Arrête tes conneries | Sally

Le réveil qui sonne, je me tire du lit après quelques secondes d'hésitation. J'ai tenté tant bien que mal de m'endormir hier soir, mais j'ai tourné en rond durant des heures. L'anxiété de la fin de mon stage me ronge les tripes et je ne sais pas ce que je deviens, ni ce que je compte faire dans les semaines à venir. Normalement, j'aurais dû être embauchée, j'aurais dû avoir cette certitude qui a toujours guidé ma vie, celle de savoir que j'ai un plan. Sauf que c'est ma dernière semaine et que je sais bien que mon patron se passera bientôt de mes services. Normalement, je me console en pensant à mes autres attaches, à ce que je sais qui restera dans ma vie malgré tout, sauf que tout me glisse entre les doigts. Il y a plusieurs jours que je n'ai pas parlé à Arnaud et je ne m'en porte pas plus mal. Ma mère m'a écrit pour savoir si tout allait bien, je n'ai pas eu le courage de lui dire non. Sinon, je passe mes soirées avec Charlotte, mais en sa compagnie je tente surtout de décrocher de cette vie qui ne me satisfait plus et de m'abandonner. J'aurais envie d'avoir une oreille attentive, mais je ne ressens que le vide. Thomas me manque terriblement, lui qui savait toujours trouver les mots justes en cas de besoin. Il gardait tous mes secrets et savait quoi dire pour m'apaiser quand mon coeur se faisait lourd dans ma cage thoracique. Sauf qu'il n'est plus là et les larmes que j'ai laissé couler sur mon oreiller hier soir ne suffiront pas à me le ramener.

Sans grande motivation, je me lève de mon lit et descends à la cuisine, seulement pour la trouver en bordel. Je ne sais pas à quelle heure Billy est rentré hier, mais il y a des papiers partout, de même que des bouteilles. Je remarque un bout de tissus rose sur le sol et au moment où j'arrive pour m'en saisir, je remarque qu'il s'agit d'une petite culotte. Évidemment, ce n'est pas la mienne. L'adrénaline décharge en moi à toute vitesse et je me sens plus réveillée que jamais. Sans cérémonie, je prends un gant de vaisselle et me saisis de la chose avant de me diriger vers la chambre de mon frère. J'ai envie d'hurler, de balancer sur le sol les cadavres de bouteilles qu'il a abandonné sur l'îlot de la cuisine où il a certainement baisé sa conquête du soir. Sans cérémonie j'ouvre la porte de sa chambre et je remercie les draps de le couvrir. Pas l'ombre d'une femme à l'horizon, c'est tant mieux. « BILLY BORDEL DE MERDE, C'EST QUOI ÇA ?! » Je ne m'attarde pas au fait que sa compagne se promène commando en ville. J'ai juste envie de le prendre par les épaules et de le secouer. Sauf que la chasse d'eau me tire de mes rêveries et j'en vois une magnifique blonde vêtue d'un de ses t-shirts en sortir. J'en ai presque un haut le corps. « Billy, tu vis avec ta soeur ? » Le dédain dans sa voix est palpable, je la grifferais. Pourtant, je ne suis pas violente. « MAIS T'ES SÉRIEUX ?  » Toute ma colère se dirige vers mon frère qui semble encore dans les vapes. Une seconde passe. Je finis par lever les bras en signe d'exaspération avant de sortir de la chambre pour retourner à la cuisine où j'en sors tous les produits nettoyants les plus puissants. Je vais en avoir besoin.

