l'alcool fait oublier les mariages (ezra #4)

Dans un bureau d’avocats, il n’est jamais facile de savoir comment l’occupation va bouger d’une semaine à l’autre, alors quand nous avons eu un petit creux de charges et un soir libre, nous en avons profité pour sortir ensemble et pour fêter les dernières affaires remportées — mon anniversaire en avance par la même occasion, mais je ne l’ai su que plus tard. Sans grande surprise, comme nous étions là pour lâcher prise, les verres ont coulé à flots et les amuse-bouches sont descendus à une vitesse folle. Peut-être un peu trop de mon côté, même.. mais je crois bien que cette soirée a compensé toutes celles que je n’ai pas pu faire depuis plusieurs semaines. Les retrouvailles avec Ezra, ce moment dans sa chambre à Noël, ont tous les deux alimenté mes différents verres et maintenant que la soirée touche à sa fin, je le regrette doucement. J’ai la tête qui tourne, même en étant assise, et cela semble se voir, puisque des collègues s’inquiètent pour moi. « Ça va aller Elliott ? » D’abord par réflexe, puis par conviction, je hoche machinalement la tête de haut en bas. « Oui, ne vous en faites pas, je vais appeler Victor. » C’est un vrai gentleman, alors je suis sûre qu’il acceptera de se déplacer — surtout si ça m’évite de prendre la route dans un tel état. Et si jamais il ne répond pas, je tacherais d’être responsable en appelant un taxi. Petit à petit, la salle se vide et les visages familiers disparaissent. Ce n’est qu’après de longues minutes et une remise en question sur la vie que je décide enfin à prendre mon téléphone pour passer un coup de téléphone. Ça sonne dans mes oreilles, au point que j’ai l’impression que ma tête va exploser, mais je suppose que c’est le prix à payer après de tels excès. Je commence doucement à désespérer.. à ce rythme-là, ce coup de téléphone ne sera jamais acceptée. Et pourtant, après de longues secondes, on me répond enfin. « Salut, c’est moi. Je suis désolée d’appeler si tard.. J’ai un peu bu. » Autant mettre les choses au clair directement, surtout que si ça ne s’entend pas par téléphone, ça se verra sûrement quand nous nous retrouverons face-à-face. « Je ne me sens pas très bien. Je ne vais pas pouvoir rentrer. Est-ce que tu peux venir ? » Il n’y a aucune négociation de faites, la demande est acceptée : mon charme semble encore fonctionner — ou mon état pathétique. Je donne l’adresse de l’endroit où je me trouve et raccroche. Il y a quelques minutes de trajet, alors si je veux rentrer le plus tôt possible, je ne dois pas faire durer inutilement cet appel. Les consommations ayant été payées par la boîte, je n’ai pas besoin de passer au comptoir pour le faire et ce n’est sûrement pas une mauvaise chose. Je récupère ma veste, l’enfile un peu maladroitement et je titube jusqu’à l’extérieur du bar. Je m’assois sur l’une des marches et décide d’attendre là, gentiment, en essayant de garder les yeux ouverts. Après quelques minutes ici, assise, à regarder les gens passer, je vois une silhouette familière qui se dessine doucement. « Je suis désolée.. Je n’aurais pas dû t’appeler. » Il se pourrait bien que mon doigt ait ripé sur le mauvais prénom dans le répertoire. Victor. Ezra. À quelques lettres près, c’est pareil, non ?

Une soirée rien qu’à moi, à prendre soin de moi, j’en rêvais depuis quelques semaines. Depuis mon passage à temps plein au cabinet début janvier, je n’ai pas vraiment vu le temps passer. Les patients s’enchaînent, les soirées au bar de mon oncle également et je peux compter sur les doigts d’une seule main les soirées que j’ai eu de libres à la maison. Ce soir, j’ai tout prévu : un bon film comique bien idiot, un plat de mac and cheese à mettre au four et un énorme pot de glace à la vanille comme j’en rafole. Un soirée simple, chill, mais qui semble bien méritée. La soirée se déroule tranquillement et je m’autorise même une bière pour faire passer le temps de manière encore plus agréable. À la fin du film, j’en commence un second, plus romantique cette fois-ci. Je me met à songer et me perd rapidement dans mes pensées. Je n’ai pas vu Elliott depuis la soirée de Noël chez mes parents et je n’arrête pas d’y penser depuis. Notre moment, dans mon ancienne chambre et puis… Pénélope m’a dit que je me faisais des films, mais difficile d’imaginer que tout est réellement terminé entre Elliott et moi. Plus jamais il ne se passera quelque chose, et je dois m’y résoudre. Alors finalement, rien de mieux qu’un film romantique pour me morfondre encore plus. Je soupire rapidement avant de me plonger dans mon film, mangeant comme un ogre mon pot de glace à la vanille. J’ai l’air pathétique, d’avoir le cœur brisé, mais il n’en est rien. Je savoure ma nouvelle vie, ma nouvelle année… jusqu’à être interrompue par la sonnerie de mon téléphone. Je l’attrape rapidement et fronce les sourcils en voyant s’afficher le nom d’Elliott. Il est tard, qu’est-ce qu’il se passe ? Immédiatement, je pense à un problème avec Mila, ou avec mes parents. Pourtant, lorsque je décroche, je comprends rapidement que tout va bien… Enfin à peu près. J’écoute la jeune femme me parler et je capte qu’elle doit être ivre, ou pas très loin de l’être, et elle me demande de venir la chercher. “Oui Elliott, ok, laisse-moi dix minutes, j’arrive.” Je ne sais pas tellement si elle a conscience que c’est moi qu’elle vient d’appeler, mais nous raccrochons rapidement. J’éteins ni une ni deux la télévision et enfile rapidement un jogging de pyjama et un sweatshirt. Rien de glamour, mais il est tard et je préfère arriver rapidement. Je m’inquiète peut-être un peu pour rien, mais Elliott et l’alcool, ça ne fait pas toujours bon ménage. La dernière fois que je l’ai vu ivre… il s’est passé ce qu’il s’est passé. À y penser, mon cœur manque un battement et je me racle la gorge en attrapant mes clés de voiture. Stop Ezra, fonce et arrête de réfléchir.

La route jusqu’au lieu où se trouve Elliott est plutôt calme, il est tard et je ne croise pas grand monde. Je me gare rapidement à quelques mètres du bar où la jeune femme m’attend et ferme la voiture à clé après avoir attrapé une bouteille d’eau dans mon coffre. Toujours utile en cas d’ivresse. Je me dépêche à rejoindre le bar et y retrouve Elliott, assise sur les marches, visiblement très ivre. Je fronce un peu les sourcils en l’entendant s’excuser. “Non, ne t’en fais pas, pas de souci. Tu vas bien ?” dis-je en lui tendant la bouteille d’eau avec un sourire. “Tu te sens bien ? On peut aller se promener un peu si tu veux. Ou je peux te ramener en lieu sûr si tu veux rentrer et dormir.” Je hausse les épaules et lui tend ma main pour l’aider à se relever. Je m’imagine mal la ramener chez elle… Pourquoi pas chez moi, ça serait peut-être plus simple.

