I am not cheating, i am teasing, it is absolutely different (ft. Robin)

Ces dernières semaines, Noah n’avait pas beaucoup de travail. Bien qu’une nouvelle saison de la série historique dans laquelle il tenait l’un des rôles principaux ait été programmée,
L’ensemble de l’équipe faisait une pause. Il ne se passait rien sur les plateaux, ce qui faisait qu’il disposait de tout son temps libre. Une occasion rêvée pour passer du temps avec sa fille, Reese et avec Ana. Si avec la première, tout se passait bien, avec la seconde, des tensions survenaient régulièrement. Ils possédaient une forte personnalité, qui parfois l’emportait sur la communication et le calme. Noah n’était pas quelqu’un de facile à vivre. Il le savait mais il aurait fallu qu’il soit à l’article de la mort pour le reconnaître formellement. Malgré le fait qu’il mette de l’eau dans son vin, il se sentait tout de même sacrément emmerdé quand il devait retenir ses mots et ses nerfs. Le plus souvent, les disputes venaient à cause de son attitude. Quand il picolait un peu trop, que des photos circulaient sur les réseaux sociaux avec des fans dont la proximité laissait dubitatif… ou encore quand il se retournait pour admirer une ravissante passante, alors qu’Ana était à côté de lui. Et le pire, c’est qu’il était parfaitement conscient qu’elle allait s’agacer. Sans y prendre de plaisir particulier, il se comportait comme un con. Un sentiment d’impuissance l’habitait quand il y repensait.

Par exemple, aujourd’hui, pourquoi avait-il décidé de mettre une chemise cintrée et ouverte sur le haut de son torse, en plus d’un pantalon bien habillé ? Il avait juste rendez-vous avec Robin, pour une sortie au parc avec leur progéniture. Ray-bans sur le nez, avec sa barbe bien taillée et ses chevilles bien coiffés, il donnait l’impression d’être un acteur d’Hollywood. Une ironie pour lui, tant il détestait ce milieu trop conformiste. En tout cas, tout le monde s’accorderait à le dire, il n’était clairement pas habillé pour aller promener bébé de façon innocente. Et ce n’était pas le filet de parfum qui émanait de lui, qui permettrait de contre-argumenter. Ana travaillait et heureusement parce qu’elle ne l’aurait clairement pas laissé sortir ainsi. Ne sachant pas conduire, Noah prit donc le bus, avec sa fille dans la poussette. Oh, il n’avait guère tardé à remarquer les regards qui se tournaient vers lui quand il passait. La paternité avait l’air de faire son petit effet chez certaines femmes. Bien qu’il n’ait pas l’intention de tromper Ana, une partie de lui avait besoin de séduire et de plaire. Et derrière ses lunettes, personne ne voyait ses yeux. Il pouvait donc reluquer à loisir. Tant qu’il ne touchait qu’avec les yeux, il avait le droit non ?

Il descendit devant le petit parc où Robin et lui s’étaient donné rendez-vous. Sa grande sœur était déjà installée sur un banc. Avec sa démarche de rockstar, Noah passa devant deux nanas qui le suivaient du regard, en feignant de les ignorer. Il arriva près de sa soeur.

- Hello there ! Désolé pour le retard. Reese a eu un petit accident peu avant que nous partions.

Mensonge éhonté… mais il ne lui dirait jamais qu’il n’avait pas vu le temps passer à force de se regarder dans le miroir. Une situation qui n’était pas à son avantage même si Robin n’était pas dupe, dans le fond. Il se pencha pour lui faire la bise et l’enlacer brièvement. Puis il salua sa nièce avec un large sourire :

- Et bonjour, princesse ! Oh que tu es jolie ! Tu peux remercier maman ! Heureusement que tu as hérité d’elle !

Comme toujours, Noah ne pouvait s’empêcher de faire un tacle à son beau-frère. Désormais, il ne fallait rien y voir de méchant, simplement une taquinerie immature, comme toujours. S’installant à côté de Robin, il sortit un sac a dos du bas de la poussette.

- Je nous ai fait quelques pâtisseries. Celles que tu aimes. Alors, qu’est-ce que tu racontes ?

- Oh non, ça va ! J'ai même un peu chaud, en fait.

Avec Noah, impossible de savoir si ce qu'il disait était vrai ou non. Il l'affirmait avec beaucoup d'assurance, en tout cas. En réalité, il devait reconnaître qu'il faisait un peu frais, mais bon, il n'allait pas se priver de sortir avec sa chemise déboutonnée en haut, pour montrer un peu ce corps dont il était fier ! Bien qu'il soit en couple avec Ana, il ne pouvait s'empêcher de tester qu'il était encore capable de plaire et de faire quelques ravages dans les esprits de certaines femmes. Rien, dans sa tenue, ni même dans celle de Reese ne relevait du hasard. La séduction, le jeune homme en était passé maître et il n'avait pas perdu la main. Enfin, en tout cas il le croyait. Il s'installa et sortit les pâtisseries. Pendant des années, Noah avait été un vrai con avec sa soeur aînée. Et tout cela fut lié à son énorme problème avec l'autorité. Le temps joua un rôle déterminant dans leur rapport l'un à l'autre. Et la venue au monde de leurs bébés fut d'une grande aide. Car pour la première fois depuis son enfance, il ne cherchait pas querelle auprès de Robin, plutôt des conseils, plutôt de la complicité. Être parent lui apprenait beaucoup, au quotidien. Et Ana lui permettait aussi d'être moins égoïste. La preuve avec ces pâtisseries, spécialement et soigneusement préparées. Une sorte de calumet de la paix... provisoire sans doute, car Noah avait beau chasser le naturel, il ne tardait pas à revenir au galop. Cela était, les moments de paix restaient plus agréables que les conflits, il s'en rendait compte. Mieux valait tard que jamais.

