space oddity → dorian

Y a pas à dire, voler dans le ciel a ses avantages. Comme de ne pas croiser beaucoup de trafic, par exemple ; pas d’ULM à gauche ni d’avion de ligne à droite. Rien qu’eux. Et quelques pigeons. Au sens propre du terme, bien sûr. Sans doute pas que des pigeons, d’ailleurs mais l’ornithologie n’était pas son fort et quoi qu’il en soit, ceux-ci avaient la bonne idée de se tenir aussi éloignés que possible des pales. Ce qui lui convenait parfaitement puisque ça signifiait qu’un jour ou l’autre, elle pourrait emmener Sarah. Enfin, une fois qu’elle serait suffisamment sûre d’elle pour ça, évidemment. Autrement dit, ça ne serait pas pour tout de suite. Mais tout de même ça l’aurait embêtée qu’elle ne puisse pas tout ça parce que ces idiots de piaffes se faisaient découper en rondelles par les hélices. La voici donc rassurée sur ce point. Juste avant de s’entendre dire qu’un truc cloche et qu’il faut qu’elle se pose. Ah ouais, dans le genre ascenseur émotionnel, on fait difficilement mieux mais Noomi ne va pas se plaindre : jusqu’ici elle gérait. Et puis c’est pas de sa faute, un incident technique, les aléas du direct, comme vous préférez. Les mains un tout petit peu plus crispées sur le manche, la blonde hocha la tête, visiblement très concentrée lorsque Dorian formula ce que tout le monde avait deviné, à savoir qu’il allait falloir se poser. Elle fit effectuer un demi-tour à l’engin qui pour l’instant survolait l’océan et suivit les directives du pilote qui préférait manifestement qu’elle se pose sur la plage plutôt que de rentrer à l’héliport. Etait-ce bon signe ou alors pas du tout ? Est-ce que ça signifiait que le problème était assez sérieux pour qu’il faille atterrir rapidement ou bien sans gravité aucune à tel point qu’ils pourraient reprendre la balade ensuite, comme si de rien n’était ? La grecque n’en avait pas la moindre idée et le pilote n’avait de toute évidence pas l’air d’avoir envie de se prononcer plus que ça. Mais soit, elle allait faire ce qu’on lui demandait – ou en tout cas faire au mieux – et ne pas trop se poser de questions. Mieux pour elle, mieux pour le pilote, mieux pour tout le monde. Pour ça encore – surtout pour ça, car se poser dans les jeux vidéo, c’est jamais simple, tant et si bien que le pare-brise de Noomi finissait toujours en miettes -, elle avait longuement observé comment on s’y prenait. Tout était une question de délicatesse. Et de technique bien sûr, mais ça, contrairement à la délicatesse, ça s’apprend. Pour tout dire, la blonde ne sut pas du tout comment elle y parvint mais elle parvint à poser l’hélico sur la plage sans le moindre heurt. Elle coupa le moteur et descendit, retirant son casque de ses oreilles.

« J’suis désolée. C’est bien ma veine. J’espère qu’il va quand même pouvoir repartir. »

Ça serait ballot, sinon.

A croire que rien ne pouvait jamais se passer comme prévu. Jamais rien de grave – ou en tout cas, jamais rien de vraiment trop grave puisqu’elle avait tout de même failli perdre la vie une fois. Sûrement plus qu’une fois, si on prend le temps de se pencher réellement sur la question mais ça serait tout de même extrêmement déprimant et puis tout le monde ne gardait en mémoire que son accident de voiture car c’était le seul qui l’avait faite passer par la case coma -, mais toujours quelque chose quand même. Comme souvent, Noomi tâchait de rester positive. Notamment parce qu’elle s’y connaissait un peu en mécanique. C’est ça d’avoir un père garagiste. Et bien qu’elle n’ait jamais mis les mains dans un moteur d’hélico, elle est quand même à peu près sûre que c’est très semblable à celui d’une voiture. Un moteur reste un moteur. Ils se posèrent donc, soulevant une mini-tempête de sable au passage et le pilote put s’occuper de son engin. De leur côté, Dorian et Noomi ne pouvaient dès lors que faire des suppositions. Une durite ? Possible. Si elle s’y connaissait un peu en mécanique, ça n’en faisait quand même pas une experte. Mais si c’était bel et bien le cas alors ça serait sûrement la fin de leur petite balade. Difficile à dire puisqu’une fois sur terre, le pilote ne fut pas très causant, se contentant d’hausser les épaules face à leurs interrogations. Bon.