Ce n’était peut-être pas une bonne idée de faire des excès ce soir. Ou alors peut-être que si, justement. Avec mon travail et mes rôles d’épouse et de mère de famille, je ne prends pas souvent le temps de relâcher la pression. Pourtant, après tout ce qui s’est passé depuis plusieurs mois, avec le retour d’Ezra en ville notamment, j’en ai bien besoin. Et clairement, je me prends au sérieux, peut-être un peu trop même, puisqu’à la fin de notre soirée – au petit matin si nous voulons être précis sur les mots – j’en arrive à inquiéter mes collègues. Est-ce que j’arriverais à rentrer chez moi ? En un seul morceau ? Autant de questions qui se valent. Mais oui, ça devrait le faire, je suis plutôt bien entourée. Mes affaires récupérées et l’air frais de l’extérieur trouvé, je ne tarde pas à prendre mon téléphone et à appeler quelqu’un pour venir me chercher. À cette heure-ci, il n’y a plus grand-monde en ville, alors il est inutile de faire durer le plaisir plus longtemps. Et puis, en moins de temps qu’il en faut pour le dire, je suis rejointe. Par cette fameuse personne, pas par le premier inconnu qui passe. Par Ezra. Est-ce que c’était le choix le plus judicieux à faire ? Je ne pense pas, mais il est maintenant trop tard pour faire marche arrière. Très vite, la jeune femme commence à jouer son rôle de chaperon et s’inquiète de mon état. Est-ce que je donne l’impression d’être désespérée ? Je n’espère pas, pas face à elle. « J’ai un peu bu, c’est tout. » Dis-je, alors que je hausse naturellement les épaules. Je viens ensuite récupérer la bouteille qu’elle me tend. Je pourrais m’énerver et lui demander de ne pas me materner de la sorte, mais je ne suis pas en position pour le faire et sans un peu d’eau, ou peut-être même d’aspirine, mon état demain matin sera catastrophique. « J’ai bientôt trente ans, ça se fête ! Non ? » Pour l’instant, je n’ai rien trouvé de mieux pour justifier mes quelques verres en trop face à elle. Et puis, c’est toujours mieux que la réalité. C’est toujours mieux que de lui dire que c’est en partie de sa faute si je suis comme ça. Mais là n’est pas le sujet, pas encore, puisqu’elle se propose pour une petite balade. « Emmène-moi où tu veux. J’ai la permission de minuit ce soir ! » Rapidement, je sors mon téléphone de la poche et regarde l’heure qui s’affiche dessus. Minuit est déjà passé, malheureusement.. par chance, je ne m’appelle pas Cendrillon. « Ou de trois heures.. » Oui.. c’est sûrement mieux de viser un peu plus large. À mesure que les mots sortent de ma bouche, je me rends compte que je parle un peu trop – du moins, un peu plus que d’habitude. Et regrettablement, ce n’est peut-être que le début. « Je peux même découcher ! Victor n’y verra que du feu. » Il est sûrement couché, probablement bien endormi même. C’est l’avantage d’être dans un mariage comme le notre, tu n’as pas à te faire de cheveux blancs quand tu ne vois pas ta moitié rentrer. « Ce n’est pas dit qu’il apprécie l’idée que ce soit avec toi, mais il n’est pas là pour le voir ! Alors.. » Pour plusieurs raisons, mais c’est probablement mieux que je les garde pour moi pour l’instant – surtout si j’arrive à garder ma langue. « Oh ! On pourrait aller chez toi ! Ton vrai chez toi, pas chez tes parents.. ils n’apprécieraient pas que l’on débarque au plein milieu de la nuit. » Si c’est Ezra que j’ai appelé, ce n’est pas pour rien : c’est avec elle que j’ai envie de passer du temps. Mon raisonnement serait peut-être différent si j’étais sobre, mais je suppose qu’on ne le saura jamais. Ou du moins, pas ce soir.

Je ne m’attendais pas à un tel revirement de situation pour ma soirée. Je l’imaginais tranquille, juste face à moi-même… jusqu’à l’appel d’Elliott. J’avais compris au téléphone qu’elle avait bu, sans doute un peu trop, mais son état face à moi me le confirme. Je souris un peu en la voyant me parler, c’est assez étrange mais l’alcool la met un peu en valeur… elle semble moins stressée, et plus détendue. Malgré tout, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter un peu et je cherche à m’assurer qu’elle va bien. Elle acquiesce et me confirme qu’elle fête son anniversaire. Trente ans, déjà. Ce n’est pas aujourd’hui, mais ça ne saurait tarder et c’est assez fou quand on y pense. Lorsque nous nous sommes rencontrées, nous avions peut-être six ou sept ans. Nos trente ans semblaient loin et pourtant… j’y passe aussi dans quelques mois. “C’est clair, ça se fête !” Je souris un peu et décide de ne pas me prendre la tête. Après tout, Elliott est responsable – sans doute plus que moi, et elle a la tête sur les épaules. La permission de minuit aussi, sans doute. C’est assez drôle qu’elle ne fête pas son anniversaire avec son mari, j’ai vraiment du mal à comprendre leur relation. Je commence à sérieusement avoir des doutes sur la nature de leur mariage, mais là n’est pas le sujet. Elliott semble heureuse que je sois là et pour être tout à fait honnête, je suis heureuse de la voir aussi. Ça me fait du bien, sans doute un peu trop, mais tant pis. Elle m’invite à l’emmener où j’en ai envie, et je n’ai pas le temps de réfléchir qu’elle continue déjà à parler. L’alcool délie les langues, ça se sait bien, et ça se confirme pour la jeune femme ce soir. Elle évoque rapidement son mari, qui visiblement ne m’apprécie pas tellement… avant de suggérer que nous allions chez moi. Quand elle parle de mes parents, je ris un peu. “Ça c’est sûr ! Ils nous poseraient encore des questions et j’imagine déjà ma mère vouloir à tout prix te faire boire son thé au citron, soit disant meilleur remède contre l’alcool, le mal de tête ou toutes sortes de choses. Enfin bref.” dis-je, là n’est pas le sujet. Je suis avec Elliott, et égoïstement, je suis assez contente qu’elle soit un peu ivre et détendue ce soir. J’ai envie de profiter de sa présence, alors pourquoi pas accepter sa proposition d’aller chez moi. Sans idée derrière la tête, simplement pour discuter et faire ce qu’elle aura envie, tout en étant en lieu sûr. De toute façon, les bars ferment tôt en ce moment et les boîtes de nuit ne sont plus tellement à mon goût. “Ça marche, on peut aller chez moi ! Ma voiture est à quelques minutes de marche.” Je l’invite à me suivre vers la voiture, elle n’est vraiment pas très loin. “Tu étais avec des amis ce soir ? Victor est rentré plus tôt ?” demandais-je. Ma curiosité me tuera un jour, mais je dois mettre au clair leur relation. C’est vraiment chelou. Je me promet d’essayer de ne pas lui poser trop de questions ce soir, elle est ivre et je sais bien qu’elle pourrait y répondre plus facilement mais… Je n’ai pas envie de me prendre la tête. Simplement profiter du moment, et voir où ça nous mène.

