sleeping with de goya - savannah

Étant petit, Clifford répétait toujours qu’il aurait aimé vivre la nuit, comme certains animaux. Il trouvait un certain charme à l’obscurité, comparait les heures tardives au moment où les animaux sortent pour chanter, danser dans les Disney. Un bon nombre de fois, il était sorti par la fenêtre de sa chambre en emportant avec lui sac à dos, lampe et jeu de piles ainsi qu’une carte de fortune – qui n’était rien d’autre que la grille de mots croisés du journal de la veille, censée représenter Island Bay quadrillée en différents petits secteurs. Pendant une partie de la nuit, et malgré le couvre-feu imposé par sa mère, il arpentait simplement les quartiers de la ville qu’il connaissait, ceux où il se sentait en sécurité, avec toute la candeur dont pouvait faire preuve un enfant.

Cet amour de la vie nocturne, Cliff ne l’avait pas perdu en grandissant : s’il n’était pas très porté sur le fait de faire la fête jusqu’au bout de la nuit, il aimait tout de même grignoter un peu – parfois plus – ses heures de sommeil. C’est pourquoi, quand il entendit parler de cette nocturne au musée de la ville, il n’hésita pas une seule seconde avant de contacter Savannah pour savoir si le plan la tentait : en réalité, il avait suffit d’un simple SMS pour mettre le feu aux poudres.

clifford wade, 17h32
nocturne au musée jeudi soir, ça te tente ? ça va être cool, il paraît qu’on peut même dormir là-bas !

Il savait qu’elle ne pourrait pas lui refuser ça, et quand bien même, il aurait prit la peine de se déplacer au musée tout seul. Il avait attendu la blonde devant, une main glissée dans la poche de sa veste tandis qu’il faisait balancer deux baluchons remplis de sacs de couchages de l’autre. Enfin, quand il aperçu sa silhouette au loin, il leva fièrement les sacs comme pour souligner le fait qu’il ne les avait pas oubliés ; ce n’était pas son genre, mais le duo aurait été drôlement embêté si jamais ça s’était produit. Il avait aussi embarqué avec lui un peu de matériel de dessin – ou ce qui s’en rapprochait le plus, en tout cas, puisqu’il s’agissait simplement de quelques stylos et d’un bloc-notes – afin de se prêter au sacro-saint exercice de la reproduction, comme le font souvent les gens dans les musées.

- J’ai prit un peu d’avance, j’ai aussi nos tickets. T’es prête à y aller ?

Il attendit que sa camarade de sortie ne réponde par l’affirmative, avant de lui tenir la porte pour pénétrer dans le musée. Ayant passé toute sa vie ici, il l’avait probablement déjà visité des millions de fois, mais c’est aussi justement parce qu’il le connaissait si bien qu’il s’y sentait si serein. Ça ne vaut peut-être pas pour les salles de classe, mais généralement, à force de fréquenter un lieu, on finit par s’y sentir comme à la maison.

- Maintenant, c’est le moment où tu m’expliques ce qu’on est venus voir exactement. J’ai hoché la tête quand le gars au guichet m’a parlé de peinture préromantique, mais c’est un peu du mandarin pour moi.

Le vrai plaisir, au-delà de pouvoir faire une nocturne au musée avec un proche, c’est d’avoir la chance de pouvoir le faire avec un proche qui s’y intéresse vraiment. Pas quelqu’un qui le fait par gaieté de cœur ou parce que « ça va être comme dans le film là où le gardien du musée court après des animaux ». Savannah débarque avec son plus grand sourire, et ça, c’est le signe d’une bonne soirée en perspective. Clifford connaît le musée, il y est allé un bon paquet de fois étant donné qu’il a passé la majeure partie de sa vie ici, mais force est de constater qu’il ne peut pas pour autant avoir un avis prononcé sur tout ce qui est exposé. Le préromantique, ça ne lui inspire pas grand-chose. Ça a le don de faire rire son acolyte, et il se joint à la rigolade à cœur joie, avant d’avoir droit à de précieuses explications qui, une fois assimilées, font toujours aussi peu de sens. C’est qu’en terme d’expression de sentiments, il se débrouillait comme un manche ces derniers temps. Il jugea que c’était la moindre des choses de faire un effort. « Je vais te faire confiance, alors. Et si vraiment je suis paumé, je te fais signe. Ok ? » Il s’aventure alors dans la première pièce et, face à tous ces tableaux un peu obscurs, se sent immédiatement comme jeté dans la nature. Clifford commence par emboîter le pas à Savannah : il la suit de près, observe et les tableaux et la façon dont son amie analyse ceux-ci dans l’espoir de trouver une technique secrète à la compréhension du préromantisme. Et en même temps, il en profite pour sortir son carnet et son crayon à papier, au cas-où l’œuvre idéale pour griffonner quelques traits lui tomberait sous le nez.

Une fois la perle rare trouvée, il décide de poser ses affaires sur un banc et de s’y installer à son tour, avant de se lancer dans son exercice. C’est le moment idéal pour prendre des nouvelles de son amie : Clifford n’avait pas été très présent ces derniers temps et s’était surtout contenté de prendre des nouvelles par SMS. La lose, quoi. « Quoi de neuf, ces derniers temps ? Jake est toujours aussi grognon ? Tu as rencontré ton prince charmant et il prévoit de le massacrer ? » Jake et lui ne se connaissaient pas si bien que ça, ils s’étaient peut-être croisés une fois ou deux en coup de vent, mais ça avait suffit à Clifford pour cerner le caractère de ce dernier. C’était une armoire à glace qui lui faisait un peu peur – même si il aurait fait un super équipier de rugby – et chaque fois qu’il lui était arrivé d’avoir à lui serrer la main, il était persuadé que le vieil ours allait l’attraper et lui casser le dos. Alors imaginer un preux chevalier venir sauver la belle du donjon de Jake Bailor, c’était assez drôle en soi.