teo reyes ≈ an innocent warrior

l'histoire de ma vie

How far I'll go

Once upon a time
Réfugié derrière l’épais rideau de l’estrade, Teo pouvait imaginer les bancs de l’amphithéâtre se remplir et les visages partagés entre fierté et fatigue attendre le début de la cérémonie. Il devinait la place choisie par ses parents : en bout de rangée de sorte à pouvoir s’éclipser le plus rapidement possible pour aller embrasser l’objet de leur fierté : leur aîné, l’enfant qui avait scellé leur amour dans le présent et le futur et qui, à l’inverse des liens du mariage, ne pouvait être défait.

Au fur et à mesure que les noms défilaient, la file devant Teo se réduisait. Chaque arrivée sur scène était accueillie par une pluie d’applaudissements qui perdaient de plus en plus de leur sens. Dans la salle, des gens de tous horizons étaient venus pour fêter la réussite de l’un d’entre eux. Quand il entendit son nom et prénom prononcés, le jeune homme s’avança. Ses maux de ventre se dissipèrent à la seconde où un flot de lumière vint s’abattre sur son visage. Comme il l’avait imaginé, Haunani et Anna étaient assises à l’extrémité du troisième rang. A l’unisson, leurs lèvres s’étirèrent pour laisser apparaître un sourire non dissimulé. Ce moment était l’un des plus précieux pour elles. Non seulement elles avaient un fils brillant et récompensé de ses efforts, mais elles prouvaient également à qui voulait bien l’entendre qu’elles avaient réussi à réunir toutes les conditions nécessaires pour qu’il devienne un jeune adulte parfaitement apte à s’intégrer.

Légèrement mal à l’aise, Teo récupéra son diplôme et posa devant les photographes spécialement mobilisés pour l’occasion. Il eut à peine le temps de reprendre son souffle que ses deux mères le rejoignirent pour l’embrasser devant le regard perdu des hommes derrière l’objectif. Habituées à ce genre de situations, les deux femmes éloignèrent leur fils sans broncher. Avec le temps, Haunani avait appris à mettre à l’abris sa petite tribu. Pour Anna, les jugements silencieux étaient pires que les injures. Devant leur fils, ni l’une ni l’autre ne se laissa abattre. Après tout, ils avaient quelque chose de bien plus important à fêter.

Décember 1993 – Quatre ans. Quatre ans avaient été nécessaires à ce que le processus de PMA d’Haunani et de sa femme, Anna, aboutisse. Après plusieurs tentatives non fructueuses, le test de grossesse affichait enfin un résultat positif. Des larmes de joie coulèrent sur les joues des deux jeunes femmes qui se tombèrent rapidement dans les bras. Les semaines qui suivirent furent dédiées à la préparation de l’arrivée de leur premier enfant. Entre peluches et vêtements de naissance, la pièce réservée au futur nouveau-né se remplit très vite. Neuf mois plus tard, Teo vit le jour un matin de neige. Rapidement, il fut soumis aux regards attendris et bienveillants de tous ses proches.

Quelques années plus tard, un deuxième enfant vint s’ajouter à la famille. Pendant toute leur enfance, Teo et son frère furent gardés dans une bulle protectrice à l’abris du monde extérieur et de tout ce qu’il pouvait s’y dire à leur sujet. A l’école primaire, si l’aîné était tout seul, il pouvait compter sur son petit frère et cette complicité était un gilet pare-balles aux propos blessants de ses camarades de classe. Un autre petit frère et une sœur vinrent renforcer la petite tribu pour le plus grand bonheur de leurs mères qui ne s’étaient jamais imaginées être à la tête d’une telle famille.
A l’adolescence, Teo, jeté dans la fosse aux lions, dut faire face à tout ce qu’il avait évité jusque-là. L’Amérique des années 2000 manquait encore d’ouverture d’esprit et le brun en fit les frais. Il eut à supporter les mimes salasses et les rumeurs. Si les premiers mois se montrèrent difficiles, Teo trouva refuge dans un monde virtuel. Le soir, en rentrant, il arpentait les forums sur lesquels son identité était dissimulée et sur lesquels il pouvait être apprécié à sa juste valeur. Dans la vie de tous les jours, la famille qu’il composait avec ses mères et son petit frère était un exemple pour tous les couples homosexuels. Il n’était pas rare que les associations s’emparent de leur histoire pour montrer que le combat n’était pas vain. Sur internet, il était hurricane7, un adolescent comme les autres.