C’est complètement ivre qu’il est rentré chez lui la veille aux bras d’une brunette à la poitrine généreuse. À peine ont-ils passé le pas de la porte que leurs vêtements ont commencé à valser sur le plancher de la demeure sans que leurs propriétaires ne s’en soient vraiment soucié. Leurs ébats ont débuté assez rapidement, les deux jeunes adultes étant épris d’un appétit sexuel impérieux. Billy ne s’est pas souvenu de son nom pendant l’acte, mais cela ne l’a pas empêché d’y tirer tout le plaisir dont il avait besoin. Épuisés, la paire s’est effondrée dans le lit du scientifique et ont rapidement rejoint les bras de Morphée.
Le lendemain matin, celle-dont-il-ne-se-souvient-pas-le-nom se lève sans qu’il n’ouvre l’oeil. Son corps prend de l’expansion dans le lit lorsque ce dernier est libéré de la présence de l’intrus. À peine s’est-elle enfermée dans la salle de bain qu’il entend la porte de sa chambre s’ouvrir violemment et la voix de sa soeur perce le silence qui berçait le sommeil de Billy. Surpris par ses cris, il ouvre difficilement les yeux pour y découvrir une Sage complètement hors d’elle dont la main tient une petite culotte qui, vue sa gueule, n’est certainement pas la sienne. Au même moment, la brunette qu’il s’est tapée la veille sort de la salle de bain et ne peut s’empêcher de manifester son dédain vis-à-vis le fait qu’il partage sa maison avec sa soeur. Décidément, il s’est retrouvé avec une princesse à la recherche d’un homme plein aux as. De plus, il ne peut que s’attarder sur le fait que, contraire à lui, elle s’est souvenu de son prénom. “Oui, et?”, ne peut-il s’empêcher de répliquer, comme si son commentaire est la chose la plus stupide qu’il ait entendue. Roberta-Suzie ramasse ses vêtements éparpillés au sol, dont sa paire de petite culotte que Sage tient du bout de ses doigts recouverts par un épais gant de vaisselle. “Je crois que je vais partir”, souffle-t-elle avant de s’éclipser de la demeure, provoquant un ricanement amusé de la part de Billy. Il se cale à nouveau dans ses couvertes, mais ne peut ignorer la présence perturbante de sa soeur dans le cadre de la porte. “Ça t’embête que j’aie une vie sexuelle active ou quoi?”, commente-t-il. Le pire dans tout ça, c’est qu’il se trouve drôle. L’arrogance bat son plein chez le jeune homme et il ne réalise pas complètement la portée de son comportement qui, depuis la mort de son frère, est de plus en plus inquiétant.

La pression monte en moi comme la vapeur qui s'échappe d'une bouilloire. J'ai envie de le frapper, mais ma colère me cloue les pieds au sol, alors que je regarde l'invitée surprise faire des commentaires désobligeants. Toutefois, elle semble avoir un cerveau caché dans ce corps joliment agrémenté de silicone à l'avant puisqu'elle se décide rapidement à partir. « Ouais, il vaudrait mieux, en effet. » Je me décale alors qu'elle commence la marche de la honte en passant le seuil de la porte de la chambre de Billy. Il ne se souvient même plus de son prénom en plus, et ça me fait ricaner intérieurement. Depuis quand mon frère est-il devenu un tel connard ? Mon coeur se serre, puisque je sais la date et l'heure exact au moment où son monde s'est effondré, en même temps que le mien. Sauf que l'attitude dont il fait part n'est normale. Jamais Billy n'avait été aussi arrogant que maintenant. Jamais n'avait-il délaissé les seules bonnes choses de sa vie pour s'abandonner dans les affres de la luxures chaque soir, une compagne et une bouteille différente. Le ton qu'il emploi alors qu'il me parle a tôt fait de faire décharger en moi une dose d'adrénaline supplémentaire. Je laisse même échapper un rire cynique, exaspérée par lui. Il est sur une pente glissante, et j'ai bien l'intention de lui faire comprendre. « Tu t'entends ? » On dirait que je vais lui balancer un truc à la gueule, et c'est pas l'envie qui manque. « Tu penses vraiment que c'est ta vie sexuelle qui m'importe ? » J'en ai rien à faire que mon frère soit sado-maso, échangiste, gay, en trouple ! Je m'en fous ! « Tu fais ce que tu veux là-dessus, mais bordel, Billy, tu vois pas que t'es en train de tout foutre en l'air ! » Mes mains désignent sa chambre dans un bordel pas possible, et du bout de pieds j'envoie valser le cadavre d'une bouteille de vodka dans le coin de la pièce.

