so baby, times get a little crazy → seth

Debout devant le commissariat, Cleo fumait nerveusement ce qui devait être sa cinquième clope en moins de deux heures tout en faisant les cent pas et en se motivant mentalement à appeler Seth. Elle shoota dans un caillou qui ricocha contre allez savoir quoi et revint l’égratigner comme si ça ne suffisait pas comme ça pour aujourd’hui. Et il n’était jamais que 4h du mat’. Aux alentours des 3h, la rouquine était sortie toute guillerette du boulot – parce que rien ne la réjouissait plus que de dire au revoir au reste de l’équipe de tournage et rien ne la déprimait plus que de leur dire bonjour (ou bonsoir parce que le réalisateur avec qui elle travaillait en ce moment faisait pas mal d’excès de zèle, comme de vouloir tourner aux petites heures… wow, quel réalisme ! Elle trouvait ça parfaitement ridicule.) -, était bien vite montée dans son petit bolide, avait mis la radio à fond et fonçait à tombeaux ouverts en direction d’east bay. Vous pensez bien qu’à cette heure tardive, en milieu de semaine, il n’y avait pas un chat dans les rues – enfin, presque -, c’était comme si tout Wellington lui appartenait. Mais – il y a toujours un « mais » dans un cas pareil – elle se rendit compte qu’il n’en était rien en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Au début, la musique résonnait si fort dans l’habitacle qu’elle crut que les sirènes retentissaient seulement dans la chanson, puis elle vit le gyrophare dans son rétroviseur. Ses mains s’étaient alors crispées sur le volant à en faire blanchir ses jointures et c’est en psalmodiant « merde, merde, merde, merde, merde » qu’elle s’était rangée sur le bas-côté, jugeant qu’il ne valait mieux pas aggraver son cas. Du mieux qu’elle put, l’écossaise tâcha de se reprendre et se dit que cette histoire serait réglée en quelques battements de cils si elle savait s’y prendre. Un coup d’œil dans le rétro lui apprit qu’elle n’était pas trop moche après sa soirée de boulot et tandis que l’agent de police sortait de sa voiture, la jeune femme vérifia que le décolleté de sa robe mettait assez bien sa poitrine en valeur. Bah quoi ? Ça marchait toujours dans les films ! Sourire charmeur et tout le bazar mais elle n’eut même pas le temps de lui lancer un « bonsoir monsieur l’agent » de sa voix la plus suave que celui-ci lui demandait déjà les papiers du véhicule. Bon, ça faisait toujours plaisir et elle qui espérait éviter ça n’eut pas d’autres choix que d’obtempérer.

Cleo remballa son sourire et essaya d’attirer l’attention du policier avant qu’il ne s’attarde un peu trop longtemps sur le nombre de points qui lui restaient sur son permis. Ce n’était pas qu’elle conduisait mal mais disons que c’était un fana de courses de rues qui lui avait appris à l’âge de seize ans et sur un circuit au lieu du traditionnel parking de supermarché. Et puis elle avait un peu joué de malchance, ces derniers temps. Bref, dans le feu de l’action, elle lui demanda quel était son signe astrologique parce qu’elle avait vu ça dans Friends mais il ne prit même pas la peine de répondre. Fantastique, et on se demandait pourquoi elle n’avait jamais aimé les flics ? Quoi qu’il en soit, ce qui devait arriver arriva, il passa au permis et décida de lui retirer les malheureux petits points qui lui restaient pour non-respect des limitations de vitesse en zone urbaine – elle eut beau répliquer qu’il n’y avait personne, ça n’y changea strictement rien – et non-port de la ceinture de sécurité. Là, il n’y avait pas à répliquer mais elle songea tout de même qu’heureusement qu’elle n’était pas en train de téléphoner sinon… Oh, quoique, retrait de permis pour retrait de permis, de toute façon.

