Les apparences sont souvent trompeuses ♠ Spencer

Cela faisait déjà plus de six ans que je travaillais au Magic Event, mais jamais je ne m’étais senti aussi seul et démuni que depuis ces derniers temps. J’avais toujours Miss Fraser sur le dos. Le pire étant que je ne savais pas pourquoi. Tout au début, à mon arrivée, elle n’était pas encore le grand chef de cette boîte évènementielle. Tout en haut de cette fameuse échelle. Madame était une employée parmi tant d’autres. Elle s’occupait des fêtes d’anniversaire pour les joyeux bambins. Même si le courant ne passait déjà pas entre nous, cette fibre maternelle qui se dégageait d’elle lui allait bien. Elle devait être une bonne mère pour ses enfants. Cela se voyait à des kilomètres. Cette douceur qui émanait de ses yeux, le son de sa voix… C’était une femme délicate. Enervante ! Oh ça je ne pourrais pas mieux le dire ! Mais délicate… Pourquoi énervante ? Il fallait toujours que la miss vienne farfouiller dans mes affaires. De nature autant à la fois extroverti qu’introverti, je détestais qu’on yeute au-dessus de mon épaule ce que je faisais. Je me sentais espionné. Pour ne pas dire étouffé. J’ai toujours eu ce besoin de liberté. Que cela soit dans ma pensée ou mes mouvements. Mais non je l’avais perdu. Cette forte qui me caractérisait, je la sentais se noyer entre les mains de cette femme. Pourquoi en avait-elle toujours après moi ? Elle n’était jamais désagréable et n’haussait jamais la voie avec les autres collègues. J’étais devenu son souffre-douleur. Sa tête de turc. Pourquoi ? J’ai beau y réfléchir, je ne trouvais guère de réponse. Non. En fait si. Je ne me laissais pas marcher sur les pieds. L’électron libre que j’étais ne supportait point qu’on vienne piétiner mes plates-bandes. Si je n’étais pas d’accord sur un point, je le disais haut et fort. Je tentais de montrer par A + B² que mon point de vue était le meilleur. Même si ce n’était pas le cas. Après avoir bien soulé mon monde avec mon baratin à deux balles, j’admettais toujours quand les autres avaient raison. Je n’étais pas rancunier. Même quand Casey pose ses sales pattes sur mon matériel, celui que j’utilisais lorsque j’avais une commande de client à préparer pour un mariage, un anniversaire… Bah oui, en fait je ne vous l’ai pas encore dit qui j’étais dans cette boite non ? A la base, j’étais un prestataire. Le Magic Event était le plus gros client de mon ancien patron. J’étais missionné pour faire un peu de maintenance informatique. N’étant qu’à temps partiel, j’avais réussi à négocier avec Monsieur Raynols pour compléter mon planning en proposant mes services de DJ aux clients. Etonnement, cela marchait plutôt bien. Puis Miss Fraser prit les rennes du royaume. Malgré nos discordes, moins fréquentes à l’époque, j’ai pu garder ce double emploi. Il y a trois ans, mon ancien patron mit clef sous la porte. Pour ne pas perdre mon second job, je n’ai jamais rien dit à celle qui était devenue mon unique supérieure. Je ne me faisais payer que mes prestations de DJ. Le reste je le faisais gracieusement sans que jamais personne ne s’en rende compte. Pourquoi restais-je ? J’ai perdu ma maman bien trop tôt. Elle était ma seule famille. New Yorkais d’origine, je ne me sentais plus la force de tout recommencer. Durant les trois premières années où je travaillais au Magic Event, j’y avais mis tout mon cœur et toute mon âme au point où je considérais la totalité de mes collègues comme ma famille d’accueil. Je ne demeurais qu’un étranger. Et les multiples discordes que j’entretenais avec Casey, j’avais fini par les aimer. Cette femme était comme une sœur pour moi. Enfin… Je crois !? Fils unique, j’ignore les joies de la fratrie. En perdant mon principal emploi, je perdis par la même occasion dans les mois qui suivirent mon appartement. Devenu sans abri, passant beaucoup plus de temps que je ne devrais au Magic Event, je découvris un grenier inoccupé. J’y déposais donc mes affaires et n’a plus quitté les lieux. Mes quelques prestations de DJ n’étaient pas assez suffisantes pour me nourrir sur le mois. Ayant de nombreuses connaissances dans le milieu de la prostitution, je commençais donc à faire de l’escort. Ce n’était pas très légal mais il fallait bien vivre. Même si je ne faisais rien de mal, je me ferais virer par Casey. Elle détestait ce milieu. Madame était une sainte ni touche. Je serais sale à ses yeux. Déjà qu’elle manque de me baffer chaque fois que je rentre de ma pause clope alors que je la prenais en compagnie d’une de mes amies putes…

