La soirée du siècle. | Timo & Augustus.

Faire sortir Timo de sa tanière relevait de l’exploit. Il était plutôt rare qu’il accepte de se retrouver à errer dans un lieu public sans but. Les seules bonnes raisons pour qu’il booste sa jauge « social » – comme dans un des jeux vidéo pour lequel il était célèbre – étaient 1. qu’ils soient entourés de visages familiers comme ceux de la bande d’amis qu’il formait, notamment, avec Alexie et Augustus, et de 2. que l’activité proposée soit plus intéressante que de streamer ses avancées dans les jeux. Dans le cas présent, l’invitation d’Augustus remplissait les deux critères. Quoi de mieux qu’un bowling pour se retrouver et rire des uns et des autres. D’abord, en raison des chaussures ridicules qu’ils devraient enfiler, puis des techniques approximatives que chacun testerait. On avait plusieurs fois répété à Timo de croiser les jeux au moment du lancée, mais le bougre ne parvenait pas à s’y faire. Pire encore, il lui était arrivé de se manger le parquet fraîchement lustré ! Il préférait la version Wii… Au moins, là, il ne se faisait pas mal. Enfin, en dépit des nombreux risques que la soirée « bowling » présentait, il avait décidé d’accepter et l’idée de voir la petite bande lui donnait du baume au cœur. C’est pour cette raison qu’il était arrivé en avance sur le lieu du crime. Il avait déjà loué sa paire de chaussures en taille 46, grands pieds obligent, et ressemblait à un clown. En attendant le reste de la troupe, il avait tenté de battre le record d’un jeu de voitures, mais ce qu’il portait aux pieds l’en avait empêché… Ou bien était-ce son incapacité à déraper. Quoi qu’il en soit, il s’était vite rabattu sur une autre borne d’arcade où il était bien meilleur. Jusqu’à ce qu’Augustus le rejoigne. Comme d’habitude, les filles étaient à la traîne. Il checka son ami puis se confronta à une annonce qui semblait sérieuse. Son félin préféré était transféré dans un autre zoo ?! Leur dernière partie de monopoly lui avait donné envie de redevenir banquier ?! Alexie amenait son petit-ami ?!!

« Dis-moi, Gusgus, tu me fais encore plus peur qu’au réveil avec cette tête » dit-il avant de tendre l’oreille et d’apprendre que les autres s’étaient défilés. Ils se retrouvaient donc en tête-à-tête. Le plan bowling semblait donc compromis. Tant pis, ils trouveraient bien quelque chose d’autre à faire. S’hydrater semblait être une bonne idée. Gus payait sa tournée et il bénéficiait donc des parts du budget que lui avaient lâchement laissées ses amis, de quoi le faire sourire en parcourant la carte des boissons. Ce soir, il testerait un cocktail et tant pis si l’addition grimpait. Il lui rendrait la pareille avant la fin de soirée.

« Pour moi, ce sera un Wellington-Toronto. Et toi… Une bière, j’imagine ». Il connaissait Gus et son penchant pour l’élixir de houblon. « Bon alors, j’espère qu’ils avaient de bonnes raisons d’annuler. J’espère qu’Alex est clouée au lit avec une grosse grippe ! » demanda-t-il avec un faux air vexé « Et toi alors, qu’est-ce que tu as de beau à me raconter ? Dis-moi qu’ils ont remis des peluches lions en stock au zoo ?! »

Ce n’était pas faute d’avoir essayé d’initier ses amis aux jeux vidéo, mais rien n’y faisait. A chaque fois qu’ils se retrouvaient à jouer, Timo gagnait tout le temps. Pourtant, il avait essayé de faire des efforts pour les laisser le battre, mais malgré ça, il n’y arrivait pas. Même en faisant le moins possible, il finissait par les battre. Alors il avait fini par laisser tomber l’idée. Et puis, avec le temps, et même si les jeux restaient sa passion, Timo aimait bien s’en détacher. Quand il était face à une console, il ne pouvait s’empêcher de penser à son métier et à tout ce qu’il devait gérer aux alentours. Le fait de s’éloigner des écrans pouvait parfois être salvateur et ce soir, il ne tenait pas à s’enfermer avec Augustus.

