skyfall is where we start (erineo) ≈ ft. erin

3H38 a.m.

Dehors, le tonnerre grondait à en faire trembler les murs. A cette heure, les arrêts de bus n’étaient plus desservis et il n’y avait pratiquement personne dans les rues. Teo aurait dû finir bien plus tard et rentrer chez lui au petit matin, mais un patient inattendu était venu bousculer son emploi du temps. Vers 1h du matin, il lui avait été demander de prendre en charge un homme se plaignant de douleurs abdominales incessantes. En découvrant son visage, le résident de vingt-cinq ans s’était décompensé. Immédiatement, son cerveau fit le lien avec l’homme qu’il avait tabassé quelques années plus tôt dans un excès de colère. Il lui ressemblait trait pour trait et pourtant, rien ne laissait sous-entendre que cela pouvait être la même personne. Malgré lui et malgré la rationalité dont Teo pouvait souvent faire preuve, il se sentit décontenancé. Si perturbé que plus d’une heure plus tard, il fut incapable de résorber les dégâts dans le système digestif de ce patient. Cet échec le toucha de plein fouet et lui provoqua une crise de panique qui poussa ses supérieurs à le renvoyer chez lui, jugeant qu’il n’était pas en état de soigner.

Teo n’avait pas la tête à rentrer chez lui. Il n’avait pas envie de s’expliquer. Il n’avait pas envie de rendre compte à ses mères ou à son frère. Tout ce qu’il voulait, c’est pouvoir s’écrouler dans des draps qui calmeraient ses angoisses. C’est sur cette pensée qu’il décida de programmer son uber en direction de l’appartement d’Erin. Ces deux-là n’avaient plus discuté depuis quelques semaines, mais il espérait qu’elle serait chez elle. Quelques minutes plus tard, la voiture le déposa sur la place. Sous la pluie, Teo s’avança dans les rues jusqu’à attendre l’appartement d’Erin. C’est trempé de la tête au pied qu’il se mit à frapper à la porte de la blonde, alternant ses coups avec des pressions sur la sonnette. Il était tard, elle devait dormir, mais il était dans un état second. Les larmes lui pendaient aux yeux et sa gorge se nouait de plus en plus au fil des minutes. Ce soir, il se sentait désespérément seul et l’absence de réponse d’Erin le brisait davantage. Il frappa si fort qu’il manqua la cible et heurta ses doigts contre le bâtit de la porte. Un cri de douleur sauvage s’échappa de ses lèvres et fit couler le liquide lacrymal qu’il retenait depuis si longtemps. Son manque de discrétion se fit si important qu’un voisin sortit de chez lui et lui aboya dessus avant de voir l’état dans lequel Teo était. Après avoir poussé sa gueulante, l’homme rentra chez lui et le laissa à la pluie comme si de rien n’était.

Putain de soirée, se dit-il. Le ton se confirma quand il essaya d’attraper son téléphone dans la poche imbibée de son jean et que ce dernier lui glissa des mains pour s’écraser par terre. Dans un geste désespéré, il tambourina une dernière fois en espérant que cela suffirait. « Erin, c’est Teo. Ouvre-moi, je t’en prie ».

Erin était lessivée. Épuisée. Crevée. Au bout du rouleau, et plus encore. Pourtant, même s’il n’était que quatre heures du matin, la blonde avait les yeux grands ouverts. Roulée en boule dans son lit, bordée de ses couvertures et de ses multiples oreillers, elle observait les étoiles à travers la fenêtre. Elle ne fermait plus les rideaux depuis longtemps maintenant, trop habituée à se réveiller à la lumière du soleil et à s’endormir sous la lueur des étoiles. Elles lui tenaient compagnie, surtout durant ce genre de ces nuits où les cauchemars la faisaient se réveiller en sursaut. Comme cette nuit. Sauf qu’elle n’avait pas la force de bouger, même pas pour aller boire un verre d’eau. Elle était patraque depuis quelques jours, avait mal au ventre, du mal à manger -quand bien même elle en avait envie- , et surtout, une fâcheuse tendance à rendre son petit-déjeuner. Le stress certainement, l’agacement moral, un début de claustrophobie. Quelle idée c’était, de bosser dans une prison. Elle se demandait parfois combien de temps, combien d’années elle supporterait encore cela. Peut-être un an, peut-être quinze. Tant qu’elle aurait la sensation d’aider quelqu’un et d’être utile.

