l'histoire de ma vie
when the party's over
(she used to be mine)Il fut un temps ou elle était pleine de vie. Ou on l’appelait Aurora ou encore Ro', ce dernier surnom qu’elle détestait plus que tout. Elle s’émerveillait de tout. Le rire d’un enfant, les étoiles dans le ciel au soleil couchant, l’odeur de l’eau saline qui chatouille les narines. Elle avait la vie devant elle, qu’on disait. Elle était passionnée par tout ce qu’elle entreprenait. C’était peut-être sa naïveté qui lui donnait cette insouciance et cette joie de vivre contagieuse. Elle n’avait encore rien vécu de troublant, rien qui n’aurait pu la marquer à tout jamais. Elle croyait encore aux clichés qu’Hollywood raconte, à l’histoire de la princesse et du prince charmant, du bon qui triomphe toujours du mal.
Aurora, c’est l’heure de manger. Que cria Lisa de la cuisine. La gamine, cachée sous son lit, fit signe à Margot, sa meilleure amie, de ne pas faire de bruit, quand bien même elles se mirent à rire toutes les deux une fraction de seconde plus tard.
Aurora, Margot. Appela à nouveau sa mère tandis qu’elle grimpait les escaliers. Et les deux restèrent toujours silencieuses, tapies sous le lit. Lorsque finalement elle entra dans la chambre, les fillettes sortirent de leur cachette en hurlant, faisant sursauter la mère d'Aurora.
Vous m’avez fait peur. Qu’elle s’exclama aussitôt, posant la main sur sa poitrine.
Allez, le repas est près. Dépêchez-vous, ça risque de refroidir. Leurs rires emplirent la maison tandis qu’elles dévalaient les escaliers, bien fières de leur coup.
On t’a bien eu, maman. Qu’elle dit, une fois assise à table, son assiette bien remplie devant elle.
Pour m’avoir, vous m’avez eu, en effet. Et elle vit son père, du coin de l’œil, secouer la tête de gauche à droite, un léger sourire dessiné sur son visage.
Vous êtes incorrigibles. Qu’il dit, brisant finalement le silence, un léger rire s’échappant d’entre ses lèvres. Il était un homme de bien peu de mot, Jack, il avait une voix forte et une présence imposante, mais Aurora le savait, il était un gros nounours, ne ferait pas de mal à une mouche.
Alors, les filles, mis à part embêter Lisa, qu’avez-vous fait aujourd’hui? Il n’en fallait pas plus pour que les deux complices ne se mettent en marche et parlent sans s’arrêter.
S’il y a bien une chose dont elle se souvient de cette époque, Alice, c’était que l’amour régnait par-dessus tout. Si elle a vu ses parents se disputer de temps à autre, elle ne les a jamais entendu claquer la porte. Jamais papa n’a dormi sur le canapé. Jamais maman n’a hurlé, menacé de demander le divorce. D’ailleurs, ce mot, c’est à l’école qu’elle l’a entendu la première fois. Elle avait huit ans à l’époque. Un camarade de classe parlait de ses parents, qu’ils comptaient se séparer, qu’ils ne s’aimaient plus. Elle n’a jamais compris comment une telle chose pouvait être possible. Le mariage, maman lui répétait, c’était de se promettre qu’on était prêt à travailler fort pour être heureux, à surmonter les embuches à deux, à ne jamais baisser les bras. En y pensant bien, peut-être que le modèle familial et relationnel qu’elle avait toujours eu devant les yeux était parfait. Peut-être qu’ils étaient une exception à la règle, Lisa et Jack, que leur amour était unique, qu’on ne trouvait une relation comme la leur qu’une fois aux milles ans. Peut-être qu’à vouloir trop être comme eux, elle a fini par se perdre. Pourtant, elle y a cru, un moment, qu’elle aussi aurait droit à ce bonheur, à cette fin heureuse. Elle était si naïve.
