Le flic et la charlat... euh non rien

Une fourche. Le choix de l’arme laisse supposer que cette femme est complètement cinglée. Au cas où ça ne serait pas encore évident après la pièce au sous-sol d’une grange où elle retenait des petites filles captives. C’est qu’une fourche avait un côté moyenâgeux. Sans compter que ce n’était pas des plus pratiques face à quelqu’un possédant une arme à feu. Mais Robin comprenait mieux l’éclat brillant. En tout cas, c’est ce qu’elle eut tout juste le temps de se dire avant d’être projetée à l’écart par Jax. Un peu brutalement, il est vrai, mais elle n’était pas en sucre non plus. Et puis une chute de plus ou de moins, elle n’était plus à ça près aujourd’hui. L’essentiel, c’est qu’elle amortit celle de Frannie ; manquerait plus que la petite se casse malencontreusement quelque chose alors qu’ils essayaient de la secourir, tiens… En ce qui la concernait, son état n’était que très secondaire dans cette affaire et puis la médium était encore capable de voir le côté positif des choses : elle avait évité un coup de fourche. Bref, c’est à peine si elle vit la policier maîtriser la dingue comme un chef puisqu’elle préféra s’assurer que Frannie n’avait rien. Et non, du moins physiquement tout allait bien, en revanche, elle frissonnait et s’était également mise à claquer des dents. Pauvre gosse. Une fois de plus, Robin fit de son mieux pour l’apaiser en posant les mains sur ses épaules.

Pendant ce temps-là, Jax était occupé à informer la cinglée qu’elle pouvait garder le silence et que tout ce qu’elle dira pourra être retenu contre elle et ainsi de suite. Mais bien sûr, elle ne pouvait pas se taire, à l’instar des cinglés dans les films. Une dernière punchline fusa et Robin sentit la petite, qu’elle attira contre elle en un geste protecteur, se raidir de nouveau. Il aurait mieux fait de la mettre hors-service mais bon, elle n’était pas flic, elle n’allait pas lui dire ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire. C’est Lucky qui s’en chargea en grognant méchamment et en montrant les dents pour avertissement. Bref, il était grand temps de sortir de là. Elle opina à nouveau du chef lorsque le policier lui conseilla de rester sur ses gardes. Evidemment, bien qu’elle n’ait pas le sentiment que la folle ait un complice, ça restait une possibilité et de toute manière, elle ne se détendrait pas avant d’être sortie de là, une fois qu’il y aurait plein de monde autour d’eux et la lumière un peu rassurante des gyrophares. Ce n’est qu’à l’air libre qu’elle se rappela d’une chose. Elle s’abaissa au niveau de Frannie.

« Regarde ce que j’ai avec moi. »

Elle sortit la peluche qu’elle avait empruntée dans sa chambre de la poche de sa veste et la lui tendit. La petite fille la regarda comme s’il s’agissait de la huitième merveille du monde avant de la serrer contre elle. Puis son regard se posa sur Jax.

« Ça va aller ? »

Il avait prouvé que la situation était sous contrôle mais elle préféra lui poser la question, si elle pouvait se rendre utile une fois de plus.

Maintenant que la situation est sous contrôle, il y a forcément tout un tas d’autres choses à gérer. Comme donner sa version des faits. Oui, elle aussi puisqu’elle venait de participer à l’enquête. Expliquer le pourquoi du comment elle était là et ce qu’elle faisait exactement était toujours une tâche ardue ; elle avait souvent à faire face à des mines renfrognées, pour le moins perplexe qui en venaient inévitablement à cette conclusion : c’est qu’un tas de conneries et on doit la résolution de cette enquête à l’instinct du flic en charge. Mais ça ne dérangeait pas Robin, elle ne faisait pas ça pour en retirer une quelconque reconnaissance, uniquement pour aider. Et cette fois, on peut dire que c’était une franche réussite. Enfin bref, tout ça pour dire que ça ne l’enchantait pas des masses mais puisque c’était la procédure, elle s’y plierait évidemment. Une fois dehors, la folle enfermée à l’arrière d’une voiture de police, Jax lui fait part de son avis : à savoir que ça serait sans doute mieux d’accompagner Frannie durant son interrogatoire. Avis qu’elle partage si elle est autorisée à suivre le mouvement, son instinct lui dit que la petite fille n’aimerait sûrement devoir raconter son expérience étrange à une poignée d’inconnus. Bon certes, ils restaient des inconnus pour elle aussi mais des inconnus qui l’on sauvée, ça fait toute la différence.

