La jalousie est un péché, mais je t'emmerde ! (FT. Kenny)

Première sortie de couple en boite de nuit, pour Caïn et Kenny. Depuis qu'ils vivaient ensemble, pas mal de choses se passaient. L'interne avait réussi deux exploits : d'abord parvenir à briser la carapace de Gallagher, au point de comprendre sa façon de fonctionner et d'anticiper quelques unes de ses réactions. Mine de rien, ça ne s'avérait pas extrêmement simple, parce que le blond possédait un sale caractère, largement renforcé par un entêtement incessant et une grande gueule. A cela s'ajoutait une forme de froideur et d'anti-conformisme patenté. Un cocktail dangereux, mais dont son compagnon connaissait parfaitement la recette, maintenant. Alors il faisait avec et il avait trouvé la façon de le remettre en place quand il le fallait. Ensuite, il parvenait aussi à le faire progresser et s'accepter. Il restait encore du chemin, mais Caïn avait changé, en bien. Il ne refusait plus qu'on les voit ensemble, même s'il avait toujours du mal avec les signes d'affection en public. D'affection tout court d'ailleurs, en raison de son enfance et de l'attitude très distante de sa mère. Il acceptait d'aller au restaurant avec son petit ami, et même ce soir, d'aller en boite de nuit.

Voilà quelque chose que le PDG ne faisait jamais. Au mieux, il se rendait au Black Dog, pour participer à des combats illégaux, dans le seul but d'évacuer sa rage et de casser des tronches. Mais ça, Kenny l'ignorait. Pour l'instant. Il valait mieux éviter d'en parler d'ailleurs car il n'approuverait certainement pas. Par contre, aller dans un endroit blindé de monde, avec des gens qui dansent, qui boivent et qui se draguent ouvertement, ça ne le tentait pas du tout. C'était Kenny qui avait trouvé les arguments et convaincu. Et qui l'avait encouragé à se lâcher un peu. Gallagher avait soigné son apparence, comme toujours. Il avait mis une chemise, un pantalon habillé et des chaussures adaptées. Quand ils arrivèrent sur le lieux, des regards intéressés se posèrent naturellement sur lui et sur Kenny aussi, ce qui intérieurement l'agaça quelque peu. C'était son mec... chasse gardée. Enfin, ils étaient là pour passer un bon moment et Caïn ne voulait pas trainer les pieds. Il ne dit rien, donc, sur les coups d'oeil intéressés que certains mecs jetaient à son compagnon. Cela lui coutait, mais il fallait mettre de l'eau dans son vin. Techniquement, il ne pouvait pas empêcher les gens de se servir de leurs yeux, même si, lui-même aurait été favorable à ce qu'on les leur perce... histoire de... Caïn et la modération...

Ils s'installèrent à une table et Gallagher se proposa pour aller chercher les boissons. Ce qui sembla arranger Kenny, dont l'impatience d'entrer sur la piste de danse se faisait sentir. Le PDG s'éloigna pour rejoindre le bar. A peine eut-il commandé, d'un jeune minet se plaça à côté de lui pour le mater. Ok, ça le flattait. Parce que Caïn approchait bientôt de la quarantaine et que savoir qu'il parvenait encore à séduire, surtout un jeune, lui plaisait. Il n'accorda pourtant aucun regard au gamin, qui ne savait plus comment faire pour se tortiller le cul afin d'être remarqué. Lui qui autrefois avait multiplié les coups d'un soir, il paraissait insensible aux autres. Effectivement, à ses yeux, il n'y avait que Kenny. Il récupéra les verres pour regagner leur table. Le brun n'y était pas. Probablement qu'il était parti danser. Caïn but une gorgée de son verre en le cherchant parmi la foule. Ses yeux bleus se posaient sur chaque visage, comme une brise glaciale l'aurait fait. Franchement, de loin, il paraissait ténébreux, peu aimable et donc plutôt attirant. Son visage s'assombrit lorsqu'il repéra enfin Antovska... en train de danser avec un autre. A cet instant, clairement, on sentait qu'il n'avait qu'une envie, tuer à mains nues le salaud qui faisait face à son mec. Il posa fermement le verre sur la table et quand il vit que Kenny semblait apprécier l'instant, il rejoignit à son tour la piste de danse.