Et puis comment est-ce qu’elle allait aller bosser maintenant ? Quand même pas en bus, ça serait la honte, vous imaginez un peu, la riche héritière prendre le bus ? Mais ça encore, ça irait mais c’était quasi certain qu’il n’y en avait plus après minuit et elle n’était pas Cendrillon. Bon, elle allait rentrer chez elle, mettre la voiture au garage et aviserait demain. Sauf que l’agent de police n’en avait pas terminé avec elle, à croire qu’il lui en voulait personnellement, puisqu’il ajouta qu’il n’était pas question de la laisser ne serait-ce que rentrer chez elle, qu’il immobilisait le véhicule et qu’il serait ensuite embarqué par la fourrière. La première réaction de Cleo fut de s’énerver et de lui balancer « non mais c’est contre les roux ou contre les écossais que vous avez un problème ?? » et c’est précisément pour cette raison qu’elle se trouvait actuellement devant le commissariat. Au moins avait-il eu la décence de ne pas réellement l’arrêter avec les menottes et tout le tralala. Il devait sans doute penser qu’un petit tour à l’arrière de sa bagnole de poulet la calmerait et il avait vu juste. Bon, en cherchant le bon côté des choses, on pouvait se dire qu’elle était facile à localiser, bien que vachement loin de chez elle quand même. Puis elle avait eu un peu le temps de réfléchir à ce qu’elle allait dire à Seth… un peu.

La rouquine sortit son portable de la poche de son blouson et trouva rapidement le nom de son mari dans le répertoire. Une sonnerie, deux sonneries… trois sonneries et la voix ensommeillée et surprise de Seth lui répondit.

« Salut Seth, c’est Cleo. Dis, je suis au poste de police, là et je te raconterai tout dans les détails plus tard mais j’ai plus mon permis et la voiture est à la fourrière, tu peux venir me chercher s’il te plaît. Désolée de t’avoir réveillé, au fait. »

Cleo s’étonnait elle-même du calme et de l’enjouement dont elle semblait faire preuve alors qu’elle était littéralement à bout de nerfs. Et pour ne rien arranger, une fois qu’elle eut la confirmation du jeune homme, elle rentra dans le commissariat et prit un café probablement dégueu à la machine le temps qu’il arrive.

Bien sûr que non, elle n’avait pas bu. Après l’accident dans lequel ses parents étaient morts en percutant frontalement un chauffard alcoolique, vous pensez bien qu’elle faisait extrêmement attention à ça. Ou pas, vu qu’elle roulait toujours trop vite, grillait les feux rouges et ne bouclait que très rarement sa ceinture de sécurité, on pourrait croire que ça lui passait complètement au-dessus de la tête mais on aurait tort. Toujours est-il qu’après avoir répondu à Seth puis raccroché, Cleo était retournée à l’intérieur prendre un café. Sur un des bancs ultra inconfortables de la salle d’attente, un type était assis et comme elle n’avait rien d’autre à faire en attendant, elle décida de lui taper la causette. C’est ainsi qu’elle apprit qu’il était là pour braquage à main armée et que ce n’était pas sa première fois. Il lui demanda à son tour pourquoi elle était là et elle essaya de jouer les habituées elle aussi alors que c’était la toute première fois qu’elle se faisait arrêter et pour un délit mineur, par-dessus le marché. Le type se fit ensuite emmener… en salle d’interrogatoire, peut-être ? Elle l’ignorait, tout ce qu’elle connaissait des commissariats c’était ce qu’elle en voyait à la télé. Et leur hall d’entrée depuis cette nuit. Elle se remit donc à faire les cents pas tout en sirotant son ignoble café.

Quelques minutes plus tard seulement, Seth arrivait. Accompagné de Cher. Dire qu’elle était contente de les vois tous les deux serait un euphémisme, c’était pratiquement le comble de la joie et elle se retint tout juste de sauter au cou de son époux parce que ce n’était peut-être pas l’endroit pour ça. Le jeune homme signala qu’il était son mari avec peu de conviction, ce que le flic ne manqua pas de remarquer mais ce gars avait visiblement une dent contre eux sans qu’elle sache pourquoi. Et plutôt que de se taire sagement, Cleo ne put s’empêcher de répliquer.

