Mission Zero-cool

Il est un peu moins de 18h30 lorsque Jackson et moi arrivons sur les lieux de la petite sauterie à bord de notre Lamborghini flambant neuve. Sur le trajet je me suis remémoré tout les détails de notre couverture de ce soir, espérant ne rien oublier de tout cela. Le diable se cache dans les détails, m’a dit mon supérieur cet après-midi. Et les détails, ce sont tout ce qu’un couple « normal » sait de l’autre en temps normal, or Jackson et moi ne nous connaissons que très peu. Espérons que les autres invités ne nous posent pas de questions outre mesure. Ce soir je suis Madame Richardson, épouse d’un milliardaire australien qui a fait fortune dans l’aéronautique. Sur le papier, du moins. Parce qu’évidemment, de façon officieuse Monsieur gère un réseau de cyber-piratage. Nous sommes mariés depuis deux ans, avons passé notre lune de miel à Bora Bora, et sommes des maniaques du contrôle. Tous doivent penser que nous chercher des noises est une mauvaise idée, alors j’ai perfectionné mon regard de tueuse dans ce sens. Celui qui fait froid dans le dos… De mon côté je joue une femme au foyer, amoureuse et vénale, mais qui prends soin de la couverture médiatique de son mari. Galas de charité, actions bénévoles, visites aux enfants malades, … Capucine a fait en sorte que Madame Richardson apparaisse dans de nombreux évènements de ce genre pour assurer notre couverture.

Nous préparons cette soirée depuis presque une semaine. A commencer par ces cours de danse au gymnase… qui étaient à la fois hilarants et exaspérants. Je savais danser, Jackson pas tellement, mais après quelques heures d’entraînement n’importe qui aurait cru à un véritable couple.

C’est donc le jour J. Je remercie le ciel que Jackson soit si prévenant car ma tenue ne me permet guère de sortir de la Lamborguini sans aide de la part de mon partenaire ponctuel. C’est aujourd’hui ma première mission d’infiltration en Nouvelle-Zélande. Je suis un peu stressée mais ne laisse rien paraître. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. Je me sens prête et je sais que cette soirée peut déboucher sur des promesses d’embauche pour moi… Et mon partenaire semble être hyper doué pour ça, ce qui me rassure grandement. Nos tenues sont aussi élégantes l’une que l’autre. Jackson dans son costume hors de prix, moi dans ma robe noire moulante et décolletée au possible.

« Est-ce que ça va ? » me demande-t-il à l’oreille de manière sensuelle. Je souris immédiatement pour donner le change, quiconque nous verrait à l’instant croirait qu’il vient de me dire des choses coquines alors qu’il en est tout autre. Je joue le jeu, à mon tour, et passe la langue sur mes lèvres avant de me pencher à son oreille : « Ca va aller… on va gérer. Tâchons juste de ne pas nous séparer sinon ça sent le traquenard à plein nez... » Oui parce que même si nos couvertures étaient au point, c’était notre première vente aux enchères. Les organisateurs seraient donc bien plus soupçonneux à notre égard que pour le reste de la foule. Il fallait que nous soyons méticuleux, repérions les personnes présentes et fassions capoter la vente aux enchères dès que possible. « Tu es très élégant, au fait ! Ca fait longtemps que tu fais ça ? Tu as l'air tellement à l'aise... » je demande tout bas, curieuse de savoir si cela fait longtemps qu’il est en infiltration. Je dois dire que cette section m’intéresse beaucoup, dans un premier temps. Je pense qu’au bout de quelques années j’aurais besoin de davantage de stabilité, et d’être « moi » tout simplement, mais pour le moment j’ai envie de défis et c’est exactement ce que cela représente.

Jackson approuve ma proposition de ne pas se séparer. Oh c’est souvent le protocole dans ce genre de mission d’infiltration : ne pas se séparer. Mais parfois le contexte oblige à prendre des voies différentes sous peine de faire pire que mieux. Ce soir ce n’est normalement pas le cas. Nous interprétons un couple tout ce qui est de plus solide, et dans ce monde il ne vaut mieux pas séparer un homme de sa femme. Enfin, en théorie… parce qu’en réalité nous ne sommes que collègues. J’ignore sa situation sentimentale, pourtant j’ai comme un pressentiment : c’est un homme amoureux. Ses yeux ne me voient que comme une femme lambda. Je pourrais en être offusquée, toutefois je suis heureuse qu’il puisse voir quelqu’un malgré son boulot prenant. J’espère un jour pouvoir dire la même chose me concernant.

J’ai l’impression d’être comme un enfant qu’on gronde lorsqu’il m’encourage à ne plus avoir de discussions personnelles. Je suis une novice… Il a raison, évidemment. Ce genre de petites conversations en douce peut vite rendre sceptique certaines personnes et briser notre couverture. Je reprends donc mon sérieux, hoche la tête en signe de compréhension et m’avance. Je souris largement aux hommes en noir : ceux qui gardent le manoir. J’en compte quatre rien qu’à l’entrée. Baraqués comme il faut, même si ça ne fait pas tout… Une arme à la ceinture, et vu la démarche asymétrique de l’un d’entre eux ils ont certainement une arme de cheville également. Je reconnais un des mercenaires dont j’ai lu le dossier plus tôt dans la matinée. Ils est souvent embauché par le propriétaire des lieux, visiblement. « Et tu es de loin bien plus élégante que moi. » Mon sourire s’élargit et le rouge me monte aux joues. « Merci. » Je fais simplement pour éviter les effusions et respecter ce qu’il m’a préconisé : ne pas trop en dire. Je ne suis pas forcément d’accord avec son assertion : nous sommes aussi élégants l’un que l’autre. Je ne savais pas que la police payait de si beaux costumes pour les infiltrations, d’ailleurs. Et de si belles robes… En même temps il faut faire illusion.