Il n'était clairement pas dans son élément, ça se voyait à sa façon de danser très rudimentaire. Il arriva bientôt au niveau de Kenny et d'un mouvement brutal, il bouscula le type qui s'approchait un peu trop de son homme. Il ignorait l'air surpris du mec et comme si de rien n'était, il se mit face à Kenny et lui dit :

- Les cocktails sont prêts. T'as été rapide pour aller danser... t'avais des fourmis dans le cul ou quoi ?

Surtout ne pas montrer qu'il était jaloux, afin d'éviter que ça ne tourne mal. Mais la situation risquait de tourner au vinaigre... l'alcool aidant... Pour le moment, il tâchait de se montrer impassible. Pour combien de temps ? Caïn était un volcan capable d'exploser tout sur son passage en une fraction de seconde. La soirée de faisait que commencer...

- Je ne la trouve pas si exceptionnelle que ça, cette musique pourtant...

Clairement, ça n’était pas pour critiquer les goûts musicaux de Kenny mais ceux de Caïn restaient vieille école. Lui, il adorait Elvis, les Beatles, ACDC, les Rolling Stones, Metallica... bref, des styles à des lieues de Rihanna et de sa voix tunée à mort pour la faire chanter juste. Ca ne le dérangeait pas d’écouter de nouveaux artistes, à l’exception de Justin Bieber, qu’il ne pouvait pas encadrer. Il pétait des câbles quand Murphy mettait ça à fond dans sa chambre, version ado ou adulte... le gars aurait traversé la rue, il l’aurait renversé avec son 4x4 et serait passé dessus une bonne centaine de fois pour s’assurer qu’il était bien imprimé sur le bitume. Oui, ca allait aussi loin... ils regagnèrent leur table. Sur le coup, Caïn pensa que Kenny avait décidé ça parce qu’il dansait mal. Et ça le vexa. D’ordinaire, il aurait envoyé une énorme vacherie, mais... il fallait faire des efforts. Difficile pour ce sang chaud... ça commençait à sérieusement s’accumuler. D’abord la jalousie... maintenant la susceptibilité... ça finirait pas exploser méchamment assez vite, à ce rythme. Une fois à leur table, Kenny confia que la soirée n’allait pas s’éterniser. Bon ça, franchement, il l’avait prévenu... et il était satisfait de l’entendre. Sauf que le mec qui tournait autour de Kenny repointa le bout de son nez. Caïn inspira fortement... son regard croisa cela de son petit ami. Il ferma les yeux et les posa ensuite sur son interlocuteur.

- C’est quoi, la « backroom » ? Une piste de danse VIP ?

L’homme éclata de rire si fort que pas mal de gens se retournèrent. A cet instant une lueur meurtrière passa dans le regard de Gallagher. Il ne voyait pas ce que sa question avait de drôle. Comment pouvait-il savoir ce qu’était une backroom ? Il ne côtoyait pas le milieu gay ! Ni le milieu de la nuit. Il n’avait aucune idée des codes et des endroits prévus pour faire autre chose que danser. Caïn était tellement tendu que ca se voyait à ses tempes, où les veines sortaient en relief sous sa peau. En général, ça annonçait un carnage. Pourtant il se maitrisa encore un peu. Il valait mieux laisser passer... tant qu’il se concentrait sur lui plutôt que sur Kenny... l’homme posa ses mains sur les épaules du russe, de façon, très... trop... sensuelle. Et il dit, goguenard :

- Bah, ca doit pas être drôle tous les jours avec ton copain, beau brun... il est pas obligé de venir, mais toi si tu veux tenter l’expérience...

En un mouvement, Caïn se leva comme s’il avait été sur ressorts. Il empoigna le type par le col, ce qui fit craquer et déchira le tissu sur plusieurs centimètres. Gallagher l’avait soulevé du sol, sous les yeux surpris, voire même ébahis des gens à proximité.

- Tu vas t’éloigner de mon mec, et très vite... sinon, je t’arrache tes couilles et je te les fais bouffer. T’as compris ? Dégage !

Il le jeta brutalement au sol et il reprit sa place. Avant que Kenny ne puisse faire un commentaire, il répondit, sèchement :

- Toi, mets la en veilleuse... j’ai rien dit quand tu t’es laissé tripoter sur la piste, mais là... à quoi tu joues putain... et c’est quoi cette fucking backroom ?

