take me back to the start / alexie

Ses doigts attrapent ses cheveux, machinalement, et une première mèche vient s’enrouler tout autour de son indexe. Elle a perdu l’habitude de faire le trajet jusqu’à Lower Hutt (elle a pris le bus, parce qu’elle ne s’est pas encore occupée de se trouver une voiture et que le trajet en vélo est un peu sévère) bien qu’elle soit revenue, toujours entre deux voyages. Son estomac se noud d’une certaine appréhension – c’est idiot, elle le sait, parce que ses parents les ont prévenus qu’ils ne seront pas là pour qu’elle puisse trifouiller dans les cartons à son aise et sans doute parce qu’ils savent qu’elle est toujours aussi peu à l’aise à l’idée de croiser Raphael. Ils sont partis visiter un musée, elle n’a pas retenu lequel pour ne pas être tentée de les accompagner, curieuse de découvrir si l’enfant a déjà les mêmes goûts qu’elle pour l’art et la culture ou s’il va plutôt traîner les pieds, comme Danny traînait les pieds à chaque fois qu’elle l’obligeait à l’accompagner quelque part. Elle parcourt à pieds les mètres qui sépare l’ancienne ferme à l’arrêt de bus, des souvenirs d’enfance remontant pour venir lui remplir la tête. La bouche tordue, elle se glisse à l’intérieur sans prendre le temps d’aller jeter un œil aux pâturages (elle ira voir les moutons et les chèvres plus tard, qu’elle se promet, parce qu’Alexie y tiendra probablement et qu’elle est bien heureuse de pouvoir de nouveau passer du temps avec son aînée). Elle a donné rendez-vous à Alex d’ici vingt minutes, est venue en avance pour avoir le temps de retrouver le confort de la maison de son enfance (et pour avoir un battement de dix minutes pour voir la chambre de Raphael, même si, une fois arrivée devant la porte, elle n’ose pas la pousser et faire finalement demi-tour). La même odeur qu’il y a trente ans flotte dans chaque pièce, le pain chaud, la nature à plein poumon, la lessive du linge étendu dans la buanderie. Elle grimpe les escaliers, retrouve la chambre qui a été la sienne, vaguement réaménagée par ses parents après son départ mais globalement la même, avec les posters de son adolescence et des cartons plein d’affaires. Par la fenêtre ouverte, elle entend le bruit d’un moteur qui se coupe et le sourire nostalgique qui s’est installé sur ses lèvres s’étire. La porte d’entrée s’ouvre et se referme. « Je suis à l’étage ! » crie-t-elle avant même qu’Alex n’ait le temps de l’appeler (ou de la chercher). Elle repose l’une de ses débuts de collection de timbres pour passer la tête dans le couloir et aperçoit le crâne de sa frangine qui monte les escaliers. « J’espère que t’as fait un peu de sport ces derniers jours parce qu’on va devoir monter et descendre des cartons quasiment toute la journée. » Après avoir tout trié et elle a conscience que le tri va sûrement leur prendre le plus de la journée, en réalité – elle se sait incapable de ne pas relire quelques pages d’un livre dès qu’elle en retrouve un, ne pas regarder des vieux albums photo si elle a le malheur de mettre la main dessus et est à peu près certaine qu’elles risquent de finir la journée à remater d’anciennes cassettes vidéos de leur enfance sur le (très) vieux magnétoscope de leur père. Elle s’écarte du chambranle de la porte, salue sa sœur en la serrant dans ses bras. « Merci d’être venue, je suis pas sûre que j’aurai su par où commencer toute seule. » Son regard survole sa chambre, les cartons qui s’amoncellent avant de se mordre l’intérieur de la joue. « La priorité c’est le gros de l’ameublement pour que mon appart soit pas trop vide. » Et par là, elle entend les anciens tableaux dénichés lors de vide-greniers, une partie de ses collections (pas les timbres, elle les laisse ici encore un peu) et autres babioles de décoration qu’elle a en surplus, déjà, mais dont elle ne se passera probablement jamais. « Oh et si on trouve mon vieux polaroid, je le reprends. Je m’en fiche de ce qu’affirme Danny, elle me l’a volé ! » Un doigt pointé en l’air pour accusé la cadette qui manque à l’appel, encore quelque part aux USA pour sa brillante carrière sous les projecteurs et les strass. « Par où on commence ? Oh, peut-être par un peu de la tarte faite maison que maman nous a laissé ? » Parce qu’il est encore relativement tôt, finalement, et qu’il est préférable de ne pas se mettre à bosser l’estomac vide.