- Oh, il est magnifique ! Merci ! Regarde ma petite princesse d'amour... regarde ce que tatie Robin t'a offert...

Noah gagatisait un peu trop mais pouvait-on lui en vouloir ? C'était sa fille après tout. Et il était naturel qu'il soit aux petits soins. Il fut tiré de sa "rêverie éveillée" par l'information que sa soeur lui donna. Il posa ses yeux azur sur elle en fronçant les sourcils. Quelques rides légère passèrent sur son front plissé par l'inquiétude.

- Attends... quoi ? Des braqueurs au musée ? Ils ont volé quelque chose ? Il n'y a pas eu de blessés ?

Il était quand même curieux de savoir ce qu'il s'était passé. Cela dit, comme Robin lui demandait aussi comment se passait le tournage, il ne perdit pas l'occasion de parler de lui. Parce qu'après tout il le valait bien.

- Ca se passe bien. Pour le moment, c'est la pause annuelle. Globalement, l'équipe est sympa, si je fais exception de la pétasse qui me donne la réplique. Le genre imbue d'elle-même, désagréable, qui se la raconte... tu vois un peu l'idée ?

Oh, pas de doute que Robin devait bien comprendre de quel type de personne il s'agissait. Noah avait surement davantage de points communs avec cette actrice que de différences. Et pourtant, il refusait de l'admettre. Quand il n'aimait pas quelqu'un, tout devenait un défaut terrible.

- D'ailleurs , je te remercie pour la guitare la dernière fois. Ca m'a bien aidé. Ils étaient bluffés sur le plateau.

- Ah oui, là, ça a tout du film ! Garde le scénario en tête, ça pourrait peut-être intéresser un réalisateur un jour ! Les gens sont dingues... tout ça pour de l'argent... Alors oui, ok, quand tu n'en as pas, c'est vraiment galère, mais bon, de là où faire tout ça pour quelques billets... heureusement que personne n'a été blessé ! Je ne savais pas que tu faisais un métier dangereux. Les musées, à part vous faire attaquer par une vieille qui se prend pour une momie, ou alors choper un petit con en train de faire un graffiti sur une oeuvre, vous n'avez pas le quotidien le plus trépidant qui soit !

Il l'avait écoutée très attentivement, curieux d'en savoir plus sur cette histoire de braquage. Effectivement, comme Robin le disait, ça ressemblait à un film un peu étrange, dont le scénario n'était pas commun. Et pourtant, des scripts, il en avait lu un paquet. Très souvent, les braquages se passaient dans des banques, des casinos ou des bijouteries de luxe. C'était beaucoup plus commode de faire ainsi. Le public s'attendait à ce genre de fil conducteur et se laissait porter. dès que l'on tentait d'apporter quelque chose d'un peu original, les gens devenaient méfiants, parfois très peu réceptifs. A l'exception de quelques rares intellectuels, le septième art devait divertir avant de faire réfléchir. C'était ainsi. Ce genre d'état d'esprit ne lui convenait pas vraiment, mais il faisait avec. De toute façon, il estimait être un acteur incompris, parce qu'il fallait bien que ça soit la faute des autres et non la sienne. En tout cas, si un jour il devenait réalisateur, il tenait là une histoire originale et sympa qu'il pourrait réutiliser. Il ne s'attendait pas à obtenir un Oscar pour ça, mais ça aurait le bénéfice d'être diffusé dans des salles obscures et peut-être de plaire à celles et ceux dont le QI était au-dessus de la moyenne. Sa dernière phrase n'était pas un tâcle condescendant mais une fois de plus, Noah était quelqu'un d'assez peu adroit pour dire les choses avec politesse. Sa franchise prenait le dessus et il lui arrivait souvent de ne pas faire dans la dentelle. Il avait du respect pour le métier de Robin. Le fait qu'elle travaille dans un lieu de culture et d'héritage le rendait même assez fier. Bien qu'il ne soit pas du genre à l'admettre, visiter un musée en compagnie de sa soeur aînée serait sans nul doute un très bon moment. En tant que petit frère, il n'aurait pas dit non à ce qu'elle lui parle des oeuvres présentes et encore moins des anecdotes associées. Pour une fois, en tout cas, il ne se montra pas trop con, puisqu'il ajouta, sur un ton bienveillant :

- J'espère que ça va aller pour toi, si tu veux en parler, pour... extérioriser, tu vois, je peux te prêter mon oreille. Ca doit être flippant de vivre ça. Tu fait un métier passionnant mais pas dangereux, pas suffisamment pour avoir affaire à des braqueurs, en fait.

Il n'était pas garanti que Noah soit un bon confident, capable de vraiment la réconforter. Ce type d'intéraction sociale, ça ne constituait pas son fort, avec les adultes. Etrangement, avec les enfants, ça se passait beaucoup mieux. Si l'on retirait le fait qu'il soit cartésien et qu'il ait tendance à les inciter à se rebeller, il aurait très bien pu bosser avec des gosses. N'empêche, il faisait des efforts. Ana l'influençait de façon positive. Elle ne ferait certainement pas de miracle, puisque rien ne pourrait effacer son sale caractère. Mais il fallait bien lui reconnaître qu'elle le tirait vers le haut et ça n'était pas du luxe, tant il était insupportable auparavant. Quand il parle de la diva qui lui donnait la réplique, Robin indiqua tout de suite qu'elle voyait ce qu'il voulait dire. Il ne comprit nullement la subtilité de son propos, considérant qu'elle approuvait sa description et qu'elle voyait le genre de personne que c'était. Oui, comme je le disais, il y avait encore un gros chantier à mener sur l'humilité, l'introspection et l'autocritique. Des mots qui étaient complètement étrangers dans la philosophie de Noah. Et dont l'apprentissage s'avérait moins inné que ce que l'on pouvait supposer. Il eut l'occasion de critiquer ouvertement sa collègue féminine et ne s'en priva pas.