Spoiler:

Au moment où Kenny aida l’importun à se relever, Caïn lui lança un regard meurtrier. Non, il n’aimait pas du tout ce qui était en train de se passer. Et pas besoin qu’il le signifie, son visage restait suffisamment expressif pour qu’on le devine, désormais. Ça lui mettait les nerfs en pelote de voir que le russe défendait ce mec qui jouait collé-serré avec lui. Pire, ça le rendait dingue. Qu’est-ce que ce type avait de plus que lui ? Il ressemblait à une nana ! Dans sa façon de parler, de tortiller du cul... en tout cas il semblait satisfait de s’être trouvé un soutien. Ce qui décupla la rage de Gallagher. Il porta son attention sur son petit-ami et lui lança, glacial :

- C’est ça ouais ! Faire abstraction ! Donc pendant que tu te fais toucher le cul, que tu laisses cette espèce de vieille pute, je devrais faire comme si de rien n’était ?

- C’est moi que tu traites de vieille pute ?

Ça commençait à s’échauffer sévère. L’homme tentait d’approcher Caïn, qui se mit à gronder, hors de contrôle :

- Parfaitement ! De sale pute... vu ta gueule de tafiole en forme de verrue, on comprend mieux pourquoi tu te frottes le cul contre d’autres types !

L’homme leva la main pour gifler Caïn, mais celui-ci le stoppa net dans sa course. Il avait saisit son poignet en plein vol et le lui broya, dans un craquement sinistre. De son autre main libre, il fracassa son poing sur son visage. La suite dut absolument chaotique. Le mec fut projeté quelques mètres plus loin et le videur entra en action. En quelques gestes brutaux mais efficaces, il plaqua Caïn contre un mur, en lui faisant une clé de bras. La musique s’arrêta et tous les regards se posèrent sur eux. Alors que la foule se massaient auprès de l’homme KO qui gisait à terre, le videur escorta Caïn vers la sortie et le projeta sans ménagement :

- Dégage de là, avant que j’appelle les flics !

- Mais appelle-les. Je suis dans mon droit, il a tenté de me frapper, j’ai répondu. C’est de la légitime défense. Et qu’il porte plainte, on réglera ça devant un tribunal. Je vais le broyer si violemment qu’il en sera absolument minable !

Le videur se plaça devant la porte d’entrée pour faire barrage mais l’attention de Caïn se posa sur Kenny qui avait un peu suivi le mouvement. Il pointa un doigt rageur sur lui.

- Fous le camp. Va tenir la main de l’autre pute ! J’espère que je lui ai pété la mâchoire et le nez. Tu sais quoi, ce soir, tu te trouves un hôtel, avec 10000 backrooms, tu t’y feras sauter par toutes les pédales de la ville.

Caïn avait la voix tremblante, ce qui ne lui ressemblait pas. D’habitude quand il entrait dans une colère noire, il parlait de façon extrêmement incisive, pour « tuer ». Mais là, il était blessé. Kenny occupait une place si grande dans son coeur qu’il vivait ça comme une trahison. Il le dévisageait, le regard à la fois dur mais peiné. Pas évident de gérer cette situation, où Gallagher était parti tout seul, en roue libre, en se montant la mayonnaise. L’amour rend les gens aveugles, dans toutes les situations.

Ils étaient venus ici pour passer une bonne soirée, du moins pour essayer... Mais les choses ne s'étaient pas déroulées comme prévues. Que dire ? Caïn n’avait pas confiance en l’homme, de base. La raison ? L’abandon de son père. C’était ça, le péché originel, le point de départ, la première pierre qui avait bâti Gallagher. Elle en avait fait quelqu'un de méfiant, de fier aussi, et de foncièrement jaloux. Il n’avait pourtant aucune raison de douter. Kenny l’aimait et par un baiser très viril, il venait de le lui rappeler. Le geste, les mots, l’apaisèrent, mais ne furent pas suffisants pour le calmer totalement. Au fond, son coeur battait encore très fort, de colère, de rage... comme si le danger de perdre Kenny restait toujours présent. Seul le temps pourrait parvenir à le faire ralentir pour qu'il revienne à son état normal.. Alors qu’ils s’étaient isolés, plus loin, dans un endroit peu fréquenté, Caïn prit quelques instants pour respirer, retrouver un souffle. Ce fut long, parce que dès que la bête était de sortie, elle lui puisait toute son énergie. On aurait pu lui conseiller d'aller voir quelqu'un pour gérer ce genre d'état, mais c'était comme lui conseiller de voter pour un socialiste. Autant éviter... franchement ! Caïn s’en voulait, pour sa réaction. Il avait pourtant essayé de se retenir... il évita le contact de son petit ami, quelques instants, pour remettre ses pensées dans l’ordre. D’un point de vue extérieur, sa réaction était disproportionnée, clairement. Pourtant, lui, il estimait qu’elle était juste et normale. Et il n’était pas prêt à entendre le contraire, pas tout de suite. Il s’adossa à un mur.