La blonde écouta les propositions de son ami qui, de toute évidence, ne se laissait pas abattre par une simple panne. Et Dorian prouva une fois de plus qu’il avait de la ressource puisqu’il proposa d’emblée de faire un feu comme s’ils étaient les naufragés du film Le Lagon Bleu. Ça ne la dérangerait pas outre mesure de reprendre le rôle de Brooke Shields, très mignonne en ce temps-là. Mais à choisir, elle aimerait autant que ça se passe avec James campant l’autre rôle principal. Et puis Sarah, évidemment, pas de naufrage sans sa fille car c’était certain qu’elle serait toute adorable en petite sauvageonne. Bref, ils avaient donc cette option ou alors marcher sur trois kilomètres pour rejoindre l’héliport. Bof, un peu plus ou un peu moins, ça non plus, ça ne la dérangeait pas mais ça l’embêtait de devoir couper court à son cours.

« Oh, ou alors on peut faire du stop ! »

Voilà une perspective qui l’enthousiasmait un rien plus parce qu’on rencontrait toujours des gens intéressants, potentiellement serial killers, en faisant du stop. Là-dessus, la grecque se tourna donc vers le pilote qui, visiblement tracassé, hausse une fois de plus les épaules comme si cette proposition s’adressait également à lui. Bon ben s’ils ne voulait pas mourir d’inanition en attendant que ça soit réparé, mieux valait donc faire du stop.

Est-ce que Dorian ne serait pas paniqué à l’idée de faire du stop ? Mais non, bien sûr qu’il la charrie ; ça ne collait tout simplement pas avec son gabarit. Bon, d’un autre côté, les sportifs dans les films d’horreur finissaient invariablement par mourir eux aussi – pas en premier comme la blonde ou le black -, parce qu’ils ne prenaient jamais la peine de réfléchir un tant soit peu. Fallait coller au stéréotype : tout dans les muscles, rien dans la tête. Alors que son ami, lui, était forcément un savant mélange des deux, Noomi en était persuadée.

« J’serais sacrément déçue que tu n’lui casses pas la gueule, j’avoue. »

D’autant plus que ça lui donnerait une bonne raison de lui venir en aide et ainsi pouvoir taper sur quelqu’un. Mais calmons-nous, on en était pas encore là. Et ça n’irait sans doute pas jusque-là car le psychopathe qui prend des auto-stoppeurs sur le bord de la route, ça tient de la légende urbaine, non ? D’un mythe qui passe de mères en filles juste pour leur apprendre et leur rappeler qu’il ne faut jamais se fier à un homme. Un peu comme cette fameuse histoire de réveil dans une baignoire remplie de glace avec un rein en moins. Bref.

Là-dessus, Dorian marqua un point en précisant qu’il ne valait mieux pas parler de l’hélicoptère et de sa panne. Pas faux. Encore que, la présence de l’héliport à quelques kilomètres seulement accréditerait leurs dires mais encore fallait-il le savoir et donc connaître un peu le coin. Puis c’est ainsi que Dorian perdit ce point lorsqu’il proposa alors de la porter si elle n’avait vraiment pas envie de patiner jusque-là. Une grimace s’afficha aussitôt sur son visage en réponse à cette proposition avant qu’elle ne s’exprime.

« Tu m’prends pour une demoiselle en détresse ou bien ? Ou une espèce de boulet, peut-être ? »

Ce qu’elle pouvait effectivement être parfois. Non, ils feraient du stop ; c’était marrant, ça les changerait. Et surtout, ça ne leur coûterait pas un rond. Patiner non plus, vous me direz. Non, mais bon, faut tout de même avouer que ça devenait un brin redondant étant donné que c’est déjà ce qu’ils avaient fait pour venir. Et oui, la grecque était en train de se trouver toutes les excuses du monde pour ne pas avoir à faire le chemin en sens inverse. Ce qui fait qu’elle récupéra ses affaires, dit au revoir au pilote qui répondit d’un vague signe de la main et se mit à longer la route, attendant qu’une voiture passe par-là. Une chance pour eux, ils en croisèrent une rapidement et Noomi leva le pouce, n’ayant aucun doute quant au fait qu’elle s’arrête car qui ne s’arrêterait pas pour la prendre, elle, hein ?