« Mieux vaut qu’on reste avec elle, oui. »

Puis, le policier fit quelque chose que les autres ne faisaient jamais, jamais avec conviction en tout cas, il la remercia. Et elle balaya ses remerciements d’un geste de la main ; inutile, il n’y avait rien de plus normal pour elle. Enfin bref, tout ce beau monde fut alors rapatrié au commissariat où les interrogatoires et autres dépositions durèrent le temps qu’il fallait bien que Robin eût l’impression que le temps s’était carrément arrêté quelques instants. Et lorsqu’arriva son tour, elle eut bien droit aux petits sourires narquois habituels mais ils glissèrent sur elle telle l’eau sur les plumes d’un canard et c’est bizarrement avec plaisir qu’elle retrouva Jax dans le couloir.

« Pfiou, j’ai bien cru que ça n’en finirait jamais. Ça vous dit de prendre un café et un donut pour fêter ça ? »

Faute de grive on mange du merle, à ce qu’il paraît et la médium doutait sincèrement que la police s’amuse à cacher des bouteilles de champagne dans ses locaux. Peut-être gardaient-ils de la coke sous scellé mais ça serait un peu trop extrême.

A sa grande surprise – bon, peut-être pas si grande que ça non plus -, Jax accepta sa proposition d’aller fêter ça autour d’un café. Ça lui semblait important de décompresser après une expérience aussi intense mais elle ne l’aurait certainement pas proposé à n’importe qui. Ou juste pas à l’ensemble de ses collègues et se serait contentée d’aller prendre un café toute seule. Mais elle aimait bien Jax ; elle avait d’abord cru qu’il serait comme les autres mais il s’était avéré que non, au final. La preuve, voilà qu’il proposait même de l’inviter. Ce qui lui convenait tout à fait, qu’il fasse passer ça comme note de frais ou pas, d’ailleurs. Bon, elle avait compris que c’était une blague de toute évidence, même qu’elle en rit, elle aussi, mais ça ne l’aurait pas dérangée outre mesure que ça ne soit pas le cas.

« Bien sûr, j’ai tout mon temps. »

Ce qui était vrai étant donné qu’elle avait pris sa journée au musée. Ça ne tuera pas quelques tableaux abîmés d’attendre quelques heures de plus ou de moins alors qu’en ce qui concerne Frannie, la faire attendre aurait pu être beaucoup plus problématique. Robin laissa donc Jax s’éclipser quelques minutes et sortit son téléphone pour échanger quelques SMS avec sa sœur tout en restant discrète sur cette affaire. Plus tard, si elle en avait la permission, elle en parlerait peut-être plus en détails mais en attendant, elle garderait ça pour elle s’il le fallait vraiment.

L’agent revint alors et, se doutant qu’il y connaissait un sacré rayon sur la question des donuts, la médium rangea son téléphone et lui emboîta le pas.

« Pourquoi ? Vous allez essayer de me faire croire que c’est faux, peut-être ? »

Un petit sourire un rien moqueur étira ses lèvres. Ah, ce n’était pas sa faute mais plutôt celle des Simpsons ou encore de Zootopia qui n’avait de cesse de véhiculer ce cliché auquel il était aisé de croire. Puis ça ne serait pas aujourd’hui qu’il parviendrait à la convaincre étant donné qu’ils venaient de passer la porte de ce qui ressemblait fortement à un salon de thé. Puis il lui posa une question qui la surprit quelque peu, bien qu’elle soit tout à fait légitime et Robin secoua vivement la tête.

« Evidemment que non. Je pense même que c’est plus sain. Et puis on ne trouve pas non plus des cinglés kidnappeur d’enfants armés d’une fourche à tous les coins de rue, encore heureux. »

Peut-être bien que c’était le cas aux Etats-Unis où les cinglés courent apparemment les rues mais ici, en Nouvelle Zélande, force est de constater que ce genre d’évènements se fait rare.

Evidemment que non, elle ne le croirait pas s’il lui disait le contraire ; sa connaissance était basée sur la pop culture et celle-ci ne mentait jamais. Et cet air de flic tout droit sorti d’une série télé des années 70 ne faisait que renforcer le cliché, raison pour laquelle elle se contenta de secouer la tête de gauche à droite avec toujours ce petit sourire moqueur aux lèvres. Sourire qui s’élargit une fois qu’ils se sont posé de ce fameux salon de thé et que Jax lui fait remarquer son sens de la formule. Mais qu’est-ce qu’il croit ? Qu’elle a d’abord été élevée par une meute de loups qui ont fini par la déposer devant la roulotte de la Madame Soleil d’une troupe itinérante et qu’elle ne s’exprime que par énigmes ? Hé non, les Wade ont éduqué toute leur marmaille de sorte qu’ils causent tous bien.