Je ne sais pas exactement comment cette soirée se terminera, mais il est maintenant trop tard pour faire marche-arrière – même si Ezra accepterait sûrement sans broncher de me déposer chez moi. Si c’est elle que j’ai appelé ce soir, dans un moment de faiblesse, ce n’est sûrement pas pour rien et je me dis que nous finirons par découvrir pourquoi bien assez vite. Comme la jeune femme est désormais à mes côtés et que nous ne pouvons pas rester indéfiniment ici, il est temps de trouver où nous rendre. Ailleurs ? Il commence à se faire tard et je pense que j’ai atteins ma limite pour aujourd’hui. Chez moi ? Il est un peu tôt pour ça. Il ne reste donc qu’une seule option – option évidente, sinon la liste pourrait être encore longue si nous commençons à citer tous les endroits d’Island Bay – chez elle. Et sans vraiment savoir pourquoi, après avoir proposé cette option, je me sens obligée de préciser de quel logement je parle, comme si elle allait vraiment m’emmener chez ses parents – ce qui ne serait peut-être pas une si mauvaise idée que ça quand je l’entends parler du remède miracle de sa mère. Elle accepte et nous prenons la direction de sa voiture, malheureusement pas dans une démarche remplie de grâce. À peine notre trajet entamé, Ezra commence à me poser des questions. Si j’étais en état de le faire, alors peut-être que je me serais demandée pourquoi cela l’intéressait. Mais ne l’étant pas, je me contente simplement de lui répondre, avec une certaine franchise. « Avec des collègues. Il vient rarement dans ce genre de fêtes. Peut-être qu’ils trouvent les avocats trop plan-plan. » Je hausse légèrement les épaules et viens lever les mains au ciel. Qui sait. Seul lui pourrait répondre à la question, mais il n’est pas là pour pouvoir le faire. « Nous venions fêter la réussite de quelques dossiers et puis.. la soirée s’est un peu prolongée. » D’ailleurs, il me semble que certains membres du bureau sont partis avant la fin. Nous les attendions quelque part, visiblement. Moi, en tant que mère de famille soutenue et femme célibataire – pas pour les apparences, je pouvais bien rester un peu plus longtemps. « Peut-être que tu faisais quelque chose, toi aussi. Et voilà qu’une pauvre fille est venue interrompre ta soirée.. ou bien ta nuit. » Si l’alcool peut me rendre un peu plus bavarde, il peut aussi me rendre un peu plus curieuse. Pour le meilleur, comme pour le pire. « Est-ce que tu étais avec quelqu’un d’autre ? Avec une femme. » Cette partie entraînera peut-être ma perte. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je crois que j’aurais toujours un peu de mal à me faire à l’idée de la voir avec une autre femme. Sûrement parce qu’elle n’a jamais accepté d’être plus qu’une amie avec moi et que mon égo, ainsi que ma jalousie, pourraient jouer un certain rôle dans ma réaction. « À quelques minutes ? J’ai l’impression que ça fait des heures que je marche. » L’excès.. c’est sûrement l’alcool qui parle. Encore une fois. « C’est elle ? » Dis-je, alors que nous arrivons vers une voiture et qu’Ezra commence à ralentir. D’accord. J’ai vraiment exagéré. Mais.. elle me connaît et elle m’aime comme ça, non ?

Je ne m’attendais pas vraiment à voir Elliott ce soir et encore moins dans ces conditions. Malgré tout, maintenant que je suis avec elle, je décide de profiter du moment. Très vite, nous décidons de rentrer chez moi et ce n’est pas une mauvaise chose. Son état n’est pas vraiment stable et je sais que ça peut très vite partir en cacahuète si nous restons dehors. Est-ce que ça sera aussi le cas à la maison ? Je n’en sais rien, mais j’évite d’y penser. Ma curiosité m’incite à poser davantage de questions à la jeune femme sur cette soirée. Victor n’était pas là, pas son genre à priori. Fêter des dossiers avec des avocats… pas besoin que ça soit le genre ou non, c’est toujours agréable de passer une soirée avec sa femme, non ? Enfin peu importe, je n’ai pas tellement envie de le juger. Ma jalousie est un peu trop présente ce soir. D’ailleurs, pas seulement la mienne, visiblement. La question d’Elliott me fait sourire. Est-ce que j’étais avec une autre femme ? J’ai presque envie de laisser du suspense, juste pour l’embêter mais de toute façon, elle a bu et ne se souviendra sans doute pas de la soirée demain matin. “Non, la seule femme avec qui j’avais envie d’être m’a appelé pour venir la chercher.” Woa, Ezra, calme-toi quand même. Je flirte ouvertement ce soir avec Elliott, mais qu’importe, je n’ai pas envie de faire semblant. À quoi bon ? De toute façon, elle est mariée et il ne se passera sans doute plus rien entre nous alors c’est difficile de m’en empêcher. J’aime flirter, ça n’a jamais été un secret, et c’est presque plus simple de le faire avec Elliott… “Je n’ai pas d’autres femmes dans ma vie Elliott. Enfin, pas pour l’instant… Serais-tu jalouse ?” Je tourne la tête vers elle pour lui offrir un léger rictus. Je l’embête un peu malgré tout, mais pas trop quand même. Je n’ai pas envie d’encore gâcher notre relation. Elliott s’impatiente et je ralentit un peu, puisque ma voiture est juste en face de nous. “Yes, c’est elle. Va y, entre.” J’ouvre la voiture et lui ouvre la portière côté passager. J’hésite presque à la mettre à l’arrière pour éviter qu’elle me vomisse dessus, au cas où, mais la route sera rapide alors ça ne sert pas à grand chose de prendre autant de précautions. Je la laisse s’installer dans la voiture et m’installe à mon tour au volant avant de tourner la tête vers Elliott. “Si tu ne te sens pas bien, tu me le dis ok ? On est pas loin de chez moi de toute façon.” Je lui offre un sourire avant de mettre les clés sur le contact et de démarrer. Nous serons à la maison rapidement maintenant. Que se passera-t-il pour le reste de la soirée ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas tellement d’idées derrière la tête, j’espère simplement qu’Elliott ne s’endormira pas en deux secondes sur le canapé – ou dans mon lit, et qu’on profitera quand même un peu.