J’ignorais ce qui m’arrivait. La solitude pesait sur ma minable existence. Je déprimais. Je le savais. Mais ma famille ne devait pas le savoir. Surtout pas Casey. Mes copines prostituées cherchaient désespérément à me caser. Mais c’était peine perdue à l’avance. Romantique, je serais capable d’avoir ne serait-ce qu’un rencard si mes sentiments amoureux brillaient par leurs absences… Ce soir, j’escortais une mamie pour une sortie à l’opérette. La solitude lui pesait à elle aussi. Melinda était une de mes quelques habituées. Son bras enroulant le mien, marchant côte à côte, j’endossais le rôle de son petit-fils. Dans un sens c’était plutôt rigolo d’être escort boy. Revenant de mon opérette, je me baladais tranquillement dans les couloirs du Magic Event. Heureusement qu’il n’y avait pas de caméra de surveillance. Je grimpais lentement les étages via les escaliers de secours pensant ce que pourrait être ma vie si j’étais marié et père de famille. Un énorme manque qui me brisait le cœur. Ne serait-ce qu’avoir une petite amie, cela devait être génial non ? Je me torturais l’esprit avec des songes qui m’étaient impossibles à accomplir. Je n’avais pas encore rencontré la perle rare. L’âme sœur. Où se cachait elle donc ? Avec les années, j’avais fini par abandonner de chercher après elle. Sa cachette était la meilleure au monde. Ou alors… Ou alors chaque personne sur terre ne possédait pas toute une moitié. Et j’en faisais partie. Soudain, j’entendis de la musique émanant du côté de mon studio, je quittais donc les escaliers de secours pour voir qui touchait à mon matériel. Vu l’heure il n’y avait que deux solutions : un voleur ou Casey ! Je savais mieux que personne les heures interminables qu’elle passait ici. Cependant elle a toujours ignoré qu’elle n’était pas la seule. Ne voulant pas me faire coincer et qu’elle m'oblige à quitter les lieux, je regardais ce qu’elle faisait. Caché dans l’ombre d’une armoire, je l’observais. Elle dansait. Ses mouvements se mariaient à merveille à la musique. C’était comme si Miss Fraser et les notes qui s’enchainaient ne faisaient qu’un. Elle était belle. Si belle… Casey me tapait tellement sur les nerfs que je ne l’avais jamais remarqué auparavant. Ou peut être que si mais je refoulais mes sentiments. Je me sentais bizarre. Tout devint clair d’un coup dans ma tête et j’en devins nauséeux. Ce n’était pas Casey le problème. C’était moi ! Toutes ses disputes étaient de ma faute. Je refoulais des sentiments que je ne crus plus jamais revivre depuis Aurore. Casey était marié et mère de famille. C’était tout simplement un amour impossible pour moi. D’où ma solitude… Tout était clair maintenant ! Ne pouvant pas croire cette terrible vérité qui vint m’éclater à la figure, je partis. Je repris les escaliers de secours jusqu’au grenier. J’étais mal à en crever. Il fallait que je fasse quelque chose. Je vis ma guitare posée sur la couverture par terre qui me servait de lit. Je la pris et m’asseyais à l’appui de fenêtre. Mes doigts grattèrent les cordes. The Way You Make Me Feel. Michael Jackson a toujours été mon chanteur préféré. Je chantonnais pour me calmer. C’était ce qui marchait le mieux.

