Ca balance pas mal à IB

En règle générale, mieux vaut éviter de taper sur les gens de toute façon. Et c’est Noomi qui en arrive à cette conclusion, elle qui a pour réflexe de coller des coups de poings ou des coups de pieds pour régler ses problèmes, c’est un comble. Oui, enfin, avant de crier au scandale, il faut savoir qu’il y a toujours une bonne raison si vous vous prenez un coup de la part de la grecque. Et oui, oui, oui, lui piquer une place de parking au centre-commercial pendant les vacances de Noël, c’est une bonne raison. Déjà, ces chants de Noël qui passent en boucle dans les haut-parleurs des magasins à cette période de l’année rendrait n’importe qui violent. Bordel, Frank et elle auraient de la chance si Sarah n’héritait pas de leur caractère un peu trop sanguin à tous les deux, en grandissant, c’était certain. Ce qui faisait que la blonde hochait mécaniquement la tête, tout à fait d’accord avec ce que Jax était en train de dire. Evidemment qu’en Amérique c’était pire et encore plus chaud dans le coin paumé où sa mère vivait toujours. Là-bas, les flics vous tiraient dessus si vous aviez le malheur d’être un peu trop bronzé. Ah le sud des Etats-Unis, une partie du monde qui n’avait pas tellement évolué depuis la guerre de sécession, ça fait rêver. Jusqu’à ce que le sujet Frank revienne sur le tapis. Car il s’agissait bien de lui en définitive. Qu’il soit le père de Sarah semblait surprendre son ancien voisin. Si ça se trouve, elle évitait inconsciemment de le nommer pendant tout ce temps. Puis de toute façon, il n’existait pas qu’un seul Frank au monde, donc forcément.

« C’est ça, Frank et moi. »

La blonde aurait pu mal prendre le fait que Jax ait l’air d’avoir tellement de mal à concevoir qu’il ait pu y avoir quelque chose entre son ex-mari et elle mais elle comprenait aisément que pour lui, qui ne la connaissait que depuis qu’elle était une mère plutôt calme, voire sage, ça puisse faire un mini-choc. Noomi fit une grimace qui signifiait très clairement qu’on fait tous des erreurs – parfois même des erreurs qui durent dix ans, oui -, avant d’essayer de le rassurer un minimum :

« T’en fais pas, c’est pas comme si Sarah lui ressemblait beaucoup. »

Effectivement, la fillette était le portrait craché de sa mère, la même blondeur, les mêmes yeux bleus, on ne retrouvait Frank que dans quelques détails de son visage, son sourire, une fossette par-ci, etc… Bref, Noomi sortit un calepin et un bic de son sac à main et y nota quelques mots.

« C’est pas pour la radio mais si mon ex-mari s’est mis dans la mouise, c’est mieux que je m’en rappelle demain. »

Pour qu’elle puisse éventuellement en glisser un mot à son avocat.

Ouch quelques points en moins pour Jax qui, de manière détournée, osait évoquer ne serait-ce que l’idée que Sarah puisse ressembler à Frank plus que ce qu’elle était prête à lui accorder. Sauf que Noomi n’était même pas de mauvaise foi dans ce cas précis, c’était juste que sa fille avait tout pris d’elle et que ça convenait à tout le monde. Toujours est-il que la blonde résista tant bien que mal à la tentation de sortir quelques photos de sa fille de son portefeuille ou encore d’aller chercher dans la mémoire de son téléphone pour les lui fourrer sous le nez, qu’il le voit de ses propres yeux. Ce n’était pas l’envie qui manquait mais c’est surtout qu’elle aurait l’air un peu hystérique si elle faisait ça et qu’il fallait qu’elle fasse attention, que son comportement soit plutôt irréprochable afin qu’on lui rende la garde de Sarah le plus vite possible. Alors elle se calma et se contenta d’hocher la tête. Avant de tout noter sur son post-it et d’en expliquer vaguement les raisons, ce qui eut l’air d’interpeller un peu son ancien voisin. Elle l’écouta spéculer et était même plutôt curieuse quant à la fin de sa phrase. Comme beaucoup, lui aussi devait croire qu’elle en voulait à son ex-mari de l’avoir plaquée au pire moment sauf que non, pas du tout. Sûrement parce qu’elle était capable de reconnaître ses torts dans cette histoire ; oui, Frank était un connard mais elle n’était pas vraiment mieux en ce temps-là. Alors non, elle ne lui avait jamais vraiment voulu d’être parti, ce n’était pas le problème.