« Oui ben le jour où votre femme vous appellera au beau milieu de la nuit pour vous demander de venir la chercher au poste de police, on verra si vous êtes toujours aussi convaincu, hein. »

L’agent lui adressa un regard noir suivi d’un ricanement qui devait sans doute dire « c’est pas demain la veille que ça arrivera ». Cher se mit alors à tirer pour la rejoindre et Seth suivit le mouvement en s’excusant auprès de cette tête de nœud de policier. Il alla même jusqu’à le remercier de l’avoir amenée ici. Mais merci de quoi ? De l’avoir arrêtée ? D’avoir fait embarquer son principal moyen de locomotion ? Plutôt mourir que de lui dire merci ! C’est Seth qui la sortit de ses pensées en l’embrassant au coin des lèvres tandis que Cher lui faisait la fête comme si ça faisait des mois qu’elle ne l’avait pas vue. La rouquine prit la petite chienne dans ses bras et adressa ce qui devait être son premier sourire de la journée à son mari et hocha la tête.

« Oui, allons-nous-en. »

L’écossaise se laissa guider et releva bien haut le menton en passant devant le flic, ce dont il sembla se moquer éperdument mais c’était l’intention qui comptait.
Ce n’est qu’une fois dehors, à l’air frais, qu’elle reposa Cher à terre et qu’elle se souvint qu’elle avait promis des explications à Seth qui ne tarda pas à les lui réclamer, appuyé contre la portière de son pick-up. Il semblait avoir directement pensé à un accident et Cleo se sentit bien bête de ne pas lui avoir dit tout de suite qu’elle allait bien et qu’il ne s’était rien passé de très grave. Décidément, il fallait encore qu’elle travaille la communication.

« Oh non, pas d’accident. Je vais bien et la voiture aussi. »

C’était de loin la meilleure nouvelle étant donné qu’elle n’avait cessé de l’égratigner ces derniers temps.

« Je sortais juste du travail et j’avais envie de rentrer vite à la maison. Alors j’admets que j’allais un peu trop vite et que je portais pas ma ceinture mais je te jure que j’ai rien bu d’autre que de l’ice tea et du café et au lieu d’être coulant avec moi, ce vieux flic a préféré me saquer en voyant ce qu’il restait de points sur mon permis. »

Seth était au courant des petits accrochages qu’elle avait eu récemment, il l’avait même aidée à remplir un constat il y a de ça deux semaines parce qu’elle n’y comprenait rien et qu’en plus, il fallait dessiner sur un papier officiel. Cleo en était ressortie avec une nouvelle amie et un passage chez le garagiste mais elle avait effectivement embouti l’arrière de la voiture qui se trouvait devant elle. Dans un sens, elle se savait coupable tout en étant clairement remontée contre l’autre homme des cavernes, là. Encore un peu et il disait à Seth qu’on ne laisse pas sa femme sortir à des heures pareilles comme si on était encore en 1950.

« Bref, excuse-moi encore de t’avoir réveillé et… »

La rouquine allait monter dans le pick-up en prenant Cher sur ses genoux lorsque ça la frappa.

« Merde, Seth, j’ai oublié mon matos dans le coffre ! »

La perche, le casque, les micros, tout ! Qu’elle ne les ait pas pour aller bosser le lendemain était le cadet de ses soucis, terminé de faire comme si elle en avait quelque chose à faire de ce job, mais c’était du matériel de professionnel et qui sait si les mecs de la fourrière ne fouillaient pas les voitures qu’ils récupéraient pour revendre ce qu’ils y trouvaient et qui avait un peu de valeur ? Ou peut-être qu’elle avait vu trop de films.

« Tu crois qu’on peut passer à la fourrière tout de suite pour voir si on peut pas le récupérer ? »

Vu l’heure, ils allaient probablement les envoyer se faire voir mais ça valait la peine d’essayer.

