La vie est une succession de cascades (kim et eve)

Kim Eun Ji enchaînait les urgences depuis quelques temps déjà. Non seulement elle était résidente en première année, étrangère mais également mal dans sa vie, elle devait travailler deux fois voire trois fois plus que les autres. Elle n’avait aucun droit de râler et aucun droit à l’erreur. La rage de réussir dans sa vie après son drame était plus grande que tout, et la volonté de réussir dans un pays étranger, qui plus est, la multiplie.

Aujourd’hui ressemble donc à toutes les journées précédentes. Le ciel dégagé, des gens tristes, d’autres en panique, se demandant forcément comment un drame aurait pu se produire en une aussi belle journée. Eun Ji était studieuse, et faisait son possible pour se démarquer auprès de ses séniors dans le seul et unique but de pouvoir assister aux interventions et opérations chirurgicales en bloc, et elle le faisait si bien qu’elle eût rapidement un statut privilégié au sein du service de chirurgie générale. Cette spécialité était ironiquement, sa plus grande passion.

De plus, bien qu’elle maniait des outils en métals et des corps inertes pour la majorité du temps, elle aimait principalement l’histoire qu’il y avait derrière chaque malade. Elle s’investissait “trop” et s’accrochait beaucoup trop aux goûtx de ses collègues mais elle s’obstinait à s’occuper de se donner au maximum pour chacun d’eux. Si elle n’avait pas des mains miraculeuses qui guérissaient tout le monde, elle espérait au moins avoir une bonne influence sur eux, leur apporter un peu d’espoir, les soutenir et partager leur peines. Et ce fut le cas, ce jour. Elle venait à peine de rassurer un père par rapport à sa fille de 19 ans qui ne s’étant toujours pas réveillé 24h après une des opérations les plus complexes.

Cependant, le médecin sentit légèrement sa tête tourner avec de légères nausées soudaines. Elle pensa plus judicieux d’aller dans le bureau des résidents prendre quelque chose à manger avant qu’elle ne fasse une hypotension. Si elle voulait se faire remarquer c’était seulement par rapport à ses compétences et non pas pour que tout le monde sache qu’elle a la santé fragile. Toutefois, elle s’est trompé de couloir et se rendit compte qu’elle était dans celui de réanimation intensive. En rebroussant chemin, elle vit une silhouette d’un civil au loin, pourtant, l’accès n’était réservé qu’aux membres du personnel. Hésistante, elle prend son téléphone pour appeler la sécurité mais se résigna à le faire lorsqu’elle jugea que la personne était perdu. À pas discret, toujours sa main sur l’appareil pour signaler les urgences (elle était très méfiante, de nature), s’approcha de la jeune femme.

« Excusez-moi. Dit-elle en s’inclinant légèrement, par habitude. Puis-je vous demander ce que vous faites ici ? Ce n’est pas encore l’heure des visites et d’ailleurs ce couloir est strictement interdit aux civils.   »

( Pando )

C’était bien la première fois qu’une personne lui dit autant de fois des mots d’excuse dans une phrase depuis qu’elle a quitté son pays. D’habitude, c’était à elle de s’excuser pour ses maladresses, sa timidité et les mauvaises nouvelles qu’elle annonçait. Les excuses de la jeune femme la rendait mal à l’aise, elle prit le temps de la regarder et l’analyser avant de répondre. La jeune demoiselle qu’elle venait de rencontrer avait une mine loin d’être joyeuse, et comme toujours, Eun Ji se sentit compatissante, sans même connaître les détails de sa vie. Elle baissa la garde et rangea son appareil dans sa poche.

« Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave. Suivez-moi, je vais vous montrer la sortie. » Répondis simplement la résidente en s’approchant délicatement de son vis-à-vis. Cette dernière semblait stressée et réellement perdue, elle n’avait pas l’air d’avoir un bon sens de l’orientation mais pire, elle semblait perdue dans sa vie. Allait-elle lui prendre le bras ? Non, elle se résigna à le faire une fois à sa hauteur.

« Que faites vous à l’hôpital ? » Eun Ji se doutait qu’on venait pas à l’hôpital pour faire la fête, sauf pour les associations caritatives et surtout dans le service de pédiatrie. Mais de ses souvenirs, personne ne venait ici parce-qu’il en a envie. « Vous avez un proche hospitalisé ? » Ajouta-t-elle avant que son interlocutrice lui réponde.

La réponse de la jeune femme semblait tout à coup évidente, Eun Ji avait bien remarqué la grosse enveloppe typique des hôpitaux, elle s’insultait intérieurement de pas avoir pu bien étudier le comportement des gens, c’était son rêve de pouvoir réussir à anticiper tout ce qui l’entourait et se rappela qu’elle devait surtout aller manger quelque chose. Les vertiges étaient revenues, et elle ne voulait pas sûrement pas se montrer faible devant une inconnue. L’ironie, un médecin traitant qui ne pouvait même pas se traiter lui-même. Alors elle proposa, inconsciemment encore une fois, de l’accompagner à son bureau.

