Boire avec modération (Craig)

Depuis que j’ai quitté l’Irlande après mon agression, alors que j’avais presque seize ans, la peur ne m’a jamais quitté. En fait, je crois même que j’ai encore plus peur aujourd’hui, qu’avant. C’est ridicule, n’est-ce pas ? Je sais bien que ce type ne m’a pas suivie jusqu’en Nouvelle-Zélande, il ne sait sans doute même pas ou je suis et depuis tout ce temps, il est même sans doute passé à autre chose. Mais voilà, c’est plus fort que moi et c’est encore pire lorsque arrive le triste anniversaire du jour où j’ai tout perdu : mon innocence et ma mère. J’aurais trente ans cette année ; comme le temps passe ; ça fait donc quatorze ans que s’est arrivé. Quatorze ans, que je vis avec cette peur en moi, cette peur de l’inconnu et des gens. Cette peur qui m’empêche d’avoir la vie que ma mère aurait souhaiter pour moi. J’ai un travail, mais je vis seul avec un chat caractériel. Je n’ai pas de petit ami et même si mon cœur commence à battre de plus en plus fort pour un beau patineur, je ne sais pas si c’est réciproque, alors je ne fais rien. Cette solitude me pèse, mais c’est plus fort que moi, à l’idée d’être intime avec quelqu’un, je flippe, je panique et je prends la fuite. Et aujourd’hui, c’est justement l’anniversaire de l’accident qui a couté la vie à ma mère. Normalement, j’aurais dû être avec mon père, comme chaque année. Mais cette année, il est en déplacement pour son travail, alors je me retrouve toute seule. D’ordinaire, j’ai l’habitude d’être seule alors ça ne me dérange pas, mais pas ce soir. Je ne sais pas, j’ai le cafard, plus que d’habitude, alors c’est dans un bar que je trouve refuge. Moi qui n’ai plus rebut d’alcool depuis ce fameux soir, c’est assez étrange, mais que voulez-vous, on tente d’oublier son quotidien, comme on peut, n’est-ce pas ? Je prends place au bard, à côté d’un homme que je ne connais pas. Le barman me regard d’un étrange ; il faut bien le dire je suis blanche comme un mort parce que ç fait deux jours que je ne dors pas ; et je lui commande trois shooters de vodka. J’ai besoin d’un truc bien fort, d’un truc qui arrache, alors ça devrait faire l’affaire, je suppose.

Je ne sais vraiment pas pourquoi j’étais venue ici, étant donner le manque d’habitude que j’avais de fréquenter les bars. Il faut dire que la dernière fois ou j’étais venue dans ce genre d’endroits, c’était avec mes collègues de travail, et j’avais dû chanter du Céline Dion, parce que c’était soirée karaoké. La plaie, étant donner que bon, question chant, je n’ai pas le niveau de la diva québécoise. Autant le dire, ce soir-là, comme ce soir, je n’étais pas dans mon élément. C’est bien simple, j’ai l’impression de n’être dans mon élément nulle part. A part peut-être lorsque je suis dans mon canapé, à regarder pour la énième fois les épisodes de Friends depuis le début. Mais ce soir, j’avais besoin de changer d’air, de voir autre chose que mon quotidien ordinaire, de bousculer les habitudes et c’est pourquoi je suis venue ici. Evidemment, à peine ai-je pousser la porte de ce petit bar que je comprends mon erreur. J’ai l’air de tout, sauf de la nana qui picole. Et pourtant, c’est pour ça que je suis venue ici. Picoler, je veux dire. Alors je me dirige d’un pas mal assuré vers le bar, pause mes fesses sur une chaise et commande au barman trois shots de vodka. Pourquoi de la vodka ? D’un, parce que c’est fort et que j’ai besoin de quelque chose de fort et de deux, parce que c’est la première boisson qui m’est venu à l’esprit. Mais voilà que le type à côté de moi se permet de faire un commentaire, car il ne m’en croit pas capable. Je lui décoche un regard de travers ; du moins ce que je pense être un regard de travers. « De un, vous ne me connaissez pas ! » que je réponds, en avalant un premier verre cul sec. « De deux, vous ne me connaissez pas ! » continuais-je, avant de vider le deuxième. C’est franchement dégueulasse et la tête de tourne tellement c’est forme. Ça arrache, je dirais. « Et de trois … euh … vous n’avez pas à me tutoyer ! » terminais-je en sifflant, le troisième et dernier verre. Cette fois, je ne me contente pas de vaciller sur ma chaise, je tombe carrément en arrière, le cul par terre.