La chanson, il n’y avait que ça de vrai ! Ca faisait rêver d’amour et de paix. Je venais de me rendre compte que j’avais autant de chance de vivre le grand amour que la paix vienne dans le monde. Le jour où j’aurais une femme dans ma vie serait surement le jour où les attentats n’existeront plus. Goûter à ses lèvres si douces et délicates, je ne pouvais qu’en fantasmer. Et surtout refouler au plus profond de moi cette vérité qui était venue me gaffer de plein fouet. Décidément, pauvre que je suis, j’avais tellement la poisse. D’abord au lycée et maintenant ici au travail. I never felt so in love before Comment ai je été aussi aveugle sur moi-même auparavant ? Just promise baby, you'll love me forevermore Une promesse qui n’arrivera jamais, je le sais. Elle était mariée bordel ! Tellement amoureuse de son mari, Casey ne jurait que par Miles. Ils formaient le couple parfait aux yeux de tous. Ils avaient des enfants ensemble. Raison de plus pour ne jamais l’approcher comme je voudrais. La fidélité est une chose très précieuse pour moi. C’est la base du mariage parfait. Et merde ! Je commençais à renifler pendant que je massacrais la chanson du défunt roi de la pop. Paix à ton âme Michael ! Je devenais trop sentimental. Ce n’était pas bon. Il fallait que je me ressaisisse. Plus les paroles s’enchainaient et plus ma voix avait tendance à se casser. Maudite boule qui se formait dans ma gorge ! Il ne manquait plus que je me mette à chialer comme une fillette ! my lonely days are gone Ma vue était trouble. Sur le point de craquer, une satanée larme s’était échappée et perlait sur mon visage lorsque j’entendis du bruit dans la pièce. Ce n’était pas possible, personne ne connaissait l’existence de ce grenier. Depuis le temps, je m’en serais aperçu. Surtout que ma solitude durera aussi longtemps que je m’accrocherais émotionnellement à ma patronne. ”- Spencer qu’est-ce que tu fais là?” Hein ? Quoi ?

« Casey ? » J’étais on ne peut plus surpris à la voyant ainsi devant moi. Je me mis à rêvasser debout que je m’approche d’elle, l’enlace pour l’embrasser fougueusement. Puis d’une passion ardente, elle me rendrait mon baiser. On s’enflammerait tous les deux au point qu’on s’allonge sur la couverture et qu’en moins de temps qu’il faut pour le dire, je lui montrerais à quel point je l’aime faisant de nos deux corps qu’un. Dans mes rêves les plus fous, je le faisais devant un feu de cheminée. Et en y repensant, c’était le visage de ma patronne que je voyais comme partenaire. Il était vrai que je n’avais fait qu’avec Aurore auparavant. Mais c’était il y a très longtemps. A l’époque de l’adolescence et des hormones en folie. Je croyais avoir passé l’âge pour toutes ces conneries mais visiblement non ! Qu’est ce que ça peut rendre stupide l’amour quand même… « Que, qu’est ce que, qu’est ce que tu… VOUS ! Vous faites ici ? » Sans m’en rendre compte, je me mis à la vouvoyer. Ce n’était jamais arrivé par le passé. Mais pour me préserver, je me devais de mettre une barrière entre ma patronne et moi.

Perdu, surpris, ne sachant pas quoi dire pour sans doute la première fois entre nous deux, je me levais de l’appui de fenêtre, posant la guitare contre le mur. Bouche bée, mes yeux balayèrent la pièce. J’ai beau être maniaque, à la vue de mes affaires, cela allait être évident pour Casey que je vis ici. J’en avais tellement honte. Je voulais mourir sur place surtout que de subir sa pitié. Ce ne sera plus jamais pareil entre nous. Elle n’allait voir en moi qu’un minable clochard maintenant. Profitant des trois secondes que Casey prit pour découvrir la bien triste vérité, j’essuyais mes larmes. Je me précipitais sur mon sac de sport et y engouffrais aussi rapidement que possible mes quelques habits dont un boxer qui trainaient. Pris de panique car je venais de foutre en l’air le seul emploi qui me tenait réellement à cœur – on se demande bien pourquoi – je n’avais plus qu’à prendre ma guitare et m’effacer à jamais de la vie de Casey. Elle s’approcha de moi et m’empêcha de partir en tirant ma main vers elle. Elle était si douce. Pourquoi mon cœur s’emballait il autant ? Ne pouvait il pas cesser de tambouriner ma poitrine une bonne fois pour toute ? ”-Tu dors ici?” Je veux mourir ! Pourquoi es tu si belle ? Est-ce que je peux t’embrasser ? Ah non c’est vrai ! Tu es mariée ! Je veux mourir !

