Games by night ⌁ ft. Luana and Alexie

Après de longues semaines d’attente, Luana, Timo et Alexie avaient enfin réussi à bloquer un créneau qui puisse convenir à tous. Le but ? Se retrouver entre amis – ce qu’ils ne seraient peut-être plus à l’issue de la soirée – pour jouer aux jeux de plateau. D’office, les filles avaient refusé de s’aventurer sur le terrain des jeux vidéo, jugeant Timo bien trop expérimenté dans le domaine. Ce dernier avait rapidement cédé : la majorité l’avait emportée et il était du genre à respecter les fondements de la démocratie. Ainsi, ils avaient élaboré les règles de la soirée : chacun amenait le jeu de société de son choix. Au terme des trois manches, si chacun avait gagné une partie, ils feraient la belle au memory. Une idée qui était spontanément sortie de la bouche de Timo et qui avait fait mouche. Elle était stratégique aussi ; il avait une bonne mémoire et savait que Luana était plutôt tête en l’air et que si sa tête n’était pas solidement fixée sur ses épaules, elle pourrait l’oublier. Il l’aimait, Luana, elle était sa meilleure amie depuis des années, mais il s’agissait là de compétition et en bon mauvais perdant qu’il était, Timo préférait mettre toutes les chances de son côté.

Son activité professionnelle lui permettait d’aménager son emploi du temps et c’est pour cette raison qu’il avait proposé que la soirée se déroule chez lui, dans son loft fraîchement rénové au cœur du centre-ville d’Island Bay. Timo n’était pas un grand sociable, mais il savait recevoir : il avait fait les courses, avait préparé un tas d’amuse-bouche allant du salé au sucré et ce même si Luana avait promis de ramener les restes de sa boutique. Un paquet de chips par ci, un plat de toasts par-là, il avait mis les bouteilles au frais et avait sorti les verres, assiettes et serviettes. Il ne lui restait plus qu’à se préparer – il ne pouvait décemment pas les accueillir avec les cheveux en bataille et son survêtement Pokémon. Ni une ni deux, il fila à la douche et en sortit dans un bien meilleur état. Un jean, un pull et des chaussettes et il était désormais à la limite de s’inscrire au concours des meilleurs hôtes du monde. Bon, c’était peut-être un brin exagéré, mais il était tout de même fier de lui. En attendant que ses invités sonnent, il lui restait à choisir LE jeu qu’il mettrait sur la table quand son tour viendrait. Le scrabble ? Non, ils étaient trop jeunes pour s’endormir à 21h. Sans trop d’hésitation, il attrapa le monopoly classique que lui avait offert sa mère quand il était adolescent. Un cadeau d’anniversaire qui ne semblait pas payer de mine, mais qui était pourtant hautement significatif. Il avait d’autres versions : Pokémon, Game of Thrones ou Mario Kart, mais il préférait rester sur la version universelle pour cette fois. Ce soir, il le sentait, il allait faire sauter la banque ! (Du monopoly, bien sûr).

Sa meilleure amie, Luana, était arrivée à l’heure. Elle avait fait la même blague que d’habitude, à savoir : sonner avec un grand sourire en prétextant être sa plus grande fan et vouloir à tout prix un autographe. Les premières fois, Timo avait joué le jeu. A présent, il ne comptait plus les autographes qu’il aurait dû signer et se contentait d’ouvrir la porte avec un sourire attendri. Il l’avait accueillie chaleureusement, elle et son jeu sur le thème de Disney, la serrant dans ses bras comme s’il ne l’avait pas vue depuis des siècles (et c’était son ressenti) et ce malgré l’adversité qui régnait entre eux. Le brun le savait, Luana avait un bagage de connaissances à tout épreuve concernant l’univers de la souris la plus célèbre du monde. De son côté, il était plus branché jeux vidéo colorés, mais il pouvait se vanter de connaître un certain nombre de choses sur l’univers. C’était acté, il n’était pas près de laisser qui que ce soit d’autre que lui gagner. Non mais. Il prit le jeu des mains de sa meilleure amie et le déposa sur le sien. Après tout, honneur aux dames. Son Monopoly était parfait pour les achever. Une fois son plan diabolique établi, ils échangèrent des banalités dans l’attente de voir la petite mine d’Alexie sur l’écran relié au visiophone de son appartement tout en tapant à tour de rôle dans les plateaux de petits fours et de biscuits salés. Les absents ont toujours tort !