Ah, Cleo ne pouvait pas contredire Seth quand il disait qu’elle avait sans doute trop regardé de films avec des courses de voitures ; elle avait effectivement vu chaque Fast&Furious un nombre incalculable de fois bien qu’elle déteste pourtant le tunning – mais elle n’aurait pas craché sur la Dodge Charger de Dominic Toretto – et elle avait pas mal joué à GTA aussi. Maintenant, est-ce que ç’avait influencé sa façon de conduire pour autant ? Sans doute, à moins que ça fasse tout simplement partie de son tempérament, mais ce qui était sûr, c’est qu’elle avait beaucoup de mal avec les conduites mollassonnes. Et comme elle n’y pouvait rien et que ça ne sonnait pas comme un reproche dans la bouche de son mari, la jeune femme se contenta d’hocher la tête, un petit sourire d’excuse aux lèvres. Sourire qui s’élargit à mesure que Seth parlait. Ça lui faisait tout drôle que quelqu’un d’autre qu’elle-même se préoccupe de ce qu’il pourrait advenir d’elle. Même Jennie, sa mère adoptive – ne s’était jamais souciée autant d’elle. Tu parles, c’est à peine si elle s’était aperçue que Cleo avait quitté Canberra, des fois elle lui passait encore un coup de fil pour lui demander de rapporter du lait, c’est dire… Bref, par pur réflexe, la rouquine fit comme si ça ne la touchait pas plus que ça, se hâta de chasser ce sourire niais et se força à détourner le regard des yeux si bleu de son mari pour répondre une nouvelle fois par un acquiescement.

C’est à peu près à ce moment-là qu’elle se souvint qu’elle avait oublié l’entièreté de son matériel dans le coffre de son vieux tas de boue et que la panique la gagna à nouveau. C’est qu’elle n’avait absolument aucune confiance en la police, voyez-vous. Elle n’avait jamais eu de raison d’en avoir et ce n’était sûrement pas parce qu’elle en connaissait un qui essayait de la faire changer d’avis qu’il y était parvenu. Un autre type aurait totalement pu l’envoyer bouler, lui dire qu’ils n’étaient pas à un jour près, qu’il avait envie de retourner se coucher et qu’elle n’avait qu’à ne pas oublier son matériel ou ne pas se faire arrêter, au choix mais pas Seth. Okay, elle voyait bien à son expression que c’était uniquement pour lui faire plaisir qu’il acceptait d’y aller maintenant mais elle n’en demandait pas plus. En fait, ça faisait même clairement partie de ce qu’elle appréciait chez lui. Et pour une fois, elle obéit docilement et boucla sa ceinture, calant Cher comme il fallait entre ses bras.

Ils furent à la fourrière en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ce qui prouvait bien que Seth avait hâte de rentrer se coucher et qu’il n’y avait personne dans les rues de Wellington. Ils laissèrent Cher dans le pick-up contre son gré, ce qu’elle ne manqua pas de leur faire savoir en aboyant après eux et ils s’avancèrent vers l’entrée très mal éclairée de la fourrière. Comme Seth le fit remarquer, l’endroit semblait désert mais c’était bizarre, après tout ils venaient bien de récupérer sa voiture, non ? Elle n’avait pas passé tant de temps que ça au poste de police… Une voix retentit alors de l’ombre, manquant de leur déclencher une crise cardiaque à tous les deux et, instinctivement, Cleo se cramponna à la main de son mari. Le moins qu’on puisse dire c’est que le garde n’avait pas l’air des plus commodes non plus. Il leur agita des clefs sous le nez et leur fit savoir qu’il ne leur ouvrirait pas. Elle s’apprêtait à lui faire les yeux doux, ils étaient là, lui aussi, à quoi bon revenir le lendemain alors qu’ils pouvaient très bien récupérer tout le bazar dans son coffre en moins de deux mais le type avait déjà disparu.

« Quel con… » fut tout ce qu’elle trouva à dire alors que Seth le poursuivait.