« Depuis qu’il est revenu, ouais. On se dispute un peu la garde de la petite et ça devrait jouer en ma faveur. »

En tout cas elle l’espérait. Bien qu’elle trouve déjà ça complètement insensé qu’on refile la garde d’une petite fille à un géniteur qu’elle n’avait jamais vu auparavant plutôt qu’à son grand-père ou quelque chose comme ça alors la justice, hein… le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne l’avait pas en très haute estime. Jax lui fit alors remarquer que ce n’était pas le genre de détails qui s’oubliait facilement et la blonde eut un petit sourire amer.

« Oh, tu sais j’ai fait des progrès depuis l’accident mais on en est pas encore là. »

Noomi voulait à présent bien croire que Jax n’était pas le flic de l’année mais il devait quand même bien se souvenir que sa voisine s’était retrouvée deux semaines dans le coma et que quand elle était finalement rentrée chez elle après tout ça, c’était sans sa fille, non ? Cette fois encore, elle ne pouvait qu’espérer. Le comble fut quand il eut l’outrecuidance de lui demander si Frank était si casse-pied que ça. Pardon ? Avait-elle bien entendu ? La grecque, qui n’avait pas pour habitude de mâcher ses mots, fit tout d’abord mine de réfléchir.

« Hum, c’est vrai que ça dépend du point de vue. Et puis il peut techniquement pas faire pire que de réclamer la garde de ma fille pendant que je suis dans le coma. »

A ce stade, c’était pas être « casse-pied », non, en effet, c’était bien pire que ça.

La mine déconfite de Jackson une fois qu’elle eut prononcé les mots « on se dispute la garde de la petite » parvint à la convaincre : il n’avait manifestement aucune idée de quoi il parlait. Et ça ne l’étonnait qu’à moitié à vrai dire, ni elle ni Frank n’était du genre à s’étendre sur le sujet en société. Bref, tout ça pour dire qu’il avait l’air surpris que son ex-mari ait son mot à dire dans toute cette histoire ; lui qui avait décidé de son propre chef de ne pas être père tant que ça ne l’arrangeait pas. Et il n’était pas le seul à l’être d’ailleurs, elle avait été la première évidemment. Noomi finit par hausser les épaules.

« C’est que Frank peut se montrer vraiment convainquant quand il veut. Sans parler de sa position. Et puis le pire : ça va bientôt faire deux ans qu’il en a la garde principale, Sarah s’est prise d’affection pour lui, évidemment. »

C’était bien ça qui lui fichait le plus la trouille, d’ailleurs. Bien sûr qu’elle n’aurait pas préféré qu’il s’occupe mal d’elle ou qu’il se montre aussi détestable qu’il pouvait l’être par moment mais ça ne changeait rien au fait qu’elle était terrifiée à l’idée que sa fille décide que, finalement, c’était avec lui qu’elle se plaisait le mieux. Mais plus la grecque pensait à cette éventualité, plus ça la minait et c’est incontestablement ce qui retardait son rétablissement alors il valait mieux qu’elle mette tout ça de côté aussi souvent que possible.

Toujours est-il que lorsqu’elle lui rappela ses troubles de la mémoire, son ancien voisin laissa échapper une phrase plutôt curieuse. Ainsi, il disait connaître des tas d’amnésiques. Disons que son job devait aider ; il devait fréquenter des tas de personnes choquées, alcooliques ou sous traitement.

« Ah ouais ? C’est une réaction plus fréquente qu’on ne le croit et les causes peuvent être nombreuses, alors… »

La blonde accepta ensuite les excuses de Jax d’un hochement de tête ; elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir de ne pas connaître chaque détail de sa vie et puis elle avait tendance à être vachement sur la défensive à chaque fois que le nom de Frank poppait dans une conversation. De plus, les mots qui suivirent lui firent chaud au cœur. Il n’était sans doute pas l’ami le plus proche qu’elle ait mais aucun des autres ne bossait dans la police. Puis elle l’avait toujours apprécié, aussi.

« C’est gentil, ça. Je saurai m’en souvenir. »

Enfin, on l’espère en tout cas.

C’est bien là qu’est le fond du problème : Frank se débrouille pas mal avec Sarah. Avec la maladresse des débutants évidemment mais quand même. Alors non, bien sûr que non, Noomi n’avait jamais souhaité que ça soit l’inverse qui se produise ; que son ex-mari se comporte avec sa fille comme il se comportait avec à peu près tout le monde mais il n’empêche qu’elle aurait aimé que Sarah le déteste, elle aussi. Peu importait la raison dans le fond, tout ce qu’elle voulait, c’était ne pas vivre dans l’incertitude et la crainte qu’un jour ou l’autre, sa fille lui annonce qu’elle préférait rester avec lui. Mais ça, c’était bien entendu le genre de trucs qu’elle gardait pour elle. Ou qu’elle partageait avec son père, à la rigueur. Ce qui fait que la blonde se contenta d’acquiescer d’un mouvement de tête pour toute réponse.
Puis ils en vinrent à parler d’amnésie. Et de l’éventualité que Jax croise forcément quelques cas avec le travail qu’il fait. Il faut dire que de se recevoir un grand coup sur la caboche, ça n’aide pas, quelles que soient les circonstances et la grecque s’estime chanceuse ; ç’aurait pu être pire. Son ancien voisin lui apprit que la plupart du temps, c’était un accident qui était en cause et ça ne l’étonne guère. Nouveau hochement de tête.