- Ouais, une vraie connasse ! Et vas-y qu'elle se dit capable de ça, et qu'elle a fait ça... et moi je, moi je... alors que je suis sûr que les trois quarts des trucs, ce sont des histoires pour juste se la péter... En tout cas oui, il n'y a qu'avec elle que ça ne passe pas. Les autres sont cools. Mention spéciale à la perchiste et à mon cascadeur. Et oui, très chère ! J'ai une doublure cascade, figure-toi ! Certaines scènes peuvent être dangereuses et ils ne veulent pas que je me blesse. Ca se comprend, un beau gosse comme moi ça serait dommage de le cabosser !

Il bomba légèrement le torse. Ah ça, ce ne serait pas la modestie qui risquait de l'étouffer un jour ! Noah estimait qu'il avait du charme et il en jouait. Il fit légèrement le beau quand une joggeuse passa devant eux. C'était sa nature propre, il ne pouvait s'empêcher de vouloir séduire, même maintenant alors qu'il était en couple et papa. Incorrigible, Noah fit comme si son attitude était normale et il enchaina sur la musique.

- En parlant de musique, y'a un concert des Foo Fighters et j'ai gagné deux places lors d'un tirage au sort au studio. J'ai proposé à Ana mais ça n'a pas l'air de l'emballer plus que ça. Ca te dirait de venir ? Le concert est le 20 janvier 2024, je ne sais plus l'heure. C'est à Auckland, au Go Media Stadium.

Il espérait qu'elle accepte. Plus le temps passait et plus il avait envie de partager des choses avec elle sur cette passion commune. Il n'était jamais trop tard pour tisser de vrais liens fraternels, pas vrai ? Taquin, il lança, l'air de rien.

- Sinon, comment va ton dandy boy ? Ca n'a pas été trop dur pour lui la mort de la vieille relique anglaise ?

Il parlait de Matthew et de la façon dont il avait du gérer la mort de la Reine Elisabeth II. Comme toujours quand il parlait de quelqu'un ayant une figure d'autorité, il en parlait avec désinvolture, provocation même. Lui, il s'en foutait pas mal qu'elle ait passé l'arme à gauche. Ca l'amusait plus qu'autre chose que des gens aient encore du mal à s'en remettre. Il faisait le malin, pourtant, lui, il n'avait toujours pas encaissé la mort de leur père. Ca le hantait, ça lui laissait un profond sentiment d'injustice qui était la clé de l'homme qu'il incarnait aujourd'hui. Cette colère enfouie et permanente ne le quittait jamais. Il n'en avait jamais parlé avant. Et pourquoi l'aurait-il fait ? Personne ne serait capable de défaire le passé et ramener son paternel à la vie.

- Netflix ? Non, non, laisse les crever ces charognes. Ca leur fera les pieds.

Noah Wade avait autrefois rêvé d'une carrière cinématographique flamboyante, mais la réalité l'avait mené dans une toute autre direction. Désormais installé à Island Bay, il avait fini par décrocher un contrat, dans un studio indépendant et plutôt bien connu en Nouvelle-Zélande. Tout cela restait loin des projecteurs et de la gloire qu'il avait imaginée. Son rêve, c'était Broadway. Il avait fait les mauvais choix et il s'était bien foiré. Pour autant, déjà à l'époque, il n'était pas enthousiasmé par Netflix, Prime Vidéo et autres... Son aversion pour les plateformes de streaming avait lentement pris racine, alimentée par une combinaison de facteurs personnels et professionnels. Tout d'abord, Noah avait vu ces nouveaux acteurs comme des monstres géants qui dévoraient l'industrie cinématographique traditionnelle. Les gros budgets et les productions à grande échelle étaient devenus rares, remplacés par une multitude de séries et de films accessibles en un clic. Ce même clic, par trop cher pour le consommateur, tirait toute la profession vers le bas... Cette transition l'avait laissé, ainsi que de nombreux acteurs de sa génération, sans emploi stable. Certes, il n'était pas aussi impacté qu'un Brad Pitt, par exemple, mais tout de même, si les plus grands avaient des difficultés alors que dire des petits comme lui ? Les studios indépendants, autrefois en compétition pour des projets uniques, se voyaient maintenant relégués à la marge. Ensuite, Noah ressentait une perte de connexion entre les acteurs et leur public. Les plateformes de streaming avaient déshumanisé l'expérience cinématographique, transformant les acteurs en simples images sur un écran de télévision, dénuées de la magie du grand écran. Le charme des salles de cinéma se perdait, au profit d'écrans d'ordinateur ou de téléphones portables. Et lui, il aimait le théâtre, les comédies musicales, le public... Pour couronner le tout, les rémunérations offertes par Netflix et d'autres services de streaming semblaient bien maigres par rapport à celles des grandes productions hollywoodiennes. Les acteurs et les professionnels du cinéma indépendant luttaient pour gagner leur vie, tandis que les géants du streaming amassaient d'énormes profits non redistribués. Noah Wade, en tant qu'acteur frustré de l'industrie cinématographique, ne pouvait s'empêcher de voir les plateformes de streaming comme une force destructrice qui avait changé à jamais le paysage du septième art. Pour lui, la nostalgie des jours où le cinéma était synonyme de grandeur et d'émotion persistait, même si son rêve d'y jouer un rôle majeur semblait s'éloigner de plus en plus.

