the new-zealand witch project → fabian

Ah l’amour. Ça a toujours été un sujet épineux pour Cleo qui a un avis bien tranché sur la question. Un avis qui ne correspond pas avec celui des gens de son âge, c’est pour ça qu’elle a tendance à éviter ce fameux sujet autant que possible. Pas de manière générale, elle évite aussi d’annoncer aux gens qu’elle a passé une annonce sur internet pour se trouver un mari dans l’unique but de toucher son héritage. Ça fait vénale. Alors que la rouquine ne l’est pas plus que ça, c’est juste qu’elle en était arrivée à un moment de sa vie où elle ne voyait pas comment elle pouvait s’en sortir sans. Sinon ça ferait déjà près de quinze ans qu’elle serait mariée. Tout ça pour dire qu’on ne peut pas vraiment dire qu’elle soit même heureuse en amour. Tout simplement parce qu’elle ne considère pas ça comme de l’amour. De l’appréciation : Wes est sympa, elle l’aime bien. Un peu d’attachement, peut-être. Après tout, ça fait un an qu’ils ont décidé de tout plaquer pour partir en Nouvelle-Zélande et ils savent qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre. Mais elle estime qu’ils ne se connaissent pas encore suffisamment pour pouvoir s’aimer. C’est là tout le problème avec Cleo, c’est qu’elle ne croit pas qu’on puisse réellement aimer quelqu’un avant de vraiment le connaître. Et ça, ça prend du temps. Du temps qu’elle n’a encore laissé à personne.

Mais comment expliquer ça ? Quoi qu’il en soit, il faut bien qu’elle trouve quelque chose à répondre, son temps de réponse commence à se faire long.

« Quelque chose comme ça, oui. Niveau travail c’est pas la folie. Je pensais que je pourrais changer de secteur plus rapidement que ça, mais c’était sans compter sur le contrat qui m’empêche de le faire avant 2020. »

Et mieux ne vaut même pas parler de sa famille qui se résume à Cher. La dernière fois qu’elle avait eu des nouvelles de Jennie, sa mère adoptive restée en Australie, c’était trois mois après son départ quand celle-ci lui avait téléphoné pour lui demander de ramener du lait. Bref, Cleo savait dès le départ que Jennie était bizarre et que si elle s’était plus ou moins occupée d’elle jusqu’à ses quinze ans c’était surtout pour se donner bonne conscience. Ou peut-être dans l’espoir qu’elle lui donne de son héritage plus tard, elle n’en sait toujours rien. Elle finit par hausser les épaules.

« Peut-être que l’année prochaine, tout finira par rentrer dans l’ordre. »

Si elle parvient à trouver du travail ailleurs que dans le porno parce que c’est pas vraiment une référence dont elle peut se vanter auprès d’un éventuel futur employeur.

On pourrait croire que c’est moche de devoir cacher des choses à quelqu’un que l’on considère comme l’un de ses meilleurs amis. Et c’est sûrement vrai mais Cleo ne voit pas les choses de la même manière. C’est que des amis, elle n’en a vraiment pas eu beaucoup et ce depuis toujours. De plus, on ne parle pas d’amis proches, plutôt des connaissances, si on veut. Alors ça ne l’a jamais dérangée d’être assez secrète. De toute façon, elle n’aime pas plus que ça déballer sa vie à tout va. Loin s’en faut. Pour l’instant, elle continue de penser que leur mariage un peu bidon ne les regarde qu’elle et Wesley. Par contre, elle peut tout à fait parler du reste. Et notamment de son travail. C’est toujours le sujet qu’elle a le plus de facilité à aborder avec tout le monde, probablement parce que ça n’a rien de trop personnel. Et qu’après seize ans de boulot dans ce milieu, ça commence sérieusement à la gonfler. Ça n’aurait pas été le cas si elle avait pu évoluer mais en seize ans, elle en était toujours au même stade. Bref, Fabian a l’air de comprendre. Et très gentiment, il lui souhaite que les choses s’arrangent l’année prochaine comme elle l’espère tant. Effectivement, la rouquine a longtemps cru que le plus important dans la vie, c’est d’être riche, comme tous les gens qui savent ce que c’est de galérer à s’acheter un sandwich à la fin du mois ou qui doivent absolument tout calculer au centime près mais maintenant qu’elle l’est, elle se rend bien compte que ça passe au second plan, alors elle acquiesce. Et quand il lui demande si elle sait déjà dans quoi elle veut travailler, sa réponse est immédiate, cette fois.

