I feel the need ... the need for speed

Peu importe qu’on soit en plein hiver néo-zélandais – et le moins que l’on puisse dire, c’est que pour une texane, ils sont un peu rudes -, ça n’empêcherait pas Vesper de baptiser son nouveau joujou. Un petit hors-bord qui ne paye pas de mine mais qui en a sous le capot puisqu’elle connaît bien évidemment des gens qui aiment bien s’amuser à booster un moteur par-ci par-là. Pour elle, rien ne va jamais assez vite. Bien sûr, de là à croire que c’est la crise de la quarantaine qui frappe et qu’elle ne fait ça que pour prouver au reste du monde ainsi qu’à elle-même que c’est elle qui en a toujours sous le capot, il n’y a qu’un pas mais il serait fait dans la mauvaise direction. Pas de décapotable ou de minet pendu à son bras pour elle et tant qu’on n’a pas au moins l’un de ces deux trucs, on ne peut pas parler de crise de la quarantaine, c’est ainsi. De plus, ce n’est pas comme si Vesper n’avait jamais aimé la vitesse puisqu’elle en avait littéralement fait son métier. Enfin, en quelque sorte, le métier de cascadeur ne comprend pas que de la vitesse non plus, évidemment. Bref, c’est donc ainsi qu’on se retrouve en plein océan, portant un ciré jaune parce que putain, on se les gèle, à admirer le paysage à bord de son tout nouveau hors-bord. Admirer, oui, car la texane sait également prendre le temps de prendre le temps.

Quand tout à coup, non, il ne surgit pas hors de la nuit et il ne s’agissait pas d’un cavalier quant à son nom il ne le signe probablement à la pointe de l’épée d’un Z qui veut dire Zorro mais que voulez-vous ? On ne peut pas tout avoir. Non, au lieu de ça, c’est sur sa gauche que déboule un zigoto dans une grande gerbe d’eau. Et malgré ça, Vesper voit très bien le geste de la main qui lui est adressé. Un sourire étire ses lèvres ; il faut dire ce qui est : l’occasion est trop belle pour ne pas la saisir. Et bien entendu – et même surtout -, hors de question de se défiler, les Walker ne se défilent pas ! Sans trop pousser le moteur non plus, elle garderait ça pour plus tard, elle lui emboîte le pas, si on peut dire, à ce bonhomme. Commence alors un jeu de saute-vagues très divertissant. Ça en donnerait presque envie de chanter plus haut, oui, plus haut que toutes les étoiles qui brillent en toi.

Une fonceuse, voilà ce que Vesper avait toujours été. Sur terre, en mer, parfois même dans les airs bien que ça soit plus rare. C’est à cheval qu’elle avait débuté, qu’elle s’était entraînée mais elle était vite passée à autre chose. Raison pour laquelle une course de hors-bord ne lui fait pas peur. Encore moins si c’est pour coller une raclée à un gosse de riches. En vérité, elle n’a aucun moyen de savoir s’il s’agit bien d’un gosse de riche mais tout porte à croire que oui : le bateau, le style – de ce qu’elle peut en voir en tout cas, c’est-à-dire pas grand-chose -, jusqu’à l’attitude. La preuve, comme lassé de la voir derrière lui, il lui fait alors signe de passer devant. Sans pour autant ralentir, évidemment. Son urbanité semble avoir ses limites. Qu’à cela ne tienne, il est donc temps de prouver que son nouveau jouet peut tenir la vague. La blonde accélère donc, la proue de son hors-bord fendant lesdites vagues pas si calmes que ça ce jour-là, ce qui la secoue littéralement autant qu’une bouteille d’Orangina mais elle a l’habitude, elle a même développé une super technique pour garder son équilibre en toute circonstance au fil des ans.

C’est donc ainsi qu’elle double son adversaire sans trop de difficultés et sans pousser le moteur à fond. Dans Fast & Furious, ils gardent toujours le boost de nitro pour la fin, comme la cerise sur le gâteau, hé bien là c’est pareil. Et bien sûr, la texane n’a même pas besoin de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule pour savoir qu’il la talonne. Même qu’il revient à la charge et leur proue se dépasse l’une l’autre à tour de rôle pendant quelques minutes. Elle le laisse rester à sa hauteur encore quelques instants avant de lui adresser un sourire Colgate suivit d’un salut militaire et de mettre la gomme. Vesper aimerait dire que ça fait toute la différence mais bien entendu, pas tant que ça. Dans le fond ce n’est pas plus mal, ça ne serait pas drôle s’il n’y avait pas challenge et elle fait partie de ces gens qui pensent qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Malheureusement.