A cette heure-ci, les pensées étaient diffuses et vides de sens. Le silence régnait en maître, jusqu’à ce qu’on s’acharne sur sa porte d’entrée. Elle en sursauta violemment, s’arracha aux dernières limbes du sommeil en se redressant dans son lit. Charlie fut tout aussi réactif, courut vers la porte pour aboyer en réponse. Le silence. Et la sonnette. Des aboiements. Un voisin bourré, certainement. Qui pourrait vouloir lui rendre visiter à cette heure-ci ? Des coups à la porte. Charlie qui aboie encore. Et si c’était Jenna ? Ou Adam. Elle devrait peut-être se lever. Finalement, l’incertitude remplaça la surprise. Elle l’entendit de son lit. Teo. Ce n’était pas une option qu’elle avait envisagée et pourtant, ce fut la seule qui la poussa à sortir de son lit aussi rapidement, à allumer sa lampe de chevet et une petite lampe de décoration dans le salon pour tracer le chemin jusqu’à la porte. « Teo ? » Elle murmura en se retrouvant face à lui. Il était en piteux état, sans qu’elle ne sache exactement le décrire. Elle ne l’avait juste jamais vu dans cet état. « Hey... » Sans trop savoir si c’était le geste attendu, elle se rapprocha de lui, le prit dans ses bras afin de le serrer fort contre elle. « Tout va bien... » Son visage qui se niche contre l’épaule du brun, ses doigts qui caressent doucement ses cheveux. Et pourtant, les yeux grands ouverts. Erin a un doute. Est-ce que tout va bien ? Il n’a pas l’air d’être en parfaite forme. Ils ne vont pas bien non plus en tant qu’individus attirés par l’autre. Cela faisait des semaines qu’ils ne s’étaient pas parlé, qu’elle avait abandonné l’idée d’accaparer l’étudiant pour elle, quand bien même cela lui en coûtait. Tout ça pour s’accrocher à lui cette nuit. « Tu as envie d’en parler ? » finit-elle par souffler en défaisant leur étreinte, un regard sérieux planté sur son amant.

Il est vrai que l’état dans lequel Teo arrivait chez Erin n’avait rien d’une parade nuptiale. Il avait les cheveux trempés, des gouttes de pluie lui léchaient le visage, sa barbe était mal taillée et en disait long sur l’intérêt qu’il portait à son apparence ces derniers temps. Malgré le fait qu’ils n’étaient plus vraiment en contact, Erin ne se contenta pas de le laisser entrer chez elle. Sans qu’il n’ait besoin de dire quoi que ce soit, Teo sentit des bras familiers se resserraient autour de son corps. Il en fit de même et rendit l’étreinte à la jolie blonde. Cela faisait un moment qu’il ne s’était pas senti aussi proche d’elle. Non pas que leur dernier moment d’intimité soit si vieux, mais en dépit des circonstances calamiteuses qui l’avaient amené chez elle, cette nuit-là, il régnait une tendresse innée entre eux. Contrairement à tout ce que les mauvaises langues avaient aimé dire, ils étaient dénués de mauvaises intentions l’un envers l’autre. Dans les bras d’Erin, Teo se sentait protégé. Il n’était pas venu chez elle par hasard. Il avait besoin d’un environnement réconfortant et elle, à ce moment-là, elle était la seule à pouvoir le lui offrir.

D’elle-même, Erin prit l’initiative de l’interroger sur ce qui le mettait dans un tel état. Pourtant, le jeune médecin ne ressentit pas le besoin de parler de ce qui le taraudait. Elle ne savait rien des raisons pour lesquelles il était arrivé en Nouvelle-Zélande. Il n’avait jamais de donné de détails et il savait qu’il fallait mieux ne pas déterrer cette partie de son histoire personnelle. Alors pour s’éviter de rentrer dans des explications vagues, il secoua la tête de gauche à droite en esquissant un sourire avant de rapprocher ses lèvres de celles de son amante. Il murmura qu’elle lui avait manqué et qu’elle lui manquait au quotidien avant de l’embrasser comme s’il y avait tout à reconstruire. Cette situation était invivable et même s’il détestait l’idée de n’être qu’un amant, il ne pouvait réellement se passer d’elle. Les mois filaient et même si leur était intense et importante, il sentait qu’elle finissait par s’effriter, qu’à chaque fois qu’ils se retrouvaient pour finir par se séparer, il y laissait une part de lui. Il en avait marre de s’infliger toute cette douleur et de mutiler son cœur à coup de poignard.

Teo détailla le visage d’Erin et posa ses mains encore froides sur sa mâchoire. Ses yeux brillants se fixèrent dans les siens. Stop, ne réfléchis plus, se dit-il à lui-même. Il retira son tee-shirt et le jeta sur une chaise de la cuisine avant de reporter toute son attention sur celle qu’il aimait. Il en était persuadé, maintenant était venu le temps où il ne pouvait plus garder tout ça pour lui. « Je t’aime, Erin » souffla-t-il avec un sérieux encore inédit.  