Elle penche la tête sur le côté, la bouche tordue, les yeux plissés, fait mine de sautiller de partout, surexcitée (ou surentraînée, c’est sans doute une question de point de vue), plie les genoux, enchaîne les squats. « Excuse-moi, chère sœur, mais je suis choquée par tes propos. » Elle s’interrompt en sentant poindre un point de côté, vient appuyer une main sur la douleur, la souffle déjà court. « Bon okay, mon corps est un traitre, je vais continuer de répéter à qui veut l’entendre que s’allonger sur le canapé devant Netflix est un sport extrême. » Elle plisse le nez, se force à prendre une grande inspiration pour essayer de faire diminuer son point – pour une fois qu’elle est prête à faire semblant de s’intéresser au sport. Ne compte toutefois pas se risquer à un accident plus grave et choisit d’écouter ses limites. « C’est d’ailleurs surprenant que papa n’ait jamais installer de monte-charge… » Sûr que ça les aurait bien dépanner, en l’instant – ou dommage qu’elle n’ait pas réclamé l’une des chambres du rez-de-chaussée quand l’occasion s’est présentée, trop fière de pouvoir dire à tout le monde qu’elle avait l’une des chambres à l’étage et la plus proche de la grande salle de bain. Retrouvant sa position dans l’encadrement de la porte, les bras encore croisés devant tout ce qui s’entassent depuis plusieurs dizaines d’années, elle est prompte à lever un doigt menaçant, tout sourire perdu. « Même pas en rêve, c’est mon polaroid, si vous en voulez un, fallait vous en payer un avec votre argent de poche. » Elle en a piqué, elle aussi, des affaires appartenant à ses deux plus grandes sœurs, mais n’a pas toujours été très prêteuse – et si elle veut bien lâcher quelques bijoux ou quelques peluches à qui en veut, Cassie, elle est bien déterminée à récupérer son polaroïd, petite pépite qu’elle s’est payée après avoir passé des mois et des mois à économiser, vérifiant tous les jours ou presque qu’il était encore disponible à la boutique en passant devant. Une moue se dessine sur ses traits à la réponse d’Alexie, visiblement devenue voix de la sagesse pendant ses multiples voyages (chose qu’elle n’est pas certaine de réellement apprécier en l’instant). « T’as probablement raison, » lâche-t-elle en gonflant une joue avant de récupérer un sac poubelle qu’elle ouvre en grand. « Tu vas me faire faire le truc de garder que ce qui m’apporte de la joie ? » Elle plisse le nez, la grimace sur le bout des lèvres, pas convaincue que la technique de Marie (Maryse ?) Kondo soit particulièrement effective en ce qui la concerne. Ouvrant un premier tiroir pour en dénicher d’anciens trophées (principalement des confections de ses parents ou de ses sœurs avec quelques auto-décernés) elle fait volte-face, le cœur affolé avant que ses yeux ne se posent sur le tableau en question. « Arrête, on peut pas faire pire que Gladys, elle avait un bras qui sortait du cadre, lui, il a la bonté de rester dans son cadre ! » Elle frissonne à la pensée du tableau (devenu célèbre) de Friends. « Et puis, il est pas si horrible que ça… » D’une main, elle porte l’autre côté du cadre – bon, c’est loin d’être un Manet ou un Klint, et elle doit reconnaître qu’entre les couleurs sombres et le masque en papier mâché collé par-dessus la peinture a un petit quelque chose d’effrayant. « Je crois que c’était Jasper qui me l’avait offert. Tu te souviens ? Il était creepy mais… Gentil. » Et sans aucun talent artistique, pauvre de lui. « Tu crois que j’arriverai à l’échanger contre quelque chose qui me fera vraiment plaisir ? » Parce que si Rachel Green y arrive à chaque fois et ce, pendant dix ans, y a pas de raison pour qu’elle n’y parvienne pas. L’air de profonde horreur sur les traits de sa sœur lui fait perdre son peu d’espoir. « Bon okay, vire-moi ça dans le coin à jeter, » tranche-t-elle finalement avec une dernière grimace pour le tableau avant de déposer les trophées pour débuter la pile à embarquer. Déniche rapidement une autre trouvaille plus toute jeune, un cadre de photo-collage avec principalement des photo dossier de ses sœurs et elles. « Aw, regarde comme t’étais toute cute sur cette photo avec tes dents qui te manquaient. » Un coup de coude dans les côtes d’Alex pour attirer son attention, le doigt tapotant ladite photo tandis qu’elle continue de redécouvrir les frasques de leur enfance.

