l'histoire de ma vie
Vivre sa vie ne veut pas dire attendre que l'orage passe. C'est apprendre à danser sous la pluie.
La nuit, tous les chats sont gris. Moué si tu le dis… Ça ne change pas le fait qu’à l’hiver, les rues restent glaciales. La neige qui recouvre la ville de son voile blanc vous pique les pores de la peau. Lorsque vous êtes bien au chaud au coin du feu de la cheminée, vous vous en fichez ! Pendant que certains se la coulent douce avec les deux pieds en éventail devant la télévision, d’autres personnes rament dehors pour arrondir leur fin de mois. Et une passe dans le motel de basse classe par ci ! Et une pipe derrière la benne à ordure qui se situe dans la petite ruelle par-là ! Enchaînant les clients tout en offrant son corps à qui lui donnerait quelques billets en échange, ce qui devait arriver, arriva. Quelques fois la protection n’est pas si efficace que cela. Neuf mois plus tard, le 20 août 1983, un petit être innocent vit le jour. Mère célibataire et prostituée de profession, Saphir, qui voulait se débarrasser de son avorton non désiré, craqua sur sa petite bouille rondelette et ses petits yeux noisette la première fois qu’elle le vit. Afin d’avoir les moyens financiers pour nourrir cette bouche supplémentaire, elle dut redoubler d’efforts. La journée, la fausse rouquine veillait sur son petit. La nuit, alors qu’elle enchainait les clients, elle refilait le gosse à un travesti. Certaines catins de son entourage disaient de Saphir qu’elle était folle de laisser son gosse à Jacob. Il était vrai qu’il était un mec assez spécial avec ses tenues à paillettes et ses chaussures à talons de 36 centimètres de haut. Mais il était adorable. En réalité les autres filles étaient jalouses car elles n’avaient pas d’enfants et craquaient toutes sur le petit Spencer. Malheureusement, l’enfant ne connut pas bien longtemps Jacob qui décéda onze années plus tard du sida. Il était la seule figure paternelle que le garçon connut auprès de sa mère. Spencer connaissait ses deux facettes. Aussi bien la nuit, Safia Reine de Joie, avec des chansons rythmées sur des airs que cabarets et aux danses exotiques. Que le jour en tant que Jacob, le mec sympathique et efféminé. Ce fut lui qui donna au petit le goût des déguisements.
Spencer grandit dans un quartier défavorisé. Là où le taux de criminalité battait son fort. Pas une seule journée où il voyait les services de secours. Que cela soit les pompiers pour une voiture brûlée, les ambulanciers pour une victime d’arme blanche ou à feu, ou même la police pour des histoires de drogue. Cela faisait partie de son lot quotidien. De quoi déprimer même un aveugle. Pourtant le garçon s’y était habitué. Saphir n’avait pas les moyens pour qu’ils déménagent. La petite famille vivait dans un appartement insalubre. Les murs à même le béton montraient l’humidité qui piquait au nez dès que vous entriez dans le bâtiment. Des champignons se formaient délabrant davantage les lieux. Les termites rongeaient le bois et les rats étaient les animaux de compagnie. Pas rare qu’on en aperçoive un courir dans le couloir mal éclairé ou se servir dans une boîte de céréales. Le garçon détestait cette vie-là. Il ne pouvait même pas se distraire en faisant du vélo ou en regardant la télévision. Il n’en avait pas. Il ne pouvait que rêver d’une vie meilleure. Habiter une de ces grandes maisons magnifiques qui se situaient dans les extrémités de la ville. Avoir tout ce qu’il voulait. Que sa maman ne fasse plus les trottoirs et qu’elle se marie avec un homme riche qui l’aimerait pour la femme merveilleuse qu’elle était et qui ne rejetterait pas son gosse… Malheureusement tout cela n’était que des songes impossibles à réaliser.
Avec la prostitution, Saphir avait réussi à mettre assez d’argent de côté pour que son fils aille dans un lycée où les élèves venaient d’un monde moins défavorable. Bien entendu, le gamin devait se taper une heure trente de transport tous les matins et tous les soirs pour aller là-bas et revenir chez lui. Mais il s’en fichait. Là-bas, il avait enfin trouvé un peu d’espoir d’arriver plus tard dans un monde meilleur. Mais ayant de très grosses lacunes scolaires, il dût s’inscrire à des cours de tutorat après son second redoublement de classe. Sa tutrice était une jeune et jolie fille rousse à l’allure gothique. Spencer, qui était si solitaire avant de la rencontrer, se lia très vite d’amitié avec elle. Elle se prénommait Heaven. Un prénom doux à prononcer et qui sonnait comme une poésie chez l’adolescent. Lui qui restait à l’écart de tout le monde afin que les gens n’apprennent pas où il vivait et qui était sa mère, avec le temps, Heaven avait réussi à l’apprivoiser. Spencer lui confiait énormément de choses sur sa vie. Elle était la seule à ne jamais le juger. Bien évidemment, jamais il n’avait osé amener celle pour qui son cœur battait la chamade chez lui. Il avait trop honte de son milieu. Même si la rouquine lui fit découvrir des tas de choses aussi diverse que variées, de son côté, il lui montrait quelques coins calmes et partageait ses écouteurs avec elle pour lui faire découvrir ses goûts musicaux.