- Ca va, boucle-la... t'es pas obligée de dire que c'est gentil, ok... Je ne suis pas gentil.

Lorsque Robin lui dit qu'il était gentil, il ressentit un frisson d'inconfort. C'était un compliment qui, pour lui, sonnait comme une faiblesse. Le mot en lui-même était devenu une étiquette qu'il exécrait, une qualité qu'il associait à une certaine naïveté ou à un manque de caractère. Pour Noah, être perçu comme ça était synonyme d'être mal compris, voire sous-estimé. Par réflexe, il se montra ronchon et légèrement désagréable pour compenser le compliment. Il fronça les sourcils et soupira, en lui répondant d'une voix légèrement sarcastique. Il se sentait obligé de maintenir une façade de dureté, de montrer qu'il n'était pas quelqu'un qu'on pouvait facilement manipuler ou prendre pour acquis. Il avait l'impression que s'il montrait trop de gentillesse, il serait vulnérable aux attaques du monde extérieur. Il préférait être vu comme fort, indépendant et intelligent, des qualités qu'il considérait comme essentielles pour survivre dans l'industrie cinématographique. Être sympa, selon lui, était une invitation à être piétiné, à être relégué aux rôles de second plan, à être pris pour un imbécile. Pourtant, malgré sa réticence, Noah savait que sa sœur le connaissait mieux que quiconque. Il savait aussi que, sous cette carapace d'agacement, il appréciait secrètement son appréciation sincère, même si cela signifiait qu'il se devait de la rabrouer sans ménagement. La pierre fondatrice de son rapport à son aînée... ce n'était même plus génétique, mais viscéral. La conversation s'orienta vers les "dangers" auxquels Noah pouvait être confronté et qui justifiaient une doublure cascade. Il haussa les épaules, avec humilité, ce qui changeait vraiment de sa façon de se comporter.

- Il n'y en a pas énormément, ma doublure intervient assez peu. Mais le plus souvent, ce sont sur les scènes où il y a de l'escalade. A un moment, par exemple, mon personnage doit grimper jusqu'à la chambre de son amante en s'aidant du lierre. Tu sais, pour des raisons d'assurance, ce genre de trucs, même si c'est six mètres de haut, ils préfèrent que ça soit un professionnel qui s'en charge. Sinon, les scènes avec de l'action, le cheval, par exemple. Après, j'ai demandé à être doublé pour toutes les scènes à arme à feu n'impliquant pas de voir mon visage. Il n'est pas question que je touche à ces saloperies... Elles ont tué papa...

Lorsque Noah évoquait son père, décédé alors qu'il était encore trop jeune pour en avoir des souvenirs tangibles, une douleur lancinante envahissait son cœur. L'absence de cette figure paternelle avait été le drame de sa vie, la source de sa colère envers le monde et son attitude rebelle envers l'autorité. Bien qu'il n'ait pas de souvenirs vraiment clair de son géniteur, la perte de cet homme dont il avait seulement entendu parler à travers les récits de sa mère, de ses grandes soeurs et les photos jaunies dans un album de famille avait laissé une cicatrice émotionnelle profonde. Noah se sentait privé de la bienveillance paternelle, de l'amour et du soutien que son père aurait pu lui apporter. Aurait-il apprécié Ana, par exemple ? Son absence avait façonné sa personnalité, le poussant à se méfier de l'autorité et à se battre pour garder sa place libre dans le monde. Sa colère, souvent mal dirigée, était en réalité une expression de sa douleur intérieure et de son désir inassouvi de combler le vide laissé par la perte de son paternel. Noah n'avait jamais vraiment fait le deuil et cela pesait lourdement sur son cœur, même des années après. Il préféra changer de sujet, parce qu'il n'était pas question qu'il dévoile cette blessure, même à Robin.

- Je sais bien que c'est ton idole, bécasse ! C'est pour ça que je t'invite ! On va passer un bon moment ! Puis pour une fois, le lot, c'est pas du foutage de gueule ! Carré VIP, premier rang ! Peut-être même qu'on pourra aller les rencontrer dans leur loge. Par contre, on dort sur place. Chambres séparées, je paie l'hôtel. Tu paieras le restaurant. J'ai bien l'intention de profiter de ma soirée à Auckland, il parait qu'il y a des boites de nuit bien sympas ! Ambiance de folie, des filles à la pelle... enfin je veux dire, des filles pour se faire offrir un verre, oui, voilà...

Noah ne cachait jamais son côté coureur de jupons. Sauf qu'il était en couple et que même si jusqu'à maintenant, il avait été exemplaire, chassez le naturel et il revient au galop. Son désir de séduire pouvait lui faire commettre la pire des bêtises. Robin risquait fort d'être confrontée à un dilemme : faire comme si tout cela ne la regardait pas, au détriment d'Ana... ou alors chaperonner son frère, ce qui promettait surement une belle dispute. Il restait peut-être une troisième possibilité, suggérer à Noah quelque chose qu'il ne pourrait pas refuser pour occuper le temps autrement. Encore fallait-il que cette tête de con y mette un peu du sien. Il eut un rire amusé quand Robin ironisa sur le mort de la Reine. Noah avait autant de respect pour elle que pour le drapeau de son pays... dont il disait se torcher assez régulièrement.

