Jeu interdit | Elsa.

Je regarde ma guitare acoustique. Ainsi que les autres instruments qui l’accompagnent. Il y avait la batterie, le piano, l’autre guitare. Oui. Celle de Dean. Cela faisait un moment que je n’étais plus venu dans notre salle de répétitions. Cela faisait un moment qu’on n’avait plus joué ensemble mon pote et moi. Et cela me manquait énormément. Pour ne pas dire atrocement. Mon meilleur ami avait une vie bien chargée entre son métier de sapeur-pompier et sa petite amie. Sans compter toutes les autres choses qui le préoccupaient. Je ne pouvais pas lui en vouloir de ne pas nous consacrer de temps. Mais notre petit groupe me manquait. Ça m’attristait beaucoup parce que Liv avait décidé de partir elle aussi. D’un trio je m’étais retrouvé seul. Cela ne m’empêchait cependant pas venir de temps en temps pour dégourdir mes doigts sur un des instruments. Surtout que ma guitare ne me quittait que rarement lorsque je ne travaillais pas. Je passe des heures à gratter les cordes. En dehors du Magic et de mes cours à l’université, je n’avais rien d’intéressant à faire. Alors jouer de la musique me détendait. Le célibat avait quand même ses bons côtés en y réfléchissant. Si un jour je me trouve une petite amie et que l’on fonde une famille, je sais que je n’aurais plus le temps pour faire tout ça. Alors j’en profite.

J’aimerai bien trouver une personne avec qui jouer de temps en temps lorsque Dean n’est pas disponible. Ou même pour fonder un nouveau trio pourquoi pas ? Faudra en revanche que je convaincs mon pote d’accepter une autre personne. Car il est tellement timide… Cela n’avait pas été facile d’intégrer Liv avec nous. Maintenant qu’elle n’est plus là, voudra-t-il retenter l’expérience avec un ou une autre inconnu(e) ? Seul l’avenir le dira.

En attendant d’en arriver là, j’avais décidé de faire des cours de guitare à qui voudrait bien de mes services. Même si je suis loin de rouler sur l’or, je ne demandais rien en échange. Juste passer du temps avec quelqu’un à partager ensemble une même passion me satisfaisait amplement. Pour cela, il y a quelques jours, j’avais déposé une annonce dans une supérette du quartier. Ce matin, j’ai reçu l’appel d’une femme, une certaine Elsa. Mon annonce l’intéressait. Je lui ai donc donné l’adresse du local et l’attendait tranquillement en interprétant un morceau d’Eagles. La célèbre chanson Hotel California.

Quand je me mets à faire de la musique, c’est comme si je m’enferme dans ma petite bulle. Plus rien autour de moi compte. Après avoir reçu le coup de fil de ma future potentielle élève, j’ai fini ce que j’avais à faire au Magic. Puis je suis venu directement au local de Dean pour accueillir la demoiselle. Sachant qu’elle n’allait pas arriver tout de suite, j’en ai profité pour me défouler un peu à la batterie. Avec tout ce qui me tombait sur la tête ces derniers temps, j’avais un besoin fou de vider toute mon énergie. Je commençais ensuite à reprendre mon sérieux et à jouer correctement des morceaux de musique connus. Et d’autres moins connus. Voir pas du tout. Comme mes propres compositions. Je joue depuis plus d’une heure quand doit arriver le moment où la miss devait se pointer. En tout jouant, je chante aussi. Je savais qu’en étant seul, je n’aurais aucun jugement d’autrui. Je n’aime pas chanter en public. Pourtant je ne me débrouille pas trop mal. Je suis un perfectionniste dans l’âme. Et Dean sait combien il en a souffert de ma maniaquerie de la perfection lors de nos répétitions. C’était peut-être une des nombreuses raisons qui a fait notre éloignement. L’abandon de nos répétitions. Il faut vraiment que je me remette en question sur ça. Et je compte sur le faire avec Elsa. Je n’ai pas envie de la traumatiser. Juste passer du temps ensemble à gratter les cordes de nos guitares.