Timo éclata de rire quand il vit son ami commenter ses chaussures. Bon, c’était mérité. Il avait perdu toute classe, mais il s’en fichait un peu. Le brun n’était pas du genre à s’attarder sur son apparence. Il faisait le minimum pour être potable et pour se plaire, mais il n’accordait pas d’apparence aux vêtements. De son côté, il achetait et portait uniquement ce qui lui plaisait, marque ou non. Peut-être qu’avec ces chaussures de bowling, il allait lancer une nouvelle mode… « T’es jaloux parce qu’elles me vont mieux qu’à toi » dit-il en guise de répondant. Non mais.

Le sujet Alexie-petit-ami était toujours délicat. Depuis le temps qu’ils se connaissaient, Timo avait bien compris qu’il y avait baleine sous gravillon entre Alexie et Augustus. A vrai dire, il en oubliait presque que cette dernière avait un petit-ami. Pourtant, il n’avait jamais abordé le sujet. Le jeune homme n’était pas du genre à se mêler des relations des autres. Les seuls potins qui l’intéressaient étaient ceux du zoo. Il détestait qu’on le questionne sur sa vie amoureuse et c’est pour cette raison principale qu’il ne le faisait pas avec les autres. Après tout, si un jour il devait y avoir quoi que ce soit entre ses amis, cela se ferait.

Timo descendit une partie de son verre en oubliant qu’il ne buvait pas un jus d’orange. C’est sur cette gorgée rapidement avalée qu’il apprit qu’une nouvelle collection allait faire son apparition en boutique et, par la même occasion, qu’une vendeuse faisait du charme à Augustus. Bah voyons.

« C’est propre au zoo, ça, de draguer en filant des infos sur les goodies à venir ou bien t’attires les nanas délurées… ? » dit-il avec un air légèrement moqueur. Chacun son tour. Quand Augustus proposa le billard, le brun ne put s’empêcher de se ruer sur les queues de billard. Il se saisit de la première qui venait et s’approcha de Gus en faisant un bruit de sabre laser. « Gzzz gzzz, montre-moi le côté sombre de la force ».

Le pire souvenir de bowling de Timo, c’était la fois où il avait tenté, sur conseil de sa meilleure amie, de croiser les pieds et qu’au lieu de réaliser un strike, il avait eu un contact très intime avec le plancher de la piste. Ce jour-là, il avait senti le rouge lui monter aux joues et la honte l’envahir. Il avait pesté qu’il ne jouerait plus jamais et que de toute façon, c’était un jeu maudit. Pourtant, il était revenu avec davantage de détermination, mais ne tentait plus de postures risquées. Et parfois, il suffisait d’un malentendu pour que toutes les quilles se couchent au premier lancer.

Le compliment d’Augustus fit sourire Timo. Il se passerait de réfuter ses propos. Après tout, même s’il essayait de ne pas ressembler à un plouc, le blond était à des années lumières d’attacher trop d’importance à sa tenue vestimentaire. Il était bien mal placé pour donner des conseils de style et il en était de même pour le vaste sujet que représentait l’amour. Quant au fait qu’Augustus ait une ouverture avec une vendeuse du zoo… A sa place, il ne s’aventurerait pas sur ce terrain-là. Premièrement parce que si leur date était un flop, il devrait faire avec ce mauvais souvenir chaque jour ou presque, et deuxièmement parce qu’il se demandait bien ce qu’une fille draguant en utilisant les « exclus » de la boutique pourrait proposer à son ami.

« Evite. On sait jamais, elle pourrait t’inviter chez elle, t’enfermer à la cave, t’attacher sur une chaise roulante qui couine et… Te faire un exposé sur les ventes avec des courbes et des camemberts. Flippant. » dit-il avec une pointe d’humour. Bon, il avait un peu exagéré, mais les gens étaient parfois remplis de surprises.

« C’est chiant d’être gentil. T’as déjà vu une intrigue de films à succès ou de séries tourner autour des gentils ? » Sur ce point, il était sûr de lui. La plupart des réalisations qu’il avait vues étaient centrés sur un ou une bande de méchants missionnées de plomber la bonne ambiance.