- Je refuse de te perdre... à cause d’une vieille pute sidaïque qui se frotte contre toi...

Ça sortait du cœur. Tant l’injure que la tendresse. Il serra les poings. A la grosseur de la veine sur sa tempe, on voyait bien qu’il était tendu comme un arc. Il n'en restait pas moins que ses accès de colère incontrôlée où il pétait littéralement les plombs, demeuraient dangereux, autant pour lui que pour son entourage. Aveuglé, Gallagher en devenait violent. Une violence enfouie qui ne trouvait aucune limite. Pas facile de mettre les bons mots, mais il se lança, sur un ton dur :

- Tout le monde finit par se tirer. Mon père, Murphy... Pourquoi tu ferais exception ? Je peux pas t’apporter tout ce que tu aimerais... tu as des goûts différents des miens... c’est bien, mais j’imagine que c’est mieux de partager davantage... tu aimes danser, ça se voit... mais cette ambiance... j’ai essayé... c’était trop... quand il a été tactile et que tu ne l’as pas repoussé... je ne sais pas si tu te rends compte que moi aussi je t’aime... que je tiens à toi et que la simple idée qu’un type te touche... ca me... ca me met hors de moi...

Il était désarmant de sincérité. Kenny était avec lui mais il pouvait rencontrer mieux, sans doute, plus tranquille, moins con. Caïn se savait imparfait, en tout cas il ne le reconnaissait que face à lui. Il posa sa main sur le torse du russe.

- Il y a autre chose... Je n'ai jamais connu ça avant... je n'ai jamais été en couple. Jusqu'à toi je trouvais que c'était débile, que ça ne servait à rien. Sauf que tu es arrivé, t'as débarqué ici... tu t'es installé. Tout ça est arrivé si vite... parfois j'ai encore du mal à le réaliser... je me suis mis à nu pour toi... et pas que dans le sens physique. Tu es le seul. Mais je suis terrifié à l'idée que tu puisses partir un jour. Nous deux, c'est... enfin, tu vois, pas besoin d'un dessin. Tu comptes pour moi. C'est sans doute très beau mais tu peux pas t'imaginer à quel point ça peut tout empoisonner dans mon esprit...

A son tour de déposer ses lèvres sur les siennes, pour échanger un baiser fougueux. Caïn finit par se dégager et il lança :

- Trouvons un autre endroit... pour danser et continuer la soirée... un endroit qui te plairait, sans pédale en chaleur et sans backroom... Il doit bien y avoir des nightclubs normaux...

Lui passer la bague au doigt ? Caïn n’était pas encore prêt pour franchir cette étape, mais dans sa tête, c’était peut-être envisageable. Il ne fermait pas la porte, cela dit, le fait de savoir que Kenny était complètement ouvert sur ce point lui retirait un poids. Son esprit calculateur nota cette information, pour s’en servir plus tard. Pour le moment, il devait s’occuper de son coming-out. Et ensuite, il aviserait. Il n’offrit à son petit ami, aucune réaction particulière. Il se contenta de l’écouter. Kenny avait fait de gros progrès avec lui. Il arrivait à le calmer en un temps record, en trouvant les mots justes. Sans doute était-ce pour leur honnêteté et leur sincérité qu’ils possédaient autant d’impact. Gallagher savait désormais que le brun ne lui disait pas tout ça pour le satisfaire ou pour mentir. Il évacuait ce qu’il ressentait. Ça comptait énormément puisque la bête assoiffée de haine et de violence qui se terrait en lui, se retrouvait domptée, apaisée... sans effusion de sang. Caïn restait conscient du fait que son caractère était particulièrement difficile à vivre. Il savait quand il perdait le contrôle sur lui-même. Même s'il ne pouvait pas l'empêcher parce que ça restait plus fort que lui et toute la bonne volonté qu'il pouvait y mettre. Il s'était contenu pour ne pas réagir d'entrée, mais autant dire qu'avant, il aurait défoncé le type sur la piste de danse, sans dire le moindre mot. Clairement ce soir, il n'avait pas assuré. Aveuglé par la jalousie et par la rage, il s’était comporté comme un chien enragé. Mais cela ne l’amènerait certainement pas à s’excuser. Il s’avérait être beaucoup trop fier pour ça. Dans le fond, Kenny n'attendait probablement pas qu'il se confonde en excuses. Il savait que ça ne serait pas tout à fait sincère. Alors que le brun semblait prêt à jeter l'éponge, Caïn secoua vigoureusement la tête, légèrement renfrogné.

