Batman appelle Robin. | Tom & Augustus.

Tom grogna une nouvelle fois, n'ayant pas d'argument à donner. Il n'avait pas envie de faire le mauvais bougre incapable d'accepter la plaisanterie. Donner le numéro de son collègue au lieu du sien, c'était quelque chose de sans gravité qu'il aurait pu faire également. Peut-être que le souci venait juste du fait que Gus lui avait coupé l'herbe sous le pied, privant le blond d'un amusement certain. Et qu'il serait obligé de repousser la jeune femme si elle venait à le contacter. Pas de relations au zoo, il s'était promis ça depuis le jour où il avait tenté un stagiaire il y a dix ans, et que cela avait fini en scandale public. Heureusement, peu de collègues avaient vu la scène, surtout des visiteurs. Et avec quelques mensonges bien tournés, Tom avait évité le pire. Le plus important pour l'instant, c'était d'éviter d'être lié à l'incident des flamants roses. Si le vétérinaire prenait la chose à cœur, ce n'était pas vraiment le cas du soigneur qui était détendu plus que de raison. Augustus avait pas tort ; après tout, même s'ils avaient des places prédestinées, ils étaient libres de se balader partout dans le zoo. L'organisation existait, mais le but restait quand même que tout fonctionne alors on ne laisserait pas un animal poireauter sous prétexte que le référent ou le soigneur habituel n'est pas dans le coin... « Tu devrais peut-être prendre des stagiaires. Tu peux toujours dire que c'est la faute du stagiaire. » suggéra le blond, à nouveau souriant. Il plaisantait bien entendu. Ayant été stagiaire, il savait quelle plaie c'était. Mais à vrai dire, quand quelque chose déconnait, Tom était convaincu qu'il ne pouvait y avoir que des torts partagés. La preuve était leur petite connerie.

« T'as un passif avec les agressions à la pomme de pin ? » Ils étaient bien placés pour savoir que les animaux avaient tous leur propre caractère. Il y avait les dociles, les rebelles, les teigneux, les sociables, les sauvages. D'un individu à l'autre, ils apprenaient à savoir à quoi s'attendre. Tom se méfiait assez des singes en règle générale, probablement à cause de leur intelligence. Ils prenaient ce qu'ils avaient à prendre et pouvaient ensuite totalement retourner leur veste. Il y avait toujours moyen de les amadouer heureusement, et c'est pour cela que Tom se permit de ne pas faire attention aux différents animaux déjà appâtés par leur présence. Allez, il allait accepter de croire qu'ici, on ne leur reprocherait rien. Puisque Gus s'attaquait aux pommes, le blond s'occupa des bananes qu'il éplucha et coupa en morceaux. « Tu sais, même si vaudrait mieux que personne n'apprenne ce qu'on a fait... J'adorerais voir Arthur s'étouffer d'indignation. » Il l'imaginait déjà devenir rouge, éructer et devoir parler avec ses bras sous le coup de la colère. Ce serait beau. Ça faisait rêver, ouais. Là où ils avaient mal pensé le coup, c'était qu'en fonctionnant ainsi, personne ne relierait la libération des oiseaux au dessert volé. Pas dit que ça serve de leçon malheureusement...

A vue d'oeil, ils avaient assez de fruits pour satisfaire tout le petit monde. « J'leur donne à la main moi. On est intimes maintenant. Hein les gars ? » Bon, personne ne lui répondit, mais ils n'en étaient pas moins présent. Du côté des chimpanzés, le frère et la sœur qu'ils avaient d'ailleurs accueilli récemment dans le zoo ne se firent pas prier pour venir se coller au grillage. Le vétérinaire leur laissa le choix, pomme dans une main, banane dans l'autre. La banane eut le dessus. « On devrait aller boire une bière après le boulot. Pour fêter ça, tu sais. » Comme s'ils avaient besoin d'un prétexte.

Tom lâcha un long soupir en s'affalant un peu plus sur le banc, observant son collègue couper les fruits. Très bien, ils n'utiliseraient pas les stagiaires pour assumer les responsabilités. En même temps ce n'était pas plus mal, chaque stagiaire dans le zoo ayant un tuteur attitré qui devait prendre les bêtises pour lui... En soi, les jeunes ne craignaient rien. Le directeur partait du principe que chaque stagiaire pouvait devenir un réel atout sur le long terme, les faire fuir ou les virer suite à une petite bêtise serait assez contre productif. Et puis les erreurs étaient le meilleur des apprentissages, cela donnait un exemple plus que concret de ce qu'il ne faudrait absolument pas refaire. Tant qu'il n'y avait pas mort d'animaux, alors ça allait... Le blond se souvenait encore de sa première connerie dans le zoo. Il devait avoir une vingtaine d'années, on l'avait chargé d'aller curer les sabots des zèbres. Il l'avait fait plutôt correctement mais derrière, en repartant, il avait oublié son tuteur dans l'enclos, emportant avec lui la clé et le talkie-walkie. Le vétérinaire de l'époque avait été sorti de là une heure plus tard, furax au possible. Ces espèces de poneys rayés restaient des animaux sauvages et particulièrement caractériels alors le mâle du groupe n'avait pas été particulièrement accueillant.