Impossible de le distancer. Pourtant, dans n’importe quelle course d’engins motorisés, la puissance dudit ne fait pas tout, il faut savoir aussi manœuvrer. Si Vesper se croyait experte dans le domaine, quel que soit l’engin, force est de constater qu’elle a trouvé un adversaire à sa taille. On n’ira pas jusqu’à dire que c’est extrêmement rare, d’autres de ses collègues peuvent rivaliser mais jusqu’à preuve du contraire, cet inconnu n’est pas un de ses collègues. Ou alors ça serait une sacrée coïncidence. Tout ça pour dire que ça la change d’avoir un peu de challenge – enfin, pas tant que ça non plus, ça faisait même partie de son quotidien lorsqu’elle bossait toujours à Los Angeles mais ici, en Nouvelle Zélande tout est tellement plus calme. Alors qu’elle le dépasse une fois de plus, elle le voit lentement – façon de parler bien sûr – remonter à son niveau tandis qu’il se met à crier pour lui adresser la parole. Pas le choix, ça fait un boucan monstre, tout ça. Et malgré ça, elle parvient tout de même à l’entendre, sans même avoir besoin de lire sur ses lèvres, ce qui serait de toute façon compliqué ; il y a beau n’y avoir personne à perte de vue sur les flots, il faut quand même faire un peu attention. Prudence est mère de sûreté à ce qu’on dit. D’un petit mouvement de tête, la texane le remercie pour son compliment et pourrait éventuellement le lui retourner mais elle se dit qu’elle peut également garder ça pour plus tard. Si plus tard il y a, bien entendu.

« Vous trouvez que j’ai l’air d’être en difficulté ? »

Qu’elle demande avec un petit air narquois en dépit du fait qu’elle aussi doit sacrément hausser la voix. Et qu’elle aussi est pratiquement à fond, évidemment. Puis elle lui adresse un hochement de tête lorsqu’il lui propose une dernière ligne droite, si elle l’avait suivi jusque-là, ce n’était quand même pas pour se défiler au dernier moment. Vesper attend donc sagement la fin du décompte, bien que ce ne soit pas l’envie de tricher un peu qui manque, pour le levier à fond. Il n’y a pas à dire, les gars qui ont trafiqué un peu son moteur ont fait de l’excellent boulot, elle a même parfois l’impression de sauter si haut par-dessus les vagues que son hors-bord pourrait s’envoler. Mais bien évidemment, on n’est pas dans un Disney alors l’embarcation finit toujours par retomber lourdement sur l’océan, provoquant de bonnes secousses au passage – et il s’avère que ce n’est jamais qu’une sensation et non pas la réalité.
Quand tout à coup, un dauphin passe par-là. Avec des envies de suicide visiblement puisqu’il reste sur leur trajectoire. Par réflexe, la blonde ralentit donc et se sentit même obligée de donner un coup de volant -ce qui aurait pu donner un superbe drift - afin de l’éviter – ce qui est stupide, oui, on est d’accord, le dauphin est probablement déjà reparti faire sa vie plus loin mais que voulez-vous, on est hippie ou on ne l’est pas. Ce fut donc ainsi que Vesper Vane sacrifia sa victoire pour un malheureux dauphin et manqua de peu de passer par-dessus bord, de surcroît.

Vesper est un brin secouée par ce changement de cap brutal mais on ne va pas se mentir : elle a connu bien pire que ça. L’américaine qui a vécu à Hollywood en elle s’attend à voir l’autre hors-bord continuer sa route jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à l’horizon mais, à sa grande surprise, elle le voit plutôt faire demi-tour pour revenir vers elle. Il s’arrête à sa hauteur et coupe le moteur tandis qu’elle l’imite. Ah, on s’entend déjà bien mieux. Le gosse de riches est donc bien élevé puisqu’il lui demande si ça va. Evidemment, on est en Nouvelle-Zélande et elle n’irait sans doute pas jusqu’à dire qu’ici tout le monde est beau et gentil mais l’atmosphère générale est tout de même plus aimable qu’à peu près partout ailleurs.