« J’allais dans mon bureau, vous voulez m’accompagner ? On parlera de votre dossier et je pourrai vous diriger vers les bonnes personnes. »

Elle aurait pu le faire là, dans ce couloir où leurs pas résonnaient, ça lui aurait pris 2 minutes, mais elle ne pouvait pas permettre de rester debout, ses vertiges et ses nausées s'intensifient et elle voulait s'asseoir le plus vite possible, elle espérait sincèrement que sa nouvelle connaissance ne se rende pas compte de son état.

“Est-ce que vous travaillez ici ?”, elle avait bien écouté ces quelques mots mais ça paraissait tellement loin, elle réussi à souffler un léger “oui”, sans donner de détail. La porte du bureau n’était qu’à quelques pas, quelques pas et elle pourrait se reprendre en mains.

Trois… deux… un.

Elle ouvrit la porte brusquement et se dirigea vers la chaise de son bureau où elle ouvrit le tiroir pour sortir une barre de chocolat et une canette de boisson énergisante. Elle croqua un bout et bu une gorgée et se sentit revivre petit à petit.

« Entre, asseyiez-vous. » dit-elle en se rendant compte que la femme restait au pas de la porte.
Elle n’osait rien dire en vrai, elle se savait pas comment expliquer son comportement mais elle avait tendance à se laisser aller jusqu’à ce que ça soit extrême. Ce n’était pas dans ses projets de se tromper de couloir, ni de tomber sur une personne perdue à son tour, encore moins d’aider quelqu’un alors que ses jambes allaient la lâcher.

« Je m’excuse pour … ça. » dit-elle, en prenant à présent un comprimé. « Vous voulez boire quelque chose ? J’ai du thé ou du café… Oh, tenez ! » ajouta la résidente en lui tendons une barre de chocolat qui était dans son tiroir aussi.

« Je suis le docteur Kim Eun Ji, résidente en première année chirurgie générale. Pouvez-vous me montrer votre dossier s’il vous plaît ? »

Elle était curieuse de connaître son nom bien sûr, mais c’était déplacé de le demander, à son avis. Elle était curieuse dans le sens où cette femme a vu ce que personne d’autre n’a vu dans cette ville, mais de toute façon, si elle acceptait de lui montrer le dossier, elle allait à son tour, tout connaître sur elle.

Kim Eun Ji accompagnait ses paroles avec son éternel sourire sincère, bienveillant et rassurant, elle n’était plus complexée par son accent ce qui la rendait à chaque fois un peu plus confiante pour communiquer avec les autres.

( Pando )

La lecture du dossier avait pris plus de temps qu’il n’en fallait en vrai. Eun Ji ne connaissait pas la patiente mais elle le lisait minutieusement, comme si c’était celui de sa propre soeur ou meilleure amie. Cependant, après avoir lu et relu tout ce qu’il y avait entre les lignes, elle jugea que ce n’était pas à elle de le prendre en charge. Elle pouvait, puisqu’à la base elle a travaillé comme médecin généraliste pendant quelques années, mais le mieux, c’était de le donner à quelqu’un de plus spécialisé dans le domaine.

“Je vais bien.” Ces quelques mots sonnaient plutôt comme un cri de détresse de la part de Eve, la résidante leva les yeux du dossier et fixa son interlocutrice avant de remettre en place ses lunettes et affichant un sourire rassurant à la jeune femme. « Bien sûr, je n’en doute pas. Ce n’est pas très grave, ne vous inquiétez pas ! » Elle essayait tant bien que mal de la rassurer. En vrai, c’était vraiment pas très grave, il y a pire comme maladies. Pour celle-ci, il fallait seulement surveiller, suivre régulièrement chez un médecin traitant et ne pas négliger les traitements.

« Ecoutez, je vais donner votre dossier à mon collègue, il est très compétent donc vous n’avez pas à vous inquiétez par rapport à ça. Il vous prendra en charge ! De plus, il est fort sympathique ! »

La chirurgienne ne savait pas pour quelle raison Eve changeait de médecin ou d’hôpital, elle était curieuse d’ailleurs de le savoir mais se demandait si ce n’était pas déplacé de se mêler de la vie des gens. Si elle allait la prendre elle-même en charge, ça pouvait passer. Mais dans ces conditions, elle hésitait. De toute façon, Eve ne la connaissait pas. Pourtant il y avait d’ores et déjà une connexion entre les deux jeunes femmes. Eun Ji ne pouvait mettre un mot pour la décrire, mais elle sentait le besoin de la garder dans sa vie, de l’aider et la surveiller du mieux qu’elle pouvait. Alors elle hocha simplement la tête, signe que le débat du pour ou contre qui se passait dans son cerveau.

« Excusez moi d’être indiscrète mais… Pourquoi vous ramenez votre dossier ici ? »

( Pando )

La réponse de la nouvelle patiente sonnait comme une évidence et Eun Ji se sentit aussitôt débile de poser une question pareil. Bien sûr qu’elle changeait d’hôpital parce-que vu l’adresse, c’est assez loin d’Island Bay ! Mais on pourrait justifier ceci par la fatigue.