Il ne voulait pas être sympa avec eux ? Très bien, tant pis pour lui. Lorsque Cleo avait une idée dans la tête, elle ne l’avait pas ailleurs et elle avait décidé qu’elle récupérerait son matériel maintenant. Sans prendre la peine de prévenir son mari, l’écossaise longea la clôture, cherchant un passage où se faufiler mais comme elle n’en trouvait pas et que ladite clôture avait l’air d’un autre âge, elle tenta de la forcer en mettant un coup de pied dedans. Alerté par tout ce bruit – toujours tout en finesse avec Cleo -, Seth rappliqua argumentant qu’ils allaient se faire prendre et que ça serait en garde à vue qu’elle finirait sa nuit. Des deux mains, la jeune femme lui fit un signe qui se voulait apaisant mais qui ne l’était peut-être pas parce qu’il ne signifiait en aucun cas qu’elle entendrait raison.

« Mais non relax, Seth. C’est pas un kilo de coke que je veux retrouver, juste mon matériel sans lequel je ne peux pas bosser et ce type le saurait s’il m’avait seulement laissé en placer une. Je te promets qu’on s’attardera pas. »

Pendant un bref instant, elle ne sut pas si elle était parvenue à le convaincre ou non, mais après avoir jeté un coup d’œil aux voitures qui se trouvaient là – et au tracteur, Cleo aurait bien aimé savoir le pourquoi du comment -, il la regarda de nouveau et accepta de lui faire la courte échelle.

« Oui bien sûr, j’ai toujours un double sur moi. »

Des fois qu’elle perdrait le premier jeu pour on ne sait quelle raison. Soit, c’est sûrement avec un peu trop d’enthousiasme qu’elle s’élança par-dessus la clôture parce qu’elle manqua de se fouler une cheville – et ç’aurait été le comble, après la fourrière les urgences – mais elle se réceptionna comme une championne – qu’elle était, vous avez vu les portés de folie dans le swing, un peu ? – et, à sa grande surprise, Seth en fit de même. Lui qui avait l’air si sérieux, elle s’était attendue à ce qu’il la laisse se débrouiller puisque c’est elle qui tenait tant à faire ça maintenant au lieu de revenir pendant les heures d’ouverture mais non… décidément, il la surprenait de jour en jour et en bien qui plus est. A pas feutrés, la jeune femme rejoignit sa voiture dont elle ouvrit le coffre et en sortit tout le matos. Puis elle en profita pour aussi récupérer ses CDs.

« Comment ça se passe, tu crois ? Ils vont me la rendre et elle devra rester au garage jusqu’à ce qu’on me rende mon permis ? »

Ça serait pratique, tiens… mais Cleo n’avait pas envie de se poser d’autres questions de logistique pour l’instant, aussi fourra-t-elle les CDs dans son sac et remonta celui qui contenait son matériel sur son épaule. Ils pouvaient y aller. Oui, sauf qu’à mi-chemin, une espèce de spot aveuglant se déclencha et bien qu’ils n’y voient rien, ils entendirent clairement le type de tout à l’heure donner un ordre à ce qui devait être son chien et la panique revint ainsi qu'une montée d'adrénaline. Un énorme molosse, probablement, sinon ça ne serait pas drôle. Courir ou se planquer, telles étaient les possibilités qui s’offraient à eux.

Il n’y avait pas à dire, c’était quand même chouette de savoir que l’on pouvait compter sur quelqu’un. Une sensation que Cleo n’avait que très peu connue jusqu’ici et qui ne l’empêchait pourtant pas de paniquer comme une gosse à la moindre erreur qu’elle commettait. Tout ça pour dire qu’elle écoutait Seth, qui se posait en tant qu’adulte de leur binôme pour le coup, attentivement. De la paperasse, des pots de vin… c’est nul la vie d’adulte, quand même. Mais qu’à cela ne tienne. Une chance qu’elle n’ait pas oublié son vélo dans le déménagement, quelque chose lui disait qu’elle pédalerait plus qu’elle ne prendrait le bus à l’avenir. A la question de son mari, la rouquine vérifia qu’elle avait bien récupéré tout ce dont elle avait besoin dans l’immédiat et sourit à l’évocation de Cher impatiente de rentrer.