« C’est la super forme, merci ! »

Bon, peut-être bien qu’elle exagère un peu mais oui, on peut effectivement dire que tout va bien, la blonde n’est en fin de compte froissée que dans son orgueil mais bon, c’est le genre de choses qui arrive fréquemment lorsqu’on est une femme.

« Et vous ? Toi ? Pas eu de casse avec le dauphin ? »

Parce que non, on ne s’en fout pas, sinon il aurait suffi de tracer la route sans s’arrêter, sans même faire le moindre geste pour l’éviter. Après tout, ils auraient pu facilement trouver acheteur d’un cadavre de dauphin. C’est alors qu’il lui parle de la rareté de ces animaux dans les parages. Ah bon, en ce qui la concerne, elle ne pourrait pas le savoir étant donné qu’elle n’a pas encore vraiment pris le temps de naviguer plus que ça, bien que ça fait déjà plus d’un an qu’elle a posé ses valises dans le coin.

« Vraiment ? Peut-être que c’est un signe du destin pour ne pas terminer cette course, alors. »

Elle rit en énonçant cette possibilité pourtant, la texane y croit plus qu’à moitié. Rien n’arrive jamais par hasard selon elle et si ça se trouve, l’un des deux aurait pu se retrouver en très mauvaise posture s’ils avaient poursuivi, voilà la conclusion à laquelle Vesper en était arrivée mais évidemment, elle est très consciente du fait que ça puisse paraître vachement capillotracté au premier venu, c’est pourquoi elle préfère en rire.

Mouais, il n’a pas tort en disant que s’il y avait effectivement eu de la casse avec ce dauphin, il ne serait sûrement pas là pour en discuter avec elle ; comme à peu près tout ce que Vesper faisait pratiquement au quotidien, soit ça se passait bien, soit ça se soldait par une mort brutale. Elle hoche donc la tête tandis que le petit frimeur se la raconte, comme quoi l’intervention inopinée de ce dauphin lui aurait sauvé la mise. Bien sûr ! Si ça peut lui faire plaisir de le croire. Elle ricane avant d’hausser les épaules.

« Faut croire qu’on va devoir vivre avec cette question jusqu’à la fin des temps. Sauf si on décide de remettre ça un de ces quatre. »

Pourquoi pas, après tout ? Sans compter qu’il valait peut-être mieux une réponse à cette fameuse question car, admettons qu’ils viennent à se croiser de nouveau, est-ce que l’égo de Vesper n’en prendrait pas un coup s’il subissait de nouvelles railleries ? Non, en fait, elle s’en fiche un peu ; à son âge, elle n’a presque plus rien à prouver, c’est pratique.

Bref, il lui fait alors un compliment qu’elle devine rare dans sa bouche – à moins qu’elle ne se fasse des illusions, peut-être est-ce dans ses habitudes d’en faire, il ne faut pas juger trop vite -, avant de la tacler sur sa façon de se vêtir juste derrière – comme quoi, la première impression est souvent la bonne. Mais bien entendu, la texane ne se vexe pas le moins du monde, au lieu de ça, elle part d’un grand rire, c’est qu’il a tout d’une version plus jeune de Karl Lagerfeld.

« Ça ? C’est une preuve de plus que je n’ai pas froid aux yeux, voyons ! »

Non, en revanche elle se gèle les fesses, ça oui. C’est bien pour cette raison qu’elle a sacrifié le style au profit d’un peu de chaleur et de confort. Elle lui adresse un clin d’œil et poursuit néanmoins.

« Ça s’appelle un ciré pour ton information. C’est ce que des tas de gens portent lorsqu’ils font du bateau. »

Le prendre pour un débile ? Nooon, elle se permet juste de le taquiner de la même façon qu’il le fait.

« Si tu me dis que tu bosses dans la mode, peut-être que la prochaine fois, je ferai un effort. »

A condition qu’il y ait une prochaine fois, bien sûr.

Le forcer ? Allons bon, comme si elle n’avait que ça à faire. Cependant, Vesper ne juge pas utile de le reprendre étant donné qu’ils viennent à peine de se rencontrer, il ne peut pas le deviner. Au lieu de quoi, un sourire un rien narquois flotte sur ses lèvres. Evidemment qu’il est partant, elle n’en attendait pas moins de lui. Encore une fois amusée par son répondant, elle ne prend toujours pas la mouche. La Jamie en elle trouverait que c’est vraiment le comble de se vexer parce qu’on sous-entend qu’elle a mauvais goût. Et encore, il ne l’a jamais vue chez elle, à Abernathy, vêtue de toute la panoplie de la parfaite cow-girl. Il y a fort à parier qu’il aurait des tas de choses à redire là-dessus aussi. C’est à grand-peine qu’elle se retient de lever les yeux au ciel en entendant qu’il a l’habitude de fréquenter des femmes en robes de soirée.

