animal shelter (nahla)

Partager sa vie avec quelqu’un, surtout aux débuts, c’est détester les moments lorsqu’on est loin de cette personne. Craig se réveille doucement, dans son grand lit vide, trop loin de la personne qui fait battre son cœur de plus en plus vite, de plus en plus fort. C’est elle qui le motive tous les matins, elle hante ses pensées, comme s’il n’y avait qu’elle. Que le monde n’était fait que d’elle, que les autres n’existaient plus. C’est un sentiment bête, qu’il ne contrôle pas, qu’il ne cherche même plus à cacher. Il pourrait le dire à n’importe qui, le crier aux autres pour qu’ils le sachent : cette femme lui appartient, il a de forts sentiments pour elle et, par chance, il sait qu’il y a une réelle réciprocité. Si ça n’était pas le cas, il n’y aurait pas cette magie autour d’eux, cette aura qui englobe les deux amoureux, qui lui fait penser qu’il n’y a personne d’autre sur Terre. Aujourd’hui, ils vont se retrouver, pour le plus grand plaisir du brun. Ça ne fait pas longtemps qu’ils se sont quittés, il est rare de passer de longs moments sans se voir, mais elle lui manque souvent. Il pense presque à lui demander de vivre avec lui, préférant avoir sa présence tous les soirs et tous les matins, plutôt que quelques fois par semaine, à des moments réfléchis. Le refuge, c’est là qu’ils doivent se rejoindre, c’est une sortie qui a été prévue il y a quelques temps. Elle veut voir les chiens, lui, il veut simplement l’accompagner, passer du temps avec elle. Les animaux, c’est loin d’être son truc, il préfère être seul. Comme avec les humains, d’ailleurs, pour lui, il n’y a pas mieux que la solitude. Et pourtant, pour elle, il peut potentiellement accepter de changer quelques facettes de sa personnalité, devenir un amoureux des animaux, plus particulièrement des chiens.

Après avoir pris une douche, bu un café et manger le reste de ses biscuits pour le matin, il est parti au refuge. Une moto fraîchement achetée, pas la meilleure et loin d’être neuve, le brun rejoint rapidement le lieu de rendez-vous. Sûrement même avant elle, puisqu’il ne la voit pas à l’entrée du refuge. Il prend la décision d’y entrer avant elle, voulant avoir une longueur d’avance sur elle et ses futures décisions. Si elle veut un animal, il veut l’avoir repéré avant, essayer de deviner dans son esprit celui qui la fera réellement craquer. Sauf qu’il abandonne rapidement les chiens, quand il croise le regard de quelques chats qui semblent n’attendre que lui. Difficile de résister, il s’en approche, parle avec eux comme s’ils étaient capable de comprendre quelque chose et surtout, comme s’ils étaient capables d’y répondre. C’est bête, mais ça a toujours été plus simple, avec ces animaux. Il faut à peine s’en occuper, ils sont souvent heureux de te faire des câlins et, la plupart du temps, ils t’ignorent. Donner de l’amour à un chat, ça lui paraît déjà plus simple qu’à un chien. Reste à voir ce que décidera la rouquine, qui, finalement, ne tarde pas à arriver après lui, qui est toujours devant ces petites bêtes, à tenter de communiquer.

Les chats, c’est son truc. Il peut passer des heures à les regarder, à en caresser un et à profiter de ses ronronnements, qui ont la particularité de l’endormir, de l’apaiser. Les autres animaux, c’est chiant. Surtout les chiens, qui aboient dès qu’une personne passe dans la rue, ou quand un autre chien ose pointer le bout de son nez. Craig aime la solitude et par conséquent, le calme. Les autres animaux représentent tout ce qu’il déteste : la crasse, le bruit et le besoin d’amour, de reconnaissance. Un chat, tu peux l’ignorer autant que le chouchouter, ça reviendra toujours au même pour lui. Bref, les chats, c’est le mieux. Et il communique toujours avec eux, quand sa rousse apparaît finalement derrière lui et se racle la gorge, pour le faire réagir. Il sursaute presque, obnubilé par son occupation du moment. Le brun se redresse et se tourne vers elle, souriant face aux paroles et au baiser de sa petite amie. ▬ Moque toi, vas-y. Mais tu feras moins la maligne quand on dominera le monde ensemble. Dit-il, d’un air très sérieux. Il fait maintenant totalement face à sa compagne, dont il entoure la taille de ses bras pour l’embrasser une seconde fois, d’une manière un peu plus appuyée. Le plaisir de la revoir parle à sa place et peu importe s’ils sont regardés par les animaux aux alentours. ▬  Tu vas bien ? Il lui pose la question en relâchant son corps, ses yeux toujours dans les siens. Contrairement à elle, il n’est encore jamais venu ici et il n’ose pas réellement prendre ses marques, il préfère se faire guider. Elle sera sa guide, la meilleure de toutes. ▬ Bon, on adopte combien de chats, finalement ? Il dit ça pour la taquiner, bien qu’il serait capable de craquer pour une boule de poils, s’ils ne changent pas rapidement d’endroit. Après tout, ils vivent pas ensemble, elle peut très bien avoir un chien dans son appartement et, lui, avoir un chat dans le sien.