Est-ce que je suis désespérée ? Peut-être un peu. Sinon, je n’aurais sûrement pas fait appel à Ezra dans un moment de faiblesse. Pendant des années, ce numéro n’a pas servi, il a doucement glissé vers les oubliettes, et voilà qu’en quelques mois seulement, je le préfère à celui de Victor. Nous ne sommes pas vraiment mariés, pas dans un mariage d’amour, mais quand même.. l’homme a toujours été là pour moi depuis le début, il l’aurait sûrement été ce soir aussi si je l’avais appelé. Il est inutile pour nous de rester devant ce bar — qui va probablement bientôt fermer d’ailleurs — alors après une courte discussion, nous décidons d’aller chez elle. Bonne ou mauvaise idée ? Je suppose que nous l’apprendrons bien vite. Sur le chemin qui nous mène à sa voiture, Ezra joue la curieuse et sans aucun filtre, j’en fais autant après lui avoir répondu. Si, selon elle, j’étais censée être avec Victor, alors rien ne l’empêche d’avoir eu comme projet de passer la soirée avec une femme. Mais non.. rien. Rien à l’exception du fait que mon coup de téléphone tombait bien, puisqu’elle aurait aimé passer la soirée avec moi. Une réponse qui ne tarde pas à faire réagir mon corps tout entier. Je dois pourtant garder la face et ne pas faiblir à la première brèche. Comme une femme solide, bien sûr ses appuis, c’est donc à sa seconde phrase que je réagis. « Ce serait logique, non ? Tu es partie à cause de ça.. et maintenant, tu reviens, épanouie dans le fait d’aimer des femmes. Je peux bien être jalouse de toutes les femmes avec qui tu as accepté d’être. Ouvertement. » Je hausse légèrement les épaules, convaincue que ce que je dis a du sens. Nous arrivons enfin à sa voiture et après être montée un peu maladroitement dedans, nous partons. Très vite, mon regard se tourne vers Ezra, alors qu’elle conduit, et la brèche refait surface. « Tu ne peux pas dire ça. Tu ne peux pas dire que tu as envie d’être avec moi. » Nous sommes pourtant dans un pays où elle est libre de s’exprimer comme elle le souhaite. Mais disons juste que là, ce n’est pas approprié. « C’est déjà assez compliqué comme ça depuis ton retour.. » La phrase de trop. Une première phrase de trop, mais il est maintenant trop tard pour la retirer. Le silence reprend doucement place dans la voiture et je m’attarde sur son visage, ses yeux, ses lèvres. Puis sur ses mains, que je voudrais pouvoir toucher. Mais je me retiens de le faire et décide finalement de reporter mon attention sur la route avant d’être prise de nausées. Après plusieurs minutes — sûrement une dizaine de moins que quand le trafic est important — nous arrivons devant un grand immeuble. « C’est là ? » Question bête, je suppose.. on s’arrête rarement chez quelqu’un d’autre comme ça, surtout en plein milieu de la nuit. Contrairement à tout à l’heure, j’arrive à m’extirper de la voiture, même si on a sûrement connu plus gracieux que ça. « Je te suis. » Dis-je finalement, alors que je viens de faire claquer la portière derrière moi.

Malgré mes efforts et la situation, j’ai du mal à me dire qu’il ne se passera plus rien entre Elliott et moi. Je suis revenue à Island Bay pour avoir des réponses, et maintenant que je les ai, je crois que j’aurai préféré rester dans le déni. Mais ce soir, je n’ai pas envie de me morfondre sur mon sort alors je m’amuse et me détend. Je flirte, ouvertement avec elle. Elle est alcoolisée et j’ose espérer qu’elle ne s’en souviendra pas demain matin… à mes risques et périls. Je ne tenterai rien de plus, bien-sûr, mais c’est difficile de m’en empêcher. Les paroles de la jeune femme me font sourire, elle semble jalouse. Elle ne tarde pas à me le confirmer de manière assez étonnante. La savoir jalouse me bouscule légèrement et mon corps réagit légèrement. Je garde un léger sourire en l’écoutant, avant d’ouvrir la porte de la voiture pour que nous nous y installions. “Vu comme ça… tu peux être jalouse, mais c’est plutôt moi qui suis jalouse de Victor. Il a réussi à t’avoir pour lui tout seul et pour toujours maintenant.” Je hausse les épaules. J’aurai pu être jalouse d’Isaac aussi, et ça a été le cas, mais je préfère ne plus évoquer le sujet. Je démarre rapidement la voiture pour arriver vite à la maison et je suis légèrement déconcentrée par les paroles d’Elliott. Qu’est-ce qui est compliqué depuis mon retour ? Je ne sais pas vraiment. Enfin, j’imagine que mon retour n’a pas dû être simple pour elle, je l’ai abandonné après tout et surtout je reviens comme une fleur après le décès de mon frère, son ex et père de sa fille. Au fond de moi, j’espère que ce n’est pas ça qui est compliqué. Est-ce qu’elle ressent encore du désir pour moi ? Je serai curieuse de le savoir. Si elle est capable d’être jalouse, elle est sans doute aussi capable de ressentir encore des choses… mais je m’évade, et ça me déconcentre. “Même si j’avais envie, tu es mariée de toute façon. J’ai loupé mon tour… je suis désolée, excuse-moi, encore, d’être partie.” dis-je en tournant la tête vers elle au feu rouge. Nous arrivons rapidement devant mon immeuble et je m’y gare. Je me contente d’hausser la tête lorsqu’Elliott me demande si c’est ici et je sors de la voiture. Elle réussit à sortir à son tour, et m’indique qu’elle me suit alors je lui offre mon bras pour qu’elle le tienne si elle en a envie. Nous pénétrons rapidement à l’intérieur de l’immeuble et je monte au premier étage où se trouve mon appartement. J’ouvre la porte et allume la lumière du corridor. “Bienvenue à la maison.” Je tourne légèrement la tête vers Elliott pour lui offrir un sourire avant de refermer la porte à clé derrière nous. Je retire rapidement mes chaussures et ma veste avant de m’avancer dans l’appartement, vers la pièce principale entièrement ouverte. “Mets-toi à l’aise. Tu veux boire ou manger quelque chose ? Je peux te préparer ce que tu veux.” Je demande à Alexa d’allumer la lampe à ambiance douce à côté du canapé avant d’ouvrir le frigo pour en sortir une bouteille de bière… pas pour Elliott, mais pour moi. Après tout, ça ne peut pas me faire de mal. “Si tu as besoin de prendre une douche, je peux te montrer le chemin aussi. Ou te faire visiter l’appartement.” Me retrouver avec elle dans mon appartement n’est pas simple. Ça me fait un peu bizarre, et je ne sais pas trop quoi lui proposer. Je ne sais pas ce dont elle a envie, ni si elle a une idée derrière la tête alors… La suite nous le dira.

Pour toujours.. c’est facile à dire ça. Je pourrais me moquer de cette réflexion, d’ailleurs. Mais il faut croire que j’ai certains moments de lucidité, puisque pour éviter d’éveiller les soupçons trop vite, je ne le fais pas. En revanche, c’est un nouveau sentiment de colère qui s’empare de moi – bien que beaucoup moins fort que quand nous nous sommes revues pour la première fois. Ça me met hors de moi de voir qu’aujourd’hui, elle peut facilement dire ce genre de choses, alors qu’il y a dix ans, elle a simplement pris la poudre d’escampette pour ne pas avoir à affronter ses sentiments. Comment seraient les choses si elle ne l’avait pas fait ? Je me pose la question tous les jours, surtout depuis qu’elle est revenue. Malgré ce que je peux ressentir, je ne peux pas m’emporter. Pas ici, pas dans sa voiture, pas alors qu’elle a mis de côté ce qu’elle faisait pour venir me chercher. Et puis, savoir que je n’ai pas été complètement idiote à l’époque, qu’il y avait bien quelque chose entre nous – et peut-être même encore aujourd’hui – il faut reconnaître que ça fait plaisir. Sûrement même un peu trop, mais là, il est possible que l’alcool que j’ai bu un peu plus tôt y soit pour beaucoup. Le mieux reste de garder le silence ou de trouver une distraction, pour éviter que ma langue ne se délie trop, et par chance, nous semblons arrivées à destination. Un peu maladroitement, je descends de sa voiture et la suis jusqu’à son appartement. Je crois bien que je ne suis jamais venue dans le coin et ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose, car cela m’évitera sûrement de vouloir revenir un autre jour. Pas seule, pas pour vouloir faire une bêtise. Après m’avoir accueillie à l’intérieur, Ezra se met à l’aise. Avant de m’inviter à en faire autant. Je viens retirer ma veste, mais garde mes chaussures pour l’instant, au risque de finir le cul parterre sinon. « Si je ne me trompe pas, tu faisais de merveilleuses lasagnes à l’époque.. » Dis-je, alors qu’elle propose de me préparer quelque chose. « Mais c’est peut-être trop demandé à cette heure-ci. » Il est tard, très tard et je ne me rappelle pas du temps que prend une telle préparation. En vrai, je me contenterais de n’importe quoi, tant que ça me permet d’éponger un peu. Je pense que c’est la meilleure des choses à faire, non ? Alors qu’elle s’active de son côté, je commence à me balader dans l’appartement. « C’est très joli ici. » Je devais y amener Mila, mais depuis Noël, nous n’avons pas vraiment eu le temps de le faire. Il faut dire qu’après l’épisode dans sa chambre d’enfance et les sentiments contradictoires que j’ai pu avoir, j’ai quelque peu éviter de relancer l’idée. « Est-ce que tu l’as acheté ? » Si c’est le cas, ça pourrait dire beaucoup sur ses projets dans le futur. Quand on achète un logement, ce n’est pas pour repartir dans les semaines ou mois à venir, non ? Mon petit tour terminé, je viens m’asseoir sur l’un des tabourets de sa cuisine. Je pose mes bras sur le plan de travail et plante mon regard dans le sien. « Tout à l’heure, tu as mentionné le fait que si tu en avais envie.. envie de quoi ? De moi ? » Si j’ai quelques moments lucides, ils ne le sont pas tous.. malheureusement – sûrement. Et si elle me répond positivement, qu’est-ce que je ferais de cette information ? Surtout qu’une femme mariée ne devrait probablement jamais s’intéresser à ce genre de détails.