« Super ! C’est vrai que des stilettos sur le pont d’un bateau, ça a l’air d’être le rêve. Ainsi que pour sortir ses poubelles, d’ailleurs. »

Dit-elle alors qu’il lui est pourtant déjà arrivé d’en porter, des stilettos sur le pont d’un bateau. Mais genre d’un yacht immense où elle ne faisait que faire la fête puis la plante verte. Bref, une soirée tout ce qu’il y a de plus classique à Hollywood, quoi. En revanche, ça l’étonne un peu d’apprendre que la mode en soi, ce n’est pas son truc. Non, il a l’air de préférer quand les nanas sortent tout droit d’un clip de rap, manifestement. Et ça ose parler de mauvais goût, on aura tout vu. Soit, c’est à ce moment-là qu’elle voit pratiquement l’ampoule s’éclairer sous son crâne tandis qu’il semble avoir l’idée du siècle. Pour lui, bien sûr, puisqu’il lui propose de terminer vite fait leur course, histoire de se prouver que son hors-bord est le plus fort, sans doute. S’il gagne, elle devra jeter son ciré à la flotte. Cette fois, elle ne peut le contenir, ce roulement d’yeux. C’est qu’il a une véritable haine pour les cirés, à tel point que Vesper en vient à se demander s’il n’a pas eu un quelconque traumatisme dans son enfance lié à l’un d’eux.

« Bon okay. On va jusqu’à la bouée là-bas, ça te va ? En revanche si je gagne, tu devras porter non seulement le ciré mais la marinière et les bottes en caoutchouc qui vont avec pendant toute une journée. Et j’vérifierai que c’est le cas. Marché conclus ? »

Si elle veut son avis… mais la question se pose en l’occurrence : le veut-elle ? La réponse est claire dès le moment où il formule sa pensée : non. C’est bien un truc de riches de croire que tout le monde l’est même si à moindre échelle qu’eux, évidemment. Vesper préfère donc ne pas relever. De toute façon, elle a bien l’intention de le piéger à son propre jeu et pour le coup, c’est lui-même qui lui tend la plus magnifique de toutes les perches en la mettant au défi de terminer la course là, tout de suite. Avec un gage pour le perdant. La blonde y voit l’occasion rêvée de lui faire vivre la vie d’une de ces personnes qui enfilent un ciré pour prendre la mer, le temps d’une journée. Ce qui a l’air de lui filer une véritable crise d’urticaire, on dirait qu’elle lui a carrément demandé d’aller à Hawaii en rollers, calmons-nous. Cependant, sa réaction la fait mourir de rire, elle ne peut pas le cacher, quelle drama queen, celui-ci.

« Oh ça va, au pire tu diras que t’as perdu un pari, n’importe qui peut comprendre. »

Mais apparemment non puisqu’il voulait à tout prix prendre une journée de congé rien que pour ça. Bah ma foi, s’il peut se le permettre, il fait bien comme il veut. Sauf qu’il pause une condition à ça : si elle tient tellement à venir vérifier, il faudra qu’elle passe par chez lui parce qu’il est définitivement hors de question qu’il sorte dans la rue vêtu de cette manière. Vraiment, il n’a pas un peu l’impression d’en faire des tonnes, là ? Visiblement pas. Ce qui pousse la texane à hausser les épaules.

« Si tu y tiens mais ta maman t’a jamais appris qu’il ne valait mieux pas inviter de parfaits inconnus chez soi ? »

C’est vrai, ça, elle pourrait très bien être une copine de Leatherface, une vraie référence par chez elle. Enfin bref, maintenant que les enjeux sont fixés, il est temps de s’y mettre. Vesper manœuvre donc de sorte à se mettre en place sur la ligne invisible de départ et donne le top. Cette fois, pas de dauphin à l’horizon, elle peut de nouveau mettre la gomme. Ce qu’il ne se prive bien évidemment pas de faire en vérifiant que l’autre hors-bord la talonne toujours.