Cependant, la question de la jeune femme était … drôle. Pas dans le sens amusant et pas dans le sens déplacé, en effet, le docteur Kim était habituée à raconter sa vie, étant profondément impliquée dans son métier en particulier par rapport aux relations humaines, elle ne cache que sa détresse et ses peurs mais en soit, elle n’est pas contre l’idée de partager ses expériences. Par contre, elle ne savait pas comment le dire à Eve, ce n’était pas dans le même contexte. Eve n’était pas une épouse ou compagne qui vit une quelconque violence conjugale, du moins, elle ne le sait pas encore, Eun Ji, Eve était juste curieuse ou peut-être c’était instinctif de retourner la même question à son interlocuteur pour faire la conversation et ne pas laisser de blanc.

Ces réflexions ont pris une trentaine de secondes avant que le médecin ne daigne répondre : « mon mari est décédé, j’avais besoin de me reconstruire. » Cette phrase sortait difficilement, lui donnant l’impression d’avoir un couteau lui tranchant la gorge à chaque mot, ça pouvait porter à confusion d’ailleurs, son interlocutrice pourrait penser qu’elle aimait son mari et ne pouvait pas vivre sans lui dans le même environnement ou quelque chose dans le genre, mais elle ne pouvait pas donner autant de détails à une personne qu’elle venait tout juste de rencontrer.

Elle voulait changer de sujet sans pour autant couper court à l’échange, la seule chose qui lui venait à l’esprit était une question sur son boulot, la conversation était loin d’être professionnelle, mais de toute façon, ce n’était pas sa patiente et elles s’étaient croisées comme par hasard sur les couloirs de l’hôpital, l’établissement était certes pro, mais pas la rencontre, par conséquent, eun ji ne sentait plus vraiment que certaines limites étaient dépassées.

« Ça se passe bien dans ton travail ? ça te plait ? »

( Pando )

Le téléphone d’Eun Ji reçu une notification qu’il était l’heure de quitter l’hôpital. Elle sentait toujours le besoin de s’organiser autant dans sa vie : une heure de début, une heure de fin, des détails de ce qui devait se faire dans la journée et une ou deux heures consacrées aux imprévus. Elle devait vivre de cette manière pour se rappeler qu’elle a déjà, un but à atteindre mais aussi pour éviter de se perdre dans ses pensées. Cependant, elle détourne son attention de son téléphone pour écouter les excuses d’Eve. Elle n’avait rien fait dans l’histoire pourtant, elle n’a pas pu s’empêcher de sourire en pensant qu’Eve était le genre de femmes qui savent parler. En effet, elle n’était pas désolée pour la “perte” de son mari, elle ne lui a pas formulé ses condoléances, non. Elle était juste là à être désolée de l’avoir mise mal à l’aise, et bienveillante comme elle était, non seulement elle lui souhaitait la réussite pour se reconstruire mais en plus, elle lui donna un brin d’espoir et de motivation.

« Inutile de vous excuser. » C’est tout ce que le médecin a trouvé à dire, le sourire ne quittant pas son visage et une forte envie de prendre la jeune femme dans ses bras. Cette envie fut accentuée lorsqu’elle parlait à son tour de son travail. Et c’est à ce moment là qu’Eun Ji s’est rendu compte qu’Eve n’était pas tout à fait heureuse et épanouie elle aussi. Il y avait ce manque d’enthousiasme et de passion flagrant dans son récit et ça peinait la coréenne. Elle considère le travail comme la chose la plus importante qui soit, puisqu’après tout, on passe au moins 40 ans à travailler. En quarante années, on commence à perdre patience, on commence à en avoir marre de la vie, on commence à vieillir et c’est par conséquent important d’être dans quelque chose qui nous permet de bien nous sentir. Eun Ji, quand elle se lève chaque matin, elle est heureuse d’aller voir ses patients, heureuse de pouvoir aider certains et elle l’est encore plus lorsqu’elle arrive à sauver des vies malgré sa fatigue à elle, malgré ses nombres courts de sommeil et tout le stress et la pression qu’elle s’inflige.

Elle ne voulait pas laisser partir Eve. Elle ne voulait pas la laisser aux oubliettes de ses souvenirs. La rencontre a été soudaine et hors de contrôle mais elle sentait quelque chose envers cette fille et elle ne voulait pas la laisser partir ainsi.
« Vous avez quelque chose de prévu aujourd’hui ? J’ai fini mon service à l’hôpital, ça vous dit qu’on finisse cette discussion dehors ? »
Elle appréhendait la réponse. Elle avait peur de l’effrayer en fait. Eun Ji était une étrangère, étrangère pour la jeune femme qui s’était perdue tantôt, mais également dans le pays. Ca ne lui ressemblait pas d’approcher les gens de cette manière.
« Si vous ne voulez pas, je comprends. Mais laissez-moi vous donner mon numéro de téléphone, comme ça vous me contacterez si besoin ? » La fin sonnait plus comme une question. Même lui donner son numéro était déplacé, mais elle se sentait pratiquement obligée de faire ceci, pour Eve.

( Pando )