« Merci. Vous préféreriez peut-être que je vous parle en prédictions nébuleuses ? Parce que si oui, sachez que je ne vois pas l’avenir. »

Et c’était tant mieux parce que Robin avait toujours trouvé qu’il y avait quelque chose d’extrêmement flippant dans la simple idée de savoir ce qui va se passer dans l’avenir, quand va mourir qui, quand les aliens débarqueront enfin sur terre soit pour asservir l’humanité, soit pour au contraire l’aider à devenir meilleure – c’est beau de rêver – et ainsi de suite, non vraiment, ça lui avait toujours fichu la chair de poule. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi qu’ils en vinrent à discuter de sa collaboration avec la police. Robin fronça les sourcils, concentrée à compter le nombre de fois où ça lui était arrivé.

« Je dirais qu’on s’évite mutuellement, la police et moi. Ça a dû arriver moins d’une dizaine de fois. »

Peut-être même moins de cinq, même. Il faut croire que le commissaire qui la rencardait de temps à autre savait très bien à qui il pouvait parler d’elle sans qu’on le prenne pour un maboule tout juste bon pour l’hôpital psychiatrique et à qui il ne le pouvait pas. Ce qui ne l’empêchait bien évidemment pas d’être ravie d’avoir pu aider dans ce cas précis. Puis, comme pour la détromper, Jax ne céda pas à la tentation du café et des donuts mais plutôt à celle du milkshake. Robin n’irait pas jusqu’à dire que ce n’était pas tentant.

« Dandy ? Quelle drôle d’idée. Non, si vous voulez qu’on aille au fond du cliché, alors on pourrait aller jusqu’à dire que le milkshake est une boisson de lycéenne. Vous connaissez Kellis ? My milkshake brings all the boys to the yard ? Je suis sûre qu’elle a beaucoup contribué à ce cliché. »

Une fois de plus elle sourit, visiblement très fière de ce cliché ainsi que de sa répartie. Ce qui ne l’empêcherait pas non plus de l’imiter et de prendre un milkshake elle aussi. Bien mieux que les donuts.

Visiblement satisfaite de sa réponse, Robin approuva d’un petit hochement de tête. Contrairement au policier, elle ne doutait pas que ça existe, étant donné ce qu’elle connaissait de la vie après la mort, elle était plutôt du genre à croire que tout était possible – les fantômes, les aliens, les mondes parallèles et ainsi de suite -, mais ça, c’était le genre de don qui l’effrayait un tantinet et elle était reconnaissante de ne pas l’avoir. Enfin bref, il lui demanda alors si elle avait eu des soucis avec la police par le passé et cette déduction la fit sourire. Même en pause, le flic en lui n’était jamais bien loin, apparemment.

« Non pas vraiment, ce que je veux dire c’est que vos collègues ne donnent jamais aucun crédit à ce que je fais. Alors je vous raconte pas l’ambiance et leur tête quand ils me voient débarquer, pire que la vôtre... Raison pour laquelle j’évite autant que possible. »

Cela dit, elle le leur rendait bien puisqu’elle n’aimait pas plus travailler avec eux que l’inverse. C’était probablement la première fois qu’elle n’écourtait pas la collaboration forcée, d’ailleurs. Peut-être que Jax était un peu différent. Et comme de juste, il ne prit pas la mouche lorsqu’elle lui annonça sans y aller par quatre chemins que les milkshakes étaient plutôt une boisson de lycéenne que de dandy. Au contraire, ça l’amusait autant qu’elle. Petite pointe de déception quand il lui confirma ne pas connaître Kellis et son tube sur les milkshakes mais ce n’était pas dramatique non plus.

« Je suis pas vraiment une très bonne rappeuse, pas sûre que vous reconnaissiez. »

Dommage, s’il n’avait s’agit que de chant, elle s’y serait peut-être risquée. Après tout, elle ne se débrouillait pas si mal en la matière, tant et si bien qu’il lui arrivait parfois de donner des représentations mais là n’était pas la question. La question c’était que Jax l’imaginait mal derrière les fourneaux… Robin resta dans le vague quelques secondes à essayer de faire le rapprochement entre son métier officiel et les fourneaux et puis la lumière se fit : restauratrice. Elle se mit alors à pouffer.