« J’en connais d’autres que notre petite diva. »

Elle avait très bien compris le sous-entendu et ne pouvait lui en vouloir. Pas après l’avoir sorti du lit avec tant de précipitation. Puis elle non plus n’était pas contre l’idée de retrouver son lit, quand on pense que tout ça c’était s’était produit précisément parce qu’elle était pressée de rentrer chez elle, c’était pas mal ironique.

Mais le sort s’acharne et ils en eurent un aperçu quand les aboiements du chien de garde retentirent pas si loin que ça. Seth lui conseilla alors de prendre la direction de la barrière, de monter sur le toit de la voiture qui se trouvait juste devant et de passer de l’autre côté. Cleo, qui avait l’habitude d’obéir aux ordres quand ceux-ci lui paraissaient logiques – déformation professionnelle -, attrapa le casque et s’exécuta aussitôt. Du moins jusqu’à ce qu’elle voie que Seth ne suivait pas et comme il lui était impossible de le laisser derrière, elle attendit quelques instants sur le toit de ladite voiture. Quelque chose n’allait pas, mais quoi ? Les aboiements de Cher, ils ne venaient plus du même endroit. Comment ? Pourquoi ? Elle l’ignorait, tout ce qu’elle savait c’est qu’ils provenaient à présent de la fourrière. Cette même fourrière où un monstre de garde apparemment bien dressé sévissait. Sans se poser plus de questions, la jeune femme redescendit aussi sec, le cœur serré à l’idée de perdre Cher qu’elle considérait comme sa propre fille et d’abandonner Seth à son sort. Mais il s’avéra que tout le monde allait bien et elle put de nouveau respirer normalement. Cher jouait avec le molosse qui grondait sur Seth qui, lui, essayait de ravoir Cher sans risquer d’y perdre un bras ou une jambe.

Cleo s’apprêtait à lui venir en aide, peut-être que la voix de ses deux maîtres finiraient de convaincre Cher de dire au revoir et à bientôt à son nouveau copain quand la voix désagréable du garde de tout à l’heure s’éleva une fois de plus. Elle était en train de rêver ou bien était-il vraiment en train de parler de son matériel qu’ils s’étaient donné tant de mal à essayer de récupérer, là ? Ah non, non, elle ne laisserait pas faire ça. Ce n’était pas une question de pouvoir fayoter auprès de ce réalisateur qui la dégoûtait un peu, ni même le fait qu’elle avait économisé durant des années pour pouvoir se payer tout ça, non, c’était juste pour que tout ce qu’ils avaient fait jusque-là ne soit pas vain. Sans trop réfléchir, l’écossaise partit tout droit en direction de la voix et fit ce qui lui semblait être la seule chose à faire : le plaqua au sol. Une chance qu’il ne s’y attendait pas, sinon elle n’aurait jamais fait le poids mais ç’avait fonctionné. En quelques secondes, l’homme s’était cependant déjà remis de ses émotions et rappelait son chien à lui. Aussi vite que possible, Cleo se releva et tenta de s’expliquer, sait-on jamais…

« Je suis sincèrement désolée mais vous ne nous avez même pas laissé le temps de nous expliquer tout à l’heure. On venait juste récupérer mon matériel de travail, je peux pas vous laisser le revendre. »

Comme si cette phrase allait changer quoi que ce soit. A elle seule, ça n’aurait sûrement pas été le cas mais le type plissa alors ses yeux braqués sur elle, tenant son chien en respect.

