this rollercoaster's a carousel and i'm getting nowhere → charli

Les choses s’étant goupillées à la perfection, voilà Iggy prête pour son rencard. Et maintenant qu’elle y était, cette perspective l’enthousiasmait un peu plus. Sans doute parce que, comme dit le soir-même, elles faisaient ça entre mère et fille. Et qu’il s’agisse d’une blague ou non, Iggy s’était fait un devoir de leur trouver des oreillettes. Indétectables, lui avait certifié la personne qui les lui avait données mais maintenant qu’elle était en train de s’en équiper, elle n’en était pas si sûre. Une chance qu’elle ait de longs cheveux pour mieux dissimuler ses oreilles sinon ça serait carrément visible, d’après elle. Bref, tout ça pour dire qu’elle avait pris les choses au sérieux. Enfin, au moins un peu en tout cas puisqu’elle avait fait l’effort de se choisir un tailleur plutôt que ses éternelles jeans troués et crop tops lui donnant l’air de sortir tout droit des années 90. Sans toutefois aller jusqu’à lui donner des airs de working girl – pas de talons mais des baskets - non plus parce que s’il est vrai qu’elle s’apprêtait à jouer le rôle d’une patronne de boîte de nuit, il ne s’agissait pas que d’un rôle de composition non plus et il fallait qu’elle veille à rester un peu elle-même quand même. Puis, soucieuse de faire savoir à ce type que c’était elle qui avait les cartes en mains, elle avait également choisi un établissement à mi-chemin entre le bar et le restaurant. Pas un truc gastronomique mais pas un fast-food non plus parce que, quitte à se faire inviter, autant que ça en vaille quand même un minimum la peine. Une fois prête, elle rejoignit sa fille dans le hall d’entrée et lui tendit son oreillette.
« T’as vu, on pourrait presque se prendre pour de vraies espionnes. »
Et la laissa s’équiper à son tour et tester les réglages tandis qu’elle ajoutait :
« Je t’ai réservé une table dans le même resto, des fois que tu n’aurais pas dîné non plus. »
Comme quoi, parfois le rôle de maman prévoyante pouvait bien lui aller… Suite à quoi elle récupéra son sac et ses clefs sur la console de l’entrée et ouvrit la porte, désignant son Harley laissée dans l’allée un peu plus tôt dans la journée.
« Prête ? »
Peut-être bien qu’elle aurait dû prendre la voiture mais Iggy ne comptait pas rentrer à la villa avec cet homme ce soir de toute façon. Aussi progressiste qu’elle puisse être à bien des égards, elle avait tendance à se montrer un peu vieux jeu sur ce point précis : rien avant le troisième rendez-vous au moins. A moins qu’il ne s’agisse de l’homme de sa vie, là, c’était différent.

La première chose que sa fille chercha à savoir, c’est si ça serait elle qui payerait la note. Etant donné qu’elle ne lui laissait pas vraiment le choix, en lui ayant réservé une table dans le même restaurant, elle estima que c’était assez malin de sa part de s’en assurer au préalable et en ressentit même une pointe de fierté.
« En fait, je connais le patron et… Je déconne. Oui, c’est moi qui régale. »
Iggy essayait toujours de dépenser le moins possible mais y avait des fois où elle ne pouvait pas vraiment faire autrement. Et c’était en l’occurrence une de ces fois. Ça ne la dérangeait pas outre mesure parce qu’il fallait bien que tout cet argent durement gagné – bien que pas du tout au sens où on l’entendait communément – serve à quelque chose. Ça la dérangeait même encore moins si c’était pour Charli, d’ailleurs. Elle acquiesça quand sa fille lui demanda si elle l’emmenait. Bien sûr, elle n’allait pas la laisser prendre les transports en commun ou sa jolie petite bicyclette alors qu’il y avait une deuxième place sur la Harley. Elle lui tendit d’ailleurs son casque avant de se mettre en selle et fonça en direction du centre-ville. Enfin, façon de parler puisqu’elle faisait quand même attention à sa conduite lorsqu’elle avait des passagers à bord. Puis, mère et fille s’arrêtèrent à quelques mètres du point de rendez-vous. Comme convenu. Iggy ne voyait pas vraiment le problème à ce qu’on les voit arriver ensemble mais elle avait l’impression que ça faisait partie du plan échafaudé pour ce soir, aussi s’y soumettait-elle de bonne grâce. Puis elle pouffa d’un air désinvolte en entendant le conseil de Charli.