Subitement, la fatigue, la morosité, les doutes, tout ce qui la tirait vers le bas ces derniers jours s’envolèrent. Elle ne parvenait plus à penser dans les bras de Teo, le serrait fort contre elle en se fichant bien qu’il soit mouillé, qu’il soit enfin venu la rejoindre au milieu de la nuit. Une part raisonnable de son être savait pertinemment que c’était mal. Ces retrouvailles n’étaient peut-être que pour cette nuit, comme cela leur était arrivé plusieurs fois. Ils auraient à nouveau l’impression de respirer, d’être heureux, tout ça pour se voir arraché cette sphère de bonheur au petit matin. Elle détestait le voir partir, savoir qu’il ne reviendrait pas. Après plusieurs jours, plusieurs semaines, elle en arrivait toujours à se dire que c’était peut-être terminé, cette fois. Sauf que Teo, elle l’avait dans la peau. Elle était incapable de tirer un trait sur cet homme, et dieu sait combien elle avait essayé de se mettre des oeillères pour arrêter de le chercher partout, tout le temps. Cette nuit, il était là. Et quand bien même elle se savait faible, elle ne pouvait juste pas le repousser. Elle avait besoin de sentir sa présence, de partager ce poids qu’il semblait porter. Mais le jeune homme n’avait pas l’air disposé à parler. Comme à leur habitude, ils surent exactement ce que leurs corps, leurs coeurs souhaitaient. Cette étreinte, un baiser, des paroles douces. Il lui avait tout autant manqué. Elle ne se priva pas de lui souffler avant de l’embrasser, encore.

Plus rien n’avait d’importance. Pas alors qu’il posa ses mains contre ses joues, son regard sombre plongé dans le sien. Machinalement, elle posa ses doigts contre les poignets du jeune homme, se perdit à imprégner cette image dans son esprit. Ainsi que celle du tee-shirt qui est enlevé, dévoilant le torse encore humide. Une vision qui aurait pu susciter bien des envies, sauf que ce soir, Erin voulait prendre son temps. Retrouver son amant en bonne et due forme. Cependant, elle n’aurait pas imaginé que cette nuit puisse être différente. Elle n’aurait même pas osé espérer entendre ces trois mots un jour, pas alors que leur relation était aussi fragile. Pourtant, ce n’étaient pas des paroles en l’air. L’expression sur son visage ne laissait même pas la place au doute. Ce fut assez pour que la blonde en ait les larmes aux yeux, qu’elle ait ce besoin maladif de serrer encore Teo contre elle. « T’as pas le droit de me dire ça si tu comptes repartir demain matin. » Elle glisse ses doigts contre la nuque du brun, plante son regard dans le sien. « Je t’aime aussi, Teo. » Ses lèvres rejoignent les siennes pour un long baiser, doux, presque serein. La réalité est pourtant tout autre. « J’aimerais que tu restes. » Elle murmure doucement.

Teo pensait chacun de ces mots. Il savait la portée qu’ils auraient et ce qu’ils engageaient. Il était conscient qu’ils induisaient tout un tas de choses qu’il allait devoir assumer dès la seconde où l’euphorie de la déclaration aurait disparu. En sentant Erin le serrer contre elle, le jeune homme comprit que ce qu’il ressentait au fond de lui était partagé, que ces quelques mots pourtant si courts étaient lourds de sens et que le fait qu’il les prononce tenait du miracle. Ce n’était ni le moment ni l’endroit pour faire de telles révélations et pourtant, il avait l’impression qu’il venait de changer le sens de rotation de leur monde.