« Shifumi ? » répondit-il à la question de Gus. C’était souvent comme ça que Timo prenait de grosses décisions. Du moins, quand la situation s’y prêtait. « Et pour le prix et le gage… Euhm… Laisse-moi réfléchir une seconde » dit-il avant de plisser les yeux en signe de réflexion. « Le gagnant ne paie aucune tournée et le perdant… Doit aller mimer une scène culte du cinéma au groupe de filles, là-bas » acheva-t-il en pointant une table du bout des doigts. Certes, c’était la double peine, mais Timo était plutôt fier de son gage. Intérieurement, il espérait surtout qu’il n’aurait pas à aller à la rencontre d’autres personnes pour se ridiculiser. « Enfin, à moins que t’aies autre chose à proposer… Notamment pour le gagnant. Pour le perdant, j’suis pas sûr que tu trouves une meilleure idée que la mienne ».

La notoriété dont bénéficiait Timo lui avait permis d’être le témoin (et parfois la victime) de nombreux scénarios plus flippants les uns que les autres. Il ne se voyait pas comme le garçon le plus beau de la terre, mais ça ne l’empêchait pas de plaire à une minorité de femmes et d’hommes qui le suivaient et parfois, à recevoir des messages loufoques. De la photo de pied à la demande en mariage, il en avait vu, des choses. Heureusement pour lui, il préférait en rire et faire partager ses aventures à ceux qui gravitaient autour de lui. L’anecdote que Luana et Alexie préféraient était celle de la femme s’étant fait tatouer son visage sur la fesse gauche. De cette histoire, Timo ne s’en était jamais remis. Le coeur fanatisme a ses raisons que la raison ignore.

« Ok alors si jamais ça se passe mal à un de tes rencards, parce que je sais que tu es un Dom Juan et qu’elles sont toutes à tes pieds » dit-il avant de faire une pause pour se râcler la gorge « tu me renommes « mémé » dans ton téléphone et tu me fais sonner quelques secondes. Moi, je t’envoie un sms digne du troisième âge où je confonds la touche espace avec le point et où je t’informe que j’ai perdu mon dentier et mes lunettes. Et là, tu sors le couplet comme quoi t’es vraiment désolé, mais que tu ne peux pas laisser tomber ta mémé. » acheva-t-il avant d’exploser de rire. Quel plan machiavélique.

Quand son ami évoqua des figures de la résistance comme Solo ou Poe Dameron, Timo se sentit obligé de répliquer sans épargner son ami. « Bof. Niveau charisme, on est plus sur du R2-D2, quand même… ». Et toc, ça c’était en réponse à son tacle sur les chaussures de bowling.

Au shifumi, Timo jouait toujours la feuille. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, il était un féru de la feuille. Et tant pis si cela lui valait de se faire découper par Augustus. Ce qui ne tarda pas. Bon, il faudrait peut-être qu’il se remette en question sur sa stratégie à l’avenir. Pour le réconforter, Gus proposa des nachos. Rien qu’à imaginer les chips en triangle surplombées de cheddar et de jalapeño, il saliva. L’acheter avec de la nourriture, rien de plus facile, mais il se laissa faire. « Tu me vois refuser des nachos, honnêtement ? ». Il se fit porteur de canne pendant quelques instants puis calculer les différentes trajectoires qu’il allait devoir exploiter pour espérer rentrer une boule dans un trou. Il avait hérité des rayées après que Gus ait cassé. Il fallait maintenant qu’il se souvienne que ce n’était pas à lui de rentrer les boules pleines. Ca, c’était une autre histoire…

Les nachos sous le nez, Timo se hâta de jouer son tour. Il ne se voyait pas laisser à Gus l’opportunité de tout engloutir. Déjà qu’il avait pris un peu de bide… Il lui rendrait service. Ca, c’était sans compter sa maladresse légendaire. Le jeune homme avait pourtant franchi le niveau 156 de Pool Expert sur son téléphone et s’être concentré, sa boule avait avancé de seulement deux centimètres et il avait fait un trou dans le tapis qu’il s’empressa de tasser comme il le pouvait sous les moqueries de son ami. « Pfffffffffffff » fit-il en tentant de réparer sa bêtise avant de plonger sa main dans la portion de nachos. « J’suis sûr que c’est ma queue de billard qui n’est pas droite… » argumenta-t-il pour excuser son manque de compétences. Ce n’est pas comme ça qu’il réussirait à battre Augustus.

A s’échanger des anecdotes sur leur vie amoureuse pour le moins désastreuse, Augustus et Timo avaient l’air de deux petits vieux en fin de vie. Au détail près qu’ils n’avaient ni banc, ni pain, ni cygne à proximité. Il leur restait encore de la marge avant de se laisser uniquement la moustache et de porter des bérets pour cacher leur calvitie.