Après Hôtel California, je me lève du tabouret et va voir si la demoiselle arrive. En ouvrant la porte, je sursaute. Je ne m’attendais à ce qu’elle soit déjà là ! « Oh ! Euh… Ca… Ca fait longtemps que tu es là ? Enfin tu… Vous êtes Elsa ? » Ma main sur mon cœur, je souffle un petit coup et tend ma main vers la fille. « Je suis Spencer. Allé viens, entre… » Je la trouve plutôt mignonne. Ce sera plus sympa de passer du temps avec elle plutôt qu’un laidron. Enfin bon ! Je ne suis pas là pour draguer. Juste pour lui apprendre à jouer de la guitare. « Vas y, installe toi ! » Je repris ma place sur le tabouret. La guitare ne me quittant pas, je fais quelques petites notes pour détendre l’atmosphère. Quoi qu’elle n’est pas tendue. « Tu veux bien me montrer un peu ce que tu sais faire ? » Je lui souris

J’étais vraiment surpris en ouvrant la porte. Car si elle avait frappé, je n’avais pas entendu. Je n’avais pas le look typique du musicien contrairement à ce qu’elle pouvait s’attendre. Comme j’étais venu au local directement après le boulot, j’étais vêtu d’un pantalon de ville de couleur ocre et d’une chemise blanche. J’avais repilé les manches pour être plus à l’aise dans mes mouvements. M’étant rasé la veille, j’avais une petite barbe naissante recouvrant mes joues. J’avais mis mes lunettes pour lire les partitions. C’était rare que je les porte mais cela arrivait. Puis de toute façon je me demande bien pourquoi je les avais mises car je n’avais même pas ouvert mon classeur de partitions. Sans doute la fatigue. Je ne les avais pas retirées après le boulot. Là-bas, on me différenciait aussi par rapport à mon accent. Quatorze ans ici et je gardais mon accent newyorkais. Il n’y a que lorsque je chante que l’on ne l’entend pas. Bizarre non ? En tout cas, je remarque directement qu’avec Elsa, nous avions un second point commun, après celui de la musique. Elle aussi était une étrangère. « Euh… Oui. Je veux bien ce sera plus simple. » Se tutoyer facilitera aussi les rapports humains. J’ai toujours trouvé que le vouvoiement met des barrières. A peine je la fis entrer et s’installer que je lui demande de me montrer ses talents de guitariste. Timide de nature, surtout avec les femmes, je ne sais jamais trop comment engager une conversation. Je vais droit aux faits et c’est simplement une fois le contact réalisé que je me permets de papillonner dans les conversations. Elle me fit rire avec sa petite plaisanterie sur le froid. « Ca marche. » Elle commença à jouer sans me dire quel morceau elle avait choisi. Je l’écoutais très attentivement en fermant les yeux. Je me concentre sur les notes. Dans l’ensemble ce n’est pas trop mal. Je m’attendais à pire pour dire vrai. Au bout de quelques mesures seulement je trouve le tempo et me mit à battre doucement le talon pour imiter la mesure. Puis lorsque le titre me fit tilt dans la tête, je regarde Elsa en lui demandant. « Ain’t no rest for the wicked de Cage the Elephant ? » Etant dj, je connaissais énormément de morceaux. J’étais sûr mais je voulais avoir confirmation. Et lorsqu’Elsa me la donna, je commence à retranscrire les notes aussi sur ma guitare. Elsa ne semblait pas m’en vouloir. Elle avait juste fait quelques fausses notes. Le fait que son solo devienne un duo l’avait peut-être aidé un peu. Je l’ignore. J’ai juste remarqué qu’elle fixait mes doigts sur les cordes. A la fin du morceau, je ne pus que la complimenter. « Tu es sûre que tu as besoin de leçons ? Pour moi tu as déjà un très bon niveau. Tu as pris des cours avec un professionnel ou toute seule ? » C’est toujours intéressant à savoir comment les gens ont commencé à jouer de la musique. Me concernant, j’ai pris appris seul. Ayant eu une scolarité difficile, j’étais toujours le gars avec qui personne ne voulait trainer. Alors je passais mon temps à apprendre à jouer de la musique. J’avais commencé par la guitare. J’ai appris bien plus tard à lire une partition. Après la mort de maman plus précisément. Lorsque j’avais abandonné le dessin. « Tu as fait très peu d’erreurs. Tu veux qu’on tente de la rejouer ensemble ? Sinon on essaye un autre morceau. Tu me dis ce que tu préfères Miss. »