Est-ce l'alcool qui n'a pas terminé de se diffuser à travers son système qui le rend aussi con, ou est-il naturellement aussi imbécile? Les rires s'évadent de sa bouche d'un naturel alarmant, et il ne peut s'empêcher d'être amusé par la frustration que suscite son arrogance chez sa soeur. Il regarde Barbarella Sushi s'éloigner de sa chambre puis détourne son regard vers sa frangine qui ne semble pas avoir terminé de manifester sa présence indésirable. "Oui, je m'entends très bien. Merci de te préoccuper de ma santé auditive", lui réplique-t-il avant d'enfoncer sa tête dans son oreiller. Il a un gigantesque mal de crâne qui l'empêche de réfléchir normalement. Il confond la voix de sa soeur avec un bruit tonitruant qui lui perce les tympans. "Est-ce qu'il t'arrive de ne pas crier? J'ai mal à la tête", chigne-t-il comme un gamin. Il n'ose pas relever sa tête, se disant que sa soeur doit être, à ce stade-ci, d'un rouge très près du bourgogne. La frustration se distingue parfaitement dans sa voix un peu trop aigüe. Il aimerait pouvoir la faire disparaître en un coup de baguette, mais il faut croire que sa baguette n'est pas magique... Enfin, pour certaines si. Il se met à rigoler seul parce que les idées qui lui traversent l'esprit sont d'une absurdité sans pareil. Peut-être devrait-il songer à rattraper le sommeil qu'il n'a pas eu la nuit derrière, étant trop occupé à s'envoyer en l'air avec cette jolie demoiselle dont le nom lui a échappé à de multiple reprises.
Le bruit d'une bouteille d'alcool poussée du pied l'extirpe de sa rêverie. Il regarde sa soeur au moment où elle étire ses bras pour lui désigner une chambre dont le bordel frôle l'inimaginable. "Tu n'aimes pas ma chambre? Je trouve qu'elle reflète bien ma personnalité", réplique-t-il. Curieusement, cette réplique a un brin de vérité. Depuis la mort de Thomas, c'est le bordel dans sa tête et il ne parvient pas à remettre de l'ordre dans ses émotions qui luttent violemment pour la prise de contrôle de son corps. Il a perdu pied au moment où Thomas a quitté ce monde et il ne croit honnêtement pas être en mesure de se réveiller de cet état d'aliénation, possiblement trop confortable dans ses pantoufles de loque humaine. "Je n'ai pas besoin que tu me fasses la morale. J'ai pas cinq ans", lui dit-il d'une voix un peu plus sérieuse. Ses yeux la fixent pour lui demander silencieusement de quitter la pièce. Il a envie d'un moment d'intimité avec les bras de Morphée.

Je m'amuserais presque à compter toutes les bouteilles sur le sol pour savoir à quel point mon frère est encore sous l'effet de la boisson à l'heure qu'il est. Sauf que l'odeur âcre qui s'échappe de sa chambre suffit à me donner la réponse nécessaire. Les élans alcoolisés, mêlés à cette odeur de sueur et de baise de la veille. Je me pincerais presque le nez tellement s'en est écoeurant. Évidemment, mon frère n'a jamais été l'homme le plus ordonné de la terre, mais disons qu'avec son travail il sait faire preuve de précision, de tact et de professionnalisme. Sauf que là, je ne le reconnais plus, plus personne ne le reconnaitrait non plus. Son commentaire sur sa santé auditive me fait serrer les poings, mais je ne relève pas, abasourdie par sa réplique. J'ouvre la bouche pour lui hurler un truc, je ne sais pas quoi, je ne suis pas comme ça normalement, mais oh, il me fait voir rouge. Je me dirige vers la fenêtre de sa chambre que j'ouvre d'un coup afin de faire parvenir un peu d'air frais dans cette pièce qui dégouterait même un prisonnier confiné au trou depuis des mois. « Ta chambre est dégoutante, Billy. » Je souffle la remarque, comme venimeuse. « T'as raison, elle reflète bien ta vie. Bordel, mauvaises décisions et laissé aller ! » Je passe une main dans mes cheveux, consciente que mon argumentaire n'est pas le plus solide qui soit.  Je veux qu'il se réveille, mais outre une théorie par l'absurde, je ne sais pas ce qui serait exploitable pour changer son comportement. Alors j'agis sans réfléchir, tirant la couette du corps de mon frère, l'arrêtant au niveau des hanches cependant. J'ai pas envie de devoir me crever les yeux en voyant avec quoi il a fait hurler sa bitch de la veille. « Depuis quand t'es devenu arrogant de la sorte ? » Ma voix se coince dans ma gorge, un moment, mais je n'y porte pas attention. « Alors c'est ça ? T'agis comme si t'en avais plus rien à foutre de ta vie ? » Et ça me fait de la peine de voir que plus rien n'a d'importance pour lui...