Heaven savait presque tout sur lui. Du métier de sa maman à toutes les humiliations qu’il avait subi et subissait encore. A exception d’un fait : les sentiments que Spencer éprouvait pour elle. Il était tombé follement amoureux d’elle et s’était devenu un supplice pour lui de ne pas se pencher vers elle et de goûter à ses lèvres. Il ne se trouvait pas assez bien pour la jeune femme. Elle, qui était fille de doctoresse et dont l’avenir dans la médecine était déjà tout tracé. Qu’avait il lui pour lui arriver à la cheville ? Rien. Absolument rien. L’amour et l’eau fraîche n’étaient pas suffisants pour convoiter le cœur de la demoiselle. Lui qui savait avec peine lire et écrire. Lui qui n’était qu’un fils de pute comme certains aimaient si bien l’appeler. Il avait su qu’il l’aimait depuis ce soir là où elle l’avait emmené écouter un concert qu’elle donnait avec son groupe. Après la présentation, folle de joie, elle s’était jetée dans ses bras. Il l’avait serré contre lui en la félicitant. Caressant sa chevelure de feu, il avait enfoui sa tête dans le cou d’Heaven pour respirer à plein poumon ce parfum qu’il adorait. Mais ayant peur qu’elle découvre ses sentiments, il n’était pas rare que Spencer se fasse plus distant de temps à temps. Préférant observer sa chérie de loin. Cela lui crever le cœur de la voir se faire courtiser par d’autres étudiants. Mais jamais il n’avait rien dit. Les autres étaient dignes d’elle contrairement à lui. Avoir le rôle de meilleur ami était le seul qui lui était destiné pour être proche de la rouquine.
N’ayant jamais eu d’espoir d’être un jour en couple avec elle, il s’y était fait. Déprimant dans son coin, il ne se lassait pas de dessiner des portraits d’elle. Il était incapable de comptabiliser le nombre de croquis. Ne cessant pas d’en faire des nouveaux. Heaven savait qu’il ne se débrouillait pas trop mal en art. Mais jamais elle ne vit un seul de ses chefs d’œuvre. Là encore Spencer avait eu bien trop peur qu’elle découvre son amour secret pour elle et qu’il perde à jamais son amitié.
Pour son seizième anniversaire, le garçon offrit à Heaven un bracelet d’amitié. Certes ce n’était pas grand-chose vu comme cela. Mais cela signifiait énormément pour lui. En passant l’objet de laine autour du poignet de la demoiselle, il s’était promis mentalement de faire une déclaration à sa meilleure amie si elle était toujours célibataire au moment où le bracelet céderait. Mais ce qui ne fut pas le cas…
Le reste du lycée se passa comme la première année jusqu’un soir du mois de mai 2004 où Saphir se fit assassiner. Spencer, qui était venu rechercher sa maman à son travail, vit toute la scène de l’agression. Un homme que la prostituée semblait connaitre depuis longtemps se disputait avec sa cible. D’après les quelques bribes que le garçon avait entendues, l’autre reprochait à sa mère de vouloir sortir de la prostitution. Il ne supportait pas de perdre une de ses filles. Saphir avait beau s’excuser, expliquant qu’elle voulait trouver un autre travail plus décent pour elle et son garçon, elle n’eut que le temps d’apercevoir son fils et lui faire signe de partir lorsque l’arme blanche traversa son cœur sans pitié. Une porte non verrouillée non loin de Spencer le sauva d’une mort certaine. L’agresseur partit, le fils retrouva immédiatement sa mère. Ne sachant pas quoi faire, en pleurs, il prit sa pauvre mère dans les bras. Saphir lui donna son collier en or, seul objet de valeur qu’elle possédait de sa propre mère et lui souffla avec peine un dernier je t’aime avant de rendre l’âme. Elle mourut ainsi en compagnie de son enfant tant aimé. Ce dernier resta auprès d’elle jusqu’à ce que la police arrive et le vire de la scène de crime. Il fut bien entendu mis en garde à vue pendant quarante-huit heures avant d’être relâché. Suite à ce drame qui bouleversa à jamais la vie du lycéen, il décida d’arrêter les études et partit loin, le plus loin possible de cette ville infernale.
Il quitta New York pour la Nouvelle Zélande. C’était le rêve de Saphir d’aller vivre là-bas. Curieux, Spencer voulut savoir pourquoi. A peine âgé de vingt-et-un ans et sans le moindre sous en poche, le jeune homme dut apprendre à se débrouiller seul. Lui qui avait toujours aimé la musique, il décida d’en faire un de ses métiers. Le monde de la nuit était sien depuis toujours. Il côtoyait des prostituées. A New York ou ici à Island Bay, elles n’étaient guère différentes. Plus discrètes certes, mais les personnalités des filles demeuraient similaires. Spencer aimait ce milieu. Même si cela ne plaisait pas à tout le monde. Surtout à sa client qu’il ne pouvait voir en peinture tellement elle l’énervait à se mêler de ce qui ne lui regardait pas ! Spencer bosse là-bas officiellement en tant que prestataire. Mais en réalité il fait un peu de tout. Aussi bien de l'aide à l'organisation, que proposer ses talents de DJ pour les clients du Magic Event, maniaque il ne peut s'empêcher de nettoyer ou déplacer les objets si cela ne lui convient pas... En gros c'est l'homme à tout faire aussi insupportable que mignon. Pour compléter ses fins de mois difficiles, il est aussi escort boy.