(the smile that you gave me)Il était beau, William. Il était grand. Un peu mystérieux aussi. C’était d’ailleurs ce qui faisait son charme. Il était celle que toutes les femmes désiraient. Elle aurait été stupide de ne pas en être tombée follement amoureuse, Rory. Elle n’a jamais vraiment compris pourquoi il l’avait choisi, elle, la timide, la réservée, la très, peut-être même trop, discrète Aurora. Et pourtant, alors que toutes les filles étaient en pamoison devant lui, c’est elle qu’il a abordée. C’est devant elle qu’il s’est appuyé contre le mur, l’air décontracté, plein de confiance. C’est à elle qu’il a proposé une sortie au cinéma le soir-même. Elle s’est sentie ridicule pendant les heures qui ont suivies parce qu’elle a balbutié, elle a détourné le regard tandis qu’elle sentait ses joues bruler, avant de finalement accepter. Timidement. Elle était son opposée depuis le tout début. Elle aurait du savoir que ça ne fonctionnerait pas. Elle aurait bien du savoir que les contes de fées ne sont pas des histoires plausibles, que le prince charmant n’existe pas. Elle n’aurait pas du tomber dans le panneau. Et pourtant. Ce soir-là, elle s’est mise peut-être un peu trop belle. Maquillée, sa plus jolie robe sur le dos, elle en avait peut-être fait trop. Pourtant, lorsqu’il l’a complimentée sur son apparence, tous ses efforts ont semblé en valoir la peine. Véritable gentleman, il a insisté pour payer la note, quand bien même elle a protesté. Elle était capable d’assumer les couts de la sortie, 'Ro. Femme indépendante et forte, elle a pourtant abdiqué, voyant qu’il n’en démordrait pas.
(til the sun don’t shine)Tout était si idyllique, William était si merveilleux. Aurora ne cessait de le répéter à qui voulait l’entendre. En amour par-dessus la tête.
Fais attention, Rory. Qui sait ce qu’il cache derrière cette facette d’homme doux et gentil? Chaque fois, Aurora roulait les yeux et refusait de prendre les avertissements de Margot au sérieux.
T’écoutes trop de drames, Mag. Ils existent vraiment les bons hommes. Elle aurait pourtant du l’écouter. Elle l’a compris trop tard.
Joyeux anniversaire. Qu’il avait dit, ce soir-là, la voix mielleuse, avant de l’embrasser avec sa douceur habituelle.
Joyeux anniversaire. Qu’elle lui avait dit en retour, ses bras entourant rapidement son cou pour approfondir le baiser. Ses doigts s’étaient glissés dans ses cheveux tandis que ses mains à lui avaient rapidement trouvé leur chemin sous son chandail, caressant sa peau avec autant de douceur que d’envie.
Je t’aime tellement, 'Ro. Qu’il avait murmuré contre sa peau alors que ses lèvres vinrent toucher son cou, lui enlevant momentanément tout air dans les poumons. Elle l’aimait aussi. Tellement.
Les jours ont passés, se sont transformés en mois sans qu’elle ne s’en rende compte. Encore aujourd’hui, elle ne comprend pas ce qui lui est passé par la tête ce jour-là. Elle ne comprend pas pourquoi il s’est mis dans une telle colère.
T’étais avec qui? Elle venait tout juste de fermer la porte qu’il s’est mis à hurler. Elle ne pensait pas qu’il serait encore éveillé à cette heure.
Avec des copines. Qu’elle répondit simplement, prenant appui sur la chaise pour enlever ses talons hauts.
Tu veux vraiment me faire croire que tu t’es habillée de la sorte pour tes amies? Il s’avançait vers elle à chaque parole, un peu plus menaçant. Elle qui se sentait d’habitude en sécurité lorsqu’elle le savait à proximité, voilà qu’elle tremblait légèrement, que la peur semblait envahir tout son être.