Lui non plus ne voulait pas partir. Il aurait aimé que les choses soient plus simples, qu’ils puissent vivre cette histoire d’amour au grand jour, qu’ils aient des projets communs et ne soient pas enlisés dans une situation si complexe. Les mères de Teo étaient convaincues qu’il était enfin sorti de cette passion avec Erin et qu’il aspirait à de nouvelles choses. Il y a peu, elles s’étaient même permises d’évoquer une relation possible entre ce qui semblait être la belle-fille parfaite et leur fils aîné. Teo n’avait pas rétorqué. Il avait été suffisamment en conflit avec elles à cause du sujet Erin et n’avait plus la force de se confronter à de tels obstacles. De toute façon, il n’avait pas les arguments pour le faire. Même si elle ne portait plus d’alliance à l’annulaire gauche, elle était toujours mariée. Du moins, c’est ce que Teo supposait. S’il y avait eu un changement, elle lui aurait dit. Et lui, malgré toute l’affection qu’il ressentait, était incapable de se contenter de la place d’amant. Ainsi, son visage se mit à trahir sa pensée : il était triste. Triste parce qu’indépendamment de l’amour qui était né entre eux, il ne pouvait se résoudre à s’investir dans une relation tant qu’elle serait toujours officiellement mariée. Il caressa sa joue avec tendresse puis s’éloigna pour prendre une grande respiration. Il marcha jusqu’au radiateur sous la fenêtre et se colla contre la source de chaleur avant de se retourner vers Erin. « J’aimerais rester aussi, mais à moins que tu aies décidé de me tenir à l’écart de l’évolution de ton statut civil, tu es toujours mariée » dit-il les yeux brillants comme s’il savait qu’il venait de décocher une flèche en direction du cœur de la blonde. « Puisqu’on est dans les j’aimerais, moi, j’aimerais que tu sois enfin divorcée. J’aimerais qu’on puisse vivre ensemble sans avoir peur qu’on traîne cet argument devant la cour et que cela joue en ta défaveur pour obtenir gain de cause. J’aimerais que ma mère ait autre chose à faire que de plaider pour ton ex-mari. Et surtout, j’aimerais savoir pourquoi ton mariage n’a pas fonctionné pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. J’aimerais être sûr que ce cauchemar prenne fin un jour, mais tu ne m’as jamais parlé de ton histoire avec cet homme. Ma mère te voit comme l’ennemie publique n°1, elle ne veut rien me dire, et tu ne me dis rien non plus, Erin ».

Le corps de Teo brûlant contre le sien, Erin n’a pas envie de parler. Elle n’a pas envie de s’aventurer sur le terrain dangereux des mots, et pourtant, elle sait qu’elle n’aura pas le choix. Comme à chaque fois qu’ils essaient d’avancer, la réalité les tire vers le bas. S’il n’y avait que son foutu mariage terminé, elle pourrait gérer. Sauf qu’il n’y avait rien de son ressort. Le jugement qui traînait, les mères de Teo, ses amis , la société entière. Tout ce qu’ils vivaient n’avait peut-être pas lieu d’être. Mais quand il l’embrassait, elle préférait oublier, se réfugier dans leur bulle amoureuse. Ce ne serait encore pas ce soir. Comme elle le craignait, il finit par s’éloigner, aller se réchauffer près du radiateur. Une bonne idée, étant donné que le sujet de son mariage avait tendance à les refroidir tous les deux. « Ce n’est pas ce que je veux. » Elle murmure, baisse les yeux en soupirant. Le temps que prenait le divorce était aberrant, lui pourrissait la vie au quotidien. Finances incluses. Mais chaque fois qu’elle espérait une réponse définitive, la décision était repoussée à plus tard. Pourtant, Teo avait raison. Il ne s’agissait pas que d’elle et de ce qu’elle voulait. Ils étaient deux dans leur couple, il avait aussi ses besoins et ses espoirs. Il méritait qu’elle soit entièrement honnête avec lui, surtout que c’est ce qu’elle lui avait promis. Plus de secrets. « D’accord. »

Elle soupira doucement et se dirigea vers la cuisine pour sortir une bouteille d’eau du frigo, deux verres du placard, et un paquet de biscuits. A cette heure-ci de la nuit, elle ne les voyait pas boire autre chose. Et elle se sentait déjà assez mauvaise hôte pour en plus ne rien proposer à grignoter. A en juger par l’odeur de désinfectant dans ses cheveux, il sortait directement de l’hôpital. Il était de toute manière comme chez lui. Elle se rapprocha de lui pour éteindre la lumière du salon. « Viens. » lui intima-t-elle dans la pénombre, se dirigeant jusque dans sa chambre. C’était plus intime, plus tranquille. Elle avait ses étoiles, ses oreillers. Elle pourrait s’y effondrer si les choses se déroulaient mal, ce qu’elle n’espérait pas. Alors la blonde posa la bouteille, les verres et les biscuits sur la table de chevet avant de s’asseoir en tailleur sur le matelas. Les quelques secondes avant que Teo la rejoigne lui servirent à rassembler le peu de courage qu’il lui restait quant à ce qu’elle comptait raconter. « J’ai rencontré Graham il y a six ans. On s’est marié il y a quatre ans, et c’est vrai qu’on a eu une histoire d’amour au début. Mais le temps a fait son affaire, il est reparti vaquer à ses occupations et j’ai juste arrêté de compter sur lui. On est resté ensemble par habitude après, je crois. Sans le réaliser. J’en ai juste pris conscience le jour où... » Elle se tait, se mord la lèvre inférieure. Machinalement, ses doigts viennent tripoter la couverture, la froisser pour reprendre contenance. « Il avait une maîtresse. Il a fait un enfant à sa maîtresse alors qu’entre nous, il n’a jamais ne serait-ce évoqué la question. C’est notamment suite à ça, que j’ai demandé le divorce. » Elle revoyait trop bien la scène, Dylan sur son pallier, son air contrarié, son ventre abritant la vie qu’Erin aurait dû donner dans ce foutu mariage. Et c’est avec détermination qu’elle releva les yeux vers ceux de Teo. « J’ai envie d’une vie posé, d’un mari qui ne me trahira pas, d’avoir des enfants. J’ai envie de laisser ce mariage calamiteux derrière moi et d’avancer. J’ai envie de pouvoir être avec toi sans avoir l’impression de commettre une abomination. Et j’aimerais que ta mère arrête de me mettre des bâtons dans les roues à tous les niveaux de ma vie. »

