Comme un avion sans aile

Evelyn Bramwell

Des ratures sur une copie, on efface ou on recommence.
Des ratés dans une vie, c’est indélébile.

les informations en vrac

la partie anecdotes ○1. Au-dessus de mon berceau tournait un mobile représentant une lune et des étoiles. Je m’en souviens. Je me souviens surtout que je voulais les attraper. Etrange d’avoir une telle image très précise de ses premiers mois ?

2. Étoiles, encore. Quand à 5 ans j’ai annoncé à tout le monde que je serais astronaute, ils ont ri. Je n’aime pas les gens qui se moquent.

3. J’ai essayé plusieurs sports dans le but d’avoir une condition physique exemplaire me permettant d’incorporer dans un premier temps une formation de pilote d'avions puis un programme spatial. Courir le marathon et sauter en parachute en faisaient parties.

4. La tête dans les bouquins du matin au soir au point que je n’ai même pas remarqué que j’ai sauté une classe en primaire.

5. Mon père est marin-pêcheur comme l’était son grand-père et son aïeul avant. Sur les bateaux des autres. Aucun d’eux n’a réussi à obtenir le sien.

6. Deux frères plus grands et plus vieux que moi. L’un d’eux travaille avec mon père sur le bateau de pêche. L’autre préfère rester les deux pieds sur terre, il est plombier.

7. Je suis le bizarre vilain petit canard d’intello dans la famille, mais je ne le suis pas du tout, intello, ce n’est que du boulot monstre pour parvenir au top pour atteindre mon rêve.

8. Des rêves, j’ai grandi avec. Ils m’ont poussés à avancer, à décrocher une licence en physique, à poursuivre des études pour... c'était tout tracé dans ma tête... enfin ça, c'était il y a encore quelques mois.

9. On dit qu’il faut arrêter de rêver quand on est grand, c’est ce qui fait qu’on devient adulte. Ben là, je me le suis pris en pleine gueule.

10. Je suis née à Nelson. J’aime bien ce coin, j’aime bien aussi Island Bay. J’y ai passé toutes mes vacances parce que mes grands-parents maternels y habitent depuis toujours.  

11. Si je m’entends bien avec mes parents et mon frère ainé, avec l’autre c’est un peu plus compliqué. J’avoue, c’est ma faute. Enfin presque. Pas tout à fait. Un peu quand même.

12. Island Bay. Ce besoin de neuf qui ressemble tellement à une fuite. Je suis venue m’installer chez mes grand-parents pour un temps. Rester enfermée dans la chambre c’était à se flinguer, alors l’idée elle est venue comme ça, un boulot, une coloc et puis... on verra.   

13. Encore un truc sur moi ? Je suis accro aux post-it. J’ai trop peur d’oublier quelque chose d'important.

14. Ah j’en ai un autre ! Je fais partie d’un groupe de chasseurs de fantômes. Oui, j’y crois aux esprits qui refusent de quitter ce bas monde. J’y crois depuis que j’ai eu un accident et que je suis passée au travers du voile, dans un sens et dans l'autre.

15. Un de plus ? Je fais toujours de la course à pied, mais le parachutisme, c’est mort, à cause du certificat médical qu’il faut fournir au club.

16. Un dernier ? La copine de mon frère est trop bien pour lui. Mon frère, celui avec lequel je ne m’entends pas très bien. Ce jour où il m’a dit “tu vas finir par avoir des embrouilles si tu continues”, ce jour où il m’a chopée à la regarder de trop près, sa copine, j’ai pris mon sac et je suis partie. Le fait que ce soit viré à une engueulade monstre pour en finir presqu'aux mains est la raison officielle de ma venue à Island Bay.

les indiscrétions sur le joueur

 

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l'histoire de ma vie

Une sensation d’inachevé qui n’est qu’un gros mensonge

Le choc brutal, le vol plané. C’est étrange cette expression, mais oui, j’ai volé. Brièvement. Sensation éphémère de ne plus appartenir à rien. Puis le choc, le second, encore plus brutal, ce mur, je n’en ai aucun souvenir. Ce dont, je me rappelle c’est cet ambulancier qui tentait de retenir ma vie. Je l’observais, j’avais posé ma main sur son épaule mais il ne l’a pas senti, il regardait le corps étendu sur le sol.

Island Bay. 6h53. Je me souviens précisément de l’heure qu’affichait la pendule dans l’entrée. Les images, certaines images s’incrustent sans qu’on sache pourquoi. 6h53 quand j’ai fermé la porte de la maison. J’ai pris mon vélo pour une balade comme je le fais presque tous les matins, courir ou faire du vélo. Les vacances chez mes grands-parents. J’y retrouve des habitudes. J’y retrouve l’envie d’être un enfant. A bosser comme une forcenée à l’école, parfois, je l’oublie. Ici, je range mes livres pour un bref instant. Je retrouve ces amis que je vois en pointillé, vacances après vacances, je retrouve, en particulier, Priam, l’un des enfants de leurs voisins.

