we are the wasted youth ⚝ charli

Peu importe ce que je peux dire, j’ai l’impression que ce ne sera pas mal interprété par Tegan et c’est peut-être ça qui rend les choses si simples avec elle : je ne la connais pas depuis longtemps et pourtant, je me sens à l’aise. C’est sûrement pour cela, qu’avec ma dernière phrase, je me confie à elle. Ou plutôt, j’ouvre la porte à une possible confession. Si je suis dans cet état, c’est en partie à cause de Sofia et je n’en ai pas vraiment parlé avec mes amis ou avec n’importe qui d’autre. Le faire avec Tegan, cette jeune femme que je ne connais pas vraiment est peut-être une bonne idée. Cependant, même si j’ouvre une porte, je ne me lance pas dans de grands récits pour l’instant. Le fait que je sois célibataire semble surprendre la brune, ou alors, c’est le fait que je le sois toujours malgré les alpagas. « Ce sont peut-être eux qui font peur. » Bien que ce soit mignon, ce n’est pas toujours des animaux dociles. Tout comme leurs cousins, les lamas, ils ont tendance à cracher quand quelque chose ne leur plait pas : rien qui donne envie de les côtoyer. Pourtant, il faut voir le bon côté des choses aussi, leur fourrure peut permettre de faire de beaux et chauds vêtements. Mais ce n’est pas la question ici. Un point de vue que je semble partager avec Tegan qui se lance sur le sujet des difficultés à trouver l’amour dans un tel endroit. Elle a sûrement raison, une telle soirée n’est pas l’idéal. Enfin si, ça pourrait l’être, mais ça reste très peu probable. Ici, il n’y a que des étudiants qui préfèrent se mettre la tête à l’envers plutôt que de trouver une personne qui acceptera de passer le reste de sa vie avec eux. Est-ce que je peux leur reprocher ? Non, j’étais un peu comme cela aussi. Je le suis toujours d’ailleurs. Enfin.. je crois. Alors que je fais les cent pas face à elle, je m’arrête au moment où Tegan fait une remarque sur la biodiversité de la plage. « Des bébés crabes ? Vraiment ? » Je grimace un peu, me demandant comment elle peut savoir ce genre de choses. Est-elle passionnée par l’océan et tout ce qui l’entoure ? Peut-être que je vais trop loin, peut-être qu’elle a simplement vu cela en cours. « Est-ce que tu as un diplôme en biologie ? » Lorsque nous avons joué au Beer Pong, elle a parlé de théâtre, mais cela ne l’empêche pas d’avoir pu faire autre chose avant. La jeune femme n’est pas idiote, elle comprend rapidement que mon état a changé depuis que j’ai mis fin à notre baiser. Par chance, elle ne m’en veut pas. Mais en réalité, à en voir sa réaction tout à l’heure, je n’avais aucun doute là-dessus. « Ce n’est pas ça. Ce n’est pas toi. » C’est important de lui dire, je ne voudrais pas qu’elle se sente coupable ou qu’elle suppose qu’elle a fait quelque chose de mal. Furtivement, je repose mon regard au loin, sur l’eau. Je prends une grande inspiration et commence à me livrer plus en détails à elle. « C’est sur une plage que j’ai embrassé mon ancienne petite amie pour la première fois. » Ce n’était pas exactement ici, mais ce n’était pas très loin. Cette histoire étant terminée, je n’aurais pas dû repenser à tout cela. Cependant, il faut croire que c’est plus fort que moi, sûrement parce que je n’ai pas encore vraiment oublié Sofia. « C’est bête. Je suis désolée. » Je n’ai jamais été comme ça, je n’ai jamais été sentimentale de la sorte, alors j’ignore ce qui est "acceptable" et ce qui ne l’est pas. D’ailleurs, peut-être que me plaindre de la sorte ne fait pas partie des choses à faire. Je ne sais pas, je ne suis pas douée pour ça, je suis plus souvent celle qui essaye de donner des conseils, plutôt que celle qui en reçoit.