« Ouais, j’adore mon métier, j’voudrais rester dans la prise de son, j’voudrais juste pouvoir bosser sur des films normaux. »

C’est sûrement une chose étrange que de dire qu’on adore la prise de son. Pour bien des gens du milieu, c’est un peu une tâche ingrate qu’on refile aux stagiaires mais Cleo est sincère, elle aime bien ça, elle s’y connaît depuis le temps et en plus, ça lui permet de ne pas avoir à faire de sport et garder la ligne ainsi que de rester en forme.

Si elle a déjà eu des opportunités ? Si ça serait facile pour elle d’y arriver ? Concrètement, Cleo n’a aucun moyen de le savoir. Si elle avait déjà eu l’opportunité de travailler sur de vrais films du genre avec des fringues et des intrigues, elle n’en serait pas là cela va de soi. La vie ne lui a encore jamais donné l’occasion qu’elle attend depuis des années. Mais elle n’en veut pas à Fabian de poser la question, elle se doute qu’il ne doit pas y connaître grand-chose et peut-être que dans le milieu du patinage, ça se passe différemment, allez savoir. Enfin, c’est sûr que oui parce qu’il n’existe pas de patinage porno. Fort heureusement d’ailleurs parce que clairement, ça doit faire mal les engelures et tout ça. C’est ce qu’il lui confirme ensuite. Bref, elle hausse les épaules.

« Pour être honnête, je sais pas trop. Mais au moins je peux mettre en avant mon expérience. Ça fait quinze ans que je fais ce foutu boulot, manquerait plus que ça n’ait servi à rien. »

Alors oui, on pouvait avancer qu’elle était riche maintenant, qu’elle n’avait plus besoin de s’embêter avec tout ça et qu’elle pouvait faire de ce contrat son chant du cygne mais comme dit précédemment, la rouquine aime son travail. Elle aime le milieu dans lequel elle travaille. Pas le porno, non mais l’audiovisuel au sens large. Et puis elle était sûre qu’elle ne saurait pas quoi faire de son temps à force. Certes, ça lui laisserait plus de temps pour jouer à la PS4, promener Cher et… Voilà, c’est déjà pas mal limité. D’autres filles aimeraient passer du temps à la plage, elle non parce que sa peau brûle. Faire du shopping ne l’intéresse pas des masses non plus pour peu qu’elle ait une paire de jeans et quelques sweatshirts au fond d’un placard, ça lui suffit amplement. Bref oui, c’est sûr qu’elle finirait par s’ennuyer. Et puis mine de rien – et aussi embarrassant que ça puisse être -, elle s’était fait un nom alors qui sait ? Peut-être même que son nom n’était pas connu que des gens qui faisaient/regardaient des pornos. Elle espère bien que non mais elle n’en sait rien. Elle verrait le moment venu. Et tâche de ne pas trop se faire d’illusions en attendant. Même si elle en a quand même un peu, c’est inévitable.

C’est qu’il est malin, Fabian. D’abord il tâche de la rassurer en répondant qu’en effet, l’expérience ça compte pas mal puis il met en avant le fait qu’elle pourrait demander un coup de pouce à Wesley. Idée intéressante à laquelle elle n’a encore jamais réfléchi. Il a raison, son mari connaît des gens du showbiz et il pourrait l’aider. Oui mais. Car oui, il y a un mais, il y en a souvent un avec Cleo. Don oui mais ça lui pose tout de même un problème. Et elle parvient même difficilement à mettre le doigt dessus alors que ça crève pourtant les yeux. Le problème c’est qu’elle s’est pratiquement sortie de tout par elle-même et elle n’a pas envie que ça change. Encore moins si l’aide doit venir d’un homme et encore, encore moins s’il s’agit de Wes. Qui l’a déjà aidée à toucher son héritage. Tout ça pour une question d’ego, oui. Mais qui cela peut-il bien surprendre venant de la rouquine, hein ? Pourtant, une fois qu’elle a compris ça, l’écossaise grimace. C’est quand même stupide de sa part. Au bout d’un moment, elle finit par hausser les épaules et répond :