C’est vrai que les chats et les égyptiens, c’est toute une histoire. Vénérer un chat, c’est bizarre. Craig a beau les aimer, en vrai, il s’en fout complètement et ne se sentira jamais inférieur à un animal. Même si beaucoup d’espèces étaient là avant les humains. Il n’est pas contre la cause animale mais il ne sera jamais le genre d’homme à les défendre corps et âme, à choisir entre lui et eux, ce sera toujours lui. ▬ Je suis fou, tu le sais très bien. Il lui fait un sourire, c’est toujours pour la taquiner. Le sujet commence à se faire vieux, il ne lui a plus montré sa « folie » depuis quelques temps. Heureusement pour lui, pour elle, pour eux. Leur couple se porte bien et ça, ça le rend heureux. Elle parle de potentiellement devenir une femme à chats, si elle n’est toujours pas mariée à quarante ans. Ça le fait sourire de l’imaginer entourée de félins mais en même temps, en tant que son petit ami, il ne peut pas laisser passer cette opportunité. ▬ Qui te dit qu’on ne sera pas mariés, d’ici là ? Il ne se projette pas, il n’a vraiment pas l’intention de tenter une nouvelle fois cette expérience. Un mariage raté, ça lui suffit. Il lui faudra certainement quelques années avant d’essayer avec elle, s’ils tiennent le coup. Après, il est vrai qu’ils sautent beaucoup d’étapes, peut-être qu’ils se sentiront prêts beaucoup tôt qu’ils ne l’auraient imaginé. Ce n’est pas le sujet de la journée, ils ne sont pas là pour parler de ça, mais c’est vrai que cette idée l’a un peu perdu dans ses pensées. Elle le rappelle à l’ordre en lui disant de le suivre, ce qu’il fait sans rechigner. Même s’il aurait préféré rester avec les chats durant toute la visite. Au bout de quelques pas, il entend déjà ces aboiements qu’il ne supporte pas. Et elle veut vivre avec l’un d’eux ? Ça risque de réduire son nombre de visites à l’appartement de la rouquine, du moins pour un temps, histoire de s’habituer à cet intrus qui demandera bien trop d’attention. Une jeune policière, ça n’a pas le temps de s’occuper d’un animal aussi important qu’un chien. Autant prendre un hamster, c’est plus calme. Quand ils passent devant les gros chiens, ceux qui sont déjà avancés en âge, ça le conforte dans l’idée qu’il ne veut pas d’un animal aussi gros. Et puis ils arrivent devant les chiots, les petites boules qui, elles, arrivent à le charmer en un aboiement. Il ne peut pas s’empêcher de rigoler en voyant la tête de Nahla, elle est à deux doigts de craquer, ça se lit sur son visage. ▬ Bon alors, tu veux lequel ? Ils sont venus ici pour simplement regarder, parait-il. Sauf qu’il savait à l’avance qu’elle allait vraiment vouloir en emmener un avec elle, c’était sûr. Il s’approche lui aussi des chiots qu’elle regarde, gardant quand même ses distances, pour laisser toute la place à Nahla.