« Vous auriez parfaitement raison. Ce sont des tableaux que je restaure au musée plutôt que des gens dans une salle de restaurant. C’est certainement plus gratifiant parce qu’il y a moins de plaintes. »

On ne serait pas sortis de l’auberge le jour où les œuvres d’art se mettraient à se plaindre, à leur tour.

« Et vous, ça fait longtemps que vous êtes policier ? »

Trente-six années qu’elle foulait cette terre, Robin avait largement eu le temps de se rendre compte qu’il y avait beaucoup de sceptiques, oui. Et elle ne passait pas non plus son temps à essayer de les convaincre du contraire, elle avait bien compris que c’était peine perdue ; elle aimerait juste qu’on accepte qu’elle y croie sans qu’on ne la prenne pour une cinglée pour autant. Ce n’est ni plus ni moins que du manque de respect, dans le fond. Mais bon, elle n’était pas non plus pour refaire le monde ni pour en pointer du doigt les nombreux problèmes alors elle se contenta d’hocher lentement la tête.

« J’ai cru comprendre, oui. »

Ce qui pouvait tout aussi bien s’appliquer aux collègues de Jax qu’à lui-même ; elle l’avait senti dès la première seconde et pourtant, ça ne l’avait pas empêché de mettre tout ça de côté pour collaborer avec elle. Et ç’avait porté ses fruits. Mais elle n’eut pas l’occasion, ni l’envie, de s’attarder plus que ça sur le sujet. Au lieu de ça, le policier la taquina sur le fait qu’elle était en train de se défiler quant au rap. Ce qui provoqua chez elle un haussement d’épaules étant donné qu’elle ne pouvait pas le nier. Non, elle ne lui infligerait pas ça. En revanche, la médium ne se priva pas pour l’informer de sa méprise en se moquant gentiment et là-dessus, il lui fit savoir que ça lui allait mieux. Et puisque ce n’était pas la première fois qu’on lui faisait cette réflexion, elle se permit de demander avec un petit rire :

« Ça veut dire que j’ai une tête à bosser dans un musée ? »

Auquel cas, elle ne le prendrait pas mal, évidemment. Ce que lui n’avait pas forcément, soit dit en passant, puisqu’elle fut surprise d’apprendre qu’il s’y connaissait pas mal en art. Moins d’apprendre que c’était lié à l’une de ses affaires, en revanche.

« Oh, intéressant et ça vous a donné le goût de l’art ou c’était juste pour le job ? »

Et bien sûr, elle ne put s’empêcher de se demander si ça s’était passé tout près d’ici. Elle n’en avait pas vraiment souvenir mais peut-être était-ce le cas d’un de ses collègues, allez savoir. C’est donc ainsi qu’ils en vinrent à parler de la carrière de Jax. Une véritable vocation, apparemment, bien qu’il ait passé plus de temps en tant qu’infiltré qu’en tant que vrai flic.

« Wow ça a l’air… dangereux. C’est bien représenté dans les films ou bien ils en font des tonnes pour ça aussi ? Est-ce que Jackson Clarke c’est votre vrai nom ? Dans tous les cas, ça doit beaucoup vous changer quand vous redevenez un vrai flic, non ? »

Parce que, comme dit précédemment, ce n’était pas tous les jours qu’on tombait sur des cinglés kidnappeurs d’enfants dans le coin.

Inutile de le nier, le voir hésiter et prendre mille précautions pour ne pas la froisser la fit sourire. Pourtant, elle avait fait de son mieux pour que sa question ne sonne pas comme une menace mais bon, elle se doutait aussi qu’il en faisait des tonnes. Cette fois elle acquiesça avec un air approbateur.

« Non c’est bon, vous avez sorti le mot magique. »

A savoir « cultivé ». Peu importe la façon dont on employait ce mot, il n’était pour ainsi dire jamais péjoratif. Contrairement à « artistique ». Oh bien sûr, elle le prenait toujours comme un compliment, tout comme le fait d’être « originale » d’ailleurs mais selon la façon dont on en usait, ça pouvait ne pas du tout être positif. Les deux se rapportant d’ailleurs aux mêmes domaines, celui de la folie et de l’excentricité. Des domaines que Robin connaissait fort bien. Tout ça pour qu’elle préférait avoir une tête à bosser dans un musée que derrière les fourneaux. Pour elle ne savait quelle étrange raison, soit dit en passant, puisqu’il peut très bien s’agir d’un métier de prestige aussi. Mais sans doute pas autant que l’art, certes. Et en parlant d’art, les voilà en train de discuter d’une précédente affaire de Jax qui avait apparemment bien été forcé de s’y intéresser d’assez près. L’art classique, même à elle ça lui arrache une grimace, c’est dire.