Il n’était pas question que cette soirée se termine dans les cris et les pleurs. Il n’était pas questions qu’ils se séparent sur un énième malentendu. Le temps des montagnes russes était terminé. Il fallait qu’ils fassent front ensemble, qu’ils trouvent une issue et qu’ils repoussent les limites que leur imposaient les personnes qui étaient au courant de leur idylle. Alors sagement, il suivit Erin dans la chambre et garda un œil sur les provisions qu’elle avait amenés avec elle. Si les choses venaient à mal tourner, s’il en arrivait à entendre des choses qui le contrariaient, il pourrait se défouler sur le paquet de biscuits. Il s’assit en tailleur à son tour, face à elle, et posa ses mains sur celles de la blonde comme pour la rassurer qu’il était prêt à entendre la vérité qu’importe ce qu’elle allait lui dire. Il écouta attentivement l’histoire d’Erin. Enfin, il comprenait les raisons pour lesquelles son mariage n’avait pas fonctionné. Elle n’était pas tombée sur le meilleur des hommes. Peut-être n’avait-elle pas toujours été une épouse modèle, mais ce qu’il lui avait fait était inqualifiable. Et dire que sa mère défendait ce salaud… C’est sur cette réflexion que Teo ouvrit les yeux sur une chose : Anna était-elle au courant de cette infidélité ? Il ne pouvait croire que c’était le cas. « Erin, est-ce que ma mère sait qu’il a fait un enfant à une autre ? C’est important. Je ne peux pas croire que ma mère défende ce type alors qu’il a fait ça. Elle n’est pas parfaite, mais je la connais ».

Il entrelaça ses doigts aux siens et s’approcha d’elle pour l’embrasser sur le front avant de se redresser sur ses genoux pour la prendre contre lui. Il caressa ses cheveux tout en prenant la mesure de ce qu’il allait dire. « Je suis désolé pour ce que tu as vécu. Je te promets que plus jamais ce connard n’aura d’accès à ta vie et maintenant, il faut qu’on fasse en sorte qu’il en sorte définitivement » dit-il avec un léger sourire sur les lèvres avant de s’avachir sur elle. Elle avait tenu sa promesse, elle lui avait la vérité. Il le savait, il n’avait pas besoin de preuves, il voyait dans ses yeux qu’elle avait été honnête. « Et moi, j’ai envie de pouvoir sortir dans la rue en te tenant la main sans avoir peur de ce qu’il se passe quelque chose. J’aimerais vivre avec toi et t’accompagner au quotidien. Et pourquoi pas se marier, faire des enfants, même si je suis encore un peu jeune pour ça. » admit-il. Effectivement, ils avaient d’autres priorités, mais il savait qu’avec elle, il se sentait capable de faire du chemin. Erin n’était pas une passade, il en était certain.

Erin savait bien qu’elle n’aurait pas le choix, que leur histoire avec Teo ne pouvait pas grandir sur un lit de secrets et de non-dits. Mais elle n’avait pas envie d’en parler pour autant, se faisait violence pour sortir les paroles qui la rendraient à coup sûr vulnérable. Si la raison parlait, alors la blonde savait qu’elle n’avait rien fait. Ce n’était pas de sa faute si elle avait été traitée de la sorte. Pourtant, elle trouvait ça humiliant. Il lui avait fallu des semaines pour en arriver à la conclusion certaine qu’elle ne méritait pas ça. Peu importe ce qu’ils avaient vécu avec Graham, c’était terminé. Elle ne reviendrait pas sur sa décision et même si c’était dur, elle ne regrettait rien. Ils n’étaient pas destinés à finir leurs jours ensemble, la preuve étant que son coeur s’était épris d’un autre homme. Malgré le chaos, la douleur, et les obstacles qui n’en finissaient pas, Erin ne regrettait rien. Elle n’y arrivait pas. Ce n’était pas comme si elle était à plaindre après tout. Peut-être qu’elle s’était juste attendrie et laissée faire au point que désormais, elle laissait couler. La question de Teo semblait confirmer ce doute. « Mon avocate lui en a déjà parlé. Mais il n’y a pas de preuve, il me fait passer pour une menteuse. Il faudrait que sa maîtresse témoigne et… je ne pense pas que cela jouerait en ma faveur. » Elle lui offre un petit sourire contrit, se décide à lui faire confiance à lui.