« La seule chose qui est triste c'est que je ne sais pas s'il fera le lien avec mon dessert. » Tom soupira d'un air extrêmement dramatique. Arthur était con comme ses pieds quand il le voulait, ce n'était pas dit qu'il fasse le lien. Ça en valait le coup quand même. Il esquissa un sourire à la vue de Eli qui faisait le grincheux. Ce chimpanzé était un vrai cirque à lui tout seul. Complètement bipolaire, capable de demander toute l'attention du monde pour changer d'avis et bouder la minute suivante. C'était vraiment l'ado capricieux, sans éducation, mais attachant malgré tout. Il deviendrait le mâle dominant un jour, c'était sans aucun doutes. Et à ce moment là... eh bien, le personnel serait bien content de connaître le chenapan depuis sa naissance. Ils pourraient jouer sur l'affect. Le frère et la sœur étaient moins têtus, prenant avec gourmandise les fruits que le vétérinaire tendait.

Il haussa un sourcil. Est-ce que la tournée de bière serait pour lui ? Il savait pas trop... C'était pas une question de moyens, mais de principes. « Je sais pas si tu l'as mérité. » Il lui avait servi de partenaire, mais en même temps, le coup du numéro à la blondinette... « On devrait se trouver un autre défi pour aujourd'hui. Tu gagnes, je paye ma tournée. Tu perds... tu te débrouilles. » L'idée lui plaisait bien. Après avoir passé la dernière heure à faire des conneries et n'ayant pas d'urgence sous la main, il ne serait pas contre continuer de faire le crétin. Il travaillerait sérieusement plus tard. Promis, d'ici la fin de la journée, il aurait fait l'inventaire des stocks pour les soins et aurait envoyé sa commande au service comptable pour qu'ils contactent les fournisseurs. « J'sais pas... On pourrait... faire un concours ? Genre, le premier qui trouve un roux parmi les visiteurs a gagné ? Ou alors le premier qui voit un animal dormir dans une position bizarre ? Puis si on se balade, un pourra rassembler les derniers flamants roses. » Il hoche la tête, convaincu de sa bonne idée.

Tom avait toujours été ce genre de type sociable. Il aime son boulot, il aime son appart'. Mais il aime encore plus sortir le soir pour boire une bière, rigoler jusqu'à regarder l'heure et se dire qu'il faudrait raisonnablement se mettre au lit avant d'entamer une nouvelle journée qui, avec un peu de chance, serait tout aussi fabuleuse. Il était un chanceux dans sa vie de tous les jours. Surtout quand il pouvait affirmer considérer ses collègues -exceptés les voleurs de dessert- comme des amis. C'était le cas de Gus et ses idées farfelues, et son sourire à toute épreuve, et ses idées à la con. D'ailleurs, la mention du rencard le fit profondément soupirer, une main sur le front, cet air théâtral collé sur le visage. « Je vais devoir briser un cœur par ta faute. Et je suis un homme sensible et empathique, je vais me morfondre dans mon lit pendant les trois prochains mois si ça arrive. Tout ça à cause de toi. » Bon, c'était surtout pour l'emmerder. Parce que honnêtement, à part être gêné et esquiver le chemin de la jeune femme pour les six prochains mois, ils s'en remettraient tous les deux. Il n'aurait qu'à prétendre que Gus s'était trompé sur le numéro. Et puisque le mérite n'était pas un critère valable pour déterminer qui paierait sa tournée le soir, Tom lança une autre idée.
Il cligna des yeux, un peu bête face à la réaction de son collègue. Ils parlaient d'avoir un gosse ensemble ? « J'sais pas pourquoi il serait roux. Tes parents sont roux ? Tu as des gènes dans ta famille ? Et puis c'est pas péjoratif, c'est comme... T'as jamais joué au jeu des voitures ? Du genre, si une voiture rouge passe, t'as gagné ? Ben voilà, c'est exactement pareil. C'est aléatoire. Si j'avais parlé d'un roux trisomique en fauteuil roulant, là ça aurait été une autre histoire. Et j'oserais jamais, tu me connais. » Il s'étire paresseusement sur le banc, fouille ensuite dans le sac pour en sortir une autre barre chocolatée. Il avait faim, l'air de rien. Il leva juste les yeux en entendant le talkie-walkie se manifester. Plus qu'un flamant rose, parfait. Comme quoi ils n'avaient pas pris trop de risques avec ces animaux. Il irait les voir durant l'après-midi pour s'assurer qu'ils aillent tous bien et l'incident serait clos. Il n'empêche que l'idée de défi fit naître une lueur de défi dans son regard. Le dernier flamant rose ? Parfait.

