erreur de parcours ? #elliott

Ce réveil.. ce n’est pas le mien. On pourrait croire que c’est l’horrible mal de tête qui me fait devenir folle, mais non.. je n’en suis pas encore là. Quoique. À entendre la voix qui suit cette alarme et la tenue – ou non-tenue – dans laquelle je suis, on pourrait se poser des questions. Si à l’ouverture de mes yeux, c’était le flou complet, je commence doucement à retrouver mes esprits et à mettre tous les événements à la suite les uns des autres : cette soirée avec nos amis, les quelques verres de trop bus, le retour à la maison, ces premiers baisers échangés, puis cette nuit passée ensemble. En poussant un peu, je pense que je pourrais me souvenir d’un peu plus de détails, de ce que j’ai pu ressentir lorsque ses mains caressaient mon corps, mais je crois que pour notre bien à tous les deux, et pour celui de notre relation, c’est mieux de s’en tenir aux généralités. Un peu par réflexe, je viens prendre mes distances avec Victor et viens cacher mon corps dans le drap. « Je vais aller me doucher. » Sans échanger un regard avec lui, je m'assois sur le bord de son lit et cherche ce que je pourrais enfiler pour les quelques mètres qui me séparent de la salle-de-bain – je pourrais y aller sans rien, mais je pense qu'il en a déjà assez vu pour le mois ou même les années à venir. Un T-Shirt à lui récupéré et enfilé, je quitte sa chambre pour regagner la mienne, où je viens prendre quelques affaires avant d'aller me laver. Si je ressors complètement propre de la douche, j'ai toujours l'impression d'avoir fait quelque chose de mal, d'être "sale" en quelques sortes.. Je suppose que ça finira par passer, mais pour cela, nous devons sûrement avoir une conversation avec l'homme qui partage cette maison avec moi. Ça tombe plutôt bien, puisqu'en descendant à la cuisine, il est là aussi. Sans un mot, je viens ouvrir le réfrigérateur et regarde ce que je pourrais en sortir, avant de finalement fermer la porte sans rien prendre. « On n'aurait pas dû.. » Je crois que ça devait sortir. Il est inutile de faire semblant plus longtemps, surtout que ce serait prendre le risque de le voir partir au boulot sans avoir cette fameuse conversation.

Crever l’abcès, le plus vite possible, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. C’est pour cela qu’arrivée en bas, je ne tarde pas à évoquer le sujet de cette nuit charnelle — même si j’ai essayé de faire illusion quelques secondes avec le réfrigérateur. « Exactement. » Il avait mis des mots justes sur ce que je pensais. Des mots que je n’aurais peut-être pas eu le courage de dire moi-même, de peur de le vexer s’il n’avait pas été de mon avis. Cette nuit fait désormais partie du passé et nous ne pourrons pas revenir dessus, même si nous le désirons très fort. Alors le mieux, c’est de l’oublier et de faire comme si de rien était. Je ne dis pas que je ne serais pas bizarre avec lui quelques temps, quand nous serons seuls sous ce toit, mais après quelques jours, tout devrait revenir à la normale. Et puis, à bien y réfléchir, je ne crois pas que cette fois-ci soit la première où je fais une bêtise dans ce genre et pourtant, je me suis toujours relevée. Ce n’est donc qu’une question de temps et avec nos boulots respectifs, ça passera peut-être plus vite que prévu. « Nous faisons comme si de rien était et nous reprenons la comédie là où nous l’avons laissée. » Si pour nous c’est un dérapage, c’est un geste normal pour un couple comme le nôtre pour les autres — à leurs yeux au moins. Alors finalement, si nous faisons le choix de taire ce moment entre nous, peut-être que ça pourra nous servir plus tard, pour continuer à faire illusion. « Et merci pour le café, je crois que j’en ai bien besoin. » Sans parler de cette nuit avec lui, il y a une gueule de bois à faire passer. Il faudrait que j’arrive à me souvenir que je n’ai plus vingt ans — je suis même plus proche des trente que des vingt — et qu’il est toujours plus difficile à faire passer les effets secondaires de l’alcool le lendemain. « Est-ce que tu pourrais récupérer Mila ce soir ? Elle doit aller chez une copine après l’école, mais j’ai peur de finir trop tard pour aller la chercher. » Revenir sur des sujets de la vie de tous les jours, n’est-ce pas le meilleur moyen pour balayer la bizarrerie de cette nuit ?