Entre les alpagas et maintenant les crabes, cette conversation prend une tournure bien différente que celle que j'imaginais au départ. Il faut dire qu'après la distance que j'ai imposée entre nous, c'est peut-être mieux de repartir sur des sujets plus légers. « Une théorie ? La tienne ? » Alors que je prononce ces mots, un large sourire se dessine sur mes lèvres. Même si je pose la question, j'ai plus ou moins déjà la réponse : elle met trop de sa personne là-dedans pour que ça vienne de quelqu'un d'autre. « Après, il reste à se demander si les crabes sont vraiment des créatures qu'on apprécie. » Tout animal petit est mignon, mais à bien y réfléchir, quand ils grandissent, ces crustacés ont tendance à pincer. Est-ce vraiment une bonne idée d'en laisser autant sur la plage ? Je pense qu'il s'agit d'une question de point de vue, car en dehors de ce préjugés que l'on a sur eux, ils sont sûrement utiles pour autre chose, sinon ils ne seraient pas là. Après cette partie un peu moins sérieuse – bien qu'intéressante, je fais le choix de lui parler de mes sentiments. Ne la connaissant pas, ce n'est peut-être pas la chose à faire. Ou alors, c'est justement la chose à faire. Je ne sais pas trop. À sa dernière phrase, je ne peux m'empêcher de rigoler un peu. La brune ne me juge pas pour tout cela, en réalité, elle essaye même de me mettre à l'aise. C'est la sensation que j'en ai en tout cas. « Je ne sais pas, je n'ai jamais demandé. » Je hausse légèrement les épaules. Ce n'est pas vraiment une conversation que l'on a dès le début d'une relation. Amoureuse ou amicale d'ailleurs, je ne sais même pas pourquoi cette idée m'a traversé l'esprit quand Tegan m'a questionné plus tôt. « Sûrement qu'elle aimerait ça. » Si les choses n'ont pas marché entre nous, c'est parce que Sofia était bien trop occupée pour avoir une petite amie inscrite sur son emploi-du-temps, mais la jeune femme n'est pas méchante. Est-ce qu'il faut être gentil pour aimer les alpagas ? Peut-être pas. Cependant, la connexion se fait si facilement dans mon esprit. « Je ne pensais pas, mais oui. Je crois. » Dis-je, en réponse à ce qu'elle m'a demandé plus tôt, si Sofia comptait pour moi. « Je me pensais comme toi, mais je ne le suis peut-être pas. » Je grimace un peu, avant de me rendre compte que mes mots pourraient être mal interprétés. « Ce n'est pas méchant, hein. Mais je ne sais pas, tu as l'air très libre. » Elle ne se prend pas la tête et que je l'embrasse soudainement tout à l'heure ne l'a pas dérangé. Après, tout ceci n'est peut-être qu'une facette et qu'elle n'est pas si volage que ça. Seul l'avenir et une confirmation de sa part pourra m'éclaircir là-dessus. « Je l'étais aussi, avant. Je ne m'attachais pas aux gens, je n'y arrivais pas. » Ma plus longue relation n'a duré que quelques mois et sur la fin, que l'on reste ensemble ou qu'on se quitte, ça m'importait que très peu. « Pour être honnête, c'était moins compliqué. » Quand il n'y a pas de sentiment, tout est plus simple : tu peux venir et repartir sans que cela t'importe. Là, c'est différent. J'ai l'impression de m'être perdue en chemin et c'est loin d'être agréable. « Je pensais pouvoir m'amuser ce soir et penser à autre chose, mais il faut croire que ce n'est pas si facile. » Peut-être que si nous étions restées dans la piscine, alors les choses auraient été plus simple – même si là encore, j'aurais pu avoir un souvenir avec Sofia puisque nous nous sommes baignées chez moi le jour de Noël. « Je me suis amusée ! Je ne voudrais pas que tu penses que la partie de Beer-Pong était du faux. » Pour une conversation moins déprimante, je me dis que continuer de parler de mon ancienne petite amie n'est pas la meilleure des options. Alors avec cette partie que nous avons gagnée et cette histoire d'amusement, j'espère pouvoir inverser la tendance.