Je souris à la remarque d’Elsa. Il est vrai que ce groupe n’est pas très connu. Mais bon avec mon métier de dj, il est normal que je connaisse énormément de groupes et d’artistes en tout genre. Au moins pour réussir à contenter les demandes de mes clients qui sont parfois étonnantes mais surtout très différentes. Je fais beaucoup de recherches quand je ne connais pas. Je suis tombé sur des goûts plutôt sympa comme d’autres qui laissent à désirer. Mais ne dit-on pas que les goûts et les couleurs ne se discutent pas ? Je ne suis qu’un animateur. Et en tant que professionnel, je n’ai pas le droit de juger mes clients. Ce sont eux qui payent pour recevoir les prestations qu’ils demandent. Ce sont eux les patrons et moi je me considère un peu comme un chef d’orchestre. « Je te comprends. J’avoue que je ne connaissais pas avant qu’un client me parle de ce groupe. » Je n’en dis pas plus pour le moment sur mon métier. On a tout notre temps pour discuter et apprendre à mieux se connaître. La priorité est d’abord à la musique. A la façon dont Elsa joue de la guitare. Il est vrai au début qu’elle n’avait pas une excellente posture. Mais elle se rattrape d’elle-même sans que je n’aie à intervenir. C’est une très bonne chose. Je l’accompagne tout en lui laissant le premier rôle : le solo. Le fait que je tape du pied pour donner la mesure semble l’aider. Je pourrais passer à la boutique d’instruments de musique. J’y trouverais un métronome sans problème. Enfin jusqu’à présent, personnellement, je n’en ai jamais eu besoin. Après à voir si la relation qui se noue avec la jeune femme se développe et que l’on décide de jouer ensemble régulièrement, afin qu’elle s’entraine en solo, je pourrais lui en prendre un. A voir…

Elsa m’apprend son passé de musicienne. Ceci explique donc cela. Elle a déjà l’oreille musicale. Ce qui facilite énormément dans l’apprentissage d’un autre instrument. «  Si tu veux, après tu peux t’éclater avec le piano. Ou la batterie si tu veux essayer. Ils sont là pour ça. Dean ne dira rien. » Dean c’est mon pote. Mon ami d’enfance. Celui avec qui je jouais beaucoup pendant une période. «  Tu le verras peut-être une prochaine fois. Tu verras, il est super sympa. » Je souris à la miss pour lui donner confiance.

Nous rejouons une fois le morceau de Cage the Elephant. Cette fois ci ce n’était pas un solo avec un simple petit accompagnement derrière mais un véritable duo. A l’exception de quelques couacs, ce n’était pas mal. Après cela, je me lève et me dirige vers le mini frigo. «  Tu veux un truc à boire ? » Je regarde ce qu’il reste en réserve. «  J’ai du coca ou de l’eau. » Je me prends un soda et offrit à la demoiselle ce qu’elle voulait. « Tu n’es pas du coin. Je me trompe ? » Je ne l’ai jamais vu auparavant. Je cherche donc à faire plus ample connaissance. «  Qu’est ce qui t’amène ici si ce n’est pas trop indiscret ? » Je suis curieux et je l’assume.

Ma proposition pour jouer un des autres instruments ici présents semble enjouer la jolie demoiselle. Je juge ça au large sourire qu’elle me renvoie. J’ai hâte de l’entendre au piano. Et étant donné son passé de musicienne, j’étais déjà persuadé qu’elle est très douée. Pour le piano, Elsa m’apprendra très certainement des choses. Je n’ai jamais eu de cours. Donc cela ne m’étonnerait pas que mon jeu de doigts soit médiocre. Sans doute plus que je ne le pense. Pour le perfectionniste que je suis, je risque d’avoir un peu de mal à encaisser si Elsa le confirme. Mais je me dis que je ne pourrais que m’améliorer. Tout comme Elsa avec sa guitare.