« Bien sûr, tu me connais ! »
Hormis quelques exceptions dans sa vie très privée ou alors au travail, Iggy n’était pas vraiment quelqu’un de stressé. Très consciente du fait que tout le monde, absolument tout le monde – mais surtout les hommes, quand même - finissait par lui manger dans la main si elle en avait décidé ainsi, ça facilitait grandement à peu près tout. Puis elle opina à nouveau pour marquer son accord quand elle apprit que, dans un premier temps en tout cas, Charli ne ferait qu’écouter sans intervenir, histoire de laisser une chance à cet homme quand même.
« On se revoit tout à l’heure ! Puis on reste en contact de toute façon. »
Là-dessus, elles se séparèrent et Iggy reprit la route vers le resto. Où le type l’attendait déjà devant la porte. Bon point pour lui, mieux vaut toujours être la personne qui fait attendre que celle qui poireaute bêtement. Elle lui lança un sourire éblouissant le temps de descendre de moto tandis que lui la reluquait sans gêne apparente. Bon, on n’ira pas jusqu’à dire qu’elle n’en avait pas l’habitude, mais le bon point de tout à l’heure venait tout juste de lui être retiré.

Regardant cet homme sans vraiment le voir, Iggy le suivit à l’intérieur du restaurant et le laissa gérer ; les hommes étaient tous les mêmes, ils aimaient avoir l’impression de tenir les rênes. Même si ce n’était qu’une impression. L’hôtesse d’accueil les installa à une table et Iggy prit place sur un tabouret face à son date. Et ce n’est qu’au moment où la voix de Charli se fit entendre dans l’oreillette qu’elle vérifia ses dires. C’est vrai qu’il n’était pas moche. Dans le sens où ses photos n’avaient pas été retouchées au point de ne pas le reconnaître. Ce qui était appréciable : elle avait horreur des mecs qui en faisaient trop. Pareil pour ceux qui avaient peur de se salir. Soit les trois quarts des hommes avec qui elle avait été mariée au bas mot. De là à dire qu’elle se voyait faire sa vie avec, peut-être pas. Mais ce n’était pas ce qu’on lui demandait, de toute manière. Ce qu’on lui demandait, c’était de se décontracter, ce qu’elle fit tandis que la conversation s’engageait. Tournant autour d’elle pour le moment : ses passions en dehors de la musique – parce qu’il fallait aimer ça pour se lancer dans ce business, sans doute -, si ce n’était pas trop de travail de gérer une boîte de nuit et ainsi de suite. Et Iggy répondait avec une aisance qui en ferait pâlir plus d’un pour quelqu’un qui n’y connaissait strictement rien. A la remarque de Charli, elle supposa que non, en effet, mais que le sujet tournait quand même beaucoup autour de son travail. Rien d’étonnant, cela dit, les gens étaient formatés pour n’avoir que ce sujet à la bouche ou presque. D’ailleurs, elle apprit que de son côté, ce type – Kyle -, bossait dans la finance. Ce qui pouvait absolument tout et rien vouloir dire – elle aussi pouvait le prétendre. Elle fit mine d’être intéressée alors qu’elle s’en fichait pas mal. Au cas où vous ne l’auriez pas encore compris, Iggy n’était formatée par rien ni personne en ce qui la concernait. Bref, à la proposition suivante, elle prit conscience qu’elle était encore une fois en train de jouer un rôle. Ça, c’était pas la vraie Iggy mais elle allait pouvoir la laisser s’exprimer un peu avec le sujet suivant.