Je n’arriverais plus jamais à croiser son regard maintenant. « Je… Je… Je vais partir, ne plus vous déranger. Promis ! » Intentionnellement, ma main serra légèrement la sienne. Mon pouce glissa sur sa paume. C’était tellement agréable de pouvoir la toucher. Ravalant ma salive, je me détachais d’elle pour quitter la pièce. « Je ne vous embêterais pas. Désolé pour tout. Au revoir… » Je la regardais une dernière fois avant de descendre à l’étage du dessous. Je me retrouvais à côté de mon – à présent – ancien studio d’enregistrement. Je ne quittais pas la porte des yeux. J’avais du mal à me résoudre à partir mais je n’avais plus le choix…

Je me suis rendu compte de ma stupidité grandissante quand Casey me rit au nez. Que faisait elle ici ? Elle était la patronne de cette boîte, elle y faisait ce qu’elle voulait et quand elle le voulait ! Si danser la nuit sur son lieu de travail était son kiff c’était son problème à elle… Quoique c’était bien dommage que ma patronne ne montre pas ses talents artistiques à ses collèges. En la revoyant bouger au son de la musique tel ange entre les nuages, je me demandais si elle n’avait pas suivi de danse étant petite. Le contraire m’étonnerait. Où peut être était elle née avec ce don. Un truc que j’étais incapable de savoir faire. Quelque soit le genre de musique, je n’osais même pas me rendre sur la piste de danse. Pour que l’on rit de moi et qu’on me dise que j’ai un balai entre les fesses, ce n’était point la peine. Et puis je n’aimais pas danser. Je préférais regarder les autres faire. Regarder Casey… Mais non merde ! Qu’est ce qui me prend ? Il faut absolument que j’arrête tout de suite mon délire !

Alors que je ne pense qu’à m’enfuir pour ne pas avoir à subir sa pitié, voilà que ma patronne m’appelle. Cooper. Oui, j’avais l’habitude que l’on se nomme par nos noms de famille. Il y avait tellement d’entente entre nous qu’on ne s’était jamais poser la question de savoir si c’était mieux de nous appeler comme cela ou tout simplement par nos prénoms comme les autres. Jusqu’à ce soir, j’ignorais qu’elle savait mon prénom. De mémoire c’était bien la première fois qu’elle employait mon prénom. A cela, je me stoppais devant le studio d’enregistrement. J’hésitais entre reprendre ma course ou l’attendre. Mais Casey fut plus vite que je ne l’imaginais car au moment où j’étais sur le point de continuer ma fuite elle me rattrapa. ”- Spencer, attends … Je ne te demande en rien de partir okay?! Alors calme toi… Je voudrais juste … comprendre.” Comment lui dire que tout ce qu’elle a toujours pensé de moi était vrai ? Que je n’étais qu’un raté… Je baissais le regard vers le sol. Incapable de lui tenir face contrairement à d’habitude. Ca ne me ressemblait pas. Je n’étais plus moi. Pourquoi ? Pourquoi ressentais je tous ces trucs là pour elle alors que Casey était mariée ? Je ne dois pas être normal ! Oui c’était cela… Je me sentais si seul que rien que le fait qu’elle me touche la manche de ma chemise me rendait bizarre à l’intérieur de moi. Mais c’était quoi tous ces trucs bordel ? J’espérais de tout cœur que je m’étais simplement chopé un virus et que la gastro me guettait de pied ferme. Sinon pourquoi tous ces ballonnements et cette envie de vomir en l’observant danser ? Mouais mais en même temps la gastro ça ne fait pas des palpitations au cœur si ? Si seulement je connaissais un bon docteur, je pourrais aller me faire ausculter et demander son avis… Pourquoi me demande t elle de me calmer ? Effrayé qu’elle découvre ce que j’ai moi-même découvert ce soir, mes joues s’enflammèrent en la regardant. J’étais étonné d’être aussi transparent à ses yeux. Lisait elle en moi comme un livre ouvert ? ”Tu veux bien venir, dans mon bureau et t'asseoir, j’aimerais qu’on puisse parler, et je ne sais pas toi, mais moi en cas; j’ai besoin d’un verre!” Elle allait déjà là bas. Sans dire un mot, je m’exécutais. Elle me proposait un verre. En temps normal j’aurai refusé ne supportant que très mal l’alcool. Mais là… J’étais perdu et peut être que je trouverais réponse à mes questions au fond de ce verre si gentiment offert. « Merci. » Je m’installais à l’autre bout du canapé, ne fixant que cette boisson entre mes mains. J’étais si mal à l’aise en sa présence. Etais ce à cause qu’elle a découvert que je vivais dans le grenier ou était ce à cause de cette fichu gastro ? Au fait où sont les toilettes déjà ? Je crois bien que Casey en a dans les bureaux. Des petites toilettes personnelles rien qu’à elle. Je me mis à les chercher partout du regard. En vain… Et merde ! Je m’étais encore fait des idées… Décidément c’était comme quand je rêve de Casey et qu’elle et moi on…. Je bus une gorgée et secoues la tête pour laisser échapper mes pensées cochonnes. ”Je t’écoutes… Je sais qu’on est loin de s’entendre à merveille, mais je croyais que comme tous les autres ici, tu étais conscient que si tu as des soucis tu peux venir me parler.” « A quoi bon ? » Je n’intéressais personne. Ca faisait plus de trois ans que je travaillais quasi bénévolement et jamais Casey ne l’avait remarqué jusqu’à présent… Ne se rendait elle pas compte que mon ancienne boite ne recevait plus ses chèques ? Ou alors… Ou alors mon ancien patron continuait à les encaisser derrière mon dos !? Je l’ignorais. Quoiqu’il en soit ma situation financière était catastrophique et dans l’état actuelle, j’étais incapable de me payer un logement. « Vous êtes devenue ma seule patronne. Ma boîte de maintenance informatique a fait faillite il y a longtemps maintenant. » Je n’avais rien d’autre à rajouter sur ce sujet. Je ne voulais pas qu’elle ait pitié de moi et cherche à me payer ces trois années de travail gratuit. Je l’ai fait de beau cœur et surtout parce que je ne savais pas où aller. « Je ne veux pas de votre pitié. Je vais partir comme ça je ne vous embêterais. C’est promis. D’ailleurs je pars maintenant, au revoir Madame. » Jamais je ne lui avais parlé si posé et avec autant de respect. N’ayant qu’à peine touché à mon verre, je le posais sur la table, repris mes affaires et quittais la pièce.