Je n'avais pas l'habitude de boire et pour être franche, je détestais le goût de l'alcool, ce qui n'arrangeais pas ma situation, n'est-ce pas ? Mais ce soir, je n'étais vraiment pas dans mon été normal, j'avais besoin de bousculer mes habitude et de mettre un bon coup de pompe dans le derrière de la routine. Sauf que, après avoir siffler trois shots de vodka les uns après les autres, c'est sur le cul que je me retrouvais. J'étais embarrassée, non seulement parce que je me cassais la gueule devant un parfait inconnu, mais en plus, parce que je venais je venais d'entrer dans son jeu en faisant un truc qui ne me ressemblait pas, juste pour prouver que j'en étais capable. Autant dire que je venais d'échouée en beauté. Je poussais un soupir exagéré avant de me prendre la tête dans les mains, sans penser une seconde à me remettre sur pieds. Trois verres culs et et je n'étais plus capable de réfléchir correctement. Néanmoins, j'étais venu ici pour prendre un cuite et oublier ma vie de merde. Tant pis si demain, j'avais la gueule de bois et que je ne me rappelais plus de rien. De toute manière, c'était le but : oublier. L'homme me tendit une main, que je pris maladroitement et je me levais, vacillant dangereusement. "Ça tourne !" gloussais-je. De mieux en mieux. Je me posais à nouveau sur la chaise de bar, avant de me casser encore la figure. Puis, l’inconnu à côté de moi, me demanda ce que j'avais. Une voix dans ma tête me poussait à ne rien, mais, j'étais défoncée, alors je n'allais certainement pas l'écouté. "Ma mère est morte il y à quatorze ans !" que je réponds. Pas très gay, mais au moins, je ne venais pas me bourrée la gueule à cause d'un mec.

Je ne connaissais pas ce mec et je n'appréciais pas tellement que des personnes que je ne connaissais pas m'adressent la parole. J'étais toujours sur le défensive dans ce genre de situation, à attendre le moment ou le type me sauterait dessus pour ne faire qu'une bouchée de moi. Ma peur ne m'avait jamais quitté et pourtant, quatorze ans c'était écoulé depuis ce soir de fin d'été ou ma vie avait basculée à tout jamais. Bien évidement, il ne tenait qu'à moi d'aller mieux, de faire tout mon possible pour sortir la tête de l'eau. Mais il faut croire que je me plaisais dans mon malheur, puisque je ne faisais rien pour en sortir. Je crois que c'était plus facile de vivre dans la peur, que d'affronter cette peur. Alors, je restais comme ça. D'ordinaire, je ne bois pas, jamais et certainement pas en cette période de l'année, mais d’ordinaire, je ne suis pas seule pour affronter cet anniversaire. Mais cette année, mon père m'a abandonnée. Je sais qu'il a de bonnes raisons, qu'il ne pouvait pas faire autrement, mais voilà, je lui en veux de me laisser seule dans un moment pareil. Si encore j'avais des amis proches, ça m'aiderait, mais je n'ai pas grand monde. Les gens me font peur, mais je fais également peur aux gens, parce que je suis sauvage, comme on dit. Pourtant, lui, il semblerait que je ne le face pas peur. Et lorsqu’il me demande si j'ai une raison à vouloir picoler alors que je ne sais pas picoler, je lui parle de ma mère. Nouveau regard de travers quand il me demande si ma mère apprécierait de me voir saoule. Sas doute que non, mais ça ne le regarde pas. "Ça n'a pas d'importance, elle n'est plus là !" que je réponds, vaseuse.