« C’était des elfes. La nana était fan de World of Warcraft. T’as même blagué sur le fait qu’elle s’était trompé d’exemplaire en te préférant à moi… J’m’en souviens, ouais. »

Certes, Timo était ce qu’on pouvait appeler un « geek » qui s’émerveillait devant un certain nombre de licences, achetait des goodies à l’effigie de ses personnages préférés et avait des références pop culture à la pelle. Pour autant, il ne s’était jamais vraiment imaginé faire sa vie avec quelqu’un qui serait la copie conforme de lui-même. Contrairement à ce que la majorité des gens s’imaginait sur ses traits de caractère, il était très ouvert aux centres d’intérêt des autres tant qu’ils ne se résumaient pas à s’abrutir devant des émissions de télé-réalité ou à taquiner le gardon pendant des heures durant.

Qu’on se le dise, l’amitié de Gus et de Titi était basée à 50% sur des atomes crochus et à 50% sur une passion commune pour tout ce qui était au fromage. Les nachos n’étaient qu’une première étape, une mise en bouche, un échauffement, avant que le blond ne se donne pour mission d’aller chercher une pizza, son plat préféré. Il en aurait bien besoin après son « exploit » au billard. « Pas vu, pas pris » dit-il avec un air penaud. Bon, il n’était pas très fier de sa maladresse, mais il fallait bien qu’il assume. De toute façon, s’il fallait payer quoi que ce soit, ce n’était pas lui qui allait rechigner. Timo n’était pas du genre flambeur, il gagnait correctement sa vie, et ce n’était pas dans nature que de refuser de réparer ses erreurs.

Tout en s’empiffrant de nachos, il regarda la démonstration de son ami. Il entendait bien ses conseils et savait qu’il y avait toute une posture à respecter pour éviter que la table de billard se transforme en champ de mine. La prochaine fois, il ferait attention. En attendant, Gus venait de prendre un point d’avance sur lui. Il fallait qu’il reprenne du poil de la bête rapidement. Une fois que son ami adversaire eut joué, Timo fit craquer sa nuque et prit une grande respiration. A croire qu’il était incapable de garder son sérieux et pourtant, il comptait bien profiter de ce moment pour aborder un sujet qui n’avait rien de drôle. Du moins, pour un électron libre comme il était.

« Dis, toi qui étais dans la banque avant, tu penses que là où tu bossais, on m’accorderait un prêt immobilier sans trop de problème ? » demanda-t-il avec humilité. En quelques années, il avait pu mettre une jolie somme de côté, mais il ne se voyait pas tout dépenser en un claquement de doigts. Il avait déjà investi une partie de son argent dans l’achat du loft et le rentabilisait en étant en colocation, mais il ne se voyait pas recommencer ce cycle s’il déménageait dans une maison à South Bay. Ce projet, personne, pas même sa mère, en avait entendu parler. Augustus était donc le premier dans la confidence.

A eux deux, Gus et Timo dégommaient la portion de nachos. Finalement, le fait qu’ils se soient fait abandonner par le reste de la bande n’était pas une si mauvaise idée. Lorsqu’il s’agissait de piocher dans la junk food, Timo était le roi. Tout ce qui était déconseillé par les nutritionnistes faisait son bonheur. Pizzas, burger, hot dogs, chips, sushis, fromage… Toutes ces choses le plongeaient dans un état de satisfaction qui ne pouvait être expliqué. Heureusement, son métabolisme était plutôt conciliant. Timo faisait partie de ceux qui pouvaient avaler des tonnes de cochonneries sans pour autant prendre un gramme. De plus, il s’était lancé le défi de se mettre un peu plus au sport. Il existait des dizaines et des dizaines d’activités sportives. S’il cherchait bien, il trouverait bien quelque chose.

« Bah tu sais, je suis YouTubeur et pour les banques traditionnelles, ce n’est pas un métier. Enfin, tu vois le débat ». dit-il sans aller plus loin. Ce sujet n’était pas sa tasse de thé. Pour lui, les choses étaient claires depuis des années. Au début, il avait commencé par volonté de partager des choses. A présent, il était capable de vivre de ses vidéos et de tout ce qui existait autour. A pas de loup, il était devenu une sorte d’homme d’affaires des temps modernes. « Je veux bien de ton expertise » répondit-il tout en continuant la partie. Après tout, il n’était pas du genre à refuser les mains tendues. Surtout quand elles étaient gentiment proposées et bienveillantes.

