétique est de voir le nombre de fois où elle est retournée vers lui, ruinant ainsi bien consciencieusement sa relation avec le russe. Pour des broutilles, et avec cet espoir stupide de se faire pardonner et de retrouver ce qu'ils avaient quand elle était jeune. Quelle connerie.
Elle ne l'a pas vu venir avec son envie de vengeance. Elle a oublié de constater le fait qu'entre Rhys, revenue momentanément vivre à l'appartement à son retour de Londres, Van, et Emily, elle lui servait tout ce qu'il fallait pour l'atteindre.
C'est ainsi qu'ils sont arrivés à ce sombre soir où Celio a débarqué à l'appartement. Où pour une fois, ce n'est pas lui qui a pris des vies.
Finalement, il fait froid sur cette plage.