Je ne savais pas pourquoi j’étais venue, mais j’étais venue. Je savais que c’était une très mauvaise idée, mais c’était trop tard. J’avais descendu ces putains de verres et je ne me sentais pas bien. Je ne me sentais pas mieux pour autant, car la situation était toujours bien réelle. J’étais toute seule ce soir. En fait, c’était juste ça le problème. J’avais fait mon deuil, tout comme mon père, mais je n’acceptais pas l’idée d’affronter cette journée ; quoique presque terminée ; toute seule. C’était trop dur, tout simplement. Je le regardais en levant un sourcil, interloquée par ces paroles. Je n’étais pas athée, mais je n’étais pas non plus croyante à cent pour cent. Disons que je croyais en certaines choses, mais pas en toutes, aussi, je ne répondis pas. Disons que c’était confus dans ma tête et que je ne savais pas quoi dire. Je me trouvais pathétique et je crois bien qu’il s’amusait de la situation et je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer. Parce que oui, dans le fond, je le comprenais, j’étais ridicule. Ce n’est pas comme si je vivais ce deuil maintenant, et puis, je donnais l’impression de m’en moquer, alors que pas du tout. Disons qu’il m‘avait défier et que je me sentais stupide, je ne savais pas comment réagir. Involontairement ; ou pas ; une larme roula sur ma joue. « J’suis complètement conne ! » que je dis soudain. « D’habitude, je ne reste pas toute seule à cette date … » continuais-je, en reniflant. Pourquoi est-ce que je me confiais à lui, je n’en avais pas la moindre idée ! J’ignorais ce qui me poussais à lui parler, alors que son intervention m’avait mise en colère. Mais je crois que je le faisais, simplement parce qu’il était là, qu’il était le seul à être intervenu, sans doute parce qu’il avait deviner que je traversais une passe difficile. Si je n’étais pas défoncée, je le remercierais, mais là, j’étais incapable d’avoir des pensées cohérentes.

Je n’étais pas une alcoolique, pas plus que je n’étais une fêtarde ou une fumeuse invétérée. En fait, je faisais attention à ce que je faisais, à ce que je mangeais, à ce je buvais. Il n’y a que de mon look dont je ne me souciais jamais, simplement parce que je n’ai rien à faire de la mode. Mais, la qualité de la nourriture que j’avais dans mon assiette, ça comptait beaucoup pour moi. Plus que tout le reste, bien que je n’étais pas le genre de fille à compter les calories et à me dire que le simple fait de lorgner sur un fondant au chocolat allai me faire prendre deux kilos. Ce genre de chose, je n’en avais rien à faire. Mais, ce soir, j’étais complètement larguée et paumée, ce n’est rien de le dire. J’étais venue dans ce bar, parce que je me sentais seule, parce que je n’avais pas envie d’affronter la date anniversaire de mon agression et de la mort de ma mère toute seule. J’avais simplement fait le choix de la facilité et cet homme avait raison, que dirait-elle si elle pouvait me voir ? Je pouvais presque entendre sa voix me faire des reproches et pourtant, depuis le temps, j’avais oublié beaucoup de choses. Comme le bruit de ses pas lorsqu’elle s’approchait en douce, l’odeur de son parfum. Ce sont des choses, qui, malheureusement, s’effacent avec le temps. D’autant plus que désormais, je vivais sur une terre qu’elle n’avait jamais foulée. Cette simple constatation me donna envie de pleurer. Le jeune homme à mes côtés m’indiqua que je n’avais pas besoin de me mettre dans un tel état, puis il demanda quelque chose au barman. J’étais tellement dans le brouillard à tenter de garder l’équilibre le cul sur ma chaise que je ne compris pas ce que c’était jusqu’à ce qu’il le pose devant moi. Un verre d’eau. « Toi aussi t’es venue te saouler ? » que je lui demande quand il m’indique que ce soir, je ne suis pas seule, puisqu’il est là. Sauf que je ne connais pas. Je ne sais même plus s’il m’a dit son prénom ; ni même si je lui ai dit le mien. Quand il me dit de boire, j’attrape maladroitement le verre et le porte à ma bouche. Je le vide d’un trait, tandis qu’il me dit qu’il peut me ramener chez moi. J’ai beau être bourrée, je ne vais certainement pas donner mon adresse à un parfait inconnu. Pour qu’il vienne ensuite chez moi en douce pour me regarder dormir ; ou pire encore ; non merci. « J’suis venue à pieds ! » que je réponds. Et disant ça, je me rends compte que je ne sais plus si c’est vrai ou faux.