North Bay. C’est vrai qu’Augustus habitait le quartier et qu’il était plutôt accueillant. D’ailleurs, de plus en plus d’évènements délaissaient le centre-ville pour le coin. Timo n’avait pas écarté la possibilité d’acheter une maison au nord de la ville, mais il ne pouvait cacher sa préférence pour le sud. Il détestait l’idée d’être pris pour un touriste et pourtant, South Bay avait un argument de taille : la plage. L’éventualité d’avoir vue sur l’océan et de pouvoir promener son chien sans prendre le moindre moyen de transport le laissait rêveur. Pour l’instant, déménager du centre-ville n’était qu’un projet. Timo était devenu très casanier depuis son retour en Nouvelle-Zélande et l’idée de quitter le loft et ses colocataires pour avoir une maison à lui seul était aussi excitante qu’effrayante.

« Hélas, je n’ai pas encore trouvé quoique ce soit ! Et pour les barbecues… Tu penses que ça pourrait se faire aussi à South Bay ou t’as peur de développer des allergies en changeant de cap ? » demanda-t-il naïvement tout en laissant transparaître sa préférence « J’hésite encore entre les deux localisations. Enfin, je pense que j’attends surtout le coup de cœur pour un terrain. »

Pour la majorité des gens, YouTubeur n’était pas un métier. Cette « passion » consistait à se filmer faire le pitre et à diffuser ses bêtises sur une plateforme accessible à tous. Pourtant, depuis ses débuts, Timo s’était professionnalisé et avait fait en sorte d’avoir des revenus fixes sur lequel il pouvait se reposer. Désormais, il avait plusieurs rentrées d’argent et de quoi s’assurer des jours tranquilles pendant quelques années. Contrairement à ce qu’on tentait de faire croire, son activité était bien plus sûre que d’autres. La seule différence, c’est qu’elle n’était pas encore démocratisée.

« J’ai une base relativement solide qui est la même tous les mois. Ca varie dans le positif. »

Parler d’argent ne le gênait pas en soi. Il se fichait bien de combien les gens qu’il fréquentait avaient sur leur compte bancaire. Timo avait eu une adolescence incertaine. Sa mère l’avait élevé seule et il avait dû s’accommoder à la situation. Aller à l’école avec des vêtements un peu usés et des chaussures abimées, il savait ce que c’était. Il n’en était pas mort, comme disaient certains, mais il avait souffert de brimades qui avaient laissé des marques indélébiles dans son esprit. Maintenant qu’il avait réussi, il ne comptait pas oublier d’où il venait. Il donnait une partie de ses revenus à une association de lutte contre la pauvreté et faisait en sorte de ne jamais occulter ce qu’il devait aux siens, et notamment à la famille Holt.

« Chambre d’amis, canapé dépliable, décapsuleur… Tout pour t’attirer, mon Guguss. » dit-il avec un grand sourire aux lèvres. Bien sûr qu’il comptait inviter ses amis pour faire une pendaison de crémaillère digne de ce nom ! Et il comptait bien sur Augustus pour s’occuper de la bonne cuisson des steaks et des saucisses.

« J’suis sûr qu’elles s’en remettront, enfin j’espère… » La raison pour laquelle il quittait la colocation était certainement l’une des plus belles, mais personne n’était encore au courant. D’une part parce qu’il voulait garder le secret encore quelques temps, jusqu’à ce que son projet devienne concret, mais surtout parce qu’il craignait la réaction de ceux qu’il aimait. Il savait que sa décision allait surprendre et lui vaudrait sûrement un bon nombre de commentaires, mais il ne sentait pas encore prêt à gérer tout ça. Malgré tout sa bonne volonté et la culture du « les autres pensent ce qu’ils veulent » qu’il voulait imposer, il se voyait mal partir en croisade et expliquer pourquoi il avait choisi la voie moins conventionnelle pour devenir père. Gus serait prévenu, comme le reste de ses amis proches, mais il fallait encore attendre quelques temps avant d’officialiser la nouvelle.

« Bon, une dernière pour la route ? » demanda-t-il en levant la bouteille de bière désormais vide. Il avait perdu au billard, mais en bon joueur, il acceptait la défaite et était même décidé à l’honorer.