Rester sur du négatif ? Est-ce quelque chose que Victor envisageait ? Avait-il souvenir de la nuit dernière, dans les moindres détails et avait-il déprécié le moment ? Même si je désirais oublier tout cela, je ne l’espérais pas – nous apprécions rarement apprendre que nous ne sommes pas des bons coups et puis, si lui n’a pas apprécié, alors qu’est-ce que ça peut vouloir dire des autres ? Non.. je ne dois pas y penser. En réalité, là, maintenant, je dois penser à tout sauf à ce qui pourrait me ramener à cette nuit dernière. Pourtant, indirectement, j’ai l’impression que tout cherche à nous y ramener, malgré nos tentatives pour que cela n’arrive pas. L’avantage au moins, c’est que nous semblons d’accord pour dire que ça ne doit pas se reproduire, qu’est-ce que serait l’ambiance à la maison sinon ? Avec les propos de Victor, j’ai comme l’impression que tout à l’heure, je ne visais pas juste, que finalement il a passé une bonne nuit à ma compagnie. Une bonne expérience pour une unique fois, c’est au moins ça. Il est maintenant temps de revenir à nos classiques : à cette image de couple parfait que nous renvoyons et à ce semblant de vie de famille que nous essayons d’avoir. « Léa, je crois. Elle n’habite pas très loin d’ici. » Mila était très enjouée à l’idée de passer quelques heures avec son amie. Sûrement un peu trop même et forcément, le débit de ses paroles était un peu plus important qu'à son habitude et j'ai peut-être mélangé certaines choses – un prénom, un visage ou que sais-je d'autres, mais tant que j'ai l'endroit et l'heure, je me dis que c'est déjà bien. « Merci. Normalement, je devrais pouvoir aller la récupérer. Je te dirais si cela change. » Il est disponible, alors je n'hésiterais pas. C'est l'avantage qu'il y a à être deux, même si j'ai la chance d'avoir ma famille dans le coin. Une famille qui se ferait un plaisir d'aller la chercher la petite fille et de la garder le temps que je revienne. S'il est disponible ce soir, le brun m'apprend qu'il ne le sera pas demain, à cause de son travail. Si habituellement, je ne m'attarde pas sur ce genre de choses – je ne m'occupe pas de son travail et il ne s'occupe pas du mien – là, c'est différent. « Elle t'invite à dîner ? » Pour le faire venir tard, j'espère bien. Mais ça, c'est à l'approbation de chacun. « C'est rare que tu acceptes de voir des personnes aussi tard. Est-ce qu'elle a quelque chose en plus de tes autres clients ? » Un certain charme, par exemple. Je ne le dis pas à voix haute, mais nous savons très bien tous les deux ce que je pense tout bas. Nous sommes dans un mariage blanc, alors tant que notre secret est bien gardé, nous n'interdisons pas à l'autre de voir telle ou telle personne et ce n'est pas à partir d'aujourd'hui que cela va changer.