Pour préparer son arrivée au lycée, Teo avait choisi de se faire à l’idée qu’il allait encore une fois être montré du doigt. Cependant et contre toute attente, il fut entouré de nouveaux visages qui se muèrent en une nouvelle chance qu’il ne devait pas gâcher. Malgré le fait qu’il soit réservé, il réussit à se faire quelques amis auxquelles il put se confier sur sa famille. Tout semblait s’être tassé et être derrière lui jusqu’au jour où un de ses anciens bourreaux se manifesta à la sortie de son établissement et le suivit en l’insultant jusqu’à ce qu’il croyait être chez lui. Intelligemment, Teo l’avait mené à l’opposé de là où il habitait. Il avait attendu le bon moment pour se retourner et se jeter sur celui qui la harcelait depuis plus de trois ans. Lui qui n’avait jamais eu recours à la violence se sentait dépossédé de son self-control. Il avait suivi des cours de karaté et participé à des stages de boxe, mais il ne s’était jamais servi de ces disciplines en dehors du dojo et du gymnase. Pourtant, il ne lui fallut que quelques secondes pour que les rôles s’inversent et que feu son bourreau se retrouve le visage en sang, étalé sur le sol, dans une situation de panique qui semblait le tenir tranquille. Devant ce qu’il avait fait, Teo choisit de s’enfuir.

Pendant des semaines, il attendit les représailles. Il eut peur pour son casier judiciaire. Il craignit pour sa réputation et celles de sa famille, mais rien ne se passa. Visiblement, celui qui avait été son punching-ball avait disparu de la circulation. Les années passèrent et Teo pensait qu’il était hors de danger. Jusqu’au jour où il re-croisa les yeux pleins de haine de cette même personne dans les rues de New York. Il jugea bon de ne pas s’arrêter. Pourtant, sa culpabilité n’était pas assez forte pour lui faire regretter son geste, geste dont personne, pas même ses plus proches amis, était au fait jusqu’à ce qu’il cède devant l’insistance de ses mères. Il lui avait fallu dix minutes pour qu’il se livre sur toutes les horreurs qu’il avait dû endurer pendant des années. Dix minutes pour qu’il explique son comportement distant et s’excuse de les avoir repoussées quand elles lui avaient tendu la main.

A peine une heure plus tard, les enfants Reyes avaient été réunis dans le salon. Haunani et Anna avaient pris la décision de quitter la Grosse Pomme pour un tout autre continent dès l’été suivant. La Nouvelle-Zélande était leur destination : là-bas, leurs enfants allaient découvrir la famille d’Anna et seraient éloignés du stress newyorkais.

Chose promise, chose dûe : L’été suivant, la fratrie posa ses valises à quelques heures de Wellington. A peine ses marques prises, Teo dut remplir ses papiers pour poursuivre ses études, suivi de près par ses frères et sœurs. Pour combler le vide laissé par les longues journées étudiantes de leurs fils, les deux femmes choisirent de s’ouvrir à une activité de maison d’hôtes à laquelle Haunani dédiait son temps libre en parallèle de son métier d’architecte.

Une fois son diplôme obtenu sans difficulté, Teo intégra l’hôpital de Wellington pour y suivre son internat. Malgré les nombreuses propositions pour découvrir les méthodes européennes et retourner dans son pays d’origine, son premier choix demeura être la Nouvelle-Zélande.