Who are you for me now ? [Shaykas]

❝ Who are you for me now ? ❞
Shay & Lukas

« Tu la quittes plus. » Je serre un peu les dents, esquissant un sourire à peine visible comme pour essayer de garder un minimum de contenance. Je fais fi de son sou-entendu, mais en même temps, j’aimerai aussi qu’elle prenne conscience que mon statut de femme au foyer qui attend que son épouse rentre, ce n’est pas non plus ce qui est le plus attrayant. Oh, j’ai un boulot, bien sûr, et je m’y épanouis, mais je bosse la plupart du temps ici, à la maison, et j’ai donc besoin de voir du monde plutôt que de rester cloitrée ici à attendre que Lukas rentre sur boulot à des heures pas possible. « Qu’est-ce qui t’en empêche ma puce ? Moi aussi je peux faire quelque-chose ? » Je me racle un peu la gorge, sachant que ce qui va suivre ne sera pas facile ni à dire ni à entendre. C’est ce genre de conversation que m’effraie avec Lukas parce que son impulsivité m’empêche de prévoir ses réactions. A peine le temps de poser le sujet sur la table que je la sens loin, infiniment loin. Mon coeur se serre mais je tiens bon, je veux continuer sur cette lancée, lui exposer mon envie. Elle sait à quel point je veux être mère, et je ne me sens pas capable d’attendre qu’on accepte notre dossier d’adoption. « Ce que j’en pense ? Que t’as tramé tout ça sans moi Shay, voilà ce que j’en pense ! » Je fronce les sourcils, surprise de l’entendre dire une chose pareille. « Chérie… non ! j’ai parlé de ça a personne encore, c’était juste entre moi et moi ! » Je veux qu’elle comprenne que Micah n’est pas au courant, que personne ne l’est à part elle présentement. Elle se lève, je peux sentir la colère transpirer de tous les pores de sa peau. Mon coeur bat plus fort et je reste assise à la regarder s’agiter. Elle s’éclipse sur la terrasse et je souffle légèrement, fermant les yeux comme pour essayer de garder mon sang froid. Je déteste quand elle est prise d’un instant de colère comme ça. Je me sens tellement impuissante, et aujourd’hui, fautive. Je respire une nouvelle fois et me lève doucement pour aller la rejoindre. J’ai du mal à calmer mon palpitant qui s’est affolé dans ma poitrine.

Une fois à son niveau, j’essaie de l’inonder de mon aura plus calme que la sienne, mais sans succès. Elle plante son regard dans le mien et crache son venin. « On aurait pu en parler avant tu crois pas ? Si c’est une question d’argent, tu lui en donnes Shay, je m’en fous que tu les aides du moment que tu ne fous pas cette histoire de bébé au milieu. Le monde ne marche pas comme ça. Ce n’est pas un échange de bons procédés ! Tout le monde n’est pas honnête, tout le monde n’est pas comme toi Shay, merde, tu vas le comprendre quand ?! » Je tremble de nerfs, de rage aussi qu’elle me parle comme ça. Je sais qu’elle m’aime, mais je déteste tellement ses excès de violence. « Lukas c’est justement pour ça que je t’en parle, pour qu’on prenne la décision ensemble. S’il te plait, calme-toi. » Je sais qu’elle déteste quand je lui demande de se calmer, ça l’énerve encore plus, mais j’essaie, à chaque fois, au cas où qu’un jour ça finisse par marcher. « Tu ne la connais pas, tu ne sais pas comment elle fonctionne, jamais elle n’acceptera de l’aide financière sans nous donner quelque chose en retour… » J’essaie de rester le plus calme possible même si ma voix tremble légèrement. Je ne suis pas rassurée de la voir dans cet état. « C’est quoi cette obsession qui reprend là ? Une gamine en plus, elle est pas assez perturbée tu crois pour porter un môme qu’on va lui retirer à la naissance ? Et la mettre dehors une fois là ? Tu crois que ça marche si facilement ? » Les larmes me montent aux yeux. Ses insinuations me font mal, parce que j’ai l’impression de passer pour un monstre à ses yeux. Elle crois que je n’y ai pas réfléchi ? Je ne sais même pas si Micah acceptera, c’est pour cette bonne raison que j’ai voulu en parler avec ma femme avant de proposer quoi que ce soit à qui que ce soit. « Et qu’est-ce-que tu fais de Wyatt ? On n’en parle plus, ça y est ? Tu vas peut-être les installer dans sa chambre ? » « Je t’interdis de dire ça ! » Ça y est. Les larmes dévalent mes joues. Elle me blesse. « Wyatt fera toujours partie de ma vie, je l’ai porté, je l’ai mis au monde ! Tu crois que je ne pense pas à lui chaque jour ? » Je viens plaquer mes mains sur son visage pour essayer de me calmer, respirer, mais c’est impossible. « Je peux pas rester comme ça cloitrée dans ce qu’on a perdu. J’ai envie et j’ai besoin d’avancer. J’ai l’impression que tu peux pas comprendre ça. J’ai besoin de me sentir mère, plus encore que tu as besoin de te sentir flic ! » Je passe ma main dans mes cheveux et soupire largement avant de me laisser tomber dans le fauteuil de jardin. « J’ai pas envie de vivre avec un fantôme toute ma vie, j’ai besoin de sentir que je sers à autre chose que d’attendre tout la journée que tu rentres du boulot. J’en peux plus Lukas. Je veux un enfant ! » J’ai presque peur de me dire qu’elle n’est peut-être plus la bonne personne avec qui je pourrai construire une famille. On a essayé mais elle ne semble pas avoir envie d’essayer une nouvelle fois. La vie est pourtant faite ainsi. Lorsqu’on tombe, il y a deux choix. Soit on se relève et on avance, soit on reste bloqué à terre. Et je crois que sur ce point, nous avons pris des chemins différents. Avancer ne veut pas dire oublier, c’est pourtant que que ma femme semble penser.

❝ Who are you for me now ? ❞
Shay & Lukas

« Ne me dis pas de me calmer Shay ! Pas quand tu m’annonces ça comme ça. Et ne me dis pas qu’on doit prendre une décision ensemble, tu l’as prise ta décision, non ? » Je savais bien qu’il valait mieux éviter de lui demander de se calmer. De toute manière je dois bien le savoir, c’est peine perdue quand elle en arrive là. C’est un point de non retour de toute manière, je le sais pertinemment. « On a monté un dossier pour l’adoption, tout ce qu’on a fait pour ça, tu t’en fous maintenant ? » Je secoue la tête à la négative, bien incapable de lui répondre pour le moment tant la boule dans ma gorge a pris de l’ampleur en si peu de temps. Ma voix tremblerait, ou pire, elle pourrait même ne pas sortir du tout. J’essaie pourtant de respirer, de prendre sur moi, de ne pas me laisser emporter par ce flot de larmes qui ne demande qu’à sortir. J’essaie de lui expliquer les choses, de me défendre, mais visiblement c’est peine perdue. « Super, de mieux en mieux… Tu sais ce que tu me proposes ? Du trafic d’être humain là Shay ! C’est peut-être légal ici mais ça n’en n’est pas pour autant légal ! Et tu t’entends parler ? Nous donner quelque-chose en retour. Ouais, super, un bébé. C’est pareil qu’adopter un chien. On garde le môme qu’elle nous pond, ni vu ni connu je t’embrouille et tout le monde y trouve son compte ! Et tu fais quoi des sentiments bordel ?! » Elle va beaucoup trop loin, elle est clairement en train de me faire passer pour un monstre, et si jusqu’à présent j’arrivais à retenir mes larmes et la colère qui montait en moi, ce n’est plus possible. Comment peut-elle parler de moi en ces termes ? Comment peut-elle me rabaisser de cette manière. Je crois n’avoir jamais été autant blessée venant d’elle. Elle a parfois dit des choses difficiles qu’elle ne pensait pas forcément, mais là elle va trop loin. J’essaie pourtant de garder le cap même si j’ai juste envie de m’enfuir loin. « C’est tout sauf l’impression que tu en donnes Shay. » Elle m’enfonce, encore et encore. Elle ne va donc jamais s’arrêter ? Elle aurait pu se contenter de me dire qu’elle n’était pas d’accord, me donner des arguments pour me faire changer d’avis, mais au lieu de ça elle m’enfonce plus bas que terre. Lukas n’est pas une femme méchante et je sais qu’elle ne le fait pas pour me blesser mais simplement parce qu’elle est blessée. Pourtant, ça n’excuse pas tout. « On est mères Shay… On a eu un bébé, moi j’en suis restée là. On a un bébé, je peux pas l’oublier, je peux pas faire comme si tout allait bien, comme si je pouvais être mère à nouveau. Si je suis flic, c’est que je suis rien d’autre que ça qu’un immense trou noir plein de douleur. Voilà, tu sais ce que je fais de mes journées, je souffre. » Je tombe de haut. Je savais qu’elle souffrait de la perte de Wyatt mais je ne pensais pas qu’elle allait vider sa peine dans mon boulot plutôt que de se livrer à moi, de me parler, que j’essaie au moins de la soutenir. Mais non. Elle préfère rester loin de moi le plus longtemps possible, rentrer, me faire l’amour et s’endormir pour recommencer le lendemain. Je reste choquée de ce qu’elle vient de me dire. Choquée et terriblement blessée. Pourtant, je me force à lui dire ce que moi je veux. Ce qui ne semble pas lui suffire.