Et ça ne semble pas être une mauvaise idée du tout, pas alors qu’il l’embrasse tendrement, la serre contre lui avec une douceur qui fait fermer les yeux à la blonde. Elle se laisse bercer, passer ses bras autour du jeune homme et caresse doucement son dos. « Cela fait longtemps que tu l’as remplacé. » lui murmure-t-elle à l’oreille, son corps toujours pris dans cette étreinte. Elle n’a pas envie que ça s’arrête. Pourtant, ça la fit sourire de sentir Teo s’écrouler contre elle, la faire tomber à la renverse sur le matelas. Leurs corps trouvèrent néanmoins rapidement leur place, l’un face à l’autre, allongés, la tête sur l’oreiller. Elle ne put s’en empêcher, sa main glissa sur la joue barbue, en apprécia le côté piquant tandis ce que le bout de ses doigts s’amusait à défaire les boucles rebelles. Et il faut avouer qu’entre la fatigue et le besoin démesuré de sentir Teo contre elle, elle en aurait presque les larmes qui lui montent aux yeux en l’entendant parler de ce qu’ils voudraient pour eux. « Je te promets qu’on y arrivera. » Elle se rapproche de son visage, l’embrasse longuement. Quand elle s’arrête, elle ne recule pas pour autant, pose juste son front contre le sien. « J’ai envie de me réveiller sans avoir peur que tu repartes. J’ai envie de te voir rentrer à la maison chaque jour. Je veux être tienne. Et je rêve aussi d’avoir une maison avec un jardin et deux chèvres. » Un léger rire agite ses épaules, laisse place à un court silence pendant lequel son regard se délecte de ce qu’il a à admirer. « Je t’ai parlé de mon histoire. Dis moi quelque chose que je ne sais pas sur toi. »

Chaque mot qui sortait de la bouche d’Erin était un élément que Teo ajoutait à l’affaire. Il savait que l’histoire était complexe et que sa mère était un véritable chien de garde quand elle enfilait sa robe d’avocate. Il la respectait aussi pour ça. Quand ils étaient encore à New York, elle avait fait ses preuves et réussi à convaincre un certain nombre qu’elle faisait partie d’une génération de femmes brillantes. Si le divorce traînait autant, c’était aussi et sûrement parce qu’en dépit des arguments d’Erin, Anna était douée dans ce qu’elle faisait et cherchait sans cesse un moyen de ne pas perdre la procédure. Cependant, il ne pouvait pas se résoudre à croire que sa mère approuverait de telles choses. « Pourquoi ça ne jouerait pas en ta faveur ? Tu veux que j’aille la voir moi, cette femme ? » dit-il le cœur vaillant et prêt à tout pour que cette situation prenne fin. « Je suis prêt à prendre le risque d’affronter ma mère et de plaider ta cause si tu ne t’en sens pas capable, mais je ne peux pas lui demander de me croire sans preuves tangibles. Elle n’acceptera pas de lâcher prise si elle n’a pas de bonnes raisons de le faire ». Et ça, il en était certain : il allait falloir qu’ils arrivent avec un dossier en béton armé s’il voulait avoir une chance de s’en sortir.

Les projets énoncés par la blonde relevaient du rêve. Du moins, jusqu’à ce qu’elle lui fasse part de sa volonté de partager un jardin avec deux chèvres. D’Erin, il n’avait vu que quelques facettes, mais il n’avait pas pensé une seule seconde qu’elle ait une âme de fermière. Il déposa un baiser sur son front avant de commenter « Et tu vas me demander qu’on troque ma future voiture pour un tracteur en mode Farming Simulator ? » dit-il pour la taquiner « T’as passé trop de temps sur Farmville à demander du blé à tes amis pour nourrir tes bêtes ? » continua-t-il. Peu importe ce qu’il se passerait au petit matin, Teo avait envie de profiter du moment présent. Il photographia l’instant de ses yeux et l’ajouta à l’album de sa relation avec Erin. Peut-être qu’un jour, ils raconteraient à leurs enfants s’être endormis en discutant chèvres.

Sur ce coup-là, Erin marquait un point. Il lui avait peu parlé de lui, mais il n’avait pas grand-chose à raconter. Il n’avait pas vécu d’évènements aussi tragiques. Le seul qu’il avait enduré était la raison pour laquelle il se trouvait en Nouvelle-Zélande alors qu’il était né aux Etats-Unis. Pourtant, il sentait que ce n’était ni l’endroit ni le moment de parler de ça. Alors il choisit d’aborder un sujet plus léger pour éviter de rompre la magie de l’instant. « Est-ce que je t’ai déjà dit que je savais jouer du ukulélé ? Je veux pas t’impressionner, mais… » révéla-t-il en caressant le bas du dos de la jolie blonde.