Je ne m’attendais pas à retrouver Elliott dans mon appartement aussi tôt. Encore moins dans ces circonstances. Malgré tout, je suis plutôt rassurée d’être dans un terrain que je connais désormais. Loin des dangers de la rue et des imprévus. Entre les murs de mon appartement, je me sens en sécurité et plutôt à l’aise… peut-être même un peu trop, j’ai intérêt à faire attention. Pour une fois, ce n’est pas moi qui suis en terre inconnue mais la jeune femme et ça change la donne. Elle semble très à l’aise, au point même de me demander des lasagnes lorsque je lui propose de faire à manger. Je ne m’attendais pas à une telle demande, mais j’ai toujours de quoi faire ce plat dans mon frigo. C’est ma spécialité depuis que je suis enfant, transmise par ma mère qui avait elle-même appris grâce à la meilleure amie italienne de ma grand-mère. Une tradition transmise de génération en génération donc, et je m’occuperai de le transmettre à Mila si ce n’est pas déjà fait. “Ça me fait plaisir que tu te souviennes de mes lasagnes… bien-sûr, je peux t’en faire, c’est pas très long, juste une heure et demi de préparation.” Ironie, quand tu nous tiens. J’offre un léger sourire à la jeune femme avant de me tourner déjà vers mon frigo pour en sortir les ingrédients : céléris, carottes, lait, beurre pour la béchamel, sauce tomate, viande hâchée et les pâtes fraiches. J’ouvre un placard pour en sortir le vin rouge – l’ingrédient secret qui se transmet, un oignon et une échalote. Pendant que je m'attelle à commencer la préparation, Elliott s’aventure dans l’appartement. La voir gambader dans mes affaires m’émeut… et me perturbe un petit peu. Dans une autre vie, cet appartement aurait pu être le nôtre… si je n’avais pas fui, par peur de mes sentiments. Les années ont passé et de l’eau a coulé sous les ponts, mais mon cœur reste toujours là où il était il y a dix ans. Et d’observer Elliott ce soir accentue encore plus ce que je ressens. Je bois plusieurs gorgées de bière à la suite pour me détendre un peu alors que je prépare les lasagnes. Elliott affirme que la décoration est jolie et je ne peux m’empêcher de sourire. J’ai toujours aimé décorer mes appartements et j’ai pris le soin de bien le faire dans celui-ci pour m’aider à me projeter. C’est le mien, et après des années de colocation, j’avoue que ça fait du bien de ne pas avoir à partager les espaces communs ou les idées déco. J’aimerai même l’acheter, si j’en avais l’occasion, mais il n’est malheureusement pas à vendre. “Merci. Non, il n’est pas en vente… mais je songe à acheter quelque chose prochainement. Pas loin de la plage, idéalement, je commence à regarder les annonces.” dis-je alors que je termine la béchamel. Il ne me reste plus qu’à dresser le plat puisque les autres ingrédients mijotent ensemble depuis de longues minutes maintenant. Le temps passe vite et j’aime tellement faire les lasagnes, que maintenant, je suis de plus en plus rapide à les faire. J’y mets toujours autant d’amour, et ce soir, j’en met encore plus… sans mauvais jeu de mot. Elliott ne tarde pas à venir s’installer sur l’un des tabourets de l’ilot central de la cuisine et je lui offre un léger sourire pendant que je m’occupe de dresser les lasagnes dans le plat. Lorsqu’elle ouvre la parole, je lève les yeux vers elle pour plonger mon regard dans le sien. Ses mots me vont droit au cœur et au plus profond de l’estomac… me voilà retournée, avec un léger sourire, impossible à enlever. Je ne sais pas si c’est l’alcool qui parle via son subconscient ou non, mais visiblement, Elliott est du genre direct ce soir. Je prends le temps de mettre le plat de lasagne au four pour 45 minutes avant de répondre. “J’ai jamais cessé d’avoir envie de toi, Elliott.” Le double sens est volontaire. Je plonge mon regard dans le sien avant de poursuivre. Ce n’est pas tout à fait l’heure des déclarations, mais quand même. “Pendant dix ans, je n’ai fait que penser à ce qu’on serait si je n’étais pas partie. Mila aurait pu être notre fille, cet appartement aurait pu être le nôtre, tu aurais pu être ma femme. À la place de ça…” Je marque une légère pause pour finir ma bière et venir m’installer sur le second tabouret à côté d’elle. “À la place de ça tu es mariée, mais pas avec moi. Mila est ma nièce, et cet appartement est le mien et il est désespérément vide. J’ai loupé ma chance et je t’avoue que c’est un peu dur à encaisser.” J’hausse un peu les épaules en soupirant. “Encore plus quand tu m’appelles pour venir te chercher. Dans d’autres circonstances, j’aurai pu faire plus que de te préparer des lasagnes…” Le sous-entendu est peut-être un peu fort, mais la bière parle un peu à ma place désormais. Tant pis. De toute façon, je n’ai plus rien à perdre… J’ai déjà perdu le cœur d’Elliott, il y a dix ans.

