○ event saint valentin (spencer & mia)

Une invitation mystérieuse dans le parc du centre-ville. Mia avait longtemps hésité à s’y rendre. Mais ce qui l’avait décidée, c’était définitivement sa solitude. C’était la première fois depuis des années qu’elle passait la fête des amoureux sans son mari. Bien entendu, ce n’était pas plus mal - ça s’était presque toujours mal terminé, en fait. Mais il n’empêche que ce soir-là en particulier, la jeune femme avait tout sