Stuck in the elevator ○ Nina & Arielle

Stuck in the elevator

Les mois passent rapidement depuis que je suis à Island Bay. C’était déjà un des moments de l’année que je redoute le plus, non pas la Saint-Valentin, elle était déjà passée et c’était beaucoup moins pire que ce que j’imaginais, d’être seule. Non, je parle plus de cette période après, le temps de faire mes impôts. Je n’ai jamais été bien riche, puis maintenant que j’avais une entreprise à mon nom c’était un peu plus compliqué. Je n’avais jamais fait mes impôts moi-même, même en tant que simple travailleur, je n’allais certainement pas me donner le défi de les faire moi-même en tant que patron ! Ça faisait tout drôle de me nommer patron, je ne m’étais jamais vraiment senti comme tel. Dans ma tête, j’étais toujours une employée au même titre que tout le monde, j’avais seulement la gestion en plus. Je pris alors rendez-vous cette journée-là avec mon comptable habituel, je faisais affaire avec lui depuis quelques années déjà, en fait depuis que je suis à Island Bay. Mes déclarations passées c’était bien déroulées, alors pourquoi changer une formule gagnante? Je pris le bus afin de me rendre à Wellington pour mon rendez-vous, j’étais une dizaine de minutes d’avance, mais je décidai d’y entrer quand même, au cas où un autre rendez-vous aurait été déplacé ou annulé avant le mien, puis si ce n’était pas le cas ça n’allait certainement pas me tuer d’attendre une dizaine de minutes dans cette salle d’attente. L’immeuble était énorme, mon comptable travaillait pour une grande entreprise. L’architecture est magnifiquement soignée, moderne, mais avec une touche victorienne. Me trouver à cet endroit me faisait presque sentir comme une grande personne, je pouvais prétendre d’être la femme d’un riche homme d’affaires ou une grande impératrice. Je me surpris à rire à cette pensée, personne n’allait me croire avec mes fringues tout droit sortie de la friperie, j’avais un look plutôt vintage stylée, ça paraissait plutôt bien à mes yeux, mais rien pour faire croire que je roulais sur l’or.

J’entrais dans l’immeuble et appuya sur le bouton de l’ascenseur. Je regardai ma montre rapidement puis satisfaite du temps qu’il me restait, j’en profitai pour défaire un nœud qui s’était formé dans ma crinière rousse. C’était assez fréquent, lorsque l’on a de longs cheveux épais, c’est une mission impossible de ne pas avoir de nœuds. Quelques secondes plus tard, l’ascenseur arriva à mon étage prêt à m’accueillir, elle ouvrit ses portes sur un visage qui m’était familier. C’était Nina, une amie et une fidèle serveuse au Island Pub. Je ne pus m’empêcher de lui sourire. Dans n’importe quelle pièce où Nina se trouvait, elle y apportait un rayon de soleil avec sa joie contagieuse.

« Hey ! Je ne croyais jamais te croiser ici, comment tu vas? »

Plutôt idiot comme question puisque je l’avais vu avant-hier à notre quart de travail. Quoi que, tout peut se passer en 48 heures!  Je lui fis un grand sourire, même si nous nous côtoyons fréquemment, j’étais quand même heureuse de la revoir.

Stuck in the elevator

Je savais que quelque chose de terrible s’était passé dans la vie de Nina, ces derniers temps. Elle avait pris quelques congés, mortalité dans la famille. Je n’ai pas cherché plus loin, Nina avait le cœur au travail et était très compétente, quelques jours sans elle n’allaient pas nous tuer et ne valait certainement pas la peine d’enlever le pansement pour exposer la plaie une fois de plus. Je sais très bien ce que c’est, quoi que pas du tout à la fois. La mort, j’y avais rarement été exposée. Un ami d’enfance était décédé lorsque j’étais encore gamine, mais ce n’était pas quelqu’un de très proche de moi ni ancré dans mon quotidien. Par contre, il serait faux de dire que d’avoir coupé contact avec mes parents n’a pas requis un deuil. J’ai eu cette impression de les avoir fait mourir dans mon esprit, d’avoir littéralement appris à vivre sans eux et ne plus avoir cette nécessité de penser à eux. Je pense toujours à eux, certes, mais comme l’on pense aux gens qui sont morts, dans l’impossibilité de les avoir avec nous. La différence est que j’avais fait un choix, contrairement aux gens qui perdent quelqu’un par mortalité, je ne voulais réellement plus les revoir, tandis que ces gens en réel deuil n’ont pas eu l’opportunité de faire un choix, ils ont été obligés de vivre avec.