Même s’il sait que son comportement est déplorable, il ne s’en soucie pas vraiment. Il préfère noyer son chagrin dans une quantité astronomique d’alcool, pourvu que le songe de son frère perdu n’effleure pas son esprit fragile. Billy lève légèrement sa tête pour suivre les mouvements de sa soeur alors que celle-ci inspecte la chambre totalement bordélique de son frangin. Il ne réagit pas à sa remarque, ne pouvant réellement réfuter ses dires. Sa vie est bien plus que bordélique, bien plus qu’à la dérive: elle est en train de couler dans un océan de merde. Il ne fait rien pour sauver le bateau et ne tente même pas d’épargner sa vie. Au contraire, il se laisse couler avec celui-ci, condamnant son existence à un triste naufrage. “Ça te fait quoi comment je mène ma vie, hein?”, finit-il par lui demander. En quoi est-ce que ça la regarde ce qu’il fait de ses soirées? Et pourquoi devrait-elle réellement s’en soucier? “Reste dans ton parfait petit bonheur avec ton parfait petit ami et fous-moi la paix”, lance-t-il en calant sa tête dans son oreiller pour l’inviter à partir. Il la relève prestement à sa question plus ou moins rhétorique. “Ouais, bah c’est exactement ça. J’en ai plus rien à foutre”, finit-il par lancer. Il retient des larmes qui menacent d’attaquer ses joues à tout moment. Cette conversation ravive les émotions qu’il tente avec tant de ferveur de réprimer. Il ne sent pas avoir la force d’affronter la mort de son frère sans une bouteille d’alcool à la main et cette sensation de légèreté procurée par l’ivresse. “Maintenant, si tu le veux bien, j’aimerais m’habiller et manger un truc parce que je meurs de faim”, lui dit-il en lui pointant la porte. Toutefois, voyant le refus de sa frangine de quitter les lieux, il se lève, drap enroulé autour de ses hanches, prend des vêtements propres et file dans la salle de bain. Une fois son corps nettoyé et habillé, il rejoint la cuisine pour se faire à manger. C’est sans surprise qu’il voit sa soeur, café à la main, avec ce même air à la fois triste et fâché.

J'ai mal de voir Billy se comporter de la sorte. J'ai mal parce que je sais que cette arrogance n'est pas lui, qu'il agit seulement pour masquer cette blessure si grande qu'il a l'impression qu'elle ne se guérira jamais. Je peux le comprendre, parce que moi aussi une partie de mon âme m'a été brutalement arrachée à l'annonce du décès de notre frère et si l'envie de tout foutre en l'air m'a traversé l'esprit deux fois plutôt qu'une, je me suis bien retenue de le faire. Je me suis dis que mes proches ont besoin de moi tout comme moi j'ai besoin d'eux, incapable de faire face à ce futur sans le support de ma famille, de mes amis. Et c'est ça qui me force à hurler sur mon frère: c'est de le voir tourner le dos à tous ceux qui l'aiment pour s'enfoncer dans ce chagrin... J'ai l'impression de le perdre, lui aussi, qu'il s'éloigne de plus en plus et qu'un jour, il sera trop tard pour qu'il me revienne. Les larmes montent alors que je l'entends insulter ma relation avec mon copain qui est ô combien loin d'être parfaite. Si je n'étais pas figée sur place, j'irais près de lui pour lui foutre une bafe, mais ça ne me ressemble pas. Alors j'accuse ses propos hargneux, le laissant passer près de moi, pour rester seule avec ma peine et ma rage, profitant de ce quelques secondes pour laisser quelques perles salées s'échapper du coin de mes yeux. Je les essuies rapidement d'un revers de main et me dirige à la cuisine où je mets la machine en marche. Je suis tellement énervée que j'ai envie d'en faire seulement pour moi, mais mon âme altruiste me force à en doubler la dose pour en offrir à mon frère lorsqu'il descendra. Mon esprit vagabonde, mon regard se perd dans ma tasse et mes sourcils restent froncés même quand j'entends ses pas arriver dans la cuisine. Je ne commence pas la conversation tout de suite, curieuse de savoir si Billy brisera ce silence de lui-même, mais mon habitude pipelette a raison de ma bonne volonté. « Ça va plus du tout Billy. » Mon ton bien que sévère, laisse percevoir toute la peine que son comportement me cause.