« J’aimerais bien pouvoir me débrouiller par moi-même. Et j’essayerai. Mais j’imagine que si je vois que c’est vraiment une impasse, je lui demanderai un coup de main. J’suis sûre qu’il dirait oui. »

Bon, à vrai dire elle n’en sait rien parce qu’ils n’ont jamais parlé de ça. Pas même un peu. Enfin si, il est au courant qu’elle doit d’abord terminer son contrat avant d’être libre mais elle ne se rappelle même pas lui avoir dit ce qu’elle envisage de faire ensuite. Après tout, ça paraîtrait presque logique qu’elle ne se précipite pas sur la première offre venue et profite un peu de son temps pour voyager ou ce genre de choses, vu l’état de leur compte en banque. Et peut-être même que c’est ce qu’elle fera. Tout ça pour dire qu’elle ne peut pas vraiment affirmer avec certitude que Wes accepterait de l’aider mais qu’elle y croit quand même parce que c’est quelqu’un de bien qu’elle a épousé. Dans le fond, elle a de la chance pour une fois, elle aurait pu tomber sur un connard qui aurait juste demander sa part de l’argent et ce serait barré. Ou encore sur un de ces types qu’elle croise tous les jours au boulot et qui n’aurait eu qu’une seule envie : se l’envoyer. Non vraiment, beaucoup de chance pour changer.

« Merci, bae. C’est gentil de ta part. »

Et ça fait beaucoup, mine de rien.

Beaucoup de gens auraient pu ne pas comprendre son point de vue. Ce besoin irrépressible de ne dépendre de personne. Alors qu’elle est mariée. Certes, aujourd’hui les choses ont peut-être un peu changé en ce qui concerne le mariage mais pas tant que ça, dans le fond. On ne peut pas dire qu’elle en connaît des tas mais elle est sûre qu’il en existe plein où la femme travaille peut-être mais elle laisse le soin à son mari de prendre toutes les grandes décisions de leur vie. Et ça, très peu pour elle. Puis ça ne s’arrête même pas qu’à son mariage, évidemment. L’idée d’être redevable à quoi que ce soit l’insupporte un tout petit peu. Tout ça pour dire qu’elle s’est liée d’amitié avec les bonnes personnes – ou du moins la bonne personne car clairement, ce n’est pas comme si elle en avait des tas, d’amis -, puisque Fabian a l’air de la comprendre, lui. Et de ne même pas la juger. Une première. C’est même ce qui la pousse à le remercier. Et presque immédiatement, il lui faire savoir qu’il n’y a pas besoin, que c’est normal. Ça ne l’est pas pour tout le monde mais étant donné qu’elle n’a pas non plus envie de se confondre en remerciements – pas son genre -, elle hoche la tête et reporte son attention sur le film.

Dire que c’était ce qu’ils étaient censés faire de leur soirée mais au final, c’est à peine s’ils ont suivi ce qui se passait dans le film. Ce qui a très peu d’importance tout compte fait étant donné qu’ils les connaissent tous les deux par cœur et que ça se passe souvent de cette façon, il faut bien l’admettre mais bon, quand même. Bref, la rouquine prend une poignée de bonbons tout en tâchant de se concentrer sur le film même si c’est plus compliqué puisqu’il est lancé depuis un bail maintenant. Peut-être qu’ils devraient aller faire un tour dans la forêt. Au risque de se perdre. Oh c’est sûr qu’elle passerait le plus clair de son temps à se plaindre si c’était le cas mais c’est pile au moment elle ouvre la bouche pour soumettre l’idée qu’il se met à pleuvoir à verses.

« J’espère que la police aura retrouvé ce pauvre type de tout à l’heure. »

Histoire qu’il ne soit pas pris là-dedans. Et sa Carmen non plus, d’ailleurs, étant donné qu’il avait l’air d’y tenir.