Je fais cette comparaison dans mon esprit seulement, je sais que la mort est un sujet sensible, que ça fait constamment mal dans une partie de notre être, alors j’évite de parler de cette coupure mit à part avec les gens qui l’ont vécu de ma façon. Puis je comprends, quelqu’un qui tente de se mettre à votre place, mais qui ne vit pas la même chose, c’est frustrant. C’est difficile de ne pas avoir eu le choix et j’en suis consciente, on m’a remis en pleine figure que je devrais reprendre contact avec mes parents pour cette raison. C’est encore plus compliqué d’expliquer à une personne en constant manque d’une autre qui se trouve vers l’au-delà que quelqu’un toujours sur cette terre vous fait sentir comme si vous mourrez peu à peu, de l’intérieur. C’est aussi très frustrant, alors j’évite le sujet, tout simplement. J’ai appris que le mal causé est alors moins grand puisqu’il n’est pas contesté, la pire facette du deuil ou de n’importe quelle étape difficile de la vie est de sentir que nous sommes incompris. Elle fit une référence assez floue sur sa venue ici, c’était un bon non verbal pour garder la confidentialité ce que je comprenais entièrement, après tout, il est rare que l’on soit ici pour autre chose que finance. Dieu sait que vos finances doivent restées confidentielles avec n’importe qui, je l’ai appris très jeune.

« Oh, je vois, je m’en vais régler un tas de paperasse moi aussi. Il y en a tellement, je vais probablement en oublier moi aussi. »

C’est comme ça que j’étais avec Nina, comme si de rien n’était, mais toujours ouverte. Si elle avait un jour envie d’en parler et de vider son cœur, je serai alors de la meilleure écoute possible. En attendant, j’étais l’amie que j’ai toujours été, quoi que patronne en même temps, mais je ne crois pas avoir la crédibilité d’un patron normal. J’avais très peu d’autorité et j’aimais mes employés comme des amis, voire de la famille, je les valorise à leur juste valeur. Ça allait peut-être devenir problématique si professionnellement on venait à profiter de moi, mais je ne suis pas aveugle et je me dis que mon petit caractère reviendrait vite au galop. Je savais que je n’aurais pas à m’inquiéter d’une telle chose avec Nina. J’étais heureuse qu’elle me confirmât bien aller, malgré que c’était de simples formalités, si en apparence elle allait  bien c’était déjà un bon pas vers la guérison et un semblant de normalité.

« Je vais bien aussi ! Malgré la complexité des papiers du pub, je crois que je commence tranquillement à bien gérer! On finit toujours par s’en sortir, enfin c’est ce que les gens disent.  »

J’haussai les épaules puis regardai le panneau de l'ascenseur, je maintins mon sourire.

« Alors, on monte ou on descend ? J’ai quelques minutes d’avance alors je te laisse choisir en premier. »

Stuck in the elevator

Il n’y a pas de raisons que ça ne se passe pas bien. Je souris, elle avait raison. Drôlement, j’étais toujours aux aguets, prête au cas où ça ne se passerait pas comme je le voulais, parce que j’avais constamment l’impression que le pire scénario se préparait pour moi ou du moins me guettait en permanence, comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je crois que c’est parce que je sais que la vie peut se retourner contre vous en un claquement de doigts, il s’agit d’une fraction de minute et une situation peut changer du tout au tout. Cependant, s’il n’y avait pas de raison, ça ne me servait à rien d’angoisser à l’idée que ça arrive. Je crois que j’avais tellement peur d’oublier un truc que j’en oubliais ma tête et ce que je lui faisais subir. Tout ça pour qu’il n’arrive rien au bout de toute cette angoisse? Je me devais de penser autrement puis de gérer le problème une fois qu’il existe réellement et non m’en préoccuper comme étant une possibilité, puisqu’au final l’anxiété reliée à tout ça était pire que la gestion du problème lui-même. Je pris un temps pour la remercier de cette réalisation, même si elle ne comprenait peut-être pas pourquoi, il est toujours bon de savoir que nos mots ont un bon effet sur quelqu’un.