« Et donc, t’aimes bien les jeux vidéo ? »
Ça lui paraissait indispensable si elle voulait ne serait-ce qu’envisager un possible futur avec lui. C’est qu’elle se rappelait toutes ces soirées où ils jouaient ensemble avec Sunny et qui se terminaient de deux manières possibles : soit elle tirait la tête parce que ses ruses ne fonctionnaient pas, soit personne ne tirait la tête, bien au contraire. Sunny était bon perdant, c’était l’avantage. Kyle lui parla vaguement de Call of Duty – RED FLAG, RED FLAG -, avant de revenir à son club… Décevant et Iggy le laissa comprendre d’un soupir de lassitude. Une chance qu’elle ait choisi le restaurant puisque c’est avec un plaisir inhabituel qu’elle vit son plat arriver.

Heureusement pour Iggy qu’elle était très douée pour jouer la comédie parce que sinon, elle laisserait transparaître que tout ça l’amusait beaucoup. La situation plus que le date, en fait. Elle ne le trouvait pas très drôle, Kyle. Ni même intéressant. Mais les remarques de sa fille dans l’oreillette la faisaient rire, elles. Intérieurement, en tout cas. L’imaginer parler toute seule aussi. Mais en jetant un coup d’œil alentours, on se rendait compte que les gens présents étaient tous très occupés à discuter entre eux alors y avait pas de raison pour que ça attire l’attention. En toute honnêteté, elle espérait bien que ce type n’était pas sourd et qu’il l’avait entendue soupirer ; peut-être qu’il comprendrait ainsi qu’il était sur la sellette et que s’il ne changeait pas rapidement de tactique, elle risquait fort de le nexter. Peut-être même avant la fin de la soirée. Par chance, c’est à ce moment-là que les plats arrivèrent et que la conversation se tarit tout naturellement. De toute manière, c’était pas forcément un mal pour Iggy qui comprenait mieux que jamais le proverbe « sois belle et tais-toi » et trouvait qu’il s’appliquait tout aussi bien à certains hommes. Elle piquait donc dans ses frites et ses crudités tout en profitant du silence quand la voix de Charli se fit de nouveau entendre. L’idée était tentante mais elle serait gentille, puisqu’elle avait décidé de jouer le jeu. Au moins pour la soirée. Parce qu’elle doutait sincèrement qu’il y ait un second date. En tout cas avec cet homme-là. Peut-être avec un autre, avec qui elle s’entendrait mieux. C’était possible, même en partant défaitiste. Subtilement, puisqu’elle avait l’accord de Charli, Iggy revint sur le sujet des jeux vidéo en le raillant un peu quant à l’âge moyen des joueurs de Call of Duty. Voyant qu’il prenait ses piques à la rigolade – bien que, comme toute moquerie, c’était quand même un peu teinté de vérité -, elle poursuivit sur ce sujet, expliquant qu’elle aimait les jeux multijoueurs et qu’elle jouait pas mal à Sons of the Forest en ce moment. Enfin, jouer était un bien grand mot puisqu’elle s’amusait surtout à dégommer les cabanes et autres constructions à peine finies de ses teammates pour les entendre râler. Tout en feignant d’être super loin et en prétendant de n’y avoir jamais touché, bien sûr. Kyle hochait la tête régulièrement comme quelqu’un qui fait semblant d’écouter et elle était certaine que si elle lui posait ne serait-ce qu’une seule question sur ce qu’elle venait de dire, il serait bien incapable d’y répondre. Aussi décida-t-elle de jouer son jeu et de revenir sur son club puisque c’était manifestement tout ce qui semblait l’intéresser pour allez savoir quelle raison.
« Et sinon, j’ai un super DJ résident en ce moment dans ma boîte. »
Et Kyle se montra subitement très enthousiaste face à cette révélation. Et lui demanda si, après le dîner, ils ne pourraient pas aller y faire un tour. A son sourire assuré, personne n’aurait pu se douter qu’Iggy était dans la merde. Encore moins quand elle répondit que oui, pourquoi pas ? Elle aurait pu prétexter que c’était le jour de fermeture, mais un week-end ? Pas possible. Ou encore qu’il y avait des travaux mais bon, pourquoi pas en effet ? Voilà qui pimenterait un peu la soirée. Attrapant son téléphone, Iggy envoya un SMS à sa fille pour lui demander d’essayer de trouver l’adresse d’un club assez branché pour être convaincant mais où la sécurité ne serait pas trop regardante pour les laisser faire comme si dans un certain quartier de la capitale. Elle se chargerait du reste.