Ce matin-là, c’était vélo. Je suis prudente. Je respecte le code de la route, je m’arrête aux stops et aux feux rouges. Je roulais tranquille, mon casque sur les oreilles, j’écoutais le canon en ré majeur de Pachelbel. Je ne l’ai pas vu venir, je n’ai rien entendu de ce fourgon qui est sorti d’une rue transversale comme un boulet de canon. J’étais sur son chemin. Tout comme la voiture qui venait en face de moi.

Je me regardais étendue sur le sol, je regardais le pompier s’évertuer à me sauver. Il y avait aussi cet homme qui conduisait la voiture. Il semblait perdu, errant. J’ai tendu la main pour lui montrer la lumière au bout de la rue, mais il se souciait de l’autre, de celui du fourgon, pas de moi. J’avais dans la bouche un goût d’inachevé qui surpassait celui du sang. Je ne pouvais pas partir. Je ne parvenais pas à poursuivre ma route jusqu’à cette lumière. Ce n’était pas à cause du chauffard, contrairement à l’autre conducteur qui ne faisait que le maudire, pas à cause du pompier qui voulait à tout prix me sauver la vie, pas à cause de ma famille, pas vraiment, pas à cause de moi, je n’avais pas peur. A cause d’une chose indicible qui m’a fait fermer les yeux pour ne pas voir la lueur qui m’appelait.



Cela fait un mois que j’attends cet évènement. Je liste mes questions, j’en ai tant, je vais en oublier. J’ai besoin d’être rassurée. J’ai besoin d’y croire. J’ai besoin de savoir. Parce que je sais que je fais comme si rien n’avait changé depuis l’accident. J’ai arrêté le parachutisme, trop peur qu’on me dise non. J’ai prévu un parcours universitaire d’enfer, ils ne pourront pas me dire non. Je fais toujours du sport. Dans aucun club, certes, mais c’est pareil. J’ai des bilans réguliers, tout va bien.

J’avais cinquante mille questions à poser à l’officier. J’ai tourné autour de lui pendant une demi-heure. Les jeunes qui discutaient, ne disaient que des stupidités. Rien de constructif. Moi, j’avais un but et j’avais besoin de savoir comment l’atteindre, si mes choix étaient les bons. Il a ri en se plantant devant moi, disant à ce type qui se prenait pour un Rambo qu’il y avait une autre personne avant lui. Il a ri en me disant : “Je suis tout à vous”. J’ai ouvert les vannes de mon histoire, du mobile au-dessus de mon lit jusqu’à ma licence de physique que je venais d’obtenir. Tout. Mon entrainement physique, mon travail de scientifique, mon avenir de pilote, mon rêve de station spatiale. Tout. Vraiment tout. Même ce maudit accident et mon dossier médicale qui n’est plus vierge. J’ai son sourire s’effaçait lentement, comme on vient bercer un enfant qui a mal après sa chute. Il savait que j’allais tomber. Il savait qu’il allait briser mon rêve et me couper les ailes.

Je ne pourrais pas être pilote, peut-être un autre job dans l’armée, mais pas celui-là. Il faudra vérifier auprès d’un médecin militaire. Tant qu’à être astronaute... Je lisais dans son regard les mots qu’il avait du mal à exprimer. Alors, j’ai fermé les yeux pour le plus voir le rayon de soleil qui se reflétait sur le P-3K Orion, stationné derrière lui, en démonstration à ce salon de l’aviation. Je n’entrerais pas dans la Royal New Zealand Air Force, ça ne sert à rien. Il n’y a plus de rêve, il n’y a plus rien.



Cette sensation d’inachevé n’était qu’un gros mensonge. Je ne vois que la buée. Un brouillard qui me donne le vertige. J’ai envie de vomir. Mon frère m’héberge parce qu’il habite juste à côté d’où se tenait le meeting aérien. Je vois la buée dans la salle de bain. Je me raccroche à une forme dans le reflet du miroir. Ce corps qui vit. Ce corps nu. Ce corps qui a un avenir. Une main m’arrache brutalement à ce reflet. Je n’ai pas eu cette force quand j’ai posé ma main sur l’épaule de l’ambulancier. Je l’ai laissé me ramener. Tout le monde crie dans la maison, mon frère, sa femme, moi. Tout le monde fait comme s’il était vivant et qu’il y aura un demain identique à hier. Ou différent. Mais il y aura un lendemain. Pour eux, surement.

Hier, j’avais des rêves.