- Eh bien, si ça se trouve tu es tombé sur le seul rosbif qui est républicain ! Va savoir ! Tu sais quoi ? Tirons ça au clair ! Je vais l'appeler pour lui proposer de se faire une virée entre beaux-frères. Je vais le faire boire, suffisamment pour qu'il se détende et qu'il n'ait plus un balai dans le cul et ensuite je vais amener la vieille dans la conversation. Je verrais bien ce qu'il en est ! Promis, je te le ramène en un seul morceau, son pull en tweed inclus. Deal ?

L'espace d'un instant, Noah laissa passer quelques brides du petit garçon qui il avait été et qui ne tolérait toujours pas la mort de leur père. Ce fut bref, ce fut même involontaire. Robin n'aurait jamais du l'entendre et le voir, s'il n'avait pas été un poil déconcentré, lancé sur ses pensées comme une locomotive furieuse. Il n'empêcha pas sa soeur de poser sa main sur la sienne. Il resta immobile, raide comme un piquet. Non, les moments comme ceux-là, il avait toujours du mal à les tolérer. Ce n'était même pas une question d'apparaitre comme quelqu'un de fort et de blindé. Il ne savait tout simplement pas comment réagir. Comme avec les nombreuses disputes entre Ana et lui. Que devait-il dire, ou faire pour témoigner de la compassion ? Et faire en sorte que ça soit perçu pour une démarche honnête et non jouée ? Voilà une question qu'il ne se posait jamais quand il tournait. Il devait simuler pour ça, il excellait. Dans la vie de tous les jours, sa hargne, sa colère et son agressivité lui épargnaient d'avoir à gérer tout ce pendant de la psychologie humaine qu'il exécrait. Comme souvent, il changea drastiquement de sujet, amenant la conversation sur quelque chose de bien plus acceptable et agréable : passer du bon temps. Ce qui perturbait légèrement ses plans, c'était que Robin puisse venir avec lui en boite de nuit. Celle-là, il ne l'avait pas vue venir. La belle affaire ! Il n'était pas loin de penser que Robin, avec sa tête de quadra (même si  bien conservée) allait être un boulet s'il cherchait à s'éclipser avec une femme. Et il ne voulait pas l'avoir dans ses pattes pendant qu'il jouait le Don Juan. Il retira sa main et se tourna vers elle. Clairement, dans son regard comme dans son expression, il y avait un jugement clair, net et précis... une forme de dédain, d'arrogance... mélangées avec un soupçon de cynisme. C'était annonciateur de parole pas très gentilles... à la Noah... brutes de décoffrage et sans détour.

- Toi ? En boîte de nuit ? T'auras une réduction avec ta carte vermeil ? Enfin, tu fais comme tu veux, mais ça sera chacun de son côté. Il n'est pas question que je me fasse chaperonner par ma soeur en mal d'animation.

Il aurait pu le dire d'une façon plus diplomate, plus courtoise et élégante. De la même façon, il aurait pu aussi lui proposer de passer une soirée ensemble pour s'amuser un peu. Non, c'était Noah Wade qui parlait. Et sa réputation de connard notoire, il ne valait mieux pas la sous-estimer. Il y avait fort à parier que cette nuit-là en plus, il se retrouve un peu seul, après s'être pris deux ou trois rateaux. Eh oui, les filles n'étaient pas si faciles que ça, en définitive.  Et même s'il se vantait à qui voulait l'entendre de ses conquêtes et de son "palmarès", la réalité restait beaucoup plus dure. Il comptait tout de même plus de soirées en solitaire que de nuits endiablées. Et le fait qu'il soit en couple avec Ana, lui faisait craindre de perdre la main... une réaction très mature, n'est-ce pas ? Il retrouva son sourire, d'une façon absolument lunatique, lorsqu'ils évoquèrent Matt.

- Je m'en voudrais de te le ramener sans son pull en tweed ! Bon, je ne te promets pas qu'il aura encore tous ses neurones. Je ne suis pas sûr qu'il tienne l'alcool, je verrais bien !

Malgré ses remarques sur Matt, Noah aimait plutôt bien son beau-frère. C'était devenu un petit rituel entre eux, de se tancer sur des sujets divers et variés. Après, il ne se mêlait pratiquement jamais des affaires sentimentales des autres. Pour le coup, il restait assez fidèle à ses principes sur ce point. Il détestait qu'on fouille dans sa vie privée, alors il ne l'infligeait pas aux autres. Le plus important, c'était que Robin soit comblée et heureuse, parce que même s'il démontrait à qui le souhaitait, qu'il s'en foutait un peu de sa soeur, il l'aimait quand même. Il ne le disait pas, tout simplement. Il posa ses yeux sur Reese, avec ce petit sentiment de fierté caractéristique des pères face à leur progéniture. Sa fille avait ses yeux. Il fallait espérer que c'était la seule chose qu'il lui avait légué... parce que si elle était comme lui, Noah allait salement souffrir. Un juste retour des choses, cela dit ! L'air de rien, il reprit :

- Tu connais un bon tatoueur toi ? Je voudrais me faire tatouer le visage de Reese sur le bras. J'ai été voir deux salons, le premier était cher, le second le type était trop gentil pour être honnête. Je sortais avec une tatoueuse, avant Ana, mais comme je l'ai ghostée, je doute qu'elle ait envie de me revoir.