Sans ajouter un mot, il pénètre la salle de bain pour trouver réconfort sous les jets chauds de la douche. Il se sent mal d'avoir traité sa soeur avec tant d'hargne et d'indifférence, mais c'était comme si sa bouche ne lui appartenait plus. Il a dit des choses sans même les penser sous la frustration du moment, condamné ensuite à subir la foudre de ses remords. Après ce qui semble être une vingtaine de minutes, il émerge de la douche un peu plus calme quoique toujours aussi désemparé qu'à l'habitude. Il s'observe dans le miroir et médite un instant s'il se rase. Sa barbe est longue, résultat de plusieurs semaines de négligence. Décidant que l'envie n'est toujours pas présente, il s'habille et rejoint la cuisine pour se préparer à manger. Il y retrouve, sans surprise, une Sage qui semble prête à reprendre leur houleuse conversation. Le scientifique parcourt le réfrigérateur et extirpe la douzaine d'oeufs qu'il dépose sur le comptoir. Derrière lui, la voix de sa cadette retentit. Il se crispe et devient incapable de faire tout mouvement. Plongé dans un silence inexplicable, c'est comme si son corps s'est littéralement stoppé dans le temps. Il ne ressent plus rien, si ce n'est que les larmes qui s'empressent de rejoindre le coin de ses yeux. Une à une, elles pénètrent ses globes oculaires et entament leur descente sur ses joues. Les larmes perlent silencieusement sur son visage et il s'effondre, incapable de supporter davantage cette peine qui le consume depuis l'arrivée des premières chaleurs annuelles néo-zélandaises. Ses sanglots brisent le silence, faisant écho à travers la pièce dont l'ambiance est désormais lourde. Il ne dit rien, incapable de formuler quelconque mot qui traduirait avec authenticité le chaos qui sème dans son esprit. Il n'y a rien à dire, si ce n'est qu'il ne s'est même plus ce qu'il fait. Il s'est laissé sombrer dans le déni, redoutant trop la douleur qui accompagne le deuil. Mais il le sait; il le sent que son frère n'est plus. La solitude est bien trop présente pour ne pas s'en rendre compte. Peut-on réellement nier quelque chose d'aussi évident que l'absence de la personne qui nous est le plus chère? Peut-être n'a-t-il jamais nié la mort de son frère. Peut-être a-t-il simplement perdu tous ses repères le jour où il l'a quitté...

Mes mains serrent ma tasse de café brûlante, mais je ne me dégage pas de mon emprise pour autant. Une fibre, peut-être dérangée, de mon organisme a besoin de ressentir cette chaleur, cette brûlure. Ça déplace le mal de mon coeur en miette, qui bat si faiblement depuis la mort de mon frère. Cette douleur me fait sentir en vie, ça me rappelle que je suis toujours là malgré tout. J'ai toujours eu une incompréhension totale face aux gens qui trouvaient du positif dans la douleur ou tout autre sentiments extrêmes, que ce soit par les sensations vertigineuses ou des moyens bien moins conventionnels... Sauf que là, je les comprends. Je reconnais maintenant ce besoin viscéral de se savoir ici, de savoir qu'on est entier même si on ne ressent plus. Billy fait son entrée dans la cuisine, fuyant mon regard. Moi, je le fixe comme je voudrais qu'il  me regarde. Je veux qu'il pose ses yeux sur moi et réalise l'ampleur des dégâts de son comportement. Je veux qu'il voit que je ne suis pas invisible, que je suis encore là, sa petite soeur, que j'ai besoin de lui. Ça ne va plus. Je m'attends à une remarque cynique de sa part, qu'il m'envoie balader comme toutes les autres fois, bien que je reviendrai à la charge. Je suis têtue, une vraie tête de mule, mais c'est de famille. La réaction de mon ainé me laisse toutefois surprise une seconde alors que ses sanglots viennent briser le silence pesant qui s'est installé entre nous. J'abandonne vite ma tasse pour me présenter devant lui, ma main glissant doucement sur son bras. J'ai envie de le serrer fort, de pleurer avec lui, comme nous n'avons jamais eu l'occasion de le faire. Je pense que mon frère a voulu se montrer fort en le laissant jamais son chagrin paraitre devant ses proches, alors que j'aurais tant eu besoin du contraire. J'ai besoin de savoir que je ne suis pas la seule à souffrir, même si je ne passe pas mon temps à noyer l'absence créée par la mort de mon frère dans l'alcool. « C'est ok Billy... » Ma voix se casse et les sanglots viennent sans que je ne puisse les retenir. J'ai besoin de savoir que ma famille n'est pas brisée, éclatée.