- Non... il n’est pas question qu’on rentre pour se mettre devant Netflix... je veux qu’on passe une soirée dehors, tous les deux. Je te l’ai promis, je tiens toujours mes engagements. Donc, on va dans ce bar dansant. Ramène-toi Rihanna !

Jamais, avant Kenny, il n’aurait réagi de façon aussi positive. Le bémol, c’est qu’il s’avérait moins loquace que Kenny sur ses sentiments. Dire « je t’aime » ça lui avait demandé un effort surhumain. Il ne s’épanchait jamais ou alors très rarement sur ses sentiments. Tout simplement parce qu’il avait une approche très rationnelle de son quotidien. Il réfléchissait avant de laisser filtrer quoique ce soit. Son comportement glacial déstabilisait. Au delà de la pudeur, Gallagher ne voulait laisser transparaître aucune faille dans son armure. Un mécanisme de défense solidement ancré, qui prenait le pas avec tout le monde, même avec sa fille. Autant dire que Kenny ne pouvait qu'espérer grapiller des moments tendres que dans leur intimité et encore ça dépendait de l'humeur du banquier, qui généralement ne faisait pas dans les palabres quand il désirait Kenny. Au delà de leur différence de personnalité, ils vivaient ensemble de façon complémentaire. Caïn était un roc solide auquel s'accrocher quand le russe en avait besoin. Et Kenny avait le pouvoir de tempérer son petit ami avec justesse, sans en faire trop et sans mettre de l'huile sur le feu. Ils marchèrent dans la rue, direction le parking. Sur le chemin, instinctivement, Gallagher posa sa main sur le bas de son dos. Elle glissa légèrement vers le haut de ses fesses. Comment interpréter ce geste ? Il fallait regarder cela avec la vision parfois primitive du blond. Vu qu'ils tournaient le dos à la boite dont ils venaient d'être éjectés, il rappelait inconsciemment que ce cul là, lui appartenait. Cette attitude n'était pas franchement moderne, mais Caïn s'en foutait pas mal de passer pour un mec jaloux et possessif. Oui, il l'était. Il tenait à ce que ça se sache. Ils arrivèrent devant la voiture, toujours la même, aussi grosse, aussi polluante et garée sur deux places, pour emmerder l'honnête citoyen. Ils montèrent à bord. Caïn se laissa guider par les instructions de Kenny. Le bar en question n'était pas très loin. Ils y arrivèrent au bout d'une dizaine de minutes. Comme sur l'autre parking, Caïn se gara volontairement comme une ordure. Il coupa le moteur et ils descendirent. Quand ils arrivèrent à l'entrée, l'ambiance s'avérait bien différente que de là où ils venaient.

- Bonsoir ! Nous avons du monde ce soir, vous êtes deux ? Je dois pouvoir vous trouver une table ! Vous n'êtes pas obligés mais sachez que si vous le souhaitez, vous pouvez aller dans le vestiaire et mettre une tenue 60's. Nous avons un costumier qui nous a mis à disposition de très belles pièces ! N'hésitez pas à y faire un tour ! Nous offrons une assiette de tapas pour les clients costumés.

La jeune femme les amena jusqu'à une table libre, située près du bar. Et après un sourire très jovial, elle retourna à l'entrée pour accueillir des groupes. Caïn jeta un oeil au vestiaire et aux tenus des autres mecs présents. Clairement, il n'était pas du tout le genre à jouer le jeu. Il marmonna :

- Une tenue 60's... et puis quoi encore ? Pourquoi pas me déguiser en hippie...

Son regard croisa celui de Kenny. Sa promesse lui revint en mémoire. Il demanda :

- Quoi ? Tu crois que je devrais le faire ? Je vais être ridicule... tu y vas toi ?