« Et moi je veux Wyatt. Et il serait encore là si j’avais pas… » Je fronce les sourcils, attendant la suite de sa phrase qui tarde à venir. Le coeur battant, je me rapproche légèrement, la regardant s’installer sur le rebord de la terrasse. Je ne m’approche pas plus, restant tout de même en retrait, un peu trop blessée pour venir plus près d’elle. Elle enchaîne, me raconte cette soirée, ce cauchemar que nous avons vécu toutes les deux. Je sais que ça a été difficile autrement pour elle puisque c’est elle qui s’est rendu compte que notre fils ne respirait plus. Je sais que ça a été particulièrement traumatisant pour elle, je le conçois. Mais je reste attentive à ce qu’elle continue de me dire et plus les mots s’échappent, plus mon ventre se serre. Je suis obligée de prendre appui sur la table en bois pour ne pas vaciller. J’ai peur de ce qu’elle peut m’annoncer, tout un tas de scenarios se font dans ma tête, ça va très vite. Est-ce qu’elle m’aurait menti sur quelque chose qui aurait pu se passer ce soir là que je ne sais toujours pas. « Mais il était mort Shay, il ne respirait plus ! J’ai tué Wyatt, j’ai tué mon bébé, j’ai tué notre fils ! » Mon coeur implose dans ma poitrine. Lukas explose en sanglots et malgré toute la rancoeur que j’éprouve en cet instant pour elle à cause des mots violents qu’elle a eu à mon égard, je ne peux pas me résoudre à la laisser là, continuer de penser une chose pareille. Je m’approche, fais le tour et m’agenouille devant elle. « Mon amour… » Je viens la prendre dans mes bras et pleure avec elle. « Je t’en supplie, arrête de penser ça, arrête… tu n’es pas responsable, c’était un accident, personne n’est responsable des accidents. Et surtout pas toi. Tu as été une mère exemplaire… ne pense pas des choses pareilles… » Je la berce naturellement, comme pour essayer de la calmer, et je dépose un baiser sur sa tempe, la gardant dans mes bras. Les larmes continuent de défiler sur mes joues sans aucun bruit alors que Lukas est encore en plein sanglots. « Mon amour s’il te plait, calme-toi, respire… tu n’es responsable de rien, personne n’est responsable. Ne gâche pas ta vie en te rendant coupable de quelque chose qui n’est pas de ta faute… » Je la serre contre moi et ferme les yeux, me sentant coupable à mon tour de ne jamais avoir pu deviner une chose pareille. Je sais ce qu’elle peut ressentir, un peu du moins, puisque je me suis longtemps sentie coupable des fausses couches que j’avais faites avant la naissance de Wyatt. Comme si je n’avais pas été à la hauteur. Et aujourd’hui c’est à Lukas d’en passer par là. Mais est-ce qu’on s’en sortira indemnes ?