touchdown → andrea

Bien que parler de vélo est quelque chose qui me plaît, je ne voudrais pas paraître impolie et monopoliser la jeune femme, surtout si elle doit partir. De ce que j’ai pu comprendre, elle était ici pour une mission bien particulière et maintenant qu’elle est terminée, il n’y a plus rien qui la retient ici. Enfin ça, c’est ce que je pensais – et ce qu’elle semblait penser aussi. Mais voilà que sa collègue lui demande quelque chose en plus. « Méfiez-vous, bientôt elle va vous envoyer faire ses courses. » Dis-je, sur le ton de la plaisanterie. Des fois, quand on est trop gentil, les gens ont tendance à en profiter. Avec elle, je ne sais pas trop, elle n’a pas l’air du genre à se laisser marcher sur les pieds, mais je suppose qu’il est toujours bon de prévenir les choses. « Je n’y connais pas grand-chose, mais il me semble qu’il y a des cartes avec les noms de tous les joueurs présents aujourd’hui. Il doit sûrement y avoir le nom de leur club également. » Je ne suis pas contre l’idée de lui apporter mon aide, je dois juste m’assurer que j’en suis capable, d’une façon ou d’une autre. Je la laisse seule quelques minutes, le temps de retourner au niveau des tables où j’étais tout à l’heure. En fouillant un peu, je trouve différents papiers et notamment un que j’espérais. « Bingo ! » C’est peut-être un peu bête, mais rien qu’avec ça, j’ai l’impression d’être utile. Je reviens ensuite vers la jeune femme. « C’est un sweat pour l’équipe de celui-ci ? » Dis-je, alors que j’indique d’un signe de la tête le rugbyman qui lui a lancé le ballon tout à l’heure. Si elle n’est pas vraiment emballée d’être ici aujourd’hui, je suppose qu’elle ne s’est pas amusée à jouer avec n’importe qui. Sans même avoir sa réponse, je commence à regarder les noms. « Visiblement, il fait partie des Blues d’Auckland. » Une ville que je connais plutôt bien et pourtant, je ne suis jamais allée voir un match de rugby là-bas. En réalité, là-bas ou ailleurs, je crois bien que je n’en ai jamais vu de ma vie. « Je ne savais pas qu’il y avait autant de pays représentés dans le championnat. » Je ne sais pas trop, naïvement, comme il s’agit quand même du sport préféré des habitants, je pensais qu’il y aurait suffisamment d’équipes pour animer toute une saison.

Des moyens ont été mis en place pour cet événement. Sûrement dans l’espoir que la coupe du monde, en France, et cela aide à multiplier les licences à la rentrée. C’est toujours comme ça, il faut savoir surfer sur l’actualité pour parfois arriver à certains résultats. Alors forcément, quand la blonde s’intéresse à une équipe, je me souviens des papiers posés sur les différentes tables, laissées à disposition de tout le monde – surtout si certains ont oublié de quoi obtenir des autographes de leur joueur préféré. Avec ça, avec le nom de l’équipe ou bien celui des joueurs, il devrait être simple de découvrir le logo qui leur est associé. Par devinettes, j’essaye d’arriver à trouver ce qu’elle recherche, mais mon manque de connaissance dans le sujet refait rapidement surface, puisque je semble être à côté de la plaque, malgré le papier que j’ai entre les mains. Sans devoir forcément assimiler le rugbyman aux passes de tout à l’heure à une équipe, nous pouvons arriver à notre fin  puisque la collègue de la jeune femme lui indique directement où regarder. Les Hurricanes. Une équipe de Wellington, ça a finalement peut-être plus de sens que d’aller chercher une équipe d’une ville située à plus de sept heures de route en voiture. Quand on est fan, je suppose qu’on ne compte pas, mais quand même. « Elle doit vraiment être fan si elle vous demande tout ça. » Et finalement, ça colle à ce que la jeune femme a pu dire, il y a quelques minutes. Parfois, j’ai du mal à comprendre et puis je réalise que je pense cela uniquement parce que ça ne concerne pas mon propre sport. Si des gens faisaient la queue comme cela pour s’arracher un autographe de moi ou des goodies avec mon nom dessus, alors je serais contente. Peut-être que certains le feront plus tard, si j’arrive à avoir les résultats escomptés dans quelques mois. J’étais malheureusement trop jeune quand je suis devenue championne du monde, les gens ne savaient pas vraiment qui j’étais : si le cyclisme sur piste n’est pas le sport le plus médiatisé, autant dire que les compétitions juniors le sont encore moins. « Il faudra visiblement viser les goodies jaunes. » En espérant qu’une autre équipe ne porte pas la même couleur : ce serait quand même dommage qu’elle arrive à son boulot avec des objets venant d’une équipe adverse. Un pas en avant, trois en arrière comme on dit. Même si sa collègue pourra au moins se consoler en se disant que l’idée était là.

La passion, ça ne s’explique pas toujours. Et pour le coup, je sais de quoi je parle. En partie au moins, car de mon côté, ça ne touche pas une équipe ou un autre sport. Mais disons que quand on est sportif professionnel, il faut aimer ce que l’on fait, car ce n’est pas toujours simple. Nous passons notre temps à demander toujours plus à notre corps, à faire des sacrifices que certains ont du mal à comprendre. Tout ça pour quoi en plus ? Quand nous sommes dans un sport où la médiatisation n’est pas énorme, on pourrait se poser la question. Le surpassement de soi ? La fierté d’en être arrivé là ? Sûrement, même si parfois ça ne vaut pas beaucoup à côté du nombre d’heures passé à s’entraîner. Ici, nous parlons de sa collègue, alors peut-être que la jeune femme a aussi un peu de mal à comprendre et pourtant, elle joue le jeu et s’occupe de faire tout ce qu’on lui demande. Au point même de faire la queue pour pouvoir avoir certains goodies. Néanmoins, elle ne voudrait pas se tromper et cherche à s’assurer de viser la bonne équipe pour ne pas repartir avec quelque chose qui pourrait faire plus de mal que de bien à sa collègue — imaginez qu’elle ramène quelque chose d’une équipe adverse. Après quelques réflexions et un peu de recherches, nous en arrivons à la conclusion qu’elle doit viser ce qui est jaune et qui porte un écusson un peu vieillot selon elle, et à bien regarder, on pourrait facilement l’assimiler à un dessin animé aussi, je trouve. Maintenant que j’ai pu l’aider un minimum, elle n’a plus vraiment besoin de moi et je vais pouvoir retourner à ce que je faisais avant notre rencontre — pas grand-chose, je suppose, sinon on serait déjà venu me rappeler à l’ordre pour mon absence. « Pas de problème ! Ce fut un plaisir de vous aider, ça m’a permis de me sentir un peu utile. Même si je n’oublie pas que vous avez essayé de me tuer au début. » Dis-je, en plaisantant légèrement. Au moins, elle m’aura permis de sortir un peu du cadre, et même d’avoir une potentielle cliente comme elle le souligne. « N’hésitez pas si vous avez encore besoin d’aide, je ne suis pas loin. » Je lui offre un tendre sourire, puis un signe de la main, alors que je m’éloigne d’elle et du reste du groupe qui attend pour la même chose qu’elle, pour retourner aux occupations que l’on m’a assigné.