« Tu as raison, merci, Nina. »

Je gardai mon sourire, il était rare que je ne l’avais pas en sa présence. Elle me parlait des habitués et elle avait bien raison. Certes, dans le temps où Madame Moose régnait, nous en avions quelques-uns et la plupart ont suivi après sa mort, mais nous avions réussi à en créer plusieurs autres et ça j’en étais fière. Une fois de plus elle avait bien raison, même si c’était pour me remonter le moral, je me dis qu’elle savait bien plus que je le pensais comment la gestion pouvait se passer. Ça me donnait des idées pour peut-être futurement ne pas gérer le pub toute seule, mais je devais quand même mieux la connaître pour en arriver là. Je devais être certaine de pouvoir compter sur elle en tout temps, mais le fait qu’elle était intéressée par la fidélisation de la clientèle était quand même très bon signe.

« C’est bien vrai, nous avons encore du chemin à faire, mais nous avons semé une bonne clientèle, il ne reste plus qu’à attendre. Puis c’est déjà bon pour le moment, alors c’est déjà ça. »

J’haussai les épaules, je croyais fortement en le potentiel du Island Pub, en l’agrandissement de notre clientèle. Je tentais le plus que je pouvais chaque jour de ne pas me décourager puis ça avait porté fruit jusqu’à présent, puis ça allait de mieux en mieux. Pourquoi changer une formule gagnante? Elle m’expliqua qu’elle avait oublié un papier alors qu’elle devait monter, alors je me reculai légèrement du panneau pour qu’elle puisse choisir l’étage en question. C’est plus ce qu’elle me dit après qui retint mon attention, comme quoi elle voulait clore ce chapitre de sa vie. Ce que je doutais alors se concrétisa, par rapport à ce qu’elle a vécu ses derniers temps, c’était fort probablement ça. Je ne savais pas si c’était récent, ou parfois régler les choses par rapport à une personne défunte fait remonter l’évènement à la surface. Peut-être que ce n’était même pas ça après tout, un chapitre tirant à sa fin ce peut être par rapport à une relation amoureuse, à une habitation ou autre. Qui j’étais pour croire que c’était la mortalité qu’elle avait rapidement mentionné? Je ne voulais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais c’était clairement une porte ouverte à ce sujet. Je décidai donc d’y aller avec douceur, elle choisirait alors d’elle-même de poursuivre la conversation ou non à ce sujet.

« Parfois les documents nous retiennent de passer à autre chose, dans beaucoup de situations. Si tu veux en parler, sache que je suis toujours disponible et d’une bonne écoute. »

Je lui fis un léger sourire compatissant. Pas nécessairement exagéré, je ne voulais pas qu’elle pense que je la prenais en pitié, seulement que je pouvais me mettre à sa place et comprendre, que lorsque l’on ne peut passer à autre chose sur un élément de notre vie que nous souhaitons mettre derrière nous, c’est difficile. Ça, j’étais bien placée pour le comprendre, j’étais même allée jusqu’au Canada pour que ma famille me laisse tranquille, mais je savais que tant que les papiers pour changer mon nom de famille n’étaient pas remplis, je n’aurais jamais vraiment l’esprit tranquille. Elle parlait qu’elle ne souhaitait pas nécessairement clore ça au plus vite et je comprenais ce qu’elle voulait dire, mais en même temps c’était comme un pansement, lorsque l’on y va tranquillement c’est beaucoup plus pénible que lorsqu’on l’arrache d’un coup sec. Je ne peux que hocher la tête à cette remarque, les mots me manquent alors je préfère lui démontrer que je comprends sans déblatérer quelque chose d’inutile. Elle changea alors de sujet, m’interrogeant au sujet du bar. Je souris de nouveau, légèrement.

« Oui effectivement, c’est la première année que je m’occupe des trucs financiers en lien avec les impôts, c’est pas évident alors j’ai eu recours à l’aide d’un comptable. Moins de chance d’avoir à payer pour mon incompétence par la suite!  »

Je riais légèrement, je savais très bien de quoi je parlais je n’avais jamais été très bonne en mathématiques ou en finances.

« Les chiffres, ce n’est pas mon fort.  »

J’haussai légèrement les épaules. Après tout, personne n’est parfait!