Son aînée a l’air un peu trop convaincue, Cassie doit se forcer à retenir une grimace devant cet enthousiasme un peu trop débordant, se dit qu’elle aurait sans doute eu mieux fait de se taire, pour une fois. Elle a la bouche qui se tord, Cassie, une réflexion sur le bord des lèvres mais pas le temps de prononcer quoique ce soit qu’Alexie se fait plus stricte et elle souffle. « Waoh, j’avais oublié combien tu pouvais être bossy quand tu t’y mettais. » Elle roule des yeux, finit par l’imiter en s’attachant les cheveux à son court, se détournant dans son propre coin pour une fraction de secondes avant qu’un tableau terrible (et répugnant mais elle sent aussitôt une pointe de culpabilité la traverser au souvenir de celui qui le lui a offert avec les meilleures intentions du monde) ne tombe sous son regard. La grimace prend place sur ses traits – parce qu’elle ne peut pas dire que cette vision pour le moins horrifique lui arrache la moindre joie, non – et elle hausse les épaules, déjà prête à négocier. « Well, peut-être pas de la joie-joie mais… » Mais rien ne lui vient en contre-argument et Alex finit de la convaincre qu’il n’y a pas d’espoir de grande expo pour ça. C’est très probablement mieux ainsi (Cassie ne voudrait pas que Jasper traumatise petits et grands en ornant plusieurs murs d’une galerie de ces tableaux) et elle consent finalement à désigner le tas à jeter pour s’en débarrasser. « J’espère pour toi que je croiserai plus jamais Jasper de ma vie. » Pas que ce soit probable, de toute façon puisque de ce qu’elle s’en souvient, sa famille avait fini par déménager – où, elle n’en sait rien, mais ailleurs et elle ose espérer que les années les rendront aussi méconnaissables l’un que l’autre.

Elle lève un regard vers sa sœur, les yeux écarquillés à son anecdote. « En te prenant une… Ah donc en fait t’as toujours été du genre à te prendre tout ce qui était sur ton chemin ? » Elle rit, se mord la lèvre. « Mais ça m’étonne pas de papa, tiens, il a toujours vu le côté pratique des choses. » Ses yeux glissent sur les autres photo avant qu’Alex n’attire son attention et elle glousse de plus belle. « J’en sais rien mais même mes talents de négociatrice ne suffisaient pas pour pouvoir y échapper. » Pas faute d’avoir essayer de jouer des yeux de chat potté (et même Dani, pourtant la comédienne de la famille n’arrivait pas à faire changer leur mère avec une lèvre tremblante). « Tu te souviens quand celle-ci a été prise ? » Du doigt, elle pointe une photographie avec les quatre sœurs, véritable gang alors couvert de boue jusqu’aux genoux, les têtes coiffés de chapeaux au goût discutable mais toutes avec un accessoire digne d’un grand carnaval brésilien. Elle a beau essayé de s’en rappeler, le souvenir de la journée ou du contexte lui échappe et elle secoue doucement la tête. « Bon, ça, on garde. » Pas que la question ait vraiment eu besoin d’être posée. « Tu voudras récupérer certaines photos ? » L’idée lui traverse l’esprit alors qu’elle s’apprête à poser le collage sur la pile, le regard inquisiteur parce qu’après tout, c’est familial et même si elle ne serait pas contre le fait de l’avoir pour décorer son nouvel appartement, elle peut comprendre qu’il soit préférable de le laisser chez les parents.

La fouille continue, les tiroirs sont ouverts, et elle ne tarde pas à dénicher une ancienne poupée – dérobée à Alex, dans le plus grand des secrets. « Oh-oh. » Elle a une vraie grimace sur les lèvres, Cassie, quand elle se rappelle qu’elle avait sauvagement coupé les cheveux du poupon (époque où elle pensait encore que ça pouvait repousser y compris sur une tête en plastique) avant de les lui teindre à la peinture en blond vénitien. La grimace s’étirant quand elle se rappelle, encore en plus, qu’elle avait accusé Dani du méfait (elle doit quelques excuses à la cadette). « Tu veux la garder ? » Elle s’étonne d’ailleurs que Baylee ne l’ait pas récupéré pour ses enfants, a une pensée pour Raphael mais elle la repousse d’un geste mental, consciente que si Raphael en avait voulu, sans doute qu’il l’aurait déjà récupérée (elle n’en sait rien, à vrai dire, n’est même pas certaine qu’il ait récupéré des affaires parmi celles qui ont appartenu aux frangines).