Pas de commentaire en ce qui concernait le fait de la prendre pour un boulet et c’était mieux comme ça s’il ne voulait pas qu’elle se vexe. Non, bien sûr qu’elle ne se vexerait pas pour si peu. Du moins pas vraiment, mais elle ferait comme si. Entrant ainsi délibérément dans le rôle qu’il lui aurait assigné. Ils n’eurent alors plus qu’à rejoindre la route, ce qui ne leur prit que quelques minutes et la longer sans trop se presser sinon à quoi bon ? Le moteur d’une voiture ne tarda pas à se faire entendre. Ou plutôt le bruit de son pot d’échappement couvrant presque complètement celui du moteur. Noomi avait l’habitude des antiquités en matière de voitures : elle en conduisait une. La différence, c’était que la sienne avait été bien retapée et était depuis parfaitement entretenue, son père y veillait. L’épave ralentit pour s’arrêter à leur hauteur et à l’ouverture de la fenêtre passager, un nuage de fumée les accueillit, allant rejoindre celui déjà produit par le pot d’échappement. Un hippie ! Voilà qui valait mieux qu’une grenouille de bénitier complètement tarée – parce qu’elles le sont toutes, n’est-ce pas ? -, transportant un mec ligoté dans son coffre. Remarquez, même si c’était le cas, personne ne parviendrait à entendre ses plaintes en l’occurrence, c’était le bon plan. Mais elle ne pouvait y croire ; on ne peut faire que confiance à un type qui porte des lunettes roses !

Sans trop entrer dans les détails, Dorian expliqua la situation et le hippie accepta leur requête sans plus d’enthousiasme que ça mais il n’en fallut pas plus à Noomi pour grimper à l’arrière.

« Merci, c’est très sympa de votre part. »

Elle dut hausser un peu la voix pour couvrir celle de Minnie Riperton s’échappant des baffles. C’est qu’il ne faisait pas les choses à moitié, ce monsieur. Pour toute réponse, elle eut droit à un hochement de tête. Il lui faisait penser à Leo de That 70’s Show mais en moins bavard. Dommage, c’était toujours très drôle lorsqu’il s’exprimait.

« Jolie caisse, vous avez laissé votre van flower power au garage ? »

Cette réflexion pouvait passer ou alors pas du tout. Par chance, elle parvint à lui arracher un sourire. Bon, le point positif c’était que si cette caisse venait à les lâcher elle aussi, Noomi pourrait éventuellement y faire quelque chose. Et dans le pire des cas, appeler papa. A la fois pour aider ce brave type et pour les ramener. Non, elle ne faisait pas tout et n’importe quoi pour ne pas avoir à trop se bouger, c’est une illusion. Quoi qu’il en soit, ils étaient partis.

Se taire pendant plus de dix secondes ? Faites une croix là-dessus, Noomi n’en avait jamais été capable, hormis dans les moments les plus forts de sa dépression, s’entend. Déjà toute gosse, ç’avait été le motif de la plupart de ses punitions à l’école. Avant qu’ils ne commencent progressivement par laisser la place à d’autres motifs un peu plus graves petit à petit. Ce qui fait que ça n’avait rien d’anormal d’entendre sa voix s’élever dans l’habitacle. D’autant plus qu’ils étaient tombés sur un taiseux alors bien sûr, elle voyait ça comme un challenge : parvenir à lui arracher deux ou trois mots. Lorsqu’elle vit leur chauffeur sourire dans le rétroviseur, elle sut qu’elle avait déjà gagné, c’était juste qu’il n’était pas très loquace mais comment pourrait-on lui en vouloir ? C’est pas donné à tout le monde d’être aussi à l’aise qu’elle en compagnie de parfaits étrangers. Surtout que, s’ils prenaient un risque en montant dans la première voiture qui passait, alors lui en prenait également un en prenant n’importe qui sur le bord de la route. Voilà quelque chose qu’on n’entendait pas souvent et pourtant, ça devait forcément arriver aussi. A moins que ça ne tienne encore de la légende urbaine, un conte pour apprendre aux jeunes filles à se méfier des mecs partout et tout le temps.