« Mais je te reconnais, toi ! »

Alors ça, on peut dire qu’elle ne s’y attendait. Comment le gardien d’une fourrière de Nouvelle-Zélande pouvait-il la reconnaître ? Une seule possibilité : il devait la prendre pour quelqu’un d’autre. Elle eut tout juste le temps de dire « non, vous devez vous mé… » qu’il poursuivait :

« Mais si, t’es la p’tite coincée aux koalas dans ce film porno d’Australie ! »

Ah… là, elle comprenait mieux. Il y a bien longtemps de cela, Cleo devait avoir dix-sept ans et un mal fou à payer son loyer, elle avait accepté de faire de la figuration dans un ou deux films. Tout ce qu’elle avait accepté c’était de se fringuer comme Crocodile Dundee, de prendre un koala dans ses bras et d’apparaître une fraction de seconde dans un film vraiment très mauvais pour y afficher une moue dégoûtée en voyant les deux stars du film en pleine action et en pleine cambrousse puis repartir d’où elle venait. Certainement l’un des moments les plus humiliants de sa vie mais elle ne pensait pas vraiment qu’il se trouverait des gens pour regarder un film aussi nul. Et pourtant, ça lui revenait en pleine face ici et devant son mari à qui elle n’avait pas jugé utile d’en parler. Super embarrassant. Mais d’un autre côté, si ça pouvait les aider à se sortir de là… La rouquine se pinça les lèvres et décida de prendre sur elle.

« J’avoue tout, monsieur le juge. »

Le tout accompagné d’un petit rire qui sonnait totalement faux mais l’important, c’était que ce gars n’y voit que du feu. Ce qui devait être le cas puisqu’il lui demanda s’il pouvait avoir un autographe mais pas sur un bout de papier, comme les gens normaux, plutôt sur une certaine partie de son anatomie, contre quoi il les laisserait repartir sans appeler les flics et avec le matériel. Et allez, Cleo avait l’impression d’être au boulot mais en dehors de ses heures de travail et elle allait refuser, bien évidemment, parce qu’il ne fallait pas déconner non plus. Instinctivement, elle se tourna vers Seth qui allait peut-être pouvoir trouver un compromis, lui.

Un bruit ? Quel bruit ? Pour le coup, Cleo fit comme si de rien n’était, estimant que c’était une chance que Seth n’ait pas assisté à son plaquage presque digne des plus grands joueurs de la NFL – ou de rugby pour faire plus couleur locale – parce que quelque chose lui disait qu’il n’aurait pas approuvé. Mais tout ce qui importait dans l’immédiat c’était qu’il avait récupéré Cher, la petite diva se trouvant à présent en sécurité dans les bras de son maître. Si seulement cet abruti de garde ne s’était pas mis à parler de son passé quelque peu tumultueux… Du moins, pas devant Seth qui, elle le remarqua du coin de l’œil, passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel excepté le vert – ce qui était déjà une bonne chose – en apprenant la nouvelle. C’est pourquoi lorsqu’il lui demanda si elle avait été dans un porno, elle tourna ses grands yeux verts un peu coupables vers lui et répondit en rapprochant son pouce et son index, geste qui signifiait « un p’tit peu ». Si on pouvait appeler ça une réponse car elle se doutait que ça ne suffisait pas mais elle aimait autant ne pas avoir à s’expliquer devant ce type qui avait l’air assez fier de lui comme ça.

Puis il y eut la proposition et ce fut au tour de son mari d’entrer en action. Comme toujours, son sourire était communicatif et la ride du lion qui se creusait petit à petit entre ses sourcils à mesure qu’elle les fronçait s’estompa aussitôt. La rouquine recueillit Cher entre ses bras et la serra contre elle avant de déposer un baiser entre ses deux oreilles, ce à quoi la petite chienne renchérit par une léchouille. Elle s’étonna alors de la crédibilité de Seth dans son rôle de mari un rien surprotecteur. Seth était une personne accommodante, ce qui lui plaisait bien étant donné qu’il abondait souvent dans son sens et que, lorsqu’il était en désaccord avec elle, il le faisait savoir avec diplomatie ce qui aidait parfois Cleo à entendre raison. Alors ça faisait bizarre de le voir imiter les flics surchargés en testostérone de tout à l’heure pour arriver à leurs fins. Et ça fonctionnait pas mal, comme quoi, la vie n’était pas aussi simple qu’une certaine chanson des Pussycat Dolls… ou peut-être que si, en fait. Ils avaient oublié un facteur important dans l’équation : le chien du gardien qui réagit au quart de tour dès que son mari posa la main sur son maître, se ruant sur Seth qui s’étala sous la force du molosse. Cher se mit alors à aboyer, ça ne lui plaisait manifestement pas non plus qu’on s’en prenne à son maître mais elle la serra un peu plus fort contre elle pour ne pas la laisser s’échapper.