Si son date n’avait rien d’amusant jusque-là, peut-être bien que les choses allaient changer d’ici peu. Le challenge de trouver un club où elle pourrait jouer la patronne rendait tout ça bien plus drôle et intéressant. Ce que ne devait sans doute pas penser Charli puisqu’au son de sa voix, elle avait l’air plus embêtée qu’autre chose. Evidemment que non, sa fille n’avait pas le moindre contact dans ce milieu, c’était Iggy qui les avait, les contacts, mais pour une fois – et aussi parce qu’elle n’avait pas tellement le choix si elle voulait qu’elle reste dans l’ignorance -, elle préférait faire sans. Ne serait-ce que pour se tester un peu. En soi, elle pouvait comprendre que ce qu’elle était en train de lui demander pouvait paraître insurmontable mais pas tant que ça, en fait. Elle demandait juste que Charli lui trouve une boîte pouvant correspondre à certains critères. Autrement dit de faire une recherche sur Google. Ou même dans ses souvenirs puisque, et c’était surtout là qu’on se rendait compte que les chiens ne faisaient pas des chats, sa fille était du genre à sortir beaucoup, elle aussi. Juste pas dans les mêmes endroits parce que pas fan de la même musique, voilà tout. Bref, si Charli a l’air un peu emmerdée par la tournure que venait de prendre les évènements, elle ne refusa quand même pas et ça, c’était déjà bon signe. Dire qu’elle bossait dans un bureau… Ç’aurait été d’un banal… Sans vouloir offenser qui que ce soit, y avait des tas de gens capables de faire ça tous les jours et c’était tant mieux pour eux, mais Iggy n’en faisait pas partie. Et puisqu’il fallait que ça lui ressemble quand même un peu même si tout ça n’était effectivement que du vent. Au bout de quelques minutes où Iggy se concentra principalement sur son plat, la voix de sa fille lui demanda quelques précisions concernant cet homme qui lui faisait face et elle se rendit compte qu’en dehors des questions soumises par Charli, elle n’en avait pas posé beaucoup depuis le début. Il ne l’intéressait pas, c’était comme ça. Feignant que ça ne sortait pas de nulle part, elle demanda donc :
« Alors comme ça, t’es plutôt bon danseur ? »
Parce qu’elle oui. Enfin, disons qu’elle avait surtout beaucoup dansé avec qui ? Je vous le donne en mille, avec Sunny, oui. Et que, comme beaucoup d’autres choses, c’était avec lui qu’elle aimait le faire mais je crois qu’à ce stade, vous avez compris. Et puis fallait voir ça comme un bon indicateur : elle savait que ça n’irait pas jusque-là avec Kyle – à moins d’un miracle -, mais quelqu’un qui savait se déhancher était généralement plutôt bon au lit aussi. C’était déjà ça de pris. Mais si elle avait eu ne serait-ce qu’un tout petit peu d’espoir de ce côté-là, celui-ci s’évanouit d’un coup d’un seul quand elle s’entendit répondre :
« J’adore ça, mais j’ai pas vraiment le sens du rythme. »
Ah. Voilà qui réglait donc la question. Et qui aidait sûrement Charli à trouver le club parfait.