Il a pris du recul sur cette insulte balancée il y a quelques semaines, maintenant. Il a réussi à la comprendre et à l’interpréter d’une autre manière. Comme un fou, peut-être. Il s’est dit que les peintres les plus connus sont réputés pour avoir quelques troubles, ils étaient tous considérés comme fous à l’époque et seul cet art qu’ils partageaient pouvait exprimer ce qu’ils ressentaient réellement. C’est pareil pour Craig. Il ne sait pas ce qu’il ressent réellement pour Nahla, c’est fort, c’est puissant. Alors il la dessine, il la peint comme il l’imagine, il tente de l’éblouir à chaque fois qu’il passe son pinceau ou son crayon sur sa feuille. Elle est sa muse, son inspiration principale et si elle veut le voir comme un fou, il l’accepte, il est fou d’elle. Elle n’a pas relevé sa remarque, il n’insiste pas. Il lui dira un jour ce qu’il ressent par rapport à ce qu’ils partagent, d’un point de vu professionnel. Qu’elle est sa source, son but ultime, ce qu’il a toujours recherché. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut balancer comme ça, entre deux chiens et aboiements. Alors il se tait, il ignore, il le dira une autre fois. ▬ On a toute la vie devant nous. Il confirme les propos de Nahla, rien ne presse, ils pourront se marier dans dix ans, vingt ans. Peu importe, tant qu’ils sont ensemble. Il ne fait pas de projets, il n’imagine pas avoir un nombre précis d’enfants ni vivre dans une parfaite petite maison avec quelques chiens. Il sait juste qu’il veut finir avec elle, peu importe que ce soit dans une villa ou dans un bidonville, avec cinq gosses ou sans enfants. Tant qu’ils font tout ça ensemble, ça lui va. Il sourit en la regardant, c’est marrant de la voir ici avec ces chiens, elle agit comme un enfant dans un magasin de jouets. Il faisait de même il y a quelques minutes avec les chats alors il ne peut pas la juger, mais ça le fait rire, il la trouve mignonne. Le brun fronce cependant ses sourcils en la voyant légèrement faiblir, ça se ressent, elle a besoin de se tenir pour garder une certaine stabilité. ▬ Tu te sens bien ? Il demande quand même, sait-on jamais. S’ils doivent écourter cette visite pour son bien, ils le feront, les chiens attendront encore un peu. Il secoue légèrement son visage et porte son attention sur un chiot qui lui grimpe sur le pied, un qu’il trouve assez mignon. ▬ Lui. Il m’a choisi. Il hausse ses épaules avant de regarder la rouquine, se baissant légèrement pour caresser le chiot, qui semble apprécier ce traitement puisqu’il remue déjà la queue.

Une émotion trop vive peut avoir des effets négatifs. On peut sentir le sang qui parcoure notre corps, notre cœur donner de lourdes impulsions, taper nos tempes. Avoir la tête qui tourne et le sol qui se dérobe sous nos pieds. Une grande joie, une profonde tristesse ou une colère démesurée. Tous les sentiments ont ce même point commun, il faut éviter de les ressentir trop forts. Il s’inquiète pour elle, suffisamment pour lui demander comment elle se sent. Pas assez pour l’embarquer avec lui et l’emmener chez un médecin. Si elle lui avait dit qu’elle avait déjà connu ces symptômes il y a quelques heures, il l’aurait fait. On ne rigole pas avec la santé. Lui, il ne fait pas attention à son corps, ni à ses poumons, ni à son foie. Il fume, il boit et il se met en danger tous les jours en roulant à toute vitesse sur sa moto. La santé de sa copine passe largement avant la sienne, il lui aurait prouvé en seulement quelques secondes. Sauf qu’il ne sait pas, alors son intérêt se porte uniquement sur le chiot à ses pieds. ▬ Tu te reposeras en rentrant. Il glisse quand même quelques mots à Nahla, soucieux. Et puis il caresse le chien qu’ils vont certainement prendre. Enfin, celui que sa rouquine va prendre. Lui, il n’a pas le choix, ils devront faire ami-ami, car ils seront amenés à se revoir un bon nombre de fois après ce jour. Craig le saig, c’est pourquoi il caresse le chiot, d’abord le crâne et puis le ventre, quand il décide de se coucher sur le dos. ▬ C’est à toi de l’adopter, maintenant. Il relève son visage vers Nahla et l’homme qui vient de faire son apparition. C’est le moment de s’occuper de toute la paperasse. Il voit enfin une bonne chose à cette adoption à sens unique : il ne sera pas le propriétaire du chien, il n’a pas besoin de signer à des milliards d’endroits simplement pour dire que l’on accepte de s’en occuper convenablement. ▬ J'vais me retenir, ils sont quand même moins mignons que les chats. Ce combat chat – chien ne se terminera jamais. Il laisse partir sa petite amie avec l’employé, restant avec le chiot. Il lui mordille la main, la lèche et remue toujours autant sa queue. C’est le scénario qu’il espérait. Ça aurait été bête qu’elle adopte un animal qui ne l’aime pas, qui lui grogne et aboie dessus à chaque fois qu’il le voit. Un chien comme ça, il l’aurait envoyé par la fenêtre au bout de cinq minutes. Lui, il est calme, il aime les câlins, c’est un bon début. Il ne voit pas le temps passer avec le chien, quinze minutes s’écoulent et Nahla revient finalement à eux. Craig se relève pour prendre sa chérie dans ses bras, profitant de cette étreinte. Une chose est sûre : il préfère largement câliner sa belle qu’un chien. Une fois leurs lèvres décollées, il baisse son regard vers l’animal et hoche la tête. ▬ On y va. Il confirme en répétant ses mots. Il y a encore des détails à régler : son prénom et quelques bricoles à acheter pour qu’il se sente bien chez elle. Mais le plus gros de cette journée a été fait : le chien a été adopté, elle a maintenant une boule de poils pleine de vie qui va l’attendre chez elle, à chaque fois qu’elle rentrera du commissariat.

fin