J’évoque le prénom de Dean. La jeune femme désire en savoir un peu plus sur lui. Ce qui est normal. Surtout si avec mon pote on décide de rejouer de temps à autre. Ce serait bien qu’Elsa soit là et nous accompagne… « Oui… Enfin… » Je soupire lentement en scrutant la pièce. Elle est si vide sans la présence de Wilkerson. « On a grandi dans le même quartier. Enfants on était inséparable. On a joué ensemble pendant des années tous les soirs. Jusqu’à des trois heures du matin c’est pour te dire... En fait quand on décidait de faire une pause c’est qu’on se rendait compte qu’on n’avait pas encore mangé. Dans les snacks, les équipes de nuit avaient l’habitude de nous voir. En général on était les derniers clients a commandé des menus frites hamburgers coca avant ceux qui prennent leurs petits déjeuners. » Un sourire se dessinait sur mes lèvres en remémorant les bons vieux souvenirs. « A cette époque-là on était encore jeune et insouciant. » Ce n’est pas rare que je parle comme une personne âgée. Quelques fois mes collègues me moquent de moi en m’appelant vieux croûton. Même si je ne dis rien et fais comme si de rien n’est, ça fait un peu mal. Je sais que je suis un mec avec des réactions bizarres et des attitudes d’un autre monde. « Il n’y a pas longtemps, on jouait encore régulièrement ici. C’est Dean qui loue ce local. » J’ai beau réfléchir. Je ne sais pas pourquoi on ne répète plus ensemble. On ne s’est pas disputé pourtant. Ca m’attriste de ne plus voir mon pote comme avant. Mais bon c’est la vie. Que voulez-vous ?

Nous avons fini de jouer le morceau choisi par Elsa. Je l’invite donc à boire un coup avant de reprendre sur autre chose. Elle a pris de l’eau. On en profite pour faire plus ample connaissance. Elle me parle de ses origines et de la raison de sa venue ici à Island Bay. « Tu as raison. Je suis américain. De New York plus précisément. » Enfin… « J’ai grandi là-bas. » C’est drôle comme le monde est petit. L’histoire d’Elsa me rappelle celle de la fille qui m’a abordé l’autre soir au bar. « Ta compagne ne s’appellerait pas Odessa et son fils Roméo par hasard ? » Je me trompe peut-être. Je voulais en avoir le cœur net.

Je ne comprends pas la question d’Elsa. Je la regarde d’un air étonné. Pourquoi quelque chose de mal se serait passé entre Dean et moi ? « Comme si quoi ? » Comme s’il était mort ? Bah non… « Ah non ! Pas du tout… » Je lui fais un petit sourire gêné puis jeta un regard triste vers la batterie. « La vie nous fait prendre des chemins différents. C’est tout… » Dean a une vie bien plus remplie que la mienne. « Il a un métier prenant. Il est sapeur-pompier. Et il… Il a aussi une petite amie qu’il veut demander en mariage. » Le veinard…. « Le… » Je refais face à Elsa en lui souriant de bon cœur cette fois-ci. « Oh le connaissant, je suis certain qu’il est déjà en train de tout planifier le mariage avant même de demander sa main à Chloé ! » C’est un point commun que nous avons tous les deux : vouloir tout organiser à l’avance. « Quant elle lui aura dit oui, j’espère être invité à leur mariage. » Et si je ne le suis pas, je serais un peu triste d’être mis encore de côté. Mais ce n’est pas bien grave. Le plus important c’est que mon pote soit heureux !

Elsa semble bien impressionnée de savoir d’où je viens. Pourtant je ne comprends pas. Il est vrai que New York est une ville mondialement connue. Mais je ne souhaite à personne d’aller y vivre. Ce n’est pas mieux qu’ailleurs. On y voit de nombreuses mauvaises choses, des violences. Peut-être que je ne suis pas objectif étant donné le drame que j’ai vécu là-bas : l’assassinat de ma mère. La miss veut savoir pourquoi je suis venue ici à Island Bay. « Maman me parlait beaucoup d’ici. Elle… » Je soupire un instant en ayant l’air perdu. Je le suis toujours. « Elle voulait revenir ici. » Je commence à me faire qu’elle m’ait menti toute ma vie. « Alors j’ai tout quitté là-bas pour ramener ses cendres au pays. » Ma gorge se serra. Je revois encore cet homme la poignarder. J’étais là. J’ai tout vu. Elle est morte dans mes bras.

