pretty woman, fifty shades darker

pretty woman, dark version

once upon a time

Je viens croiser mes longues jambes halées et tire légèrement sur ma jupe pour couvrir la moitié de mes cuisses. Je sais que ça ne se verra pas puisque le programme est entièrement radiophonique, et seule ma voix sera audible. J’aurai même pu venir en pyjama, si j’avais su. Théo n’est pas loin, je le vois derrière la vitre de la pièce insonorisée et je souris, rassurée par sa simple présence. Tout cet univers n’est pas encore facile pour moi, ni même agréable d’ailleurs. Si j’aime faire naître un personnage, l’incarner du mieux que je peux, parler de ma vie et de ma nouvelle carrière d’actrice, ce n’est pas quelque chose qui me met particulièrement à l’aise. Ce n’est pas faute d’avoir pris des heures et des heures de cours avec des professionnels de l’audio visuel, histoire d’être bien formatée comme le veut le monde du cinéma d’aujourd’hui. Rien n’est laissé au hasard, et Théo le sait bien. Il joue gros avec moi. Il a perdu sa femme, fait éclater son mariage, et couvert tous les tabloïds de notre histoire sur médiatisée. Je suis passée en l’espace de quelques mois de la petite fille aux allumettes qui vendait son corps et vivait dans la rue, à cette femme pétillante et tout sourire, bien sapée et prête à répondre à toutes les questions de l’animateur star de l’émission, diffusée en direct à heure de grande écoute. Mon coeur bat à tout rompre. Je souffle un coup et le décompte se fait rapide, les secondes en paraissent moitié moins. L’animateur présente son émission dans une voix réellement radiophonique et, le casque sur les oreilles, j’attends mon tour. La loupiote rouge au dessus de mes yeux annonce que nous sommes à l’antenne, et je regarde Théo derrière le reflet de la vitre, comme pour me rassurer que tout ira bien. Il est comme mon phare en pleine mer. « Alors Kiara, raconte-nous. Les médias disent un tas de trucs sur toi, tu es un peu le mystère de la nouveauté, tu veux nous en dire un peu plus ? » J’émets un rire un peu stressé et tente de me détendre. Je m’imagine être quelqu’un d’autre, je sais ce que je peux raconter, et ce que je n’ai aucun droit de dire. Théo est le seul à savoir que je faisais le trottoir, mais il ignore pourtant tout un tas de choses sur moi et mon sombre passé. « Je pense à écrire une autobiographie, ça m’évitera à l’avenir de répéter sans cesse les mêmes choses ! » L’ambiance est plutôt bonne et malgré le regard plissé de Théo, je tente de me rattraper quant à mon attitude et ma voix légèrement froide. Je décroise mes jambes pour les croiser dans l’autre sens. « Je ne sais même pas par quoi commencer. Je suis née à Détroit, de parents italiens, je crois que mon nom ne trompe pas ! » Je ne parle pas de mon frère, jamais. Parce que ce qui nous lie, et cette histoire passée quia rongé ma vie ne regarde que moi, que nous. « Quand mes parents sont morts, j’avais tout juste 25 ans, et plus rien ne me retenait là bas, et puis, ils ne m’ont rien laissé, ou juste assez pour un billet d’avion qui m’a mené jusqu’à San Francisco. J’ai traversé le pays et cherché à poursuivre ma vie du mieux que je pouvais. C’est là bas que j’ai rencontré Théo. » « Théo Davis, le célèbre réalisateur, c’est ça ? Et c’est lui qui t’a donné ta chance. » « C’est une rencontre comme on n’en fait rarement. Je vivais dans la rue, il m’a tendu la main, écoutée, et il a cru en moi. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire, de ce que je voulais être. Il m’a façonnée… » « Tu es devenue sa muse, ça a été rapide ! » Je ris légèrement, rougis presque alors que je ne lâche pas des yeux celui qui a su faire de moi celle que je suis aujourd’hui, si différente de celle que j’étais. « Le public croit véritablement en toi, te soutient, t’adule après la sortie de votre film. Je dis ‘votre’ parce que tu l’as porté à bout de bras, avec Théo, qui est devenu ton compagnon si les médias disent vrai ? » Je hoche un peu la tête mais me souvient que ça ne sert à rien, nous sommes à la radio. J’ai désormais le droit de le dire, de toute manière, à quoi bon démentir, les paparazzi nous traquent depuis trop longtemps et les photos parlent d’elles-même. Le divorce de Théo vient d’être prononcé, et ça ne servirait à rien que de mentir à ce sujet. « Oui, ça a été comme une évidence, on a voulu se protéger au départ, à cause de notre différence d’âge, et de ce que les gens auraient pu penser. Mais ça nous est égal. L’amour prime sur le reste. » « Tu as l’air vraiment amoureuse, c’est magnifique. Et ça ne te dérange pas de savoir que tu as pris la place d’une autre ? » Je fusille le chroniqueur des yeux. Celui là, il ne me plait pas, il veut faire de l’audimat, je le déteste. « Malheureusement dans la quête au bonheur, on ne peut pas éviter les drames, et les dégâts collatéraux. Je suis désolée pour l’ex-femme de Théo mais je n’ai jamais cherché à détruire quoi que ce soit. Les choses se sont faites naturellement… » J’en suis convaincue. Parce que même s’il n’a jamais essayé de me mentir, même s’il n’a jamais omis de me dire qu’il avait une femme et deux enfants, je n’ai quand même pas pu résister à son charme.