Il existait deux choses qui rendait Noah particulièrement désagréable (disons davantage que d'ordinaire) : lorsque l'on parlait des militaires et lorsque l'on tentait de le contrôler/diriger. Ca n'était pas un hasard s'il avait raté sa carrière d'acteur. Il ne supportait pas qu'on lui dise ce qu'il avait à faire, au point qu'à plusieurs reprises par le passé, il s'était disputé avec les réalisateurs, cramant au passage tous ses efforts pour percer dans le milieu. Bourré de paradoxes et de contradictions, il était reconnaissant envers Robin d'être là, et de ne pas avoir coupé les ponts alors qu'elle aurait eu toutes les raisons du monde de le faire. Pourtant, dans ses taquineries, il lui arrivait souvent de taper à des endroits où ça faisait mal... et pour le coup, sans forcément vouloir blesser autant. Son meilleur boucler, c'était l'attaque. Il était comme ça, à vif, au point que tout venait de façon instinctive, sans le moindre filtre... avec les dégâts que ça pouvait supposer. Sous son attitude de connard insensible et sa carrure de montagne, Noah était tiraillé par ses émotions. Elles l'emportaient régulièrement dans un torrent et bien qu'il ait tenté d'y résister, il peinait à s'y confronter. Ana était exactement pareille. Du coup, quand ils se clashaient, ça partait dans les tours en moins de deux. La moindre agression entrainait une réplique, ça criait, ça se disait des choses horribles... et puis comme s'il s'agissait d'un bouton reboot, ça finissait par un pacte de paix provisoire signé dans un endroit plus ou moins solide pour supporter leur passion. Et le lendemain, ou quelques jours plus tard, s'ils avaient de la chance, ça recommençait. La différence avec Robin, c'est qu'elle était sa soeur, et qu'elle avait compris que dans l'histoire ça n'était pas celui qui gueulait le plus fort qui avait le dernier mot. Alors qu'elle lui donna un coup de coude dans les côtes, Noah prit un peu de distance et la fusilla du regard. Il maugréa, acerbe et brut de décoffrage :

- Hé, je t'avais rien demandé moi ! C'est pas ma faute si maman t'a refilé la responsabilité de t'immiscer dans ma vie et que tu l'as écoutée. Tu peux t'en prendre qu'à toi-même, t'avais qu'à lui dire non, c'est tout.

La gratitude, Noah ne l'exprimait que très rarement par les mots... hélas. Mais il lui arrivait de le faire par les gestes, par les attitudes, en silence. C'était le problème quand on ne savait pas maîtriser ses émotions, les exprimer devenait chaotique. Il essaya quand même de glisser un peu de reconnaissance, mais ça ne fut pas de la façon la plus adroite :

- Bon, tu sais... t'as rien raté dans les boites de nuit... c'est bruyant, c'est bling-bling... ce que je voulais dire que c'est que c'est pas ton genre... toi t'es sage. T'es tranquille... t'es plus... bal du samedi soir quoi...

En fait, ce qu'il cherchait à lui dire c'est qu'elle était au dessus de ce genre de milieu. Avec son raffinement et sa classe, elle trouverait largement plus sa place dans un endroit plus chic. Et que même s'il se moquait de son âge, il se disait justement que sa maturité risquait de détonner avec l'ambiance d'une boite de nuit. Le meilleur moyen de se sortir de ce bourbier dans lequel il avait sauté à pieds joints comme un idiot, c'était de parler de Matthew, son beau frère. Et si son visage s'était renfrogné quelques instants plus tôt, là, il laissa un rire bruyant s'échapper.

- Tu sais quoi, quasi sûr aussi que ça serait lui qui me ramènerait.

Il reconnaissait volontiers qu'il perdait le contrôle en soirée. Noah ne savait pas faire la fête et s'amuser à moitié. Il plongeait, tête la première dans les excès. Même s'il s'était un peu calmé, le naturel finissait toujours par revenir. Il ne se freinait pas. A l'inverse, Matt était beaucoup plus mâture et sérieux. Donc l'idée que ça soit lui qui le ramène à la maison, n'était pas incongrue, loin de là !

- Après, ça me va, finalement. Je préfère que ça soit lui qui aient les souvenirs de la soirée, plutôt que moi.

Et puis comme ils se mirent à parler de la tatoueuse, Noah marqua un petit moment de silence. Maja, non le prénom ne correspondait pas. Tant mieux... parce que d'apprendre que potentiellement, ils auraient pu sortir avec la même nana, pour le coup ça ne l'aurait pas amusé du tout... question de... principe et de... fierté. Il fut donc soulagé quand elle lui donna son prénom.

- Je ne savais pas que tu étais sorti avec une tatoueuse, t'en as jamais parlé. Ou alors, je n'ai pas écouté... c'est possible aussi... Bref... donc ouais ok, je veux bien son adresse. Elle est comment ? Cool ? Elle est douée ?

Même quand il ne pensait pas à mal et qu'il ne voulait pas blesser les gens, Noah avait tendance à s'y prendre comme un manche... Le tact, il ne connaissait pas. C'était quand même un drôle de concept à ses yeux. Pourtant, il aurait quand même bien aimé le maîtriser un peu. Au moins pour ne pas signifier à Robin qu'elle était davantage à sa place dans un truc plan-plan, de vieux. Parce qu'il ne le pensait pas. Au contraire, il avait toujours pointé du doigt le fait qu'elle acceptait de se sacrifier au nom de son droit d'aînesse au lieux de se faire plaisir. Certes, c'était contradictoire avant toutes les frasques qu'il avait faites pour lui pourrir la vie. Noah était, de toute façon, très difficile à suivre. Il était marqué par des attitudes et des réflexions antagonistes que personne ne parvenait à comprendre, pas même lui. Il était capable de désirer quelque chose et la seconde d'après de la détester. Il pouvait défendre une cause et en même temps la desservir. C'était calamiteux. Un jour, peut-être qu'il se pencherait sur la question pour essayer de trouver l'origine de ce comportement. Ou pas... parce que finalement, il le vivait très bien et que ça lui réussissait pour le moment. Broadway et sa taversée du désert ? Il n'y pensait même plus maintenant que sa carrière repartait doucement. D'ailleurs, comme il était dans une spirale vertueuse, il estimait que les échecs passés n'étaient que des bruits de couloir. Question de fierté personnelle, il fallait qu'il occulte ses failles pour apparaitre comme un type parfait. Certes, ça lui donnait surtout l'image d'un fieffé connard imbu de lui-même mais dans la mesure où ça lui convenait... après tout... Il tenta quand même se rattraper et cela fut plutôt drôle, puisqu'il semblait embarrassé, ce qui, soyons honnête, n'arrivait pratiquement jamais et demeurait donc jubilatoire.