« Top départ ! » D'un bond, le vétérinaire se leva, tirant la langue à son collègue pour s'enfuir de la pièce et débouler dans le parc. Bon, le défi était de taille. Il hésita un instant à demander l'aide des visiteurs, ou passer un appel au gars de la sécurité pour voir s'il n'avait pas une piste. Mais il se la joua à la loyale, s'accorda pour seul avantage son endurance qui lui permit de trotter dans le parc pendant bien 20 minutes. Sans fichu résultat. Et ça le fit pester sur la taille massive de ce parc, jusqu'à ce qu'il tombe sur un flamant rose. Pas celui attendu, mais un flamant rose quand même. Il dégaina son talkie-walkie, cria un « POUUUUULE » retentissant. Les visiteurs le regardèrent bizarrement à ce moment précis, mais il s'en fichait pas mal. Il sortit son téléphone pour prendre l'animal en photo, l'envoya en photo à Gus. « Par contre j'ai besoin de 4 dollars pour le récupérer. On dit que j'ai gagné ? » il tapota sur le clavier de son téléphone. C'est vrai que même en étant le vétérinaire, il n'aurait pas droit à un ballon gonflé à l'hélium gratuit. Même si c'était un flamant rose. Dommage.

Finalement, même si gagner du temps était un peu le but de premier, le fait d'imaginer à quoi ressembleraient des croisements Gus/Tom était aussi une parfaite raison pour détaler de la salle à la recherche du flamant rose manquant. Parce qu'ils rigolaient et comptaient sur leurs collègues mais l'air de rien, si l'animal ne rentrait pas intact dans son enclos et si l'incident s'ébruitait de trop, si le directeur décidait d'enquêter... ils pourraient être dans la panade. Il suffirait d'une caméra, d'un témoin, et qui sait ce qui pourrait leur tomber dessus... C'est pas comme si le zoo le plus proche était à côté. Et puis pas dit que le directeur leur fasse une lettre de recommandation. Et puis même, Tom se refusait à passer sa journée à soigner des chiens et chats, pas maintenant qu'il était qualifié pour des animaux qui en théorie ne devraient même pas se trouver sur le continent. Bref, il fallait retrouver le flamant rose le plus rapidement possible. Ensuite ils retourneraient à leurs tâches quotidiennes, et avec un peu de chance, plus personne ne reparlerait de cet incident -sauf eux deux pour se moquer d'Arthur-. Sauf que voilà, du côté du blond, la chasse ne fut pas très concluante. À part le pull rose pétant d'une mamie et le ballon -qui ne lui garantissait pas la victoire-, Tom n'avait pas choisi le meilleur chemin dans le zoo pour tomber sur l'animal convoité.

Ça ne le surprit même pas quand son téléphone vibra, annonçant un message de Gus avec la photo de la preuve. Avec quand même une issue pour Tom. Il l'attrape, ils font match nul. « Ok. Reste où t'es, je vais arriver dans l'autre sens. » Il pianote rapidement avant de rebrousser chemin. Une chance qu'il connaisse le zoo comme sa poche. Le temps de contourner quelques enclos, de passer par les raccourcis réservés au personnel, de traverser la zone des reptiles (avec un arrêt minute chez ses tortues), et il arrivait à l'autre bout de l'allée. Le flamant rose était toujours là, Gus à l'autre bout.  Plus qu'à se rapprocher, mais... « J'ai pas pris de corde, va falloir l'encercler et l'escorter. Bon courage partenaire ! » qu'il annonce dans le talkie-walkie. Puis enfin, il se rapproche, doucement pour ne pas effrayer la bestiole. Heureusement, ce n'est pas la plus farouche, et ils finissent par l'attraper, l'empêcher de fuir encore. Ils se prennent bien quelques coups d'aile, Tom esquive même un coup de bec. Mais en bougeant, ils arrivent quand même à rejoindre le parc des flamants roses. Finalement, c'est un succès. « Le compte est bon, tout le monde est rentré sain et sauf ! On te remercie pas Arthur ! » Il éteint le talkie-walkie en rigolant comme le dernier des cons. Ça aura été une sacrée aventure.

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