Je me lève soudainement avec ma canette de coca et vient m’installer derrière le piano après avoir bu quelques gorgées de soda. Le dos bien droit, mes doigts commencèrent à danser sur les touches. Je ferme les yeux le temps des quelques notes jouées. Vivo per lei. C’était un des morceaux préférés de ma défunte maman. Je pianote qu’une dizaine de mesures. Pas besoin de monopoliser tout ce temps précieux avec mes états d’âme. Je n’ai pas à partager ma déprime avec tout le monde. Elsa n’a pas besoin de ça. De subir ça alors qu’elle a d’autres chats à fouetter.

La conversation tourne autour de sa compagne et du fils de cette dernière. C’était bien Odessa et Roméo à en juger la réaction d’Elsa. Je suis surpris qu’elle le prenne comme ça. Elle ne semble pas contente que je connaisse sa copine. Ou je me trompe peut-être. Je ne me démonte pas pour autant et lui réponds calmement. « J’ai rencontré Odessa l’autre soir au bar. Elle était mal au point vis-à-vis de son fils. » Sous-entendu qu’elle s’était laissée aller à la boisson. « Comment va Roméo ? » Je ne connais pas le petit garçon. Ça me touche énormément sa maladie. Pourquoi frappe-t-elle un petit être innocent ? « Et Odessa ? » Je demande par la même occasion des nouvelles de la jeune femme. J’ai beaucoup repensé à elle depuis l’autre soir.

Dean est pour moi comme un frère. Il a beaucoup à gérer dans sa vie. Je n’ai pas le droit de le monopoliser pour des broutilles. Je refuse d’être le boulet au bout de la chaine qu’il doit tirer avec son pied. De le retarder. Il a déjà un passé assez douloureux avec un enfant qu’il ne peut plus voir car il est resté dans notre ancien pays… Bref ! Je sais qu’il va se marier car mon ami m’en a parlé la dernière fois que l’on s’est croisé devant le commissariat. Après si je ferai partie des invités de son mariage cela reste à voir. Il voudra peut-être s’unir à Chloé dans la plus stricte intimité. « C’est gentil ce que tu dis de moi. Enfin on verra bien. » Il n’y a plus rien à dire la dessus. Seul l’avenir nous donnera les réponses que l’on ignore encore à l’heure actuelle.

Etant tous les deux étrangers, parler de nos origines fait remonter des souvenirs en surface. Bon comme ceux évoqués avec Dean. Et d’autres dont je me passerai. Mais cela fait partie de moi, de mon passé. C’est comme ça et pas autrement. Malgré les années qui passent, il n’y a pas un jour sans que je pense à ma mère et à notre vie à New York. Elsa semble convaincue que Saphir… Ah non Lindsey ! Décidément je n’arrive pas à me faire à sa véritable identité ! Elsa semble convaincue que maman est mieux à Island Bay. « Oh ça c’est sûr ! » Ces mots sont sortis tout seul de ma bouche. Et pour cause… J’ai toujours connu ma mère faisant le trottoir. Galérer à finir les débuts, milieux et fins de mois ne serait ce que pour nous nourrir. Sans parler des nombreux coups et blessures qu’elle recevait en faisant de la prostitution. Elle ne m’a jamais caché ce qu’elle faisait pour gagner sa vie. Il n’était pas rare que je l’attende dehors par tous les temps pendant qu’elle recevait un client dans notre appartement insalubre. Et quand j’étais déjà là, je m’enfermais dans ma chambre. Malgré les écouteurs recouvrant mes oreilles, j’entendais les ressors dans son lit grincer. Les cris qu’elle faisait. Et quand le client partait, quelquefois je l’entendais aussi pleurer. Tous les soirs je priais pour qu’elle rencontre quelqu’un de bien qui la sorte de cette situation. Mais en vain… La mort eut raison d’elle. La faucheuse l’a sorti de cet enfer insoutenable. Paix à son âme !

Vivo per lei. Elsa me confie que son frère aime beaucoup cette chanson. « C’était la préférée de ma mère. » Je tends ma main vers Elsa afin qu’elle me rejoigne au piano. Je me décale sur le banc afin qu’elle y prenne place. Je pose la main de la jeune femme sur les touches du piano. J’aimerai beaucoup l’écouter en jouer. Mais seule Elsa décide si elle veut ou non.