- Je voulais dire que c'est pas le genre d'endroit où je t'imagine... parce que c'est un lieu un peu... vulgaire ? Je ne suis pas sûr que ça soit fait pour toi... enfin bref, laisse tomber. Si tu veux essayer, t'as entièrement raison, après tout... Oublie ce que j'ai dit.

Il éluda le propos d'un signe agacé de la main, comme toujours. Il resta silencieux sur le fait que Robin admette qu'elle n'ait jamais parlé de son ex, Maya. Il n'avait rien à y ajouter. Il respectait totalement qu'elle n'ait pas évoqué son nom ou leur histoire. Si elle l'avait fait, Noah n'aurait de toute façon pas vraiment écoutée car ça ne l'intéressait que rarement. Il n'avait jamais mis son grain de sel dans les histoires de ses soeurs. Avec Robin et Celeste, s'il lui arrivait de taquiner sur leur partenaire, comme il le faisait par exemple avec Matt, ça n'allait pas plus loin. Et ça faisait partie du package, surtout. Noah n'aurait pas été lui-même sans avoir ce côté emmerdeur et provocateur. Avec Lou, peut-être avait-il été un peu plus "protecteur", dans le sens où il avait tâché de répondre à ses questions, à la conseiller quand elle en avait eu besoin... mal, souvent, mais bon, l'intention y était ! Lane, lui, avait eu droit à un autre traitement. Noah s'était toujours amusé à le malmener quant à sa vie amoureuse. La poupée gonflable qui lui offrit lors d'un Noël passé en famille avait marqué les esprits. Il poussait son petit frère à se faire plaisir et à ne pas se mettre de limite. A faire comme lui. Mais tout le monde ne voulait pas être Noah Wade et HEUREUSEMENT ! Ca évitait de plomber le piètre score de la gent masculine. Si l'on exceptait Lane, il ne tentait pas vraiment de s'immiscer dans la vie amoureuse de sa famille. Sauf si on le lui demandait et encore, il fallait qu'il soit bien luné. Lorsque sa soeur interrompit le silence pesant qui s'était installé en suggérant qu'ils aillent à l'aire de jeu, Noah se leva promptement et déterminé, il répondit :

- Ok, allons-y !

Ni une, ni deux, il ouvrit la marche. Tout ce qui pouvait l'éloigner de ce banc et de cette conversation, il prenait volontiers.

- Elles sont un peu petites pour s'amuser toutes seules, mais on pourrait faire un peu de "tape-cul" ? J'ai apporté le machin là... tu sais, pour la porter à l'avant...

Il fouilla dans le panier de la poussette pour en sortir le porte-bébé.  Il s'interrompit dans son geste quand une jeune femme passa devant eux. Un silence. Un regard dérangeant sur sa silhouette qui s'éloignait tranquillement. Il passa une main dans ses cheveux, geste dicté par son subconscient, dès qu'il avait envie de séduire. Noah reprit le fil de ce qu'il faisait, sans même prêter attention à ce qu'il venait de faire, il en avait tellement l'habitude... En arrivant à l'aire de jeux, un sourire amusé se dessina sur ses lèvres.

- Tu te souviens la fois que maman avait voulu nous suivre sur le toboggan ? Elle ne s'était pas bien rattrapé et elle avait fini les fesses par terre... c'était drôle. Lou adorait la balançoire, Lane un peu moins.

Et pour cause... Noah avait souvent exagéré sur le mouvement, quand sa mère avait le dos tourné, au point qu'une fois, son frère avait été projeté au sol... une attitude pas franchement glorieuse, mais la jalousie rendait parfois très con. Et quand on l'était déjà pas mal, àa la base, ça ne pouvait pas faire autre chose que des étincelles...

- Oui, j'aime bien, je trouve que ça me va bien, d'ailleurs, même si je n'ai pas besoin d'un accessoire pour avoir la classe. Il n'empêche que c'est bien pratique, le mien se règle pour pouvoir suivre sa croissance, c'est bien pensé. Reese aime bien, même si elle préfèrerait que je le porte sans t-shirt pour pouvoir continuer son projet de m'épiler le torse intégralement... Qui sait, peut-être que plus tard, elle voudra être esthéticienne ?