Heureusement que Luana et Timo avaient toujours des choses à se dire. En l’occurrence, elle avait même eu le temps de le briefer sur sa nouvelle découverte, La Petite Maison dans la Prairie. Alors qu’il était sur le point de l’ajouter à sa liste de séries à regarder, de désespoir, il entendit la sonnette retentir. Alexie était enfin là. Elle ne semblait pas des plus fraîches, mais bon, cette apparence particulière leur rappelait leur adolescence à travailler dans les champs au détail près que Luana était devenue fermière que dans Farm Together et qu’Alexie avait délaissé les animaux de la ferme au profit des bonobos, ou un truc dans le genre. En la saluant, Timo put renifler une odeur particulière. Elle était peut-être tombée dans la poubelle de peaux de bananes pourries ou dans les excréments d’un primate, il ne savait se positionner entre les deux idées. Quoiqu’il en soit, il toussota poliment et prit sur lui. Elle avait amené un jeu de 7 familles à l’effigie des animaux dont elle s’occupait au zoo. « J’ai révisé mes primates, j’vais vous la-mi-ner » dit-il en faisant des singeries. Ah-ah. Il pointa du doigt la table des amuse-bouche d’un air désolé « Du coup, en attendant, on a dégommé pas mal de petits fours… Surtout Luana ! »

« D'ailleurs je commence à sentir l'odeur dont vous parlez, je te pique ta salle de bain 5 minutes Timo. » Maintenant qu’Alexie était au courant qu’elle dégageait une odeur suspecte et qu’il était nécessaire d’agir, la soirée pouvait commencer. Du moins, il allait devoir lui faire don de sa salle de bain le temps qu’elle remédie à tout ça, mais une fois un brin de toilette fait, ils allaient pouvoir se lancer corps et âme dans une bataille effrénée. « Comment tu veux que je te refuse ça… ? » admit-il avec un air mi-amusé mi-sérieux. Avoir une amie qui fréquentait les animaux était un avantage : il avait le droit aux derniers ragots sur les relations des bonobos et aux informations privilégiées sur les prochaines peluches à apparaître en boutique. Cependant, ce soir, il aurait préféré qu’Alexie fasse dans la pâtisserie. Au moins, elle aurait eu une odeur sucrée, agréable à respirer. Quoiqu’il en soit, elle était maintenant dans ses quartiers pour sauver la mise. Il espérait simplement qu’elle ouvrirait la fenêtre pour que sa colocataire n’ait pas de soupçon sur son hygiène. C’était de sa réputation qu’on parlait, tout de même.

Au retour d’Alexie dans la pièce, Timo regarda Luana. Ensemble, ils allaient s’improviser inspecteurs des travaux finis. Discrètement, ils vérifièrent que les modifications effectuées par leur amie et cousine étaient les bonnes. Deux, trois reniflements plus tard, ils validèrent. Un coup de parfum suffisait à apaiser leurs naseaux. Pendant ce temps, le brun s’était enfilé un bon nombre de petits fours. Autant il se contentait des pâtisseries de Luana pour son côté gourmandise, autant il adorait tout ce qui relevait de l’apéritif. C’était pour cette raison qu’il avait pris la moitié du rayon du supermarché. Il voulait recevoir ses invités dans de bonnes conditions, mais surtout, se régaler lui-même. C’était son petit côté égoïste et il estimait que cela restait raisonnable. Un mini croque-monsieur dans la bouche, il s’approcha de la table sur laquelle étaient posés les jeux.

« Je fais la banque ! Tout le monde sait que je suis connu pour être une bête en maths. Et puis, je suis intègre, contrairement à CERTAINES ici… » dit-il avec une arrière-pensée. En réalité, il aimait taquiner. Mais il comptait bien distribuer les billets. Il déposa la boîte sur la table et prit les billets « Mesdames, installez-vous, le jeu va commencer » annonça-t-il avec sérieux.

De son poste de banquier, Timo pouvait surveiller toute la scène. Il voyait ses deux amies engloutir ce qu’il avait préparé, ou plutôt acheté, et se disputaient le prix de qui aurait la plus grande méfiance envers lui. Pour acheter leur confiance – ou plutôt ce qu’il en restait après toutes ses années à faire tout pour ne pas perdre – il leur laissa le choix du pion. En silence, le blond avait jeté son dévolu sur la voiture, mais Alexie lui moucha la priorité et s’empara du bolide. Reste bon joueur, lui chuchota sa petite voix intérieure. Non, il ne prendrait pas le dé à coudre ou la brouette. Les travaux manuels, ce n’était pas vraiment son truc et il était sûr que ces derniers prendraient leur vengeance un jour ou l’autre. Le chien n’était pas à son goût et le fer à repasser était beaucoup trop fade. Il ne lui restait plus qu’à départager le soulier du bateau. Ce soir, il ferait dans la sobriété. C’est ainsi qu’il attrapa la chaussure du bout des doigts et la plaça devant lui. Même s’il tentait de ne rien laisser paraître, il ne pouvait pas vraiment se vanter d’avoir hérité de ce pion. Tant pis, à la guerre comme à la guerre, se dit-il.