Je ne sais pas vraiment pourquoi je me lance sur un tel sujet avec elle, mais maintenant que c'est fait, je ne peux plus vraiment faire marche-arrière. À bien y réfléchir, je ne connais pas vraiment Tegan, c'est sûrement pour cela que c'est si simple de parler avec elle. Mes amis connaissent mon passif amoureux – ils en ont même parfois fait les frais, alors il est plus difficile pour moi de me livrer à eux. Malheureusement pour la jeune femme, c'est sur elle que c'est tombé. Malheureusement pour elle, mais peut-être tant mieux pour moi. Je crois que tout cela avait besoin de sortir, qui sait ce que j'aurais pu faire si ça n'était pas arrivé. Même si elle n'a jamais été confrontée à ce genre de choses, la brune semble comprendre ce qui se trame avec moi et je ne peux qu'approuver d'un signe de la tête ce qu'elle dit : les sentiments ont toujours tendance à compliquer les choses. « Je regrette rarement ce que je vis. Quand je veux essayer quelque chose avec quelqu'un, c'est qu'il y a quelque chose qui m'attire. » Que ce soit pour une relation passagère ou pour une histoire qui dure un peu plus. « Je t'ai embrassé parce que tu me plaisais. Même si les choses n'ont pas pris la tournure que j'imaginais, je ne regretterais pas. » Je n'ai jamais eu pour habitude d'être le genre de personne qui se pose des questions. Mais je dois peut-être me rendre à l'évidence : ce n'est plus le cas aujourd'hui. Maintenant, je prends conscience que mes gestes ont des conséquences et aussi, que les gestes des autres en ont sur moi. « Mais peut-être qu'avec elle, j'ai cru que ça durerait un peu plus longtemps. » Si j'ai réussi à échapper à la question de la brune, je savais que ça ne pouvait pas durer. Je ne suis pas dupe, elle n'est pas le genre de femme qu'on laisse sans réponse : d'une manière ou d'une autre, elle aurait fini par avoir ce qu'elle voulait. Je sens bien que j'ai un peu plombé l'ambiance, ce n'était pourtant pas mon intention, alors rapidement, j'essaye de la rassurer. Elle n'est aucunement responsable de cela. En réalité, j'ai plutôt apprécié notre soirée, je l'apprécie toujours. Tegan se sert de ma phrase pour rebondir un peu. Elle plaisante de tout cela, puis propose le bain de minuit qui a été évoqué un peu plus tôt. « Malgré tout ça, tu n'as pas envie de te débarrasser de moi ? » J'arque un sourcil, amusée de voir qu'elle a reconsidéré ma proposition de tout à l'heure. « Je suis pourtant sûre que tu pourrais trouver une autre rousse dans la foule. » Rousse, je ne sais pas. Elles sont assez rares les filles à la même chevelure que moi. Mais une fille qui voudrait passer la nuit ou au moins une partie de celle-ci avec elle, ça doit se trouver. « Très bien. J'accepte ! » Ce serait quand même dommage de passer à côté de ça. Je lui tends l'une de mes mains pour l'aider à se relever et une fois fait, je m'éloigne d'elle pour gagner la mer à petites enjambées. Contrairement à moi, la brune prend son temps. Il y a donc une certaine distance qui s'installe naturellement entre nous. Dans la pénombre, je décroche mon soutien-gorge et le laisse tomber. « Ce serait dommage de le mouiller de nouveau. » Dis-je, pour plaisanter. Pour le coup, je joue peut-être un peu. Un peu trop même. Mais ce n'est pas comme si la poitrine d'une femme était un sujet tabou, surtout entre deux femmes : il y en a bien qui font du topless pour avoir le meilleur bronzage possible. Je n'attends pas que Tegan me rejoigne pour m'avancer dans l'eau. L'avantage de ne pas être frileuse, c'est que je n'ai aucune difficulté à rentrer dedans, jusqu'à cacher la totalité de mon corps. Cette partie que j'aurais pu lui dévoiler si elle avait été plus rapide est finalement de nouveau cachée.