La fouille au corps n’est pas censée être agréable. Les hommes de main qui gardent le lieu ne font rien pour améliorer les choses. Ils ne négligent absolument rien… et ne trouveront rien car nous n’avons pas voulu prendre de risque. En revanche si ça venait à tourner mal nous pourrions utiliser ce que nous avons sous la main. Tout peut faire l’affaire : un couteau, une fourchette, une cuillère, un vase, … et même quelques objets qui ont l’air inoffensifs et qui sont pourtant de grands alliés. Jackson veille au grain à ce que sa « femme » ne se fasse pas peloter. Il interprète le mari protecteur à merveille. Ses talents d’acteur me rassurent beaucoup, j’espère ne pas faire de bourde et réussir cette mission. Sinon ce virus pourrait faire des ravages et briser la vie de bien des ménages. Je lance un regard noir au mercenaire qui me fouille, il semble comprendre qu’il ne faut pas me chercher.

Nous entrons ensuite dans la salle richement décorée pour l’évènement. Il y a des dizaines d’hommes pleins aux as, accompagnés – ou non – de leurs femmes. Je suis à peu près certaine que quelques uns ont payé des escorts girl de luxe pour les accompagner ici. Après tout, les hommes de pouvoir jouent toujours à qui pisse le plus loin, et donc à celui qui aura la plus belle femme à son bras. Mais nous ne sommes pas là pour les escorts… le virus informatique va bientôt être vendu au plus offrant, en attendant nous nous devons de voir qui le veut pour les alpaguer ensuite. « Il y a quelqu’un que tu veux voir en particulier, chéri ? » je demande à mon « mari » afin de voir quelle piste suivre.

Ce petit jeu terminé, nous pouvons souffler quelques instants avant de recommencer notre enquête nocturne. Mr Bourne est un de ces types qui n’est pas heureux qu’avec sa fortune. Il n’est heureux que quand il pique quelque chose à ses concurrents ou que ces derniers veulent quelque chose qu’il a. Simple, net, clair, précis : c’est l’esprit Néandertal. Visiblement il est retourné aux origines de l’Homme ce soir.

Il s’avère que j’avais mal compris ce que me confiait Jackson. Il n’avait pas pensé « gentillesse » pour lui, mais plutôt pour moi qui aurait pensé à des tortures pires que des fractures de doigts. Bien évidemment de nombreuses techniques me reviennent en tête, pas toujours les plus glorieuses. Certaines ont été apprises lors des pires moments, quand des camarades revenaient de rixes avec des gangs et qu’ils avaient été torturés. On en apprend beaucoup sur la nature humaine dans ces cas-là. « Oui… je devrais peut-être me calmer un peu sinon ils vont deviner que je veux en faire trop. » Je me tais lorsqu’une femme d’un certain âge nous aborde. Notre petite pause n’était que de courte durée. Si je ne savais pas sur quoi portais cette soirée, je pourrais croire que cette petite cinquantenaire est une maman poule et qu’elle rentrera ce soir prendre soin de ses enfants ou de ses chats. Il n’en est rien, évidemment. Teresa est loin d’être Mère Teresa. D’ailleurs est-ce son vrai prénom ou un faux ? Je tenterai pour un faux… Le malaise me prend lorsqu’elle dit ne nous avoir jamais vu. Ce semblant d’innocence de sa part m’a bien trompée. Il nous installe dans une sensation de confort alors qu’il n’en est rien. Je fais semblant de rien, gardant un sourire de façade pour parfaire l’illusion. « Mais nous attendons avec impatience l’apogée de la soirée. » ajoutai-je avec entrain, faisant allusion à l’enchère. Mon coeur se met à battre la chamade tandis que le doute s’empare de moi. Celle-là elle ne me dit rien qui vaille. Les plus âgés sont ceux qui ont le plus d’expérience. Quand elle parle d’exception, je suis au bord de l’asphyxie. Je pense que peu le remarqueront. J’ai appris au fil des ans à cacher mes émotions mieux que personne. Bon, peut-être pas mieux que Jackson car il reste de marbre en toute circonstance. Je le sens mal, et je remets soudain en question toute la mission : sans doute nous a-t-elle découverts, ne devrions nous pas partir en tout bien tout honneur pour sauver nos peaux ? Je vois notre chère Teresa discuter avec Mr Bourne, il tourne les yeux vers nous et j’arbore ce sourire radieux qu’il a l’air d’aimer, je lève ma coupe de champagne comme pour lui porter un toast puis j’en bois quelques gorgées tout en le fixant du regard.

Si je m’observai à cet instant je pense que je me ferai froid dans le dos. Eve Richardson est calculatrice et manipulatrice, aucun doute là-dessus. « Je la sent mal, cette femme. Est-ce que tu la connais, Thomas ? » je demande à mon « mari » pour savoir si elle est connue de nos services. En savoir davantage sur elle m’aiderait probablement à mieux la cerner.