Quand Alexie demanda si on pouvait acheter au premier tour, Timo et sa meilleure amie eurent la même réaction : « On n’achète rien au premier tour ! » dirent-ils en chœur sans même s’être entraînés. Il s’agissait tout de même des règles du jeu et sur ça, ni l’un ni l’autre n’était prêt à être conciliant. S’il y avait des règles, c’était bien pour qu’on les fasse respecter et à ça, le benjamin de la soirée était le meilleur. Du moins, dans 99% des cas. C’est après cette mise au point pour le moins musclée que Luana invita le blond à commencer. Pour une fois que son âge lui offrait un privilège, il n’allait pas s’en priver. Il prit les dés dans sa main et souffla dessus tout en marmonnant une pluie de mots qui rappelait les incantations aborigènes. Ainsi, une fois jetés, les dés affichèrent la somme de 8. Timo avança son pion, renversant au passage celui d’Alexie qui se trouvait sur son chemin et s’arrêta peu avant la case prison. Il poussa un soupir de soulagement et regarda ses adversaires avant de faire craquer sa nuque comme s’il était prêt à en découdre.

« Je suppose que la prochaine main revient à la voiture » dit-il tout en poussant les dés vers Alexie. « Ne te foule pas un doigt en lançant les dés ».

Mon lancer de dés:

Alors qu’habituellement le titre de chat noir en chef revenait plutôt à Luana, la malchance semblait s’être saisie d’Alexie. En son for intérieur, Timo jubilait : elle lui avait volé son pion fétiche et voilà qu’il était vengé. Un sourire machiavélique se dessina sur ses lèvres quand l’aîné de leur bande d’amis déposa sa petite voiture sur la case prison. « En plus, les rayures, ça grossit… » dit-il avec sa gentillesse caractéristique. Au moins, il y avait une justice dans la vie. C’était le cas de le dire.

Luana fit légèrement mieux. Du moins, elle s’épargna de devoir porter un boulot au pied et d’élaborer un plan pour s’évader. Néanmoins, elle fut obligée de faire don de quelques billets à son meilleur ami. Le blond s’empara de la liquidité comme s’il attendait après. Bien sûr, il agissait au nom de la banque. Certes, il ne supportait pas de perdre, mais il n’allait pas tomber dans la facilité de la triche pour autant. D’autant plus que si Luana était naïve, Alexie, elle, était plus réactive. Maintenant que tout le monde avait joué, il était temps que Timo reprenne le contrôle et ce soir, il se sentait l’âme d’un homme audacieux. Il fit craquer sa nuque, s’étira les mains puis lança les dés tout en optant pour le « jet du dragon », une technique qu’il avait inventée de toutes pièces. Achèteras, achèteras pas ? Toujours était-il qu’il venait de passer devant Alexie et qu’il ne put s’empêcher de lui faire un signe de la main doublé d’un « coucou » en s’évitant la case prison. Rose. Il fallait qu’il achète, ne serait-ce que pour faire un pied de nez à son amie d’enfance.

« Bien, j’ai l’impression que comme d’habitude, je vais gagner… » dit-il avec un faux air prétentieux. Et c’est ainsi que plusieurs tours s’enchaînèrent, laissant Timo en tête, suivi de près par sa meilleure amie, suivie de… suivie par Alexie. Malgré ses trente-cinq ans, cette dernière ne put s’empêcher de proférer des accusations de maraboutage à l’encontre du blond et de crier au complot. La mauvaise foi… « Premièrement, j’suis sûr que même si j’avais jeté un sort à ce jeu, tu t’en serais mieux sortie que maintenant ! » dit-il en cherchant l’approbation de Luana « et puis… Tu devrais t’habituer à perdre. Après tout, t’approches tout doucement de l’âge où on devra te mettre en maison de retraite et devine quoi, là-bas, le dimanche après-midi rime avec monopoly, je tiens ça d’une source sûre. Cela dit, c’est peut-être ça la solution ! T’as quelque chose de mieux à faire que d’aller là-bas le dimanche ? Ca pourrait être un bon moyen de t’entraîner ».