For the First Time in Forever [Ft. Tegan]

L’année scolaire s’est terminée sur des chapeaux de roue, et je peux maintenant profiter comme il se doit de vacances bien méritées. Enfin… ça, c’est sur le papier. Parce que depuis que ma sœur m’a informé de sa visite par message, j’avoue que je ne sais plus trop où j’habite. J’exagère à peine ; j’étais loin de m’imaginer que je passerais mon premier jour de vacances à débarrasser la chambre d’amis avec Marley, tout ça pour accueillir une sœur dont je lui avais à peine parlé jusque là - et pour cause, Eva est loin d’être la première qui me vient à l’esprit quand il s’agit de parler des personnes qui me sont proches. Je n’ai pourtant rien de particulier contre elle, on est juste… différentes. Tellement différentes que j’ai préféré lui donner rendez-vous dans un endroit neutre, pour éviter de se retrouver dans un silence gênant dont ni elle, ni moi ne saurions nous défaire. Et le Jardin d’Eden, c’est un endroit neutre. Le meilleure cappuccino de l’île Nord de la Nouvelle-Zélande (selon une étude réalisée par moi-même), et de délicieux cupcakes qui valent aussi certainement quelques rubans gastronomiques, même si je suis loin d’être une professionnelle. Et surtout, je suis loin d’être impartiale, puisqu’il s’agit avant tout du lieu de travail de ma colocataire, dont la seule présence suffit parfois à éclairer ma journée. Enfin bref, je m’égare.
Et surtout, j’ai égaré ma carte de transports, et je suis en retard, pour ne rien changer à mes bonnes habitudes. Et pour parfaire le tableau, mon chien a décidé de traîner la patte et s’arrêter à chaque pot de fleur, soit tous les trois mètres, environ. J’aimerais me dire que je ne suis pas stressée - après tout, il ne s’agit que de ma sœur - mais mes dents serrées trahissent ma nervosité, qui doit probablement déteindre sur Meeko d’ailleurs. Aussi, quand je reçois le message d’Eva, je ne peux pas m’empêcher de presser un peu le pas en levant un peu la voix à l’attention de mon compagnon à quatre pattes. Rien de bien méchant, promis. ‘J’arrive ! Je suis là dans 2mn.’ Je tapote le message rapidement, tout en traversant la rue après avoir vérifié qu’il n’y a pas de voiture à l’horizon. Multitasking 101. Je gère, ça va bien se passer. Pas vrai ?
Bon… J’ai un peu surestimé ma vitesse de marche, et il y a un peu plus que deux minutes qui se sont écoulées entre mon message et le moment où je pousse la porte du Jardin d’Eden. Mais l’ambiance chaleureuse du café me permet aussitôt de me détendre, alors que mon regard fait un tour d’horizon tout en saluant la serveuse qui passe près de moi. Meeko va même chercher sa petite caresse habituelle auprès de cette dernière, pendant que je repère la table où s’est installée ma sœur. A vrai dire, de dos, je reconnais surtout sa silhouette beaucoup trop droite qui détonne un peu avec le cadre, pour être tout à fait honnête. « Tu me ramènes un cappuccino s’il te plaît ? Merci ! » J’adresse un large sourire à la serveuse, tout en lui désignant la table à laquelle on m’attend. Marley n’est pas derrière le comptoir, alors ce n’est peut-être pas elle qui me préparera ma boisson, mais c’est un détail sans importance là tout de suite. Parce que là tout de suite, il est temps de briser la glace. D’un pas décidé, j’avance en direction de cette silhouette qui me tourne le dos, tout en évitant la grosse valise posée à ses côtés. « Salut ! Ça va ? T’as bien voyagé ? » Okay, les banalités d’usage ne vont pas durer très longtemps, mais elles me donnent l’occasion de poser une main sur l’épaule de ma grande sœur - un rare signe d’affection qui sera probablement à noter dans les annales -, avant de prendre place en face d’elle. « Désolée pour le retard, mon chien a bouffé ma carte de transport. » Pourquoi je me sens obligée de faire de l’humour - nul - pour détendre l’atmosphère ? Et surtout, pourquoi je me sens obligée de préciser que c’est de l’humour ? « J’déconne. Enfin, pas pour le chien. J’te présente Meeko. Meeks, pour les intimes. » Je lui désigne l’animal qui est déjà en train de renifler sa valise, et ses affaires, avant de lui quémander une caresse , les yeux implorants. J’ai toujours voulu un chien, les parents ont toujours dit non… Est-ce qu’elle sera étonnée de voir que j’ai finalement sauté le pas, maintenant qu’ils ne sont plus là pour m’en dissuader ? J’en ai aucune idée.