Elle s’excuse pour sa réaction au fait que je connaisse Odessa. « Ne t’inquiète pas pour ça. Et si cela peut te rassurer, il ne s’est rien passé entre elle et moi. On a juste passé notre soirée à discuter ensemble. » Et à boire aussi mais cela me parait inutile de le préciser. Nous étions dans un bar. Nous étions là pour ça. La miss me donne des nouvelles de sa compagne et de l’enfant. « En espérant que Roman pourra aider Roméo à aller mieux. » Il ne m’a pas parlé encore de son fils. Mon coloc est assez discret sur sa vie privée. Il attend peut-être d’avoir les résultats des tests pour annoncer qu’il est papa. Elsa commence à pleurer. « Hey ! Viens là… » Je me permets de la prendre dans mes bras pour la consoler. Elle a le droit de craquer. Je ne la jugerais pas. Loin de là…

Elsa tente de m’expliquer ce qu’elle ressent en touchant le piano. Elle en oublie ses mots. Mais l’émotion étant bien présente, je ne peux que la comprendre. Je l’écoute ensuite reprendre Vivo per lei. Effectivement, il n’y a pas photo entre nos deux façons de jouer. Elle est une professionnelle. Je ne suis qu’un amateur à côté d’elle. Pendant que la Miss interprète le morceau, elle me montre quelques astuces et techniques afin que j’apprenne à mieux me débrouiller avec cet imposant instrument. Bouche cousue, j’observe tous ces faits et gestes. Je suis une personne très observatrice. J’apprends énormément rien qu’en regardant comment font les autres. C’est comme ça que j’avais appris à faire du piano : enfant je ne me lassais pas de voir maman en jouer. « Tu joues comme si tu n’as jamais cessé d’en faire. » Elsa se trouvait un peu rouillée. Moi non. Elle en joue si merveilleusement bien. Je ne considère pas mes mots comme un compliment mais plutôt comme un fait.

A la fin du morceau, Elsa change totalement de registre pour faire un peu de jazz. Je me décale légèrement afin de lui laisser plus de liberté dans ses mouvements. « Je ne me trompe pas en disant que toi tu aimes le jazz. » Dis-je en souriant. « Si ça m’a plu !? Non mais tu plaisantes j’espère ? » Je l’applaudis un peu en lui demandant. « Ca te plairait qu’on se voit toutes les semaines, ou au moins le plus régulièrement possible selon tes disponibilités afin qu’on joue ensemble ? Je crois que j’ai trouvé mon nouveau duo. A défaut d’être avec Dean… Elsa fera l’affaire. Elle ne peut évidement pas remplacer mon pote d’enfance. Mais elle peut devenir une nouvelle amie si le cœur lui en dit.

Ne sachant pas pourquoi, je me suis senti obligé d’annoncer à Elsa qu’il ne s’était rien passé avec sa compagne. Elle me croit volontiers. Je fus un peu étonné de sa réponse d’ailleurs. « Oh toi tu n’es pas du tout folle de jalousie si quelqu’un s’approche d’un peu trop près d’Odessa. » C’était à la fois ironique et rigolo en même temps. Enfin je ne sais pas si je me suis bien exprimé. En espérant qu’elle ne le prenne pas mal… Elsa ne veut pas qu’on parle de Roman. Je peux très bien la comprendre étant donné qu’il est l’ex de sa petite amie. « D’accord. Il n’y a pas de problème. »

J’ai fait pleurer Elsa en parlant de la situation de Roméo et je m’en veux. Comment me faire pardonner ? Un simple câlin de réconfort n’étant pas suffisant, je m’excuse à mon tour. « Tu n’as pas à être désolée. C’est de ma faute si tu es dans cet état. Je n’aurai pas dû. Je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Pardonne-moi. » Je ne savais pas trop quoi dire pour me racheter. « Tu ne m’embêtes pas. Loin de là. Dis-moi au contraire ce que je peux faire pour t’aider ? » Je me sens tellement impuissant face à la situation. Que faire ?