Parfois, Erin avait l’impression d’être égoïste avec leur relation, de ne vouloir que son petit bonheur. On le leur avait dit, les mœurs le pensaient : une femme de son âge, de sa situation, n’avait rien à faire avec un jeune homme comme Teo. Il avait bien d’autres choses à penser et par moment, elle le croyait aussi. Elle était aussi émue que gênée de voir son amant vouloir s’impliquer autant dans ce divorce foireux, vouloir la défendre à tout prix. Il avait beau être bien placée pour atteindre l’avocate de Graham, sa mère en l’occurrence, c’était beaucoup lui demander. Si Erin avait pu tirer cette corde, elle l’aurait fait par le passé. Maintenant, elle priait juste pour que le divorce se fasse à la loyale, qu’ils trouvent finalement un accord qui dissoudrait enfin leur mariage. « On parle de la maîtresse de mon… ex-mari. Quel parti est-ce qu’elle prendra, à ton avis ? Je peux me tromper, mais je n’ai pas envie de tout perdre dans ce divorce. » Ce n’était que du matériel, mais après des années à se créer une situation, Erin avait besoin de tout ce qu’elle avait investi, de sa part de la maison, du compte en banque. Il lui fallait ça pour ne pas repartir à zéro dans sa vie d’adulte mais juste continuer sa route avec Teo à ses côtés. « Merci d’être là et de vouloir m’aider. Ça me touche sincèrement. Mais préserve ta relation avec ta mère. Elle verra bien vite que ce qu’il y a entre nous, c’est réel. » Elle lui caresse la joue en souriant, se voulant rassurante. Ça ira bien, n’est-ce pas ?

Il faudra bien de toute manière, car ils en ont des rêves à réaliser. Des plus sensés aux plus absurdes, et la blonde est la première à rire en l’entendant évoquer une vie de ferme. Elle ne se voyait pas tout quitter pour aller dans une ferme perdue au fin fond de la Nouvelle-Zélande… « J’ai aucune idée de quoi tu parles… Promis, on n’aura pas de basse-cour. Et tu pourras garder ta voiture. Quant au blé… Je ne sais pas si tu serais ravi si je te nourris de ça. » Elle lui sourit, mutine. C’était peut-être bête, mais s’imaginer dans la cuisine à faire le repas pour eux deux pendant qu’il serait à côté la rendait heureuse. Ce serait tout autant de moments partagés, d’instants plein d’imprévisibilité, de surprises. Peut-être même du son d’un ukulélé apparemment. « Là, je dois avouer que je suis bluffée… séduite même. » Et elle rit, encore, parce que cette ambiance légère lui fait un bien fou. D’ailleurs, la blonde se redresse sur un coude pour aller embrasser tendrement le jeune homme. « Tu es un homme hors du commun, Teo Marìn. » Elle était chanceuse, bien assez pour que le reste du monde puisse aller se faire voir avec leur opinion.

Teo fronça les sourcils aux propos d’Erin. Il essayait de l’aider, pour elle, pour qu’elle s’émancipe des chaînes qui l’empêchaient d’être une femme libre et de pouvoir réellement envisager une vie avec lui. Il le faisait aussi pour lui car la situation le gênait et qu’il n’arrivait pas à assumer une histoire aussi complexe. Les autres le regardaient comme un fou et même s’il n’écoutait pas les on-dit, s’il se fichait de ce que les autres pouvaient penser d’Erin, il ne pouvait accepter qu’on la traite délibérément de femme infidèle, qu’on lui dise qu’elle allait faire pareil avec un autre. Ce qu’elle lui disait à ce moment-là n’était pas ce qu’il avait envie d’entendre. Ils n’avaient pas d’engagement l’un envers l’autre et les propos qu’elle tenait pouvaient porter à confusion. C’était comme si Erin ne voulait pas vraiment sortir de cette situation, comme si ce qu’elle avait à perdre était bien plus que matériel. Et si, au fond d’elle, elle ne voulait pas vraiment quitter Graham ? Si elle tenait encore à leur mariage ? En une fraction de seconde, Teo s’était mis à être en proie au doute. « Ca fait des mois, Erin. Si la situation actuelle pouvait suffire à ce que mes mères te croient sincère, elles l’auraient fait » dit-il en retirant sa main de sa joue. Des preuves de son honnêteté, Teo en avait donné. Il mettait sa vie de jeune homme entre parenthèses pour Erin. En retour, depuis leur rencontre, rien n’avait changé pour la blonde. Au fond de lui, il avait l’impression qu’elle s’accrochait à son mariage. Une pensée qui eut le don d’attrister le jeune médecin.