Pour le coup, sa motivation allait clairement dépendre de celle de Kenny...

Caïn n’était pas vraiment le genre à avoir l’esprit très ouvert. Encore que finalement, il y arrivait de mieux en mieux grâce à l’influence positive de Kenny. De là à lui faire porter une tenue des années 60 ? Étrangement, ça ne le tentait absolument pas. Les hippies, comme les étrangers d’ailleurs, pour peu qu’ils viennent de Chine, il avait horreur de ça. Typiquement, c’était le genre de mecs qu’il aurait volontiers défoncé, au nom du « peace and love » qu’ils revendiquaient. Pourquoi tant de haine ? Parce que Gallagher détestait les rêveurs et les utopistes. Lui, vivait dans un monde pragmatique, violent, celui de la finance. Il n’y avait pas de place pour les sentiments et les élucubrations cosmiques de barbus en jupe, défoncés à la weed... L’argent c’était ce qui faisait bouger le monde, et au passage ce quo permettait à ces « guignols » du dimanche de croûter. Face à ça, il n’existait aucune alternative viable, il en restait convaincu. Et ceux qui soutenaient l’avis inverse, ne méritaient que du mépris ou une place dans un asile psychiatrique, carrément ! Il laissa Kenny entrer dans le vestiaire. Une des employés du lieu le remarqua et l’aborda pour lui demander s’il voulait se costumer. Caïn, avec son amabilité légendaire, se contenta de lui répondre qu’il ne voulait pas ressembler à un « clown ».

Loin de se démonter et pleine de ressources, la jeune femme lui fit un sourire amusé et lui expliqua que les années 60 étaient très vastes en terme de mode et que les hippies n’avaient pas le monopole de la prestance. Un discours qui le laissa profondément insensible jusqu’à ce qu’elle ne prononce le nom d’un star que Caïn adorait : Elvis Presley. Sentant qu’elle avait enfin capté son attention, elle sortit des photos de quelques costumes qu’il lui restait. Pour chacun d’entre eux, elle détailla la façon dont cela se portait, le contexte. Elle lui donna quelques conseils, en accord avec sa carrure. Mieux valait éviter les rayures longues pour éviter d’accentuer sa taille, les couleurs trop vives pour qu’il se sente à l’aise et puis tout ce qui jurerait avec la couleur de ses yeux. Caïn qui était parti dans l’optique de tout refuser, devait bien admettre qu’il était conquis. Il avait suffi qu’elle évoque le King pour capter son attention. Un peu comme Kenny parvenait à le faire, mais avec d’autres arguments que la décence interdisait d’énumérer ici. Il enfila donc son costume de soirée, composé d’une marinière, à rayures horizontales, un jean plutôt ajusté, et un blouson en cuir, un peu comme la tenue que portait Elvis au début des 60s, reliquat de la décennie précédente mais qui pour la jeune femme passait encore.

Quand il fut prêt, Caïn sortit du vestiaire. En temps normal, il se serait senti ridicule, mais pas là. Il passa devant un miroir, et s’admira quelques secondes. Ok, ce pantalon ne cachait pas grand-chose. Et avec sa coupe élancée, il lui donnait l’impression d’être plus grand. Il retrouva Kenny, et le passa en revue. Ce style lui allait très bien. C’était bluffant !

- Tadam... bon j’ai triché, c’est un style fin 50’s début 60’s, mais c’était autorisé. J’ai esquivé les pattes d’éléphant ! Même si ça te va bien. D’ailleurs, je vois bien ta trompe aussi. C’est bien... y’a pas qu’un seul thème à cette soirée.

Il posa doucement ses lèvres sur les siennes. Un baiser en public ? Voilà un moment qui aurait du être immortalisé dans le marbre ! Ils furent installés à une table. Clairement l’ambiance était moins dévergondée que dans la boite de nuit. Les gens s’amusaient, riaient mais semblaient beaucoup plus sage. Gallagher commanda un verre de Poteen, cette liqueur irlandaise qu’il adorait. Il posa son regard sur Kenny et lui dit :

- Y’a pas photo... c’est clairement mieux comme endroit. Les boîtes, plus jamais de ma vie...

Il aurait été intéressant pour eux de raconter leur jeunesse. Car ils avaient probablement un parcours différent et ne le savaient pas.

- Toi t’avais l’air plus à l’aise. Ça sent le vécu quand t’étais plus jeune, non ?