Se cacher. Cacher la vérité. Oui c’était vrai, Casey avait raison sur ce point je devais bien l’admettre. Mais en même temps, comment aurais je pu dire à cette femme qui ne m’étais pas indifférente que je n’avais plus d’endroit où loger ? La pitié, je détestais cela. Un point commun que j’avais avec maman. Etait ce par fierté ? Non je ne crois pas. Je ne suis tout simplement pas le genre d’homme à aller pleurer dans les jupons de ma patronne si cela n’allait pas pour ma poire. J’étais bien trop réservé pour cela. « J’ai toujours fait mon travail comme il le fallait. Et même plus encore mais ce n’était pas un problème pour moi jusque là. Enfin… » Comment lui dire sans la vexer que j’ai besoin d’un meilleur salaire pour me trouver un logement ? Je ne veux pas froisser Miss Fraser. Je prends une grande respiration et me lance. « Je ne suis pas ici pour faire fortune. » Mouais bon ça je crois qu’elle l’avais remarqué maintenant ! « Ni pour me plaindre de quoi que ce soit… » Quoique si je continue sur cette pente, c’est ce que je vais finir par faire ! « Enfin ce que j’essaye de vous dire c’est que… » Je lève mes yeux noisettes vers les siens. Qu’est ce qu’ils sont jolis… Je me noierais bien dans son regard de braises… « Je vous aimes. » HEIN ? QUOI ? « J’aime être ici ! Vous… Les collègues… Tout le monde qui travaille au Magic Event, vous êtes tous comme ma famille pour moi. » J’ai chaud tout à coup. Pourquoi ai-je si chaud ? Moui c’est surement pour la plus grande des bêtises que je viens de faire. Pourquoi lui avouer mon amour pour elle comme ça comme un cheveu sur la soupe ? Je suis carrément stupide ! Bête et stupide ouais ! Je n’oserais plus jamais la regarder de face maintenant. Bordel ! Casey est mariée ! Et très très amoureuse de son chanceux de mari qui plus est. Je me sens mal. Elle va me virer. Je ne pourrais plus jamais la revoir. Oh non mon dieu… Je finis par lui dire que je ne l’embêterais plus. Mais contre toute attention, elle me rattrape. Et me parle de ma façon soudaine de la vouvoyer. Je ne peux lui répondre que j’ai besoin de mettre une barrière supplémentaire entre nous. C’était déjà assez pénible pour moi les sentiments que je ressens pour elle et qui ne seront jamais réciproques. Casey me demande de rester. Pourquoi voulait elle garder auprès d’elle un boulet comme moi ? Je n’étais pas sans commettre des erreurs. Ma patronne se porterait bien mieux s’en m’avoir sur le dos à longueur de temps.