Donner l’impression d’être une famille parfaite est quelque chose qui aide forcément dans notre mensonge. Alors si Victor peut être disponible pour Mila, quand je ne le suis pas, c’est un plus, ça donne un sens à notre histoire. Et puis, le fait qu’ils s’entendent bien tous les deux est quelque chose d’agréable à voir : la petite fille n’a pas vraiment été concertée pour ce mariage blanc, alors je m’en voudrais de voir qu’elle n’est pas heureuse de vivre sous le même toit qu’un homme qu’elle n’apprécie guère. « Je ne crois pas.. je n’ai rien prévu. » Dis-je, alors que le brun me demande s’il faut emmener quelque chose. « Ce n’est pas un anniversaire, juste un moment après l’école. Tu crois qu’il faut quelque chose ? » Si c’est un cadeau, ça va être compliqué. Si c’est un goûter ou au moins quelque chose qui se mange, ça peut encore être jouable. Un truc fait à la va-vite ou alors acheté sur la route à l’une des supérettes du coin. Mais peut-être qu’il n’y a pas à s’inquiéter, peut-être que finalement il n’y a rien à amener, hormis Mila. Bref.. si le planning de la fin de journée se dessine doucement, celui de demain semble déjà tout tracé pour Victor. Pourtant, ce n’est pas dans ses habitudes d’accepter des rendez-vous aussi tard pour son boulot et forcément, je ne peux m’empêcher de lui faire remarquer. L’argent.. ça se tient. Nous ne vivons pas dans un palace, alors ce serait cruel de ma part de lui reprocher de s’intéresser à ça. L’intérêt soudain pour son rendez-vous professionnel semble me faire défaut, puisqu’il n’hésite pas une seconde pour ressortir cette nuit passée ensemble. « Un peu. » Si je ne lui confirmais pas avec des mots, Victor aurait facilement pu le comprendre au regard noir que je lui lance. « Tu es libre de faire ce que tu veux, si tu en doutais. » Dis-je, tout en haussant les épaules. Nous ne nous devons rien et ce n’est pas une nuit endiablée qui va changer cela. Du moins, de mon côté. « Nous sommes unis devant la loi, mais entre nous, nous savons très bien que nous sommes libres d’aller voir ailleurs – tant que nous restons un minimum discrets. » Cette règle n’est pas nouvelle et elle est plutôt logique quand on connaît un peu notre histoire. Mais je ne sais pas, après cette nuit et cette phrase de Victor – bien que là pour me taquiner un peu – c’est important de le rappeler.

Je ne prétends pas être une mère parfaite, mais j'essaye de faire de mon mieux et ça, depuis de nombreuses années maintenant. Ça n'a pas toujours été simple, surtout à cause du regard des gens : selon eux, j'étais bien trop jeune pour devenir mère. Ils avaient sûrement raison, à l'époque, et pourtant je ne me suis jamais laissée marcher dessus, élevant ma fille, avec Isaac, du mieux possible. Si aujourd'hui, elle est invitée chez des amis, je suppose que nous ne nous en sommes pas trop mal sortis. Même si apporter quelque chose dans ces cas-là n'est pas encore un automatisme chez moi. « Super, merci. » Dis-je à Victor, alors qu'il propose de prendre de quoi donner aux parents, pour un éventuel goûter ou leur plaisir personnel quand leur petite fille sera couchée. Pour plaisanter un peu, le jeune homme remet sur le tapis la nuit que nous avons passée. Quoi ? Je ne peux plus m'intéresser à son boulot et aux intentions que pourraient avoir ses clientes à son égard ? Il est vrai que je suis peut-être un peu trop direct, et froide, avec ma réponse. Loin de moi l’envie d’être désagréable, c’est juste encore un peu trop tôt, je dois encore faire face à cette erreur, à tête un peu plus reposée et relancée à d’osés de café. « Malgré son âge ? Avec ça, on pourrait croire que tu te rapproches des cinquante ans, voire même de la retraite. » Est-ce que je suis étonnée qu’il pourrait plaire, encore ? Non. Victor est gentil, drôle et mignon dans son genre, je n’ai aucun doute qu’il arrivera à trouver chaussure à son pied quand toute cette histoire sera un peu plus claire — ou même avant s’il tombe sur quelqu’un de compréhensif. « Tu ne devrais pas te préparer au lieu de dire des bêtises ? Tu vas finir par être en retard. Et puis, garde un peu d’humour pour tes clients, ce serait dommage de ne pas leur faire partager. » Je regarde rapidement l’heure, réalisant qu’il va falloir que je m’active aussi si je ne veux pas arriver en retour à Wellington. Avec la circulation, on n’est jamais à l’abri d’un imprévu.