Aussitôt assise en face de ma grande sœur, je découvre sa tenue, toute aussi coincée qu’elle. Je ne suis pas du genre à juger ce genre de choses en général, mais encore une fois, il faut reconnaître que ça détonne avec le reste des gens dans ce café. Même les serveuses ont l’air plus à l’aise malgré le tablier, c’est dire. Et quant à moi, ma chemise ouverte sur un simple débardeur blanc ne laisse pas le moindre doute quant au fait que je suis en vacances - enfin, ne nous voilons pas la face, je réfléchis rarement plus de deux minutes avant d’enfiler le premier truc qui me passe sous la main. Aujourd’hui n’a pas vraiment fait exception, malgré la nervosité de revoir ma chère sœur. « Bonjour Tegan ! Je suis ravie d’être enfin là. Le voyage était plus épuisant qu’il n’y paraît. » Son attitude me laisse perplexe, et j’ai même un léger mouvement de recul en la voyant déposer ses mains sur la table ; on se croirait en entretien d’embauche.
Mais je ne me laisse pas démonter, et j’enchaîne même sur la présentation de mon fidèle sidekick. Ça fait des mois qu’il me suit partout comme mon ombre, et il est plutôt difficile à ignorer - il a même souvent tendance à me piquer la vedette, mais il est trop mignon pour que je lui en veuille de toute façon. « J’étais prête à te croire pour la carte. En tout cas, c’est un bel animal que tu as là. Je ne crois pas que les parents apprécieraient mais cela n’a pas d’importance ici. Quel âge a-t-il ? » Volontairement, j’ignore sa remarque à propos des parents. Si elle savait à quel point leur avis me passe au-dessus de la tête, maintenant… « Il a un an et demi. Ca fait six mois que je l’ai. Enfin… Qu’il m’a, plutôt. » Il paraît que c’est souvent l’animal qui choisit l’humain, et on peut dire que c’est exactement ce qu’il s’est passé pour lui. « Je l’ai trouvé dans la rue, il m’a suivi jusqu’à chez moi, et quand je lui ai donné à manger, il a plus jamais voulu repartir. » Je le dis d’un ton léger, mais c’est exactement ce qu’il s’est passé. Quand on sait qu’il avait tendance à fuguer quand il était en refuge, j’imagine qu’il doit me trouver quelque chose pour avoir décidé de rester. Mais bref, je détache finalement mon regard de l’animal lorsqu’Eva reprend la parole.
« Tu sais, j’aurais moi aussi aimé avoir un chien. Il m’aurait été bien utile pour rendre vivant mon appartement. Je crains néanmoins que ma faible présence aurait été néfaste à sa santé. Il n’aurait pas pu s’épanouir avec une acharnée du boulot comme mo… je l’étais. » J’avoue, ça fait bizarre de l’entendre parler de ce qu’elle aurait aimé. J’ai tellement eu l’habitude de la voir agir selon ce que les autres attendaient d’elle que j’ai fini par me convaincre qu’elle n’avait pas de volonté propre. Un robot, en somme. « Je suis pas sûre qu’un chien comme lui soit fait pour vivre en appartement. Et surtout pas s’il doit y rester seul toute la journée. » Il a du caractère, Meeko. Et il sait parfaitement se faire comprendre. Par exemple, quand la serveuse vient déposer mon cappuccino devant moi, il ne perd pas une seconde pour fourrer sa truffe dans la poche de celle-ci, à la recherche de sa friandise. Je pourrais le retenir, mais je sais que c’est leur petit rituel, et je me contente de leur adresser un sourire pendant qu’elle joue avec lui. Mon sourire s’agrandit, d’ailleurs, quand je vois le joli cœur dessiné dans la mousse de mon cappuccino. Il n’y a pas grand-monde qui les fait de cette forme-là, et… je relève les yeux vers le bar, et le visage de ma colocataire, qui m’adresse un clin d’oeil complice. C’est fou comme sa simple présence arrive à me réchauffer le cœur comme personne, même à l’autre bout d’une pièce…
Mais revenons à celle qui est en face de moi, et m’observe toujours avec attention. J’ai l’impression qu’elle va m’annoncer que quelqu’un est mort, ou que papa vend le cabinet - je ne sais honnêtement pas ce qui serait pire. « Comme tu l’étais ? Parce que tu l’es plus ? »  Acharnée du boulot, j’entends. Ça paraît difficile à imaginer quand on la voit, là, comme ça. « Enfin j’avoue que je savais pas que t’étais capable de prendre des vacances. Comme quoi, on en apprend tous les jours. » Je l’observe, amusée. Et pas franchement sûre de si je devrais mettre les pieds dans le plat ou pas. En même temps, j’ai aucune envie d’y passer l’après-midi. « T’as quelque chose à m’annoncer ? » Voilà, les pieds dans le plat. J’ai appris des meilleur.e.s.