Casey sortit quelque chose de sa poche. La chaine et le pendentif de maman. Je suis grandement étonné. Comment l’a-t-elle eu ? Paniqué sur le coup, je fouillais mes propres poches de jean. En vain… C’était bien le dernier souvenir qu’il me restait de ma maman que Casey avait entre les doigts. Je la pris avec émotion. Elle a pu sentir la main moitié et humide contre la sienne, reprenant ainsi mon bien. Je ne pleurais pas non. Mon regard se remplit de tristesse en regardant la photo de ma mère. Elle me manque tellement. Jamais je ne pourrais faire son deuil. Cela m’était impossible. C’était trop douloureux. Casey me demandait alors de la laisser m’aider. Elle venait de briser cette armure invisible que je m’étais construit pour me protéger. Casey a trouvé mon point faible. Ma regrettée maman. « Elle est si belle… Tu ne trouves pas ? » Une larme roula le long de ma joue pour ensuite tomber sur mon tee shirt. « Elle me manque tellement… » Jamais je n’avais parlé de ma mère à aucun de mes collègues. Seules mes amies prostituées du coin de la rue connaissent mes origines. Le seul lien qui nous unissait ces filles là et moi. Mais un lien tellement fragile et fort à la fois. Kim, ma meilleure amie, savait comment Saphir a fini. Et peut être bientôt aussi Casey. Qui sait ? Mais je préférais quand même changer de sujet. « Où as-tu appris à danser comme ça ? » Je m’installais à nouveau sur le canapé. Ne lâchant plus mon médaillon, je le serrais dans ma main, posée sur mon cœur. J’avais envie d’apprendre à mieux connaitre Casey. De savoir qui est cette femme dont je suis désespérément amoureux.

Si je me rapproche de Casey, comment vais-je pouvoir faire pour l’oublier ? En à peine quelques minutes, cette femme si incroyable soit elle a réussi à me faire ouvrir les yeux sur les véritables sentiments pour elle, a su me retenir auprès d’elle alors que je ne pensais qu’à m’éloigner – quel supplice me direz-vous de rester à ses côtés –, a trouvé mon plus gros point faible : ma maman. Mais surtout… Casey me fait me comporter comme le jeune homme que je suis réellement. Un mec solitaire, timide et triste qui a en fait besoin de compagnie et de se confier. J’apprends sur ma patronne ce soir plus que je n’ai appris sur elle depuis notre rencontre il y a quelques années. Et cette nouvelle facette me plait davantage. C’est horrible ! Merde à la fin ! Casey est mariée ! Donc indisponible pour toi mon vieux ! Inutile de continuer de fantasmer sur elle. Jamais cette splendide créature te verra comme tu la vois ! Jamais cet amour que tu ressens pour elle sera réciproque ! Mais plus je restais à ses côtés, moins je souhaitais partir. Je n’avais qu’une envie : c’était de lui dire combien je l’aimais et que je la désirais comme jamais. Si cela ne tenait qu’à moi, je la prendrais tout contre moi, je l’embrasserai à m’en couper le souffle. Je la déshabillerais et je lui ferais l’amour là sur le champ. Si seulement j’étais un homme… Un vrai ! Je saurais peut être comment faire pour qu’elle ne me rejette pas. Mais là… J’ai peur de ne jamais être capable de cela. Miles a tellement de la chance d’être marié à Casey… Jamais je ne connaitrais ce bonheur… C’est un cauchemar qu’est ma situation. C’était tellement simple il y a quelques heures encore entre nous. On s’entendait comme chien et chat. On pouvait continuer à se détester sans arrière-pensée. Mais certes… De son côté à elle, je ne sais pas où elle en est, mais me concernant, avant de découvrir que ces fichus ballonnements que j’avais mystérieusement qu’en présence de Casey est ce que l’on appelle l’amour, j’étais dans le flou total concernant la raison de notre mésentente. Maintenant que j’y pense… Peut être que Casey ressent la même chose et qu’au final elle me déteste car je ne suis pas son mari !? Cela voudrait dire que ma patronne serait aussi attirée physiquement par moi !? Qu’elle ressent autre chose que de la haine envers moi !? Ne dit on pas que l’amour et la haine sont deux sentiments similaires !?