« Il paraît que c’est souvent un mécanisme d’auto-défense aussi. »

Sauf qu’elle n’avait jamais réellement compris comment ça pourrait être le cas en ce qui la concernait. Se préserver de quoi ? De l’impact au moment de l’accident ? Pourquoi pas mais alors pourquoi continuer à l’enquiquiner après ? Non, elle était sûre que c’était lié au coma même si on lui certifiait depuis toujours qu’elle finirait bien un jour par retrouver toute sa mémoire. Et qu’elle ne pouvait pas nier l’amélioration dont elle avait parlé un peu plus tôt. Enfin bref, patience.
Quoiqu’il en soit, la pointe d’humour qu’elle a glissé dans sa dernière phrase eut l’effet escompté et cette fois, la blonde secoua la tête lorsque Jax lui demanda si les blagues concernant son état la dérangeaient.

« Bien sûr que non, t’en fais pas. De toute façon, je me considère pas tout à fait comme amnésique non plus. »

Il n’y avait jamais eu de moment malaise façon « qui êtes-vous ? » face à quelqu’un qu’elle connaissait depuis des lustres alors ça n’était pas non plus si grave que ça. Puis il fit mention de Ryan, de sa façon de prendre lui aussi son état à la rigolade. Bah, comme on le dit, mieux vaut en rire que d’en pleurer, c’est sûr. Et il finit par lui demander si elle aussi s’en servait parfois d’excuse. Ah, ça serait mentir de dire que non alors ce fut avec un air espiègle qu’elle répondit :

« J’aimerais autant que ça reste entre nous, si ça t’ennuie pas mais je t’avoue que des fois, au boulot… »

Et même ailleurs, en fait, c’est qu’il fallait bien en profiter un peu aussi.

C’est vrai que les mécanismes d’auto-défense se développent suite à un traumatisme. Plus ou moins grave. Enfin bref, ils pourraient en discuter pendant des heures tellement le sujet est complexe. Tout ce qui touche au cerveau l’est, d’ailleurs et ça ne doit pas être chose aisée d’avoir à le soigner vu le peu de choses qu’on en connaît au final. C’est bien pour cette raison qu’ils ne s’étendirent pas là-dessus. Et qu’ils repassèrent sur son état à elle. A savoir qu’encore heureux, elle n’avait pas tout oublié de sa vie passée. Ce sont des choses qui arrivent également. En ce qui concerne Noomi, elle avait surtout vu ça dans les films ou alors on parlait de personnes âgées mais elle savait qu’ils n’étaient pas non plus les seuls touchés. Et puis si dans les films ça pouvait être un peu marrant, ça devait être nettement moins le cas dans la vraie vie, tout de même. Alors oui, c’était une chance que ça ne soit pas son cas. Elle galérait déjà tellement à faire entrer de force dans sa mémoire les évènements récents qu’elle ne préférait même pas imaginer ce que ça devait être d’y faire entrer toute une vie. Tout ça pour dire que, comme souvent, il valait mieux en rire que d’en pleurer. Ce qu’elle avait pourtant fait en masse au début. Mais maintenant ça allait mieux. Et la meilleure façon de procéder, c’était d’en jouer quand c’était possible. Ce qu’elle avait fait, continuait et continuerait peut-être même de faire lorsqu’elle serait complètement guérie. Rien de bien méchant évidemment, ce n’était pas le but non plus. Et ça, Jax n’avait sans doute pas besoin qu’elle le lui confirme pour se douter qu’elle le faisait. Comme tout le monde qui se retrouvait un jour dans une situation telle que celle-ci probablement. Car le contraire serait bien bête. Il lui certifia alors qu’il garderait le secret. On pouvait en douter même si ça serait plus par mégarde qu’autre chose mais la grecque avait quand même confiance.

« Je sais que je peux compter sur toi. »

Elle lui adressa un clin d’œil avant qu’il ne fasse comprendre qu’il devait reprendre le cours de sa journée. Ce qui tombait bien.

« Oui, c’est presque l’heure d’aller chercher Sarah. »

Elle hocha la tête en réponse à sa dernière phrase. Inutile de préciser que ça marchait dans les deux sens.