Oui, tu peux les appeler si tu veux. Qu’elle renchérit, le trémolo dans sa voix trahissant cette crainte qui la paralysait tandis qu’elle tenait son téléphone devant elle, essayant de rassembler un minimum de courage pour lui faire face. Elle essayait de contrôler le tremblement de sa main alors qu’il prenait l’appareil, mais ses yeux se fermèrent lorsque son téléphone se fracassa contre le mur et elle se recroquevilla contre elle-même, totalement effrayée maintenant. Au pied du mur, elle n’avait plus d’issue et William non plus, n’ayant plus rien à portée de main pour canaliser sa colère si ce n’était que le corps d'Aurora. Et c’est sur elle qu’il déversa sa colère, qu’il cracha son venin.
William. Qu’elle gémit, tentant de protéger son corps frêle de la myriade de cours qu’il faisait pleuvoir sur elle.
Arrête. J’ai mal. Qu’elle tenta de lui dire entre deux coups, tentative veine de le raisonner, de le faire revenir à lui.
Je suis désolée. Les mots contrastaient avec la violence qui avait précédée, ses doigts effleurant à peine sa peau.
Je suis désolée. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Immobile, Aurora le laissa parler, s’excuser.
Je te promets, ça ne se reproduira plus. Il y avait cette culpabilité dans sa voix, quelque chose qui la poussa à lui pardonner. Parce que tout le monde faisait des erreurs de jugement, pas vrai? Elle s’empara de la main qu’il lui tendit et se releva avant de se diriger vers la chambre leur chambre, et de se réfugier dans leur lit, désireuse d’oublier cet écart de conduite.
(welcome to club knocked up)La main tremblante, elle agrippa le petit bâtonnet, priant le ciel pour que le résultat soit négatif. Deux petites lignes. Merde. Elle le reposa avec douceur sur le comptoir avant de poser sa main contre son ventre. Un petit être y grandissait. Un petit être qui aurait peut-être le tempérament agressif de son père. Ou, si elle avait un peu de chance, la douceur de sa mère. Elle a tenté de lui dire le soir-même, mais le courage n’est pas venu. C’est trois jours plus tard qu’elle l’attendit sagement, assise sur le canapé dans le salon de leur appartement qui serait peut-être bientôt trop petit.
Bonsoir, mon amour. Elle lui offrit son plus beau sourire avant de se lever pour l’embrasser.
Il faut qu’on discute. Elle savait que cette phrase n’indiquait généralement rien de bon, alors elle cru bon d’ajouter la phrase suivante.
C’est une bonne nouvelle, je t’assures. Enfin, elle espérait qu’il la considère comme étant bonne. Elle le guida vers le salon afin qu’il y prenne un siège.
Je suis enceinte. Qu’elle dit finalement sans détour. Pour seule réponse, il l’embrassa avec une force quasi insoupçonnée.
Tu es heureux? Qu’elle demanda, hésitante, lorsqu’elle put à nouveau respirer.
Oui, oui. Évidemment que je suis heureux. Qu’il dit, lui donnant l’impression d’être sur la défensive.
Mais que je ne te surprenne pas à aimer cet enfant plus que moi. La menace était à peine déguisée et Aurora savait de quoi il était capable.
Tu sais bien que je t’aime plus que tout. Qu’elle lui dit, tentant de ravaler les larmes qui menaçaient de couler le long de ses joues.
(and it's all catching up to me)Elle voulait tellement y croire, Alice, que tout irait bien. Qu’il changerait, s’adoucirait avec la venue imminente du fruit de leur amour. Enfin, de ce qu’il avait un jour été. Lorsqu’ils étaient en public, il était doux comme un agneau, attentionné, parfait. Il était l’homme dont elle était tombée amoureuse. Il jouait le rôle du parfait mari se préoccupant un peu trop de la santé de sa femme et de son futur enfant. Tous le croyaient et jamais on aurait deviné ce qui se passait une fois la porte de leur appartement fermée. Il était en furie ce soir-là. Il avait sans doute trop bu, ce qui lui arrivait trop fréquemment lorsqu’ils sortaient avec des amis, et, comme toujours, jetait le blâme sur Alice pour tout et n’importe quoi. Une parole qu’il avait jugé déplacée, alors qu’elle s’en était tenue à des banalités toute la soirée, justement pour ne pas qu’il s’emporte, pour qu’elle puisse passer une soirée relativement calme, ou encore un geste qu’il n’avait pas apprécié, un regard, enfin, tout était sujet à être cause de sa colère. Elle l’avait supplié d’arrêter, de penser à leur enfant.