J’observais Casey siroter son verre. Sa proposition de formation pour devenir webmaster ne m’enchantait guère. Ce qui m’intéressait moi, c’était de réparer le matériel et non de faire mumuze avec le clavier pour créer des sites internet. Je ne relevais pas sur ce point. En revanche pourquoi Casey parlait elle de passion ? La musique était ma passion ? Ah !? Bah première nouvelle. Heureux de l’apprendre… Ma véritable passion était le dessin. Mais je n’ai plus jamais réussi à tenir un crayon en main depuis l’assassinat de maman. Jouer de la guitare était aussi une passion. Je pouvais gratter les cordes pendant des heures entières sans me lasser. J’étais juste trop timide pour le faire en présence de quelqu’un.

Casey me rendit mon médaillon. Me disant que j’avais les mêmes yeux que maman. « Il parait. » Maman me disait aussi que je ressemblais beaucoup à mon père. Même si elle n’a jamais voulu me dire qui c’était, j’étais persuadé qu’elle l’avait aimé. Sinon pourquoi avoir gardé le bébé quand il l’a mise en cloque ? D’ailleurs pourquoi est il parti laissant maman seule quand il a appris qu’elle attendait son enfant ? Ai-je fait pour qu’il ne veuille pas me connaitre ? Ai-je des frères et sœurs quelque part dans ce monde ? A New York, à Island Bay ou ailleurs ? A Island Bay ? Faut que je fasse des recherches sur maman. Peut être a-t-elle vécu ici avant d’emménager à New York. Peut être que c’était maman qui était partie pour essayer de l’oublier. Tout comme je devrais faire avec Casey…Mais je n’arrive pas. Je n’y arrive plus. J’aime être auprès d’elle. Respirer son parfum. Toucher sa main…

Je demande à Casey si elle a appris à danser. Je n’ai plus à me cacher de l’avoir vu. Elle resplendissait sur la musique. Ma patronne commença à se confier à son tour. Me parlant de sa mère. Elle a souffert de son absence. Nous pouvons un point commun. Mais Casey avait la chance qu’elle soit toujours vivante. Je finis mon verre. Elle devint émue à son tour de se met à pleurer. Ne sachant pas trop quoi faire, j’hésitais. Puis je me rapprochais d’elle et la pris dans mes bras. Sa tête contre ma poitrine, elle pourrait entendre à coup sûr à quel point mon cœur battait vite pour elle. Tant pis ! De toute façon, elle sait que je suis amoureux d’elle. Pourquoi lui ai-je dit que je l’aimais bordel ? Quel abruti je peux être ! Ignorant complètement ce qu’il faut dire ou bien faire, je la laissais pleurer aussi contre moi. Je caressais ses cheveux. Ils étaient si doux… Elle sentait si bon… Je n’osais plus bouger car je sentais l’envie monter en moi. J’étais tellement gêné à l’idée qu’elle s’en aperçoive… Une fois qu’elle eut fini de verser ses larmes, je la regardais simplement avec un léger sourire. « Tu pourras m’apprendre si tu veux. Comme ça tu pourras exercer ta passion avec moi. » Bah v’là autre chose maintenant ! Au début je cherchais à l’esquiver et v’là que maintenant je lui réclamais pour passer plus de temps ensemble… Pourquoi pas lui proposer un rencard et une coucherie pendant que j’y étais ? Pfff ! Quel abruti quand je vous le dis…

Casey savait que je ne voulais pas faire sa maudite formation. Pourquoi insistait-elle ? Quant elle vint à me parler de CV j’ai eu peur qu’elle me vire. Que devais je comprendre ? Dois je commencer à chercher du travail dans une autre boîte ? Têtu, je restais muet face à ce débat qui était devenu pour ma patronne un monologue. Démoralisé qu’elle ai découvert ma minable situation, je n’avais pas envie de me prendre la tête avec elle. Casey finira bien par se lasser et passer à un autre sujet de discussion. Si elle souhaitait échanger avec moi sur la pluie et le beau temps qu’on n’avait plus, pas de problème. Ou même d’autre chose.