Une heure et demie.. on sera sûrement couchées à ce rythme-là. Et ça ne serait pas une si mauvaise idée, puisque là, la journée de demain est bien partie pour piquer un peu – je n’ai plus vingt ans et les gueules de bois sont un peu plus compliquées à faire passer maintenant. Mais à en voir comment elle s’active, l’idée de cuisiner pour moi, même si c’est pour longtemps, semble lui faire plaisir et ce serait quand même dommage de la couper en si bon élan. Pendant ce temps, je commence à prendre mes marques dans son appartement et je regarde tout ce qui m’entoure. Je ne sais pas si c’est l’alcool, ou le fait que j’ai été proche d’elle à l’époque, mais j’ai comme l’impression d’être chez moi ici. Un peu trop sûrement. Ou alors, c’est encore ma curiosité. Qui sait, peut-être que sur l’un des meubles de la pièce, j’arriverais à trouver des photos de sa vie aux États-Unis ou je-ne-sais-quoi d’autres. En réalité, je ne sais même pas ce que je cherche. Si je recherche quelque chose d’ailleurs.. il est un peu trop tard et j’ai un peu trop bu pour vraiment vouloir quelque chose – à une envie près, mais je me garde bien de le crier haut et fort pour l’instant. Histoire que ma petite balade ne reste pas sans intérêt, je questionne Ezra sur l’origine de cet appartement ou plutôt, de si oui ou non il lui appartient. Visiblement non, ce n’est qu’une location. Mais l’idée d’avoir son propre logement, bientôt, lui a déjà traversé l’esprit, il n’y a pas si longtemps d’ailleurs. Au bord de la plage dans l’idéal. « Et tu trouves des choses ? Je ne suis pas une experte immobilière, mais j’ai l’impression que les choses vont et viennent assez souvent. » Dans notre quartier, il n’est pas rare de voir des camions de déménagement. Après.. entre North Bay et South Bay, là où se trouve la plage, ce n’est pas vraiment le même genre de familles. Où nous sommes, il y a bien souvent des personnes qui se lancent dans la vie active et quand ils arrivent à trouver mieux, avec un meilleur salaire, je suppose qu’ils sautent sur l’occasion pour bouger. Bref.. la conversation immobilière terminée et ma curiosité rangée, je viens m’asseoir sur l’un des tabourets hauts de la cuisine. Curiosité rangée, c’est peut-être vite dit. Puisqu’une fois posée, je reviens sur un terme qu’elle a utilisé un peu plus tôt : l’envie. Et je pousse même le vice un peu plus loin en m’incluant dans le lot. Comment ? En lui demandant directement si elle aurait envie de moi et autant dire que sa réponse est surprenante : elle a bien envie de moi et l’a toujours eu. Je viens difficile avaler ma salive suite à cette réponse. Au fond, je crois que c’est ce que j’espérais, mais c’est bien plus compliqué à entendre que ce que je pensais. « Ouais.. parfois, je me demande aussi ce que nous serions aujourd’hui si les choses s’étaient passées différemment à l’époque. » Dis-je, alors qu’elle évoque la vie que nous aurions pu avoir sans son départ. C’est quand même dommage d’être passé à côté de tout cela. « Qu’est-ce que tu aurais pu faire d’autres ? » Au fond de moi, je crois que j’ai conscience du fait que cet appel n’était peut-être pas la meilleure des idées. Du moins, pas pour que notre relation reste simple. Mais il est maintenant trop tard pour faire marche arrière et vu le sens que prend cette conversation, ce n’est pas près de changer – surtout que je ne semble plus avoir de limites désormais. « Si je te demandais de m’embrasser, tu le ferais ? » Bien sûr Elliott, enfonce-toi encore un peu plus. Après tout, j’ai fait des folies dans ce bar, alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? « Embrasse-moi. » Je me décale volontairement vers elle, je réduis la distance entre nous et viens poser l’une de mes mains sur sa cuisse. Si ma phrase était déjà lourde de sens, mes actions le sont encore plus.

L’odeur des lasagnes commence à inonder l’appartement alors que la discussion va bon train. Elliott m’interroge sur mes désirs immobiliers, et je tente de lui répondre rapidement avec mes projections futures. Une maison, idéalement au bord de la mer. C’est mon rêve depuis toujours, mais ce rêve n’est pas facile à atteindre. Les maisons en bord de plage sont relativement chères et je ne peux pas vraiment me le permettre pour l’instant. Je rêverais d’une immense maison, semblable à celle de mes parents mais je vais devoir me contenter de plus petit. De toute façon, je vis seule et je n’ai pas d’enfant alors une maison avec deux chambres suffirait amplement. La jeune femme m’interroge davantage et je lui offre un léger sourire. Elle a raison sur ce point, le marché de l’immobilier est plutôt bon à Island Bay et les offres ne manquent pas. “Je trouve quelques trucs mais j’attends le coup de cœur. En plus, je n’ai pas un budget illimité alors le choix reste restreint. Je préfère prendre mon temps afin de tomber sur la pépite qu’il me faut.” dis-je en souriant. La discussion prend un autre tournant lorsqu’Elliott m’interroge sur mes envies la concernant. Je réfléchis quelques instants avant de décider d’être honnête ce soir. Je m’interroge sur la vie que nous aurions pu avoir si je n’étais pas partie. Un appartement commun, peut-être même une maison. Un mariage. Peut-être même un enfant… même si je ne m’imagine pas tellement avec des enfants, Elliott est le genre de femme qui aurait pu me faire changer d’avis. J’aurai pu lui offrir monts et merveilles plutôt que de simplement préparer des lasagnes. Le constat de ma vie sans elle est assez désastreux quand j’y pense. J’ai vingt-neuf ans, j’en suis au même point qu’il y a quinze ans tandis que sa vie à elle avance. Elle est mariée, avec un homme, elle a une fille… et qui sait, elle m’annoncera peut-être dans quelques mois qu’elle attend un second enfant. Pendant ce temps-là, je serai toujours là, à chercher une maison au bord de la mer et à lui préparer des lasagnes en imaginant la vie que nous aurions pu avoir. Ça ne fait pas tellement rêver et rien qu’en y pensant, j’ai presque envie de déprimer. Elliott semble se poser des questions également et je hausse les épaules. Nous ne saurions jamais tout ça, ça appartient au passé et à un présent parallèle. “On ne le saura jamais. Tant pis…” Je soupire légèrement. Je n’ai pas le temps de m’abattre sur mon sort que la suite des choses prend une tournure tout-à-fait inattendue. Elliott m’interroge. Accepterais-je de l’embrasser ? Mon cœur manque un battement et les émotions me submergent rapidement. Un peu trop. C’est difficile à répondre. Si j’écoutais mon cœur… mes lèvres seraient déjà posées sur les siennes. Mais si j’écoutais ma raison… Elliott est mariée, elle semble heureuse dans sa vie. Je n’ai pas envie d’être celle qui vient tout foutre en l’air, pas une seconde fois. Victor me détesterait, et je sais qu’il est musclé, il me dégommerait en une seconde. Je ne peux pas faire ça à Isaac non plus… enfin, même si j’étais là la première. Elliott est mariée. Je dois garder ça en tête pour ne pas flancher. Malgré tout, elle ne doit pas être si amoureuse que ça puisqu’elle me demande officiellement de l’embrasser… Sa main se dépose sur ma cuisse et mon cœur bat désormais la chamade. Mon esprit se perd entre mes envies et ce que je devrais faire. Elliott a bu, sans doute trop, elle ne sait pas ce qu’elle dit, elle regrettera demain matin et me détestera à nouveau. Mais c’est peut-être la seule occasion pour moi d’embrasser ses lèvres encore une fois, peut-être que ça pourrait être une manière de leur dire au revoir définitivement pour les laisser à son mari… Est-il vraiment son mari ? Je n’en suis plus certaine vu ce qui est en train de se passer. Délicatement, je viens glisser quelques mèches de cheveux d’Elliott derrière son oreille. “Elliott, me demande pas ça, j’en ai envie mais…” dis-je en chuchotant. Je plonge mon regard dans le sien avant de placer ma main sur sa joue. Elle est belle, ce soir. Elle l’a toujours été, mais de l’avoir aussi près de moi rend les choses différemment. Ça rend les choses un peu difficiles à refuser. Finalement, je lâche un profond soupir pour évacuer la pression avant de m’avancer vers Elliott. Doucement, je pose une main derrière sa nuque afin de rapprocher son visage du mien avant de déposer mes lèvres sur les siennes. Je ferme les yeux afin de profiter de ce moment comme si c’était la dernière fois. Parce que ça doit être la dernière fois. Elliott est mariée. Elle me détestera sans doute demain matin, si elle s’en souvient. Ou peut-être qu’elle ne s’en souviendra pas et que ce moment restera secret pour l’éternité. Pour l’instant, j’ai juste envie d’en profiter. Et puis, après tout, c’est elle qui me l’a demandé, non ?

