Pas la mamy Franky, pas la mamy

Frank ne parvient pas à retenir un râle désespéré face à ce qui est en train de se transformer en dialogue de sourds. Il aimerait pouvoir se dire que c’est réellement fini pour aujourd’hui, qu’il va pouvoir faire son débriefing et rentrer chez lui pour s’ouvrir une bière et regarder le programme du soir à la télévision. Mais il est bien conscient que ce n’est pas le cas, qu’ils sont peut-être sur le point de faire une découverte qui pourrait leur valoir quelques heures de travail supplémentaire ou, dans le meilleur des cas, leur demander de rester bien sagement dans leur voiture en attendant des renforts. Il secoue la tête afin de dissiper les doutes de Jackson. « Non Jax, on ne va pas partir maintenant. Je dis juste qu’on serait aussi bien dans la voiture. » Et pour ce qui est de cette invitation à dîner, puisqu’il semble là aussi y avoir une mésentente, ils auront probablement tout le loisir d’en reparler plus tard. Jax a raison, il y a un moment pour tout. Même pour parler de fajitas. « C’est booooon, c’est bon. J’ai compris, pas maintenant. »

Ils en reviennent ainsi à leurs moutons, et à un en particulier : leur petit mouton noir d’Island Bay, celui qu’ils collent au train depuis quelques heures dans l’espoir d’avoir des preuves à ramener au poste. Les deux policiers sont plutôt du même avis : leur suspect va bientôt sortir et se remettre en route. Quand la porte s’ouvre enfin, Frank donne les clés de voiture à son acolyte pour inverser un peu les rôles. Il allume une cigarette avant de se lancer dans ce qui s’apparente à une véritable course sur circuit : droite, gauche, gauche, droite, gauche, droit, droite… Comme s’il était copilote de rallye, Frank envoie toutes les informations sur les chemins à suivre à son coéquipier par messages. Jusqu’à ce qu’il envoie un énième message, pour l’informer que leur poule aux œufs d’or est montée en voiture. Jax vient le récupérer, et alors qu’il monte dans la voiture, Frank suit les indications de son collègue en décrochant la radio. « Central, on aurait besoin d’informations sur une voiture immatriculée CY J421, de type Mercedes. » Il y a de la friture sur la ligne pendant quelques secondes, puis enfin, la voix de l’opérateur surgit de la radio pour expliquer qu’un seul résultat est ressorti du brassage, et qu’il ne correspond pas du tout au profil du suspect. Frank remercie l’opérateur, puis repose la radio. « Ouais, fausses plaques. Il faudrait qu’on arrive à savoir qui est son chauffeur. Je sais pas toi, mais de ce que je vois, il a quand même pas l’air si vieux. » Et la vérité pourrait bien ne pas tarder à éclater : une fois encore, le véhicule s’arrête et les deux drôles d’oiseaux entrent dans un appartement.

Tous les conseils sont bons à prendre pour Frank qui continue d’apprendre les ficelles du métier. Et comme Jackson le dit si bien, s’essayer à prendre une photo des deux gusses dans la voiture pourrait réduire à néant plusieurs semaines de travail sur cette opération. Il est déjà dans le collimateur de ses supérieurs et de certains collègues, notamment le jeune Aiden, et il n’a pas envie de subir les regards foudroyants des quelques autres policiers qui le tenaient encore dans leur estime. Il répond par la négative à l’aide d’un bruit de bouche qui laisse également échapper sa frustration. « Nan, t’as raison. J’ai pas envie de tout bousiller pour une malheureuse photo. » Pour la question des fausses plaques, partons du principe qu’ils évoluent tous dans une petite ville de Nouvelle-Zélande, le genre d’endroit où on imagine très mal se développer des affaires de basses besognes et de grosses liasses de billets. En attendant, c’est vrai que ça vaut peut-être le coup de se demander ce que font leurs collègues affectés à la circulation pour laisser passer des cas comme ça - même si, au fond, il est fort probables que ceux-là aient réussi à passer entre les mailles du filet jusque-là.