S’il devait se projeter et donner une idée de la façon dont il avait envie d’évoluer dans le futur, Teo devait admettre qu’il s’était toujours imaginé se marier et avoir des enfants à mettre à l’abris dans une jolie maison. Sur le plan professionnel, il voulait devenir un chirurgien reconnu, soumettre des idées de projets, se lancer dans des recherches folles et donner des conférences devant un amphithéâtre plein à craquer. Il était ambitieux et suivait le modèle des figures emblématiques l’ayant toujours inspiré. Pourtant, ces derniers mois, il avait l’impression de faire du surplace. L’histoire qu’il avait Erin semblait sans issue, mais il n’arrivait pas à s’en défaire pour autant. Bien sûr qu’il aimait l’imaginer lui préparer de bons petits plats et préparer des réceptions, mais la réalité le rattrapa bien vite : ils en étaient loin et d’après ce qu’il pouvait déduire du discours d’Erin, cela pouvait encore durer un moment. Il se contenta alors de sourire à sa remarque le considérant comme un homme hors du commun et cala sa tête contre un des coussins traînant sur le lit. « Ca t’embête si je reste pour la nuit ? Je reprends demain matin, mais je n’ai pas très envie de rentrer chez mes mères » demanda-t-il avec une certaine froideur. Il valait mieux qu’ils s’en remettent aux bras de Morphée pour ce soir au risque de faire face à une nouvelle incompréhension.

Erin sentait bien que sa discussion avec Teo, que le sujet de son divorce commençait à créer un froid. Bien sûr que la situation était compliquée, et elle aurait donné beaucoup pour s’en sortir. Elle savait bien qu’il y avait une issue, la fuite, l’abdication. Elle pourrait courber l’échine, laisser Graham prendre tout ce qu’il souhaitait tant qu’il acceptait qu’elle brise officiellement leur mariage aux yeux de la loi. Si la blonde ne pouvait pas s’y résoudre, c’était bien par fierté. Il l’avait trop blessée pour qu’elle le laisse lui prendre encore davantage. Cela la rendait juste folle au quotidien de devoir appeler son avocate toutes les semaines, d’entendre les faibles avancées, d’avoir l’impression d’être un bout de viande sanguinolente que les requins se partageraient. Teo était trop jeune, trop occupé, trop ambitieux pour être pris dans ce genre d’affaires, et cela faisait culpabiliser Erin bien plus que de raison de lui infliger ça. Comme si leur histoire n’était déjà pas assez difficile… « Je suis sincère avec toi. » Il avait beau avoir retiré sa main de sa joue, marquer déjà un mouvement de recul, elle eut l’aplomb nécessaire pour planter son regard dans le sien en affirmant ce qui lui semblait primordial. Elle avait du mal à suivre les événements de sa vie, à les comprendre parfois. Mais elle était certaine que pour rien au monde elle ne mentirait au brun.

C’était bien le minimum s’ils voulaient continuer à s’accorder de doux rêves, des projets futurs, quelques plans sur la comète. Quoique là encore, le sourire laissa vite place à un abattement et à une déception qu’elle essaya de ravaler. S’ils étaient honnêtes, alors il fallait bien constater qu’ils n’avaient probablement pas les mêmes envies, qu’ils auraient du mal à s’accorder. Qu’elle ne pourrait pas lui monopoliser sa jeunesse, qu’elle ne pourrait pas attendre trop longtemps. Ils pouvaient bien tenir à l’autre, tout ne semblait être que sacrifices et choix rapides à faire. La blonde détestait y penser, haïssait quand son esprit tentait de promouvoir la raison. « Fais comme chez toi. » Elle lui souffla ces mots en sachant pertinemment que cela ne les aiderait pas. Ce ne serait peut-être qu’une nuit, mais encore un moment qui leur manquerait s’ils venaient à se séparer. Ce serait encore une fois où ils auraient besoin de l’autre. Cela ne valait pas le coup qu’ils en parlent, qu’ils le réalisent ensemble. Alors la blonde se pencha vers sa lampe de chevet, éteignit la lumière pour retrouver la pénombre et les étoiles par la fenêtre. « Bonne nuit. » Elle tira les couvertures sur eux, s’emmêla dans cette chaleur de tissus, se concentra sur le silence revenu, bien que troublé par la respiration chaude du jeune homme. Ce fut plus fort qu’elle. Son corps se rapprocha de celui du médecin, s’y blottit jusqu’à sentir son parfum. Seulement maintenant, elle accepta de fermer les yeux et de laisser le sommeil l’emporter, peu importe ce qu’il contiendrait.