Bon ben Iggy était ravie d’apprendre qu’au moins une des deux passait une bonne soirée. Ce qui était quand même un peu exagéré parce que même si elle n’appréciait pas beaucoup la compagnie de son date pour le moment – et qu’elle ne s’attendait pas à l’apprécier plus tard non plus parce que dans un cas comme celui-ci, mieux valait partir défaitiste ; si la soirée prenait une tournure différente, ça ne pourrait être qu’une bonne surprise -, elle n’avait pas envie de fuir non plus. Ce qui fait qu’elle devait forcément y trouver son compte quelque part si on pensait au fait qu’elle avait passé sa vie à fuir à peu près tout. Sauf Sunny. Bref. Non, au fond, elle trouvait ça rigolo de juger ce pauvre type qui avait seulement l’air de s’intéresser à son prétendu business. Pas même à son argent puisqu’il n’avait pratiquement posé aucune question concernant sa vie privée. Uniquement son club. Vraiment bizarre. Peut-être la voyait-il comme une carriériste et en était-il du coup arrivé à la conclusion que c’était le moyen le plus sûr pour lui plaire. Et là, il se fichait le doigt dans l’œil jusqu’au coude, mais il ne pouvait pas le savoir, c’est sûr. Tout ça pour dire qu’en d’autres circonstances, elle se serait réjouie d’apprendre que sa fille parvenait à pécho de son côté mais que puisqu’elle était là surtout pour elle, ça lui plaisait à moitié de se dire qu’à tout instant, Charli pouvait la planter là pour faire plus ample connaissance avec elle ne savait trop qui. Heureusement, elle lui assura que non en lui faisant savoir qu’elle restait focus sur sa mission. Bon à savoir. Et même qu’elle avait peut-être trouvé l’endroit idéal. A la bonne heure ! En tout cas, c’est ce qui vint en tête à Iggy en entendant la nouvelle mais elle déchanta ensuite un petit peu : d’abord il fallait faire traîner jusqu’au dessert et ensuite, c’était pas un club où on dansait. Ah bon ? Mais quel intérêt, alors ? Faudrait qu’on lui explique… Mais plus tard. Pour l’instant, elle était trop occupée à faire passer le rire qui lui était naturellement venu à l’évocation de la battle de danse pour une réaction à quelque chose que Kyle aurait pu dire avant de demander :
« On se commande une part de cheesecake puis on y va ? »
Autant ne pas faire trop traîner non plus. Même si pour ce faire, elle est obligée de presser Kyle qui n’en avait toujours pas fini avec son plat et qui le regarda alors avec étonnement. Ceci dit, ça n’a pas non plus l’air de lui déplaire. D’ailleurs, c’est à ce moment-là qu’il mit les bouchées doubles et Iggy pria intérieurement pour qu’il ne lui vomisse pas sur l’épaule une fois qu’ils prendraient la route jusqu’au club. C’est qu’elle n’avait pas non plus l’intention de conduire comme une mamie juste pour ses beaux yeux. Parce qu’il fallait au moins lui reconnaître ça, il avait de beaux yeux. Soit, sur ce temps, Iggy reprit son portable en main pour demander à Charli de lui envoyer l’adresse.

De bonnes choses, hein… Iggy se demanda rapidement si sa fille était en train de parler de son plat ou d’autre chose qui serait probablement tout aussi appétissant. En fait, c’était sûr, sinon elle aurait parlé de plats. Peut-être qu’Iggy s’en voudrait plus tard d’avoir monopolisé la soirée de Charli mais pour l’instant pas trop. Faut dire que cette soirée était leur idée à toutes les deux alors il était pas vraiment question que sa fille la laisse en plan au beau milieu si elle pouvait l’en empêcher. D’autant qu’elle pouvait carrément demander son numéro à la personne qui lui avait tapé dans l’œil et l’appeler plus tard. Ça serait en plus vu comme une preuve d’audace de sa part qui pourrait carrément plaire. Ce dont elle la remercierait aussi plus tard. Peut-être. Quoi qu’il en soit, quand Charli lui demanda si elle aurait aussi besoin d’elle là-bas, Iggy prit son air le plus enthousiaste et expliqua à Kyle :
« Il faut que je te présente mon assistante, elle devrait être là ce soir. C’est quelqu’un d’adorable. »
L’assistante en question n’étant autre que sa fille, bien entendu. D’ailleurs elle espérait qu’elle comprendrait que c’était d’elle qu’elle était en train de parler. Plus qu’un seul problème à régler : comment Charli allait-elle rejoindre le club ? Bien sûr, elle pouvait se débrouiller par elle-même parce qu’au fond, elle n’avait pas souvent eu besoin de jouer les taxis pour elle, mais y avait quand même peut-être moyen de faire autrement… Zieutant les gens alentours, Iggy fit alors mine de reconnaître quelqu’un parmi eux. Et pour cause, il ne s’agissait de personne d’autre que sa fille.