La voiture s’arrête une nouvelle fois : nouveau bâtiment, nouveaux éléments à ajouter au rapport. Jackson prend la radio, l’opératrice affirme qu’il n’y a rien d’anormal sur les habitants de l’immeuble. Plus ils avancent, plus son équipier fait des remarques et plus Frank se demande s’ils ne sont pas en train de mettre le doigt sur une affaire qui les dépasse. Quelque chose de grande envergure, ou en tout cas de plus grande envergure que ça ne le laissait présager au début. Et ce n’est que le début : Jackson pointe du doigt une nouvelle voiture qui se gare devant l’entrée de l’immeuble, conduite par un type qui, sans vouloir rentrer dans le délit de faciès, n’a vraiment pas l’air d’un enfant de cœur. Désabusé par ce qui se déroule sous leurs yeux, Frank souffle du nez. « C’est quoi ça ? Il s’est cru dans Drive ? » Dommage pour lui, il n’a rien d’un Ryan Gosling - ou Bryan Rosling comme dirait Harrison Ford, c’est selon les goûts. Frank s’enfonce un peu dans son siège, dégaine son téléphone pour se mettre un peu dans le rôle du passager lambda. Jackson demande s’il vaut quelques détails supplémentaires depuis sa place du mort, mais il a beau jeter des regards vers la voiture, rien n’y fait. « Je dirais que non. Tu penses qu’il vient récupérer quelqu’un ? » Si c’est ça, il se trame vraiment de drôles de choses dans cet appartement. Jackson demande une identification de la nouvelle plaque, et cette fois ils tirent le gros lot. Décidément, ils vont de surprise en surprise aujourd’hui. « En tout cas, j’ai le sentiment qu’on touche au but. Je vais sortir l’appareil, histoire de… - Attends un peu, c’est quoi ce bordel ? » Une nouvelle voiture déboule du coin de la rue et colle au cul de la précédente.

Pour le coup, Frank est aussi peu rassuré que l’ami Jackson. Tout ça prend des airs d’affaire qui les dépasse totalement, le genre qui les met de plus en plus en danger et dont ils ne pourraient s’en sortir indemnes sans renforts. Le genre de choses qui n’arrivent habituellement pas à Island Bay. Bientôt, leur suspect ressort de l’immeuble avec différents autres hommes. Plutôt que de sortir l’appareil photo de la boîte à gants, Frank décide de prendre une photo avec son propre téléphone, qu’il juge bien plus discret. Ils s’échangent tous des poignées de mains, certains portent des sacs. « Je crois qu’on tient un truc. » Il vérifie les photos prises sur son téléphone, histoire de s’assurer que le système de mise au point ne lui a pas fait de mauvais coup. « C’est dans la boîte. J’espère qu’ils pourront tous les identifier avec ça. » Bientôt, tous ces malabars remontent dans ces deux taxis venus les récupérer. Frank en profite pour noter les deux numéros de plaques sur son téléphone, au cas où. Et alors que les voitures démarrent, il ne peut s’empêcher de penser que s’ils sont arrivés jusque-là, c’est grâce à la chance. Tout le monde remarquerait une voiture qui leur colle au train depuis plus d’une heure, aussi lambda soit-elle. « Qu’est-ce qu’on fait, on continue de les suivre ? » Peut-être qu’ils pourraient glaner d’autres informations intéressantes et, dans le meilleur des cas, démanteler un réseau bien plus grand qu’ils ne pouvaient l’imaginer.

Bon, très bien, peut-être que la comparaison au personnage de Drive n’était pas la plus appropriée. Pour sa défense, Frank ne l’a pas visionné depuis un certain temps et, dans le feu de l’action, c’est la seule figure à laquelle il avait bien pu penser en voyant le cure-dent dépasser des lèvres de leur tout nouveau suspect. Enfin, peuvent-ils décemment l’appeler comme ça tout de suite ? Peut-être qu’il est simplement venu chercher sa pauvre mère pour la déposer chez le médecin ou chez ses copines du club de bridge. Impossible d’en être sûr. « C’est pas à Island Bay qu’il fera du drift, si jamais ça doit arriver. » Leur couverture semble intacte pour l’instant, même si l’apparition de deux véhicules échauffe un peu les esprits et sème le doute chez les deux policiers. Ils y vont de leurs petites hypothèses, assez similaires soit dit en passant, tandis que toute une scène de film se déroule sous leurs yeux. Frank prend quelques clichés pour le rapport : des numéros de plaques valides pour l’un et modifiés pour l'autre ainsi que de nouveaux visages qu’ils n’avaient pas encore aperçus jusque-là. Ça peut toujours servir, parce qu’avec un peu de chance, le reste de l’équipe pourra leur sortir des noms et les rapprocher avec d’autres agissements qui ont pu avoir lieu par le passé.