Bref, s’il passe la quasi entièreté du voyage à ne pas dire un mot, le hippie leur balance quand même un « vous voilà arrivés, les jeunes. » en les déposant. Plus de trois mots, c’est une victoire pour la blonde. Elle lui tapa dans la main avant de lui rappeler la fréquence de la station de radio pour laquelle elle bossait car si ça pouvait faire un auditeur de plus – qu’il soit hippie ou/et psychopathe, on s’en fiche bien – alors ça serait déjà ça de pris. Le type leur fit un salut militaire et s’en alla sans demander son reste. C’est alors que Dorian énonça un fait : ils avaient réussi à survivre à tout ça. Noomi était intimement convaincue qu’ils pourraient survivre à tout. Elle de base, mais le jeune homme aussi ; bien loin d’être un obstacle, leurs différences faisaient leur force. Puis il enchaîna en parlant d’une voix qui, selon ses dires, se serait échappée du coffre. Ben tiens, comme s’il avait lu dans ses pensées. Sans pour autant mettre sa parole en doute, la blonde arqua un sourcil et afficha une mine circonspecte.

« Parce que t’as pu entendre autre chose que son pot d’échappement, toi ? A ce stade, ton ouïe doit être si fine que tu devrais peut-être songer à postuler chez les nouveaux Avengers. »

Puis elle finit par hausser les épaules.

« Si t’as raison, alors on peut s’estimer très chanceux de ne pas avoir fini en p’tits morceaux, en effet. »

Parce qu’elle n’avait pas l’intention de se lancer à sa poursuite pour s’assurer de l’état de son coffre. De toute manière, aussi bon acteur soit-il, elle se doutait bien que Dorian la charriait.

Pour être tout à fait honnête, Noomi était un peu déçue que Dorian ne soit finalement pas doté d’une super ouïe comme Clint Barton est doté d’une super vue. Bon en revanche, elle n’est pas tellement déçue de ne pas avoir fini dans un coffre. Encore que, il ne devait pas être né celui qui parviendrait à faire ça. Coup de crosse sur la nuque et on en parlait plus. Enfin, à condition d’avoir tout le temps une arme sur elle car n’étant pas aux States actuellement, la blonde ne ressentait clairement pas le besoin de se balader avec en permanence. Non, elle préférait la garder en sécurité dans son appartement. Des fois que son dégénéré d’ex-mari ait encore la bonne idée d’entrer chez elle en grimpant par la gouttière dans le but de récupérer le doudou que sa fille y avait oublié. Ou n’importe qui d’autre en vérité mais elle prenait cet exemple parce qu’il est déjà arrivé. Enfin bref. Elle rit tout de même à la blague de son ami car même si elle avait seulement fait mine de tomber vraiment dans le panneau, ça l’amusait qu’ils soient à ce point sur la même longueur d’ondes. Autant dire que ça n’arrivait pas tous les jours avec une personnalité comme celle de Noomi.

« Oh t’en fais pas pour ça, j’ai déjà tout planifié au cas où j’me ferais un jour arrêter. »

Bon d’accord, c’était déjà arrivé. Mais toujours sans gravité, une heure ou deux dans la cellule d’un quelconque poste de police, une ordonnance restrictive, ça s’arrêtait là. Ce qui est déjà pas mal, certes. Mais pas méchant. Dans tous les cas, elle n’avait quand même pas super envie de le tester, son fameux plan. Des plus bancals étant donné qu’il consistait en une tactique de séduction empruntée à un clip. Un peu de suffocation à cause du visage du gardien pressé contre les barreaux et le tour serait joué. En théorie, en tout cas. Là-dessus, Dorian lui demanda quelle était la prochaine étape. Avant de suggérer qu’ils rentrent chacun chez eux. La blonde hocha la tête.

« J’avoue, assez de péripéties pour la journée. »

Il fallait tout de même qu’ils en gardent pour les autres jours sinon ils finiraient par s’ennuyer. Elle lui tapota l’épaule.

« Allez, on fait ça. Rentre bien. Et si tu veux, on remettra ça pour la sortie en hélico. »

En espérant que l’engin ne tombe pas une fois de plus en rade.