« Okay, okay, j’vais le signer votre saleté d’autographe, rappelez le chien. »

Sa détermination venait donc de voler en éclat mais elle supportait difficilement l'idée que son mari puisse courir un potentiel danger. C'était dans des moments comme celui-là qu'elle se rendait compte qu'elle s'était plus attachée à lui que ce qu'elle aurait cru. Le gardien lui adressa un sourire tout ce qu’il y a de plus pervers et siffla, ce qui fit revenir le chien à ses pieds, libérant Seth par la même occasion. Elle lui tendit la main pour l’aider à se relever.

« Ça va ? T’as rien ? »

Elle l’examina rapidement du regard pour s’assurer qu’il allait bien puis elle suivit l’autre jusqu’à son bureau en ronchonnant entre ses dents tout du long. Si elle avait été seule, ça ne se serait pas passé comme ça ; elle lui aurait mis son genou dans les parties, aurait attrapé ses affaires et aurait pris la fuite mais ça n’aurait pas été forcément mieux puisque le type pouvait facilement porter plainte et elle était certaine qu’il ne s’en serait pas privé. Une fois arrivés au bureau, il lui tendit un feutre noir et baissa son pantalon juste assez pour qu’elle puisse signer un tout petit peu plus bas que ses reins. Ce qu’elle avait toujours trouvé parfaitement ridicule parce que tu parles d’un souvenir, il faudrait ne plus jamais se doucher pour ne pas l’effacer et franchement, elle ne préférait pas imaginer ça. L’écossaise resta à bonne distance et tendit le bras au maximum pour signer en détournant les yeux, une grimace de pur dégoût s’affichant sur son visage. Bien sûr, elle n’avait pas signé de son nom mais de celui de son personnage : Jungle Julia. Oui, il en avait un car il était apparu de la même façon dans un ou deux autres films alors elle avait négocié.

« Merci bien, vous pouvez récupérer vos affaires et personne ne saura que vous êtes passés par ici. »

L’euphorie que l’on pouvait lire sur la face de ce clown continuait de la débecter et elle tournait déjà les talons, attrapant la main de Seth pour le tirer derrière elle quand le gardien jugea bon d’ajouter :

« V’z’avez pas l’air très au courant de ce que vot’ femme a fait avant mais c’est sur Youtube, si jamais. »

Il n’en ratait pas une, celui-là. Cleo fit volte-face et le pointa du doigt.

« C’est vraiment pas cool, ce que vous faites… quoi ? »

Le dernier mot s’était étranglé dans sa gorge alors qu’elle réalisait l’horreur de la situation. Il venait de dire sur Youtube ? D’accord, cette scène du film était assez soft pour se retrouver sur une plateforme comme Youtube, mais… non… ce fut à son tour de devenir blême. Enfin, plus qu’elle ne l’était d’habitude, quoi. Elle tâcha de garder son calme, inspirant et expirant profondément mais ça n’y changeait pas grand-chose. Que Seth voie la scène ne lui posait pas trop de souci ; si elle n’avait pas cru bon de lui en parler jusque-là c’était parce que c’était le passé. Sur lequel elle avait tiré un trait, croyant naïvement qu’il ne lui reviendrait jamais en pleine face. Mais imaginer que n’importe qui pouvait tomber dessus, c’était une autre histoire. Cleo essayait de se rassurer en se disant que si ça devenait problématique, elle pourrait toujours réclamer que l’on supprime la vidéo. Enfin, sûrement.