« Oui je vois, c’est sûrement pas ce qu’il y a de plus amusant dans l’art. »

Comme tout le monde, Robin avait ses préférences et ce n’était pas parce qu’elle travaillait là-dedans qu’elle comprenait l’engouement pour absolument toutes les œuvres qui existent sur terre, loin s’en faut.
Puis voilà qu’il répond à sa question avec beaucoup d’humour. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’attendait pas vraiment à ça et que ça la fit rire.

« Wow impressionnant, vous n'avez plus du tout d'accent ! »

Tandis qu’on leur apportait enfin leurs milkshakes et que Robin s’empressait de goûter au sien, le policier répondait à sa question. Bien sûr, elle se doutait que son travail d’infiltré n’avait rien à voir avec celui de Mister Bond qu’elle aurait plutôt tendance à qualifier d’agent secret, d’espion. Bon d’accord, elle ne saurait pas dire exactement quelle était la différence mais elle savait qu’il y en avait une.

« Ça doit pas être évident tous les jours comme métier. »

Parfois, la frontière entre la personne qu’on est et celle qu’on prétend être doit même être assez floue. En tout cas, ça, c’est une réflexion qu’elle garda pour elle, se doutant également qu’il ne pouvait probablement pas trop en dire. Il en profita d’ailleurs pour changer de sujet, revenir sur son job à elle. Ah, c’est vrai que vu comme ça, ça pouvait également faire rêver.

« Si je me permettais de partir des jours durant à la moindre anomalie, j’aurais déjà été virée depuis longtemps, vous pouvez me croire. La vérité c’est que chaque peintre aime bien cacher des petites surprises dans ses toiles. Parfois on s’amuse à les chercher avec mes collègues, on se questionne aussi sur leur signification mais ça s’arrête malheureusement là. »

Et heureusement qu’ils ne se prenaient pas non plus au jeu à chaque fois, ils en perdraient un temps fou, sinon.

Oh quand même, l’art n’était peut-être pas le sujet le plus fun qui existe mais dans le fond, c’était si vaste comme domaine, qu’on ne pouvait tout simplement pas s’y ennuyer en permanence et ce Jax prétendait le contraire. Il faut croire qu’il ne l’avait pas encore suffisamment étudié, voilà tout.

« Soit vous exagérez, soit vous n’avez pas eu les bons professeurs. »

Evidemment, c’était la première option qui semblait la plus probable. Bien qu’elle soit d’accord sur le fait que l’art ne parlait pas à tout le monde et, de ce fait, ça lui conférait peut-être bien un côté un peu snob mais également tout ce qu’il y a de plus fascinant. Cependant, Robin n’en démordrait pas, il exagérait. Et le faisait sciemment, qui plus est, ce qui ne manquait toujours pas de l’amuser, tout comme les soi-disant mois de pratique pour gommer son accent british en tant qu’agent 007. Et en parlant de fascination, voilà qu’il se confie un peu sur la variante de son métier, si l’on peut dire ça comme ça. Enfin, un peu, puisqu’il lui confirme que ce n’est pas un métier facile, que c’est aussi dangereux que déprimant, par moment.

« Je comprends, dans le fond c’est pas plus mal d’être revenu à quelque chose de plus calme, j’imagine. »

Encore qu’il existe des gens qui aiment ça, vivre dangereusement. Sans arrêt. Mais la médium était convaincue que ces gens-là ne font pas de vieux os. Lorsqu’il lui demanda ce qui l’empêchait de partir un mois à l’aventure, sur les traces d’allez savoir quel illuminé qui en avait peut-être seulement trop pris, la réponse était déjà toute trouvée :

« Mon salaire, tiens. J’ai beau travailler dans le domaine de l’art, je ne suis pas considérée comme une artiste, donc… »

D’accord, peut-être bien qu’elle exagérait un peu à son tour, elle n’était pas non plus à la rue. Et on aurait sûrement tendance à croire tout le contraire, étant donné qu’en plus de ça, elle cumulait plusieurs petits jobs ; médium, consultante pour la police, etc. Mais on ne va pas se mentir, si on ne décide pas d’en tirer profit au maximum, chose que Robin se refusait à faire, ça ne rapporte pratiquement rien. Donc pas vraiment les moyens de voyager partout dans le monde. Puis elle n’avait pas d’enfants, certes, mais c’était tout comme.

« Je sens comme une espèce de mini-vengeance pour le cliché de la lycéenne au milkshake quand vous dites ça. »

Ce dont elle ne pouvait lui en vouloir. D’autant que ce n’était même pas entièrement faux.