Les minutes passent, l’ambiance est plutôt bonne malgré ce chroniqueur qui semble m’avoir dans le collimateur. Mais je réponds toujours calmement. C’est l’instant que je redoute le plus, le moment où les auditeurs appellent pour me poser une question, une question à laquelle je dois répondre du mieux que je peux, en restant le plus détendue possible. Les premières questions sont plutôt basiques, et même agréables. On me demande si je parle italien, si j’ai déjà visité le pays de mes racines. Et voilà un nouvel appelant. « Bonjour Kiara. » « Bonjour ! » « C’est intéressant de t’entendre parler de ta vie passée, et je dois avouer que tu omets avec assez d’aisance ce qui fait la noirceur de ton âme et que les internautes et tes nouveaux fans ne connaissent pas… » Je me raidis légèrement, émets un léger rire crispé et réponds comme j’imagine être le mieux. « Je pense que vous devez vous tromper de personne. » « Je sais ce que tu as fait Kiara, et je sais que tu t’en mords encore les doigts. Je crois que ton frère a assez payé tu ne crois pas ? C’est bientôt à toi de payer, Kiara… » Je relève les yeux vers Théo et lui fais signe qu’ils doivent arrêter ça. Je tremble, et me racle la gorge pour tenter de garder contenance. « Définitivement, vous faites erreur sur la personne. Je n’ai pas de frère. » La communication est coupée et l’animateur s’en excuse, voyant que ça m’a quand même mise mal à l’aise. L’interview touche à sa fin et je rejoins Théo avec un empressement sans précédent. J’essaie de faire comme si tout allait bien, mais tout ne va pas bien.

Les semaines se poursuivent et les menaces se multiplient. D’abord sur mon téléphone, par lettres anonymes directement à la villa de Théo que j’occupe aussi, dans les loges des émissions de télé que je fais. Chaque mot revient sur la même chose, tout en restant évasif. « Je sais. Tu vas payer. » Renfermée sur moi-même dans le canapé du salon, les yeux dans le vague, la sonnette retentit et je sursaute. « C’est rien mon ange, c’est les flics. J’en ai marre de tout ça, on va te protéger comme il faut, ok ? » Je secoue la tête vivement. « J’ai pas envie de leur parler, s’il te plait, fais-les partir… » Mais il ne m’écoute pas, faisant passer ma sécurité avant mes supplications. Evidemment, je ne leur dirai rien, mais ils obligent Théo à me placer dans un lieu sûr pendant quelques semaines, le temps que l’enquête progresse pour chopper ce fauteur de trouble qui m’empêche de dormir depuis des semaines.