Pour la maison, je ne me suis jamais posée ce genre de questions. De chez ma mère, et son petit ami, je suis passée directement au logement que j’occupe actuellement, celui qu’Isaac a lui-même construit. C’était plus simple comme cela et surtout moins cher. Et puis, il faut quand même reconnaître que ce n’était pas non plus désagréable d’emménager dans quelque chose qui avait été pensé spécialement pour nous. Lorsque le jeune homme s’est lancé dans ce projet, j’étais enceinte de quelques mois et il avait à cœur de réussir à monter quelque chose, assez vite, mais de qualité, pour sa descendance. Je me retrouvais à mettre mes études de côté pour mener ma grossesse au mieux et pour ensuite élever notre fille, alors je ne pouvais pas cracher sur un logement qui ne nous coûterait presque rien, presque rien à côté de ce qu’on aurait pu payer si on l’avait achetée déjà construite. Mais peut-être que si les choses avaient été différentes — encore une fois, faire des plans sur la comète — alors peut-être que je me serais prise à rêver à autre chose, à un autre quartier, à un autre genre de logement. Pour être honnête, je crois que je me serais bien plu à vivre dans un appartement comme celui d’Ezra, mais ça, je le garde bien pour moi. Au pire, ce n’est pas vraiment au bord de la plage, mais nous pouvons toujours échanger nos logements. Je peux même lui laisser Victor si elle veut, même si je doute que la cohabitation fonctionne entre eux, que ce soit de son côté ou de celui de mon mari — il faut quand même reconnaître que la simple idée de les imaginer vivre ensemble est marrante. Si la jeune femme habite encore dans le coin, c’est parce qu’elle n’a pas encore trouvé la perle rare et surtout, parce que tout ne rentre pas forcément dans son budget. En tant que kinésithérapeute, ça se comprend. Enfin.. je crois. Elle est sûrement bien payée, mais probablement pas autant qu’un médecin. Dans le médical, il y a parfois une grande différence dans les salaires et ce n’est malheureusement pas toujours juste. Quand on voit que des aides soignantes ou des infirmières touchent parfois une misère, alors qu’elles font beaucoup de choses — et pas toujours les plus agréables — c’est honteux. Mais bref.. inutile de s’attarder sur le sujet des finances d’Ezra et de son projet immobilier, puisque très vite, je passe à autre chose. Passer du coq à l’âne, ce n’est pas forcément dans mes habitudes, mais là, je crois que l’alcool que j’ai pu boire un peu plus tôt est à prendre en compte. Même si malheureusement, bientôt, je vais commencer à redescendre et je ne pourrais plus m’en servir comme excuse. Alors que nous évoquons brièvement ce que nos vies auraient pu être si la jeune femme n’était pas partie et qu’elle semble un peu sentimentale, presque prête à m’avouer quelque chose si je pousse un peu plus, je décide d’être directe. Peut-être un peu trop, mais il est maintenant trop tard pour retirer ce que j’ai dit. Et en réalité, je n’ai pas envie de retirer quoi que ce soit. Ici, nous sommes seules, nous sommes libres de faire ce que nous voulons, sans que cela n’est d’incidence sur la suite — ou pas. Si mes questions n’étaient pas assez déstabilisantes, je viens en plus poser ma main sur l’une de ses cuisses, réduisant ainsi, presque automatiquement, l’écart qui se trouve entre nous. Même si c’est plus fort que moi, je sais que cette demande n’est pas raisonnable, qu’elle n’est pas juste pour Ezra. Et pourtant, j’en meurs d’envie, depuis bien trop longtemps même. Elle essaye d’être raisonnable, de l’être pour nous deux même, mais très vite, comme moi, elle se fait rattraper par son envie. Elle remet l’une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille et en profite pour venir caresser ma joue. Ce n’est pourtant pas ce qui me fait le plus d’effet, puisqu’au moment où elle vient glisser ses doigts au niveau de ma nuque, un frisson traverse mon corps tout entier. C’est donc ça.. ce qui m’a manqué durant ces dix dernières années. Ce premier pas fait vers moi, elle continue et vient réduire le peu d’espace qu’il reste entre nous. Elle m’embrasse et là, c’est la délivrance. De peur qu’elle ne s’échappe, mes mains passent rapidement autour d’elle et je viens presque naturellement me défaire du siège où j’étais. Mon corps tout entier se penche vers elle et sans aucune hésitation, je lui rends le baiser qu’elle m’a offert. Je ne sais pas si c’est le manque de cette sensation ou l’alcool, encore, mais très vite, l’échange devient un peu plus fougueux, plus langoureux. Je n’ai pas envie que ce moment s’arrête et pourtant, j’ai comme la sensation que c’est ce qui va arriver. Alors avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’Ezra retrouve la raison pour nous deux, je veux lui faire comprendre que j’ai envie de tout cela et de bien plus encore. Mes mains longent son dos, jusqu’à ses cheveux, puis redescendent pour venir jouer dangereusement avec la limite de son débardeur. Je sais que je ne devrais pas, que le retour à la réalité après cela sera compliqué, mais c’est plus fort que moi. Ça fait maintenant plus de dix ans que je veux cela et s’il faut que je me cache derrière l’alcool pour pouvoir y goûter une nouvelle fois, une dernière fois, alors qu’il en soit ainsi. Après quelques secondes d’hésitation — ou minutes, je n’ai plus vraiment la notion du temps désormais — je viens finalement glisser mes doigts sous son haut et effleure ainsi sa peau.