Je n’en ai jamais voulu de cet enfant. Qu’il lui avait craché au visage. Ç’aurait du être une évidence et pourtant, ses paroles la blessèrent presque autant que les coups le firent ce soir-là.
Arrête, s’il te plait. Je ferai tout ce que tu veux. Je me mettrai à genoux pour te demander pardon. Qu’elle avait lancé entre deux élans de colère de sa part. Rien à faire, il ne voulait pas l’entendre. Elle pensait bien y passer ce soir-là, qu’elle vivait là ses derniers instants, mais les coups cessèrent subitement. Une douleur qu’encore aujourd’hui elle peine à décrire se fit sentir dans tout son corps tandis qu’elle toucha le sol. Par automatisme, elle porta la main à son ventre. Elle priait simplement pour que son enfant ait bien. Quoi que, à bien y réfléchir, si cet enfant ressemblerait plus à son père qu’à sa mère, peut-être elle n’en voudrait pas. Elle se souvient de peu de choses du reste de cette soirée. Que du flou, puis elle se souvient s’être réveillée à l’hôpital.
Mon bébé, il va bien? Ç’avait été là sa première question, après que la surprise d’être toujours en vie soit passée. Elle avait compris bien rapidement qu’il n’y avait plus d’enfant à naitre. Que son vœu avait été exaucé. Il lui fallu un moment avant d’avoir quelque réaction que ce soit, Alice, prise quelque part entre la tristesse et le soulagement, ne sachant pas quelle émotion l’emportait.
(out of the darkness and into the sun)Elle aura mis deux mois avant de mettre son plan à exécution, Alice. Deux mois à continuer de vivre l’enfer, à entendre les insultes et injures, à subir les coups, à l’entendre lui dire qu’elle aurait du mourir avec son enfant ce soir-là. Deux mois à avoir peur de la suite des choses, peur que la prochaine fois soit la bonne. Deux mois avant de faire ses valises en un temps record, ne laissant aucune trace de son passage dans cet appartement maudit, et de les ranger dans le coffre de sa vieille voiture, prête à prendre le large. Elle n’avait parlé de son plan qu’à très peu de gens, Alice. Ses parents et sa patronne. Ils étaient les seuls dans le coup, les seuls en qui elle avait véritablement confiance. Elle a d’ailleurs été d’une grande aide, sa patronne. C’est elle qui lui a donné l’adresse d’un membre de sa famille, chez qui Alice vit aujourd’hui. Elle qui a accepté de lui avancer de l’argent pour qu’elle puisse partir le plus rapidement possible. Pas d’adieux larmoyants, pas le temps pour ça. Elle lui a simplement dit merci, l’a enlacée une dernière fois et est partie sans se retourner.
Prends soin de toi. Qu’elle lui avait dit avant de la laisser partir.
Je te le promets. Elle s’est efforcée de retenir ses larmes, Alice. C’était difficile de tout quitter comme ça, un boulot qu’elle aimait, un environnement de travail exceptionnel, une patronne aussi généreuse et compréhensive. Mais elle n’avait pas le choix. Elle ne pouvait plus vivre dans le mensonge et la peur. Environ quinze heures après avoir quitté Invercargill, elle s’est retrouvée ici, à Island Bay.
Bonjour, vous devez être Aurora. Qu’on lui a dit après qu’elle eut frappé à la porte.
Alice. C’était peu, mais c’était un pas vers la guérison, vers la liberté. Aurora n’était plus qu’un souvenir maintenant, une autre femme. Dans cette ville, on ne connaitrait qu’Alice.