Tout comme Frank, Jackson flaire le filon. Ils posent le doigt sur quelque chose de plus gros que prévu, ils en sont persuadés. Et oui, en effet, les chances qu’ils se soient tous réunis ici pour jouer à la dînette sont maigres. Surtout des grands gaillards comme eux. Cortès continue de profiter des conseils de son équipier qui, on ne va pas se mentir, est déjà plus expérimenté que lui sur ce type d’intervention. La prudence est de mise, parce que tous les éléments récupérés jusqu’à maintenant n’ont aucune valeur pour incriminer tous ces messieurs - et comme ils n’ont finalement rien de bien concret, comme une photo d’une transaction par exemple, un mandat d’arrêt serait du luxe. Frank hoche la tête et décide de faire preuve de la même patience que Jackson. Quand toutes les voitures redémarrent et se mettent en route, les policiers décident de la marche à suivre : la décision est unanime, la filature continue. Peut-être que ça ne mènera nulle part, mais peut-être aussi qu’il y a plus à exploiter. C’est alors que Jax attire l’attention de Frank sur deux voitures qui leur collent au train depuis quelque temps. Sympa, il était quand même temps d’en parler. Mais comme ce n’est vraiment pas le moment, Frank préfère ravaler sa remarque et se concentrer sur le rétroviseur. « Ouais, je les ai. T’as raison, on va la jouer cool. Prends St Bastian, quitte à ce qu’on se retrouve devant notre gars. » Cette histoire prend une tournure assez particulière, et comme le Central ne les a pas prévenus de l’arrivée de renforts, ça ne peut qu’être de nouveaux malfrats qui rejoignent la partie. Frank profite de leur petite escapade par les rues voisines pour noter à la fois la plaque du premier et du deuxième véhicule. Il évite de toucher à la radio pour l’instant, pour mieux se concentrer sur les voitures qui continuent malgré tout de les suivre. Cependant, elles s’arrêtent en chemin, juste devant l’enseigne d’un restaurant asiatique. Merde alors, c’était tendu. « Soit on leur a mis un coup de pression, soit ils avaient juste envie de manger un morceau. En tout cas c’est bon, tu peux rattraper notre golden boy. » Comme c’était un petit détour, principalement pour effacer tous leurs doutes quant aux deux voitures qui les suivaient jusque-là, ils ne mettent pas bien longtemps à s’aligner sur les deux premiers pour reprendre la filature. Ils s’arrêtent une ultime fois, mais sur un petit chantier vide cette fois. C’est typiquement le genre d’endroit où l’on fait des magouilles, ça, non ? « Gare-toi un peu en retrait. On va continuer à pied. » Et pour cette occasion, Frank sort l’appareil photo de la boîte à gants.

Pas faux, Jax. Pas faux. Mais Island Bay étant la petite ville qu’elle est, c’est d’autant plus difficile de jouer les Cleo Carter en passant inaperçu. Bien sûr, il reste toujours quelques gaulois réfractaires, toujours prêts à enfreindre la loi pour un fix d’adrénaline, mais il doit bien y avoir quelques collègues de la circulation sur le coup, non ? Enfin bref, faute de pouvoir y faire quelque chose, Frank opine du chef en guise de seule réponse. Il a d’autres chats à fouetter en ce moment, des chats qui s’apparentent de plus en plus à des trafiquants de drogue sur le point d’effectuer une grosse transaction. Mais comme ils semblent eux-même être les souris d’un autre chat, les deux policiers préfèrent suivre un autre trajet pour vérifier s’ils sont réellement suivis ou pas. Après quelques minutes à s’aventurer dans les rues d’Island Bay, ils ont enfin la confirmation que ce n’était qu’une coïncidence et peuvent ainsi retrouver la piste de leur suspect. Évidemment, les deux flics se détendent un peu. « Flippant quand même, comme coïncidence. » Frank n’allait pas mentir, cette petite course-poursuite l’avait un peu refroidi : il s’attendait vraiment à ce que ça finisse en drive-by au prochain feu rouge. Mais pourtant, les voilà de nouveau en route, libérés de tous leurs doutes. Ils s’arrêtent enfin, quelques mètres derrière leur cible, juste devant l’entrée d’un chantier. Si ce n’était pas encore assez clair pour vous, quelque chose ne tourne définitivement pas rond dans cette histoire.