C’est les yeux fatigués que je descends du taxi devant une immense maison. Nous sommes en Nouvelle Zélande, et je ne sais pas exactement où, j’ai dormi un peu pendant le trajet en avion, je soupçonne Théo d’avoir mis un somnifère dans mon verre. « On est où exactement ? » « Ne t’en fais pas, personne ne viendra te chercher ici, tu pourras être tranquille. » Il sonne à la porte après avoir tiré ma valise jusqu’à cette dernière, et une femme ouvre, le teint mat, comme le mien, un visage harmonieux, de longs cheveux bruns et une silhouette qui n’a rien des femmes de son âge. L’ex-femme de Théo, juste là, en face de moi. Je déglutis, mal à l’aise. « Merci Elena, je te promets que je te revaudrai ça. Ne sois pas trop dure avec elle, elle n’a rien demandé. » Je tourne le regard vers l’homme que j’aime, qu’elle a aimé et aime sans doute peut-être encore. Je suis celle qui a brisé leur mariage, et il ose me mettre entre les mains de la femme qu’il a brisée, que nous avons brisée par notre idylle médiatisée ? « Je pouvais pas t’en parler, je savais que tu aurais refusé. Mais ici tu es en sécurité, et c’est tout ce qui importe non ? » Je serre les dents et entre dans un mutisme que je ne contrôle pas, ou du moins, que je n’ai pas l’impression de contrôler. « Je t’appellerai, c’est promis. Et on va le trouver et lui faire regretter ce qu’il a fait. » Il soupire un peu en voyant que je me suis refermée comme une huitre, dépose un baiser sur ma tempe alors que je recule ma tête, mal à l’aise de ce geste sous les yeux de son ex-femme. Nous le regardons partir et une fois perdu de vue, je baisse les yeux comme un petit chien apeuré, je crois que j’ai peur de la regarder dans les yeux, j’ai juste envie de me foutre dans un petit trou de souris et n’en sortir qu’une fois véritablement en sécurité. Je soupire légèrement alors que je sens son regard insistant sur ma personne. Elle se décale et je relève enfin les yeux. Son regard brun est d’une froideur sans pareille, mais elle m’invite à entrer. J’ai sûrement mérité tout ça après tout, après ce que je lui ai fait vivre.

J’ai peur, je suis pétrifiée à l’idée que quelqu’un découvre mon secret, que quelqu’un sache que je porte sur mes épaules le lourd fardeau d’un meurtre. Celui de mon petit ami violent. Un soir qu’il comptait porter sur moi ses mains souillées, son sang bouillant et réchauffé par les litres de whisky descendus en un temps record. Ce soir où j’ai pris mon courage à deux mains pour me défendre d’un couteau. Plusieurs coups à l’aveuglette qui lui auront coûté la vie. Je revois le sang se répandre sur le carrelage de la cuisine, et le visage de mon frère jumeau entrer dans l’appartement, alerté par mon coup de fil. Je l’entends me dire, de sa voix lointaine et peu audible, me dire de partir, loin, vite. Il a sorti une liasse de billets de sa poche et m’a fait promettre de prendre le premier avion pour quitter le pays. Je n’avais assez que pour fuir à l’autre bout du pays, la Californie. Fini détroit, fini les rues noires de traffic de drogues et d’armes en tout genre, fini James et sa violence, et fini aussi la vie de mon frère, se retrouvant derrière les barreaux après avoir endossé la responsabilité de mon crime. Mon frère, ce héros. Mon frère jumeau pour qui je me bats chaque jour pour gagner assez d’argent et lui permettre de vivre aisément à sa sortie. La culpabilité est immense, et cet homme est en train de faire remonter à la surface tout ce que je tente d’enfouir chaque jour. La cohabitation avec l’ex-femme de Théo va être difficile, mais elle sera rien comparé à toute la douleur enfouie d’avoir laissé mon frère payer à ma place pour mon geste désespéré.

bravo, tu es validé(e)

› Je te valide vite parce que je suis trop impatiente de lire vos histoires ! Ta fiche est super !

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