Cette fin de soirée s'annonçait bonne et torride, mais il a fallu que cette plage me ramène à Sofia et que je plombe un peu l'ambiance. Par chance, la jeune femme face à moi n'est pas du genre susceptible. Elle est même assez compréhensive et n'insiste pas plus. Elle semble vraiment s'inquiéter pour moi, c'est sûrement pour cela qu'elle cherche à comprendre ce qu'il y a eu entre cette fille dont je lui parle et moi. Évoquer ma rupture avec quelqu'un qui ne me connaît pas vraiment, c'est un peu bizarre, mais je crois qu'à ce moment précis, c'est exactement de ça dont j'avais besoin. Néanmoins, nous ne nous attardons pas pour autant sur le sujet : la brune propose un bain de minuit et c'est bien plus intéressant – du moins, si on veut redonner un peu de vie à cette soirée. À sa proposition, je ne me fais pas prier et me dirige rapidement vers l'océan. Avant que mes pieds ne touchent l'eau, je retire le haut des vêtements qui me restent. J'aurais pu m'en tenir à ma tenue initiale, mais le fait de faire tomber le haut rend le jeu plus intéressant. La brune étant assez loin de moi, ça ne change certainement pas grand-chose pour elle. Cependant, ce geste a le mérite d'être là. Je m'avance dans l'eau fraîche, alors que Tegan se rapproche sur le sable. Je suis déjà complètement dans l'eau quand elle arrive à mes côtés. « Ce n'est pas vraiment comparable. Même s'il arrive que l'eau soit chaude ou du moins, agréable. » Je ne suis pas certaine qu'on puisse considérer l'eau naturelle de Suède comme chaude. Ce raisonnement n'est pas propre à mon pays natal, puisque c'est sûrement vrai pour ses voisins. Et finalement, pour un bon nombre de pays si on est une personne frileuse. Mais là, c'est une tout autre discussion dont il est question. D’ailleurs, c’est peut-être pour cela que je tolère aussi bien les différentes saisons ici : j’ai été habituée à bien pire, à plus froid, alors vivre ici est un jeu d’enfant pour moi. Désormais à quelques dizaines de centimètres de moi, Tegan s’amuse à m’éclabousser. « Me rafraîchir les idées ? » Dis-je, amusée. « Je me demande si ce n’est pas toi qui a besoin d’un bon petit coup de frais. » Pour accompagner mes paroles, je viens l’imiter. Peut-être que finalement, on en avait besoin toutes les deux – même si mon geste de tout à l’heure a déjà commencé à imposer une certaine distance entre nous. D’un geste maîtrisé, je fais quelques longueurs autour d’elle. « Si Kevin avait su qu’il se retrouverait ici en cas de victoire, il se serait peut-être plus appliqué. » En réalité, peu importe l’issue de la partie, je doute qu’on aurait voulu continuer la soirée avec lui, mais ça, c’est une autre histoire. « On devrait s’échanger nos numéros. Pour plus tard, on ne sait jamais. » Une fois que nous serons revenues sur la terre ferme, bien sûr. Même s’il ne se passera sûrement rien entre nous, la jeune femme reste agréable et plutôt marrante, ce serait quand même dommage de tirer un trait sur elle comme ça. Surtout que si elle est ici ce soir, alors il y a de fortes chances pour qu’on se recroise dans d’autres soirées étudiantes. « Quand j’aurais des alpagas, j’aurais besoin de clients pour acheter leur laine, autant avoir un répertoire bien rempli. » Je hausse légèrement les épaules dans l’eau. Utiliser cette phrase, c’est comme lui montrer qu’il n’y a pas – plus – de gêne entre nous suite à ce qui a été dit un peu plus tôt. Finalement, malgré nos tenues respectives, il n’y a plus vraiment d’ambiguïté entre nous et c’est tout naturellement que la soirée se poursuit. Je crois bien que j’avais besoin de sa fraîcheur, pour me divertir et aussi pour réaliser que cette rupture m’affecte plus que ce que je laisse paraître.