Jackson fait part de son inquiétude à son acolyte, ou alors peut-être qu’il se parle à lui-même. Impossible de le savoir, mais Frank ne se gêne pas pour lui dire à quel point il partage son état d’esprit. « Ouais. On va y aller tranquillement, rester à bonne distance. » Comme on peut difficilement être plus prêt du but, ils descendent de la voiture, entrent sur le chantier puis se positionnent derrière une palette de rails, le genre qu’on utilise pour fixer des plaques sur ses murs. Encore une fois, ils sont aux premières loges d’un échange. Même si ce n’est pas réglo, ça reste un soulagement pour les deux policiers qui s’attendaient vraiment à tomber sur une scène digne des plus grands films de gangsters. Ça tombe d’ailleurs plutôt bien, puisqu’ils n’étaient certainement pas de taille à faire face à autant d’hommes de main. Frank s’accroupit quelques instants pour vérifier qu’il n’ai pas malencontreusement activé le flash de l’appareil. Ce serait balo de se faire prendre pour si peu, comme quand on essaye de récupérer quelques dossiers sur un inconnu avec un drôle d’accoutrement dans les transports en commun. Alors qu’il hisse de nouveau la tête par-dessus la palette, Frank est sommé par son équipier de faire attention. Un gusse a tourné la tête vers eux, mais sans pour autant les avoir grillés. Frank termine de préparer l’appareil. « Ouais, en partant du principe qu'ils ne sont pas en train de s’échanger des jouets. Préviens-moi quand c’est bon, que j’immortalise tout ça. » Si c’est bien d’un trafic qu’il s’agit, alors quelques photos pourraient suffire à appuyer le dossier et mettre un bon coup de pied dans la fourmilière. Ils ne sont peut-être pas au bout de leurs peines, mais il faut quand même avouer qu’ils ont appris bien plus aujourd’hui qu’ils n’auraient pu l’espérer quand ils étaient encore en train de se moquer des deux blondasses devant l’immeuble, un peu plus tôt. Quand Jax lui donne le signal, Frank pose l’appareil sur la palette et prend quelques clichés. Souriez pour la photo. Une fois chose faite, il s’accroupit de nouveau, puis s’assure que les photos sont lisibles. « C’est dans la boîte, on a tout le monde dans le champ. J’espère que ce sera utilisable, qu’on ait pas fait tout ça pour rien. » Probablement pas, mais sait-on jamais. En attendant, Frank fait signe à son équipier de faire marche arrière pour retourner à la voiture pour, dans le doute, continuer d’attendre la fin de la transaction.

Ça y est, c’est dans la boîte. Après avoir eu confirmation de la part de Jackson, Frank se lève pour prendre quelques photos par dessus le tas de planches derrière lequel son collègue et lui sont dissimulés. Évidemment, Frank fait en sorte de rendre les photos le plus net possible : c’est évident, des photos floues ne feraient pas des preuves recevables et ce serait du gâchis que de ruiner plusieurs semaines de repérage pour des images sur lesquelles on ne discerne même pas les visages. Après son shooting, Frank s’accroupit de plus belle pour s’assurer que les clichés sont acceptables sur l’écran de retour. Une fois chose faite, il confirme la qualité des photos à son équipier et lui fait signe de faire demi-tour en direction de la voiture. Après quelques pas, Frank sent une main l’aggriper par la veste. Merde, est-ce qu’il s’est fait grill-... Non, c’est bon, c’est seulement Jax. Il se retrouve entraîné jusqu’à la planque la plus proche, comprenant alors qu’ils ont potentiellement été repérés. « Vas-y, je te couvre. » Frank fait signe à son équipier de passer le premier par-dessus un tas d’obstacles qui pourraient leur permettre de fuir par une autre issue. Il se hisse ensuite de l’autre côté de la barrière à son tour, rejoignant ainsi la rue. « Prends le volant, je surveille nos arrières. » Après tout, Jax a toujours les clés non ? Plus vite ils seront partis, plus vite ils pourront oublier toute cette affaire et laisser la suite des opérations à d’autres.

Ainsi, c’est Jackson qui prend le volant. C’est tout à son avantage puisque, dans le cas où les choses tourneraient au vinaigre, Frank est convaincu d’être le meilleur tireur - et c’est tout ce qu’on lui souhaite après les derniers exploits de celui qu’on appelle le plaqueur de croûtons au poste. Ils s’éloignent des lieux de l’échange, même si ça ne ressemble pas beaucoup à ce qu’on s’imagine du comportement d’un flic quand il aperçoit un trafic de substances illicites au beau milieu de la ville. Malheureusement, il ne leur faut pas bien longtemps pour se rendre compte qu’une nouvelle série de voitures est à leurs trousses - les mêmes qu’ils suivaient depuis lors, même s' il est impossible de savoir si leur suspect est à bord ou non. Merde. Voilà qui pourrait bien faire capoter toute l’opération. « J’ai deux… trois voitures derrière nous. Même scénario que tout à l’heure, prends des voies détournées, fait semblant de te promener tranquillement en ville, mais tout en retournant vers le poste. Si ça tourne mal, les renforts seront plus près. » Ça sent mauvais, vraiment mauvais maintenant qu’ils pensent avoir été repéré dans ce foutu chantier. Frank ne dégaine pas son arme pour autant, en revanche il retire la carte mémoire de l’appareil photo et la fourre dans la poche de sa veste. Juste au cas où. Lentement mais sûrement, ils retournent vers le poste sans que leurs poursuivants n’interviennent. Bizarre ? Bizarre. Maintenant qu’ils sont si près du poste, tirer un coup de feu pourrait bien signer leur arrêt de mort. Peut-être qu’il s’agit simplement d’un avertissement ? Ce ne serait pas la première fois que les petites frappes essayent de jouer les Tony Montana.