La soirée prend une tournure légèrement inattendue. Avoir Elliott, ici, dans mon appartement face à moi ne rend pas les choses faciles. Je me livre et lui ouvre un peu mon cœur ce soir, espérant qu’elle ne s’en souvienne pas demain matin. Je ne pensais pas aller plus loin, notre relation s’étant terminée il y a dix ans par ma fuite mais les choses ne se passent pas comme prévu. Elliott est mariée, elle semble heureuse et pourtant, lorsqu’elle me demande de l’embrasser, sa sincérité s’entend dans sa voix. Bien au-delà de son état d’ivresse, j’ai l’impression que sa demande vient du fond du cœur. J’essaie de ne pas flancher et de me rappeler à la raison. Elle est mariée. Elle est mariée. La phrase résonne dans ma tête avant que mes pensées se perdent dans la réflexion à propos de ce mariage, soudain et auquel je crois de moins en moins. Ça ressemble presque à un mariage blanc ou arrangé cette histoire… quelle femme aimant son mari irait demander à une autre de l’embrasser ? Quel mari laisserait sa femme fêter Noël seule sans l’accompagner ? L’excuse du travail a été donnée, et j’y ai cru, mais je ne cesse de me poser des questions. J’essaie de la repousser, verbalement, mais quand elle pose sa main sur ma cuisse, je sens déjà que c’est trop tard. J’ai envie d’elle. De retrouver ses lèvres que j'avais abandonnées par peur dix ans plus tôt. Ses lèvres que j’ai rêvé d’embrasser à nouveau pendant des années. Son corps que j’ai rêvé de retrouver. Finalement, ce soir est peut-être le signe que nous devons nous dire au revoir et succomber une dernière fois à notre envie. Alors, doucement, je dépose ma main sur sa joue, avant de venir embrasser ses lèvres. La sensation est exquise et m’avait manqué, si bien que je n’arrive pas à me détacher de la jeune femme. Ce moment, je l’ai rêvé pendant dix ans. La jeune femme me rend le baiser que je viens de lui offrir et rapidement, tout devient plus simple dans mon esprit. Je ne pense plus à rien, qu’à ce moment que je veux faire perdurer. Elle se rapproche de moi pour m’attirer à elle et je me laisse faire, après tout, j’en ai marre de m’en empêcher. Si j’ai fuis la dernière fois, je suis désormais sûre de ce que je ressens et de ce dont j’ai envie maintenant. Le baiser se prolonge plus langoureusement tandis qu’Elliott s’aventure dans mon dos et mes cheveux. Très vite, je dépose mes mains sur sa taille pour la garder proche de moi. J’ai envie d’aller plus loin et de profiter d’elle tout entière ce soir mais est-ce une bonne idée ? Elliott est ivre et n’est peut-être pas en mesure de réfléchir pleinement à ses décisions… mais elle a arrêté de boire il y a un moment maintenant, alors, elle n’est plus si ivre que cela. J’essaie d’arrêter de réfléchir et la jeune femme m’y aide en glissant ses mains sous mon t-shirt. Je sursaute avant de me lever à mon tour du tabouret pour déposer mes mains sous les fesses de la jeune femme, afin de la monter sur le plan de travail de la cuisine. Je glisse mes lèvres dans son cou pour y déposer quelques baisers, avant de rejoindre ses lèvres une nouvelle fois. Puis, je m’aventure à mon tour doucement sous son t-shirt et là… je réalise. Le peu de lucidité qu’il me reste semble remonter à la surface telle une bombe et je quitte les lèvres d’Elliott pour me décaler légèrement. “Elliott, faut qu’on s’arrête, on peut pas faire ça…” J’ouvre les yeux et respire un bon coup avant de remettre mon t-shirt en place. “J’en ai envie, vraiment, mais si ça doit se passer à nouveau, je préfère le faire sans que l’une de nous soit alcoolisé. Pas encore une fois…” La dernière fois, j’étais alcoolisée. Et on voit ce qu’il s’est passé. Je tente de respirer calmement, avant de soupirer et de m’approcher à nouveau d’Elliott pour lui déposer un baiser sur le front, avant de la prendre dans mes bras. Il ne faut juste pas qu’elle me le réclame une seconde fois, car je ne saurai plus dire non désormais.

Aux yeux de n’importe qui, je ne ressemble pas vraiment à quelqu’un de fidèle. Mais la vérité est tout autre et clairement, ce soir — ou ce matin si je veux être vraiment précise, je n’ai pas envie de me poser plus de questions que nécessaire. Oui, je suis mariée, mais Victor et moi faisons chambre à part. Dès le début, nous avons été clairs sur les raisons qui nous poussaient à nous passer la bague aux doigts et malgré une nuit d’égarement, nous avons toujours fait en sorte de les respecter. D’ailleurs, quand Ezra est revenue dans ma vie, je n’ai pas mis longtemps avant d’être complètement honnête avec mon mari. Je lui ai parlé de nos retrouvailles et de ce que cela pouvait me faire ressentir. Aussi bizarre que cela puisse paraître, pour quelqu’un d’autre que nous, il a été très compréhensif et m’a même poussé à explorer mes sentiments envers elle si j’en ressentais le besoin. Finalement.. c’est un peu ce que je fais ce soir, même si l’alcool aide forcément un peu. Lorsqu’elle m’embrasse enfin, j’ai l’impression de revivre. Malgré le fait que j’ai été blessée pendant plusieurs années, après son départ, je mourrais d’envie de voir cela arriver. La situation n’est peut-être pas idéale, mais je suis bien trop occupée pour penser à cela. De peur qu’elle m’échappe, ou juste par envie, je viens intensifier le baiser que nous échangeons et très vite, mes mains viennent se balader le long de son corps. Elles finissent même par se glisser sous le T-shirt de la brune. Sans vraiment m’en rendre compte, ce geste pourrait mettre fin à tout cela, à ce rapprochement, aussi intense que désespéré qu’il puisse être. Mais non.. si Ezra semblait sur la réserve au départ, elle semble soudainement se lâcher. Au point même de me faire quitter le tabouret pour finalement me faire asseoir sur le plan de travail. Doucement, je commence à imaginer ce qui nous attend, les prochaines étapes de ce moment qui devient de plus en plus charnel, mais je suis soudainement stoppée dans mon élan lorsque mon ancienne meilleure amie décide de prendre ses distances. Si j’étais encore sous l’emprise de l’alcool jusque-là, j’ai la sensation d’avoir dessoûlé en quelques secondes seulement. Ce n’est pas exactement comme la dernière fois, mais j’ai quand même la sensation que mon cœur s’est brisé en plusieurs morceaux avec ce refus de la jeune femme. Comme si, une nouvelle fois, elle me repoussait. Elle vient déposer un baiser sur mon front et me prendre dans ses bras. Pour être honnête, je ne sais pas vraiment quoi faire, ni quoi dire, alors pour l’instant, je reste silencieuse. Une certaine distance entre nous retrouvée, je viens passer l’une de mes mains dans mes cheveux et je descends du plan de travail pour retrouver la terre ferme. « Je devrais peut-être accepter ta proposition de la douche. » Dis-je, après avoir retrouvé mon souffle. « J’appellerais un Uber après, il me ramènera chez moi. Je ne veux pas te déranger plus longtemps. » Elle n’a jamais dit ça, mais soudainement, c’est un peu la sensation que j’ai. Ou alors, c’est seulement parce que je me trouve honteuse et que j’aimerais bien me cacher — ce qui ne colle pas vraiment avec l’idée de rester chez elle toute la nuit. Je ne dis pas que je vais appeler pour partir dans les cinq minutes à venir — elle a cuisiné pour moi, ce serait quand même dommage de passer à côté d’un tel repas — mais il serait préférable pour nous que je ne reste pas ici trop longtemps. C’était une erreur de ma part d’appeler la jeune femme, alors autant que je rentre chez moi. Que je retrouve mon lit, pour m’y cacher probablement, et ma famille. Je la regarde quelques secondes sans rien dire, une nouvelle fois, et puis je l’interroge sur sa salle de bain. En plus d’effacer l’odeur éventuelle de l’alcool de toute à l’heure, la douche me permettra aussi de retrouver contenance. Avec ses indications, je m’éclipse de la pièce principale et n’attends pas plus longtemps pour me déshabiller et pour me glisser sous l’eau.