Jusqu’à ce soir, j’ignorais qu’elle avait aussi souffert de l’absence de sa mère. Mais elle pouvait encore relier et tisser des liens avec elle. Quant à moi, ma maman était au ciel. Je me consolais autant que je pouvais en me disant qu’elle veillait sur son fils unique de là-haut. J’espérais de pas trop la décevoir. Qu’elle n’avait pas trop honte de son gamin. Bah quoi ? Je ne lui ai jamais ramené ni belle fille ni petits enfants. Saphir avait toujours rêvé de fonder une famille nombreuse. C’était un souhait que j’avais hérité. Mais hélas qui devint petit à petit, au fil du temps, quelque chose d’irréalisable. D’autant plus que mon cœur avait choisi pour cible une déesse que je ne pourrais jamais avoir. Que le diable m’emporte ! Je n’étais qu’un fils indigne. Ça me déchirait rien que de penser à cela.

Papoter danse fut le seul sujet que je trouvais pour qu’elle me lâche la grappe avec le boulot. Je ne savais guère ce qui était le plus déplorable : moi-même ou ma situation. Comme ci Casey se rabaisserait à me donner des cours de danse. J’étais aussi doué qu’un piquet planté profondément dans le derrière. Un cas désespéré. Et avec ma maladresse, ce n’était tout simplement pas jouable apprendre à bouger au rythme de la musique. J’avais la même souplesse d’un pépé de quatre-vingt-dix balais. J’étais ridicule.

Voir Casey s’effondrait de la sorte me fendit le cœur. Je n’aimais pas voir les gens souffrir. Je détestais voir la fille de mes rêves souffrir. SI je m’écoutais, je l’aurais accompagné dans ses pleurs. Et ça ne l’aurait aidé en rien d’agir de la sorte. Alors qu’elle se reprit, qu’elle leva ses yeux de panda humide vers mon visage, j’entrouvris légèrement la bouche humidifiant par la même occasion mes lèvres. Je pris une grande inspiration. J’ignorais ce qui m’arrivait. Je me sentais tout bizarre. Casey si plus belle que jamais. N’importe quel homme la trouverait repoussante la voyant ainsi. Mais pas moi. Je fondais littéralement sur place face à son regard. Elle devait se demandait pourquoi je rougissais de la sorte. J’avais l’impression que j’allais faire un malaise. Il me fallait de l’air. Il me fallait un verre. Je regardais dépité le mien vide sur la table basse. Mais je n’osais pas m’en servir un second. Je n’étais qu’un employé et elle ma patronne. Casey me demanda si j’avais aimé sa danse. Que devais je répondre à ça ? Ce fut en l’observant gesticuler sur ces notes de musique que j’avais compris l’importance qu’elle avait pour moi. Je n’aimais pas le mensonge. Devais je lui dire que j’étais tombé amoureux d’elle à ce moment précis ? Je piquais grave un fard. Si une coupure de courant vint maintenant, Casey verrait lire notées en lettres capitales sur mon front « I LOVE YOU ». J’esquivais son regard. Fixer le sol. Mes affaires. Mon médaillon. La porte. N’importe quoi. N’importe quoi mais surtout pas jeter un œil vers ma patronne ou en sa direction. Je ne savais plus où me mettre. Tel un gosse prit en faute. Je ne pus qu’hocher timidement la tête à sa question.

Casey prit place derrière son bureau. Je me levais et m’avancer vers la porte pour ainsi la laisser. J’avais peur de la déranger plus longtemps. Prenant mon sac, je me tournais vers elle lorsqu’elle me proposa de m’héberger chez elle. C’était vrai. Ma patronne n’avait pas oublié à quel point j’étais un raté. « C’est gentil de ta part. Mais je ne peux accepter ta proposition. » Je devais d’abord me faire à l’idée que j’étais amoureux de ma patronne. Faire un deuil pour une histoire d’amour qui n’aura jamais lieu. Je ne me sentais pas la force de partager son logement avec elle. En compagnie de sa famille. En compagnie de son mari. Je ne voulais pas la voir dans les bras de son homme. Rien que d’y penser, j’en avalais difficilement ma salive. Je n’étais pas prêt à la voir tenir la main de son conjoint. Alors les voir s’embrasser, vivre ensemble ou les entendre faire sauvagement l’amour pendant la nuit alors que les enfants dorment, cela m’était impossible à supporter. «  Je peux compter sur mon amie Kim pour le logement. Jusqu’à présent, je ne voulais pas la déranger mais maintenant je n’ai plus le choix. » Je ne voulais pas que ma meilleure amie perde des clients à cause de moi. Je savais qu’elle ramenait quelques fois des hommes chez elle.