« Ça alors incroyable, elle est là ! Youhou, Charli ! »
Se levant à moitié, voilà qu’elle lui adresse de grands signes comme pour capter son attention. Un peu perdu, Kyle tourna la tête de la direction indiquée, sûrement pour voir si elle disait juste, mais n’eut pas l’air plus réactif que ça. Iggy termina de se mettre debout et rejoignit la table de sa fille qu’elle prit brièvement dans ses bras comme pour la saluer mais surtout pour lui glisser à l’oreille :
« Tu viens avec, je préfère que ce soit toi ma passagère. »
Elle remarqua ensuite que Kyle s’était levé à son tour pour les rejoindre – après avoir laissé de quoi payer l’addition puisqu’Iggy n’en avait rien fait -, et elle s’écarta un peu pour faire rapidement les « présentations ».
« Toi aussi t’es venue manger un morceau avant de prendre la direction du club ? On s’apprêtait à faire de même. Je t’embarque si tu veux, Kyle n’aura qu’à nous suivre avec sa voiture. Pas vrai, Kyle ? »
Et Kyle acquiesça d’un mouvement de tête. Brave gars.

C’est sûrement tout sauf une surprise pour tout le monde – à l’exception du principal concerné bien sûr parce que sinon, ça ne serait pas marrant -, mais Iggy était soulagée de se retrouver avec sa fille pendant que ce très cher Kyle était parti chercher sa voiture. Quant à la remarque de Charli, elle la laissa rêveuse quelques instants. Qui ne s’éternisèrent pourtant pas puisqu’au bout de quelques secondes à peine, elle finit par faire la grimace.
« Mauvaise idée. Qui de vraiment censé voudrait sortir avec une actrice ? Le job de ces gens, c’est de mentir et une bonne relation se fonde sur la confiance qu’on peut faire à l’autre. »
Ce qui était pas mal culotté de sa part étant donné qu’elle avait caché l’existence de sa propre fille – et bien d’autres choses encore mais quand on se penche un peu plus sur la question, on se rend compte que, malgré tout, ça reste quand même lui qui la connaît le mieux – à son ex-mari, mais c’était une longue histoire et même si aujourd’hui elle regrettait un peu de ne pas en avoir parlé plus tôt parce que si elle l’avait fait, peut-être bien qu’elle ne serait pas divorcée maintenant, elle savait aussi que ce choix avait également quelque chose de thérapeutique pour elle : si elle n’en parlait pas, elle pouvait continuer de croire que cet épisode de sa vie n’avait été qu’un mauvais rêve. Soit. On n’allait pas constamment revenir sur ses erreurs passées ; Iggy savait parfaitement qu’elle en avait fait même si ses raisons n’étaient pas forcément mauvaises et elle était aussi très consciente de ce que ça lui avait coûté donc inutile de revenir là-dessus. Autant se focaliser sur le moment présent. Et sur sa stratégie pour le reste de la soirée. Ce qu’elle fit tandis que, profitant d’un feu rouge, Charli lui demandait de la mettre au diapason.
« Je vais lui faire visiter le fameux club que je ne connais pas et une fois que ça sera fait, je rentre. Maintenant qu’il te connaît plus ou moins, ça sera bien plus simple de trouver un prétexte pour me défiler des fois qu’il me propose d’aller chez lui prendre un dernier verre. Ou pire : chez moi. Enfin, je veux dire chez nous. »
Ça risquait fort d’être marrant parce que l’une comme l’autre n’avait jamais mis les pieds dans cet endroit et puis sa fille n’avait peut-être pas forcément hérité de son talent pour la comédie – ce qu’elle espérait au fond parce que même si c’était vraiment très pratique pour s’en sortir dans la vie, c’était quand même pas fort reluisant non plus -, mais Iggy se faisait confiance : comme toujours, elle parviendrait à berner tout le monde, peut-être même les gens qui travaillaient véritablement là.