C'était étrange de le voir adopter un sourire tendre, lui qui d'ordinaire ressemblait à une porte de prison et ne laisse filtrer que peu d'émotions positives. Reese changeait sa vie et sans qu'il n'y prête vraiment attention, elle le changeait lui aussi, bien plus qu'Ana n'avait pu le faire, même si elle avait quand même eu beaucoup de mérite. Après tout, il fallait le supporter au quotidien, suffisamment pour rester avec lui. Bon, Noah, dans sa mauvaise foi, disait volontiers qu'il n'avait jamais forcé personne à rester. Si elle avait voulu le quitter, la porte était grande ouverte. C'était sans dire, évidemment, qu'il était allé emmenager chez elle parce qu'il avait cassé la figure de son ancien proprio... Au quotidien, leur couple n'était pas banal. Ils s'écharpaient autant qu'ils parvenaient à se retrouver. Les voisins en étaient d'ailleurs bien blasés. Il ne venaient pas se plaindre pour autant, ayant déjà fait les frais du côté chaleureux d'un Noah mal-luné, c'est à dire au naturel. L'amabilité ne l'étouffait pas, clairement. Il restait une énigme dans la famille Wade, parce ses soeurs et son frère, sans se ressembler, étaient des gens plutôt agréables à cotoyer ou à vivre. Il fallait bien un vilain petit canard pour mettre de l'ambiance, non ? Ils s'approchèrent de l'aire de jeux et alors que Robin s'occupait de Harper, Noah s'équipa de son porte-bébé et le fixa pour y placer Reese. Il s'apprêtait à faire un retour en enfance, ce à quoi il n'était clairement pas habitué. Son âme de gosse, il l'avait mise au placard depuis bien longtemps. Même sur les plateaux de tournages, il produisait assez peu de bloopers, ça n'était pas trop son truc. Ses rares amis savaient qu'il n'était pas forcément fun, même avec plusieurs grammes dans le sang. Au contraire, l'alcool ne faisait que décupler son sale caractère et son côté bagarreur. Depuis son retour au bercail, partagé entre la honte et la vexation de ne pas avoir réussi à briller à Broadway, il avait quand même mis de l'eau dans son vin. Il se calmait, à mesure que le temps passait et la présence de sa fille, si elle n'enlevait rien à son insupportable côté "queutard", le rendait plus... humain. C'était un bon début, non ? Il soupira quand Robin évoqua le passé et plus particulièrement cette fois où Lane avait joué les ramasseurs d'ustensiles à junkies.

- Ne m’en parle pas… le temps passe vite. Et je n’ai tellement pas envie de le voir défiler... Lane avait toujours tendance à fouiller à des endroits incongrus. Il avait trouvé une montre une fois, près d’un arbre. C’est une fouine. Dommage qu’il ait jamais déniché des nanas. Ou des mecs, whatever. Il a toujours été un peu trop coincé. Maman avait moyennement apprécié que je lui dise que la montre cachait un esprit mauvais qui le dévorerait dans son sommeil... n'empêche, avec l'argent que j'ai récupéré en la vendant à un type louche, j'ai pu m'acheter un livre sur le théâtre. J'apprendrais ça, à Reese, à ne jamais laisser passer une occasion. Maman l'aurait gentiment amenée au commissariat cette montre. Et si Lane avait pas moufté, j'aurais pas été puni... quelle balance celui-là, je te jure !

Noah n'avait pas été tendre avec Lane. Son petit frère, il l'avait jalousé, au point de lui faire souvent la misère. Il s'amusait à se cacher dans le noir pour lui faire peur, il n'avait pas retenu les coups quand les autres avaient le dos tourné. Une attitude qu'il ne regrettait pas, parce que ça n'était pas son genre. Avec le temps, les années, il avait toutefois pu se rattraper de temps en temps. Rien de miraculeux non plus, entendons-nous bien. Mais suffisamment pour ne plus être cette petite ordure capricieuse qu'il avait été gamin. C'était aussi pour ça qu'il évitait de replonger dans son enfance. Il n'était pas très fier de ce qu'il avait pu faire ou dire. Peut-être, s'il devait rembobiner la bande, qu'il aurait d'ailleurs évité de blesser sa famille. Parce qu'il se rendait compte qu'il était très attachée à elle, quand bien même le démontrait-il très rarement !

- Si tu veux mon avis, c'est même certain que nous allons connaître. Ce monde est tellement merdique... rien ne s'y arrange vraiment, tout s'aggrave... Enfin, bref, j'apprendrais à Reese à trouver des trucs qui ont de la valeur. Je lui prendrais un chien pour l'aider.

Impossible de dire s'il plaisantait ou s'il était sérieux. Il ne s'attarda pas davantage. Noah avait un projet certain pour sa fille : ne pas la laisser se faire marcher sur les pieds. Et s'il advenait qu'elle ait un frère ou une soeur, il refusait catégoriquement de lui faire porter les responsabilités dont avait hérité Robin. Sa princesse sera bad ass, libre, grande gueule et elle ferait des ravages. Une façon de voir les choses très étonnante, quand on savait la façon dont il se comportait avec les femmes. Comme quoi, il démontrait encore une fois combien il était bourré de contradictions. Ils commencèrent à se projeter doucement.

- Ouais, si tu le dis… Il est possible que Reese ne soit pas toute seule, je n'en sais trop rien...

Il était fort probable qu’il ait laissé quelques marmots dans la nature. C'était la première fois qu'il l'évoquait de façon aussi directe. Il avait recroisé deux ex, avec des enfants en bas âge, alors le doute était permis... et puis bon, s'il avait pris ses précautions, le sujet ne serait pas à l'ordre du jour.

- Je suis sûr que Reese et Harper vont bien s'entendre. Vu qu'elle a hérité de la moitié d'Ana, elle sera moins con que son père, non ?

Il eut un demi-sourire en la regardant blottie contre lui. Il n'avait toujours attendu de la vie que la gloire, la notoriété, les projecteurs... la venue au monde de sa fille fut une surprise, et lui qui avait horreur de ça, il s'en trouvait apaisé, heureux, sur un petit nuage.

- Je crois qu'on a intérêt à se méfier. Elles seront redoutables toutes les deux, si elles team up ! Matthew et toi, vous voulez d'autres enfants ? Perso, j'avais pensé faire une vasectomie, mais je ne sais pas trop. Je n'en ai pas parlé à Ana pour le moment. D'un côté, je pense que je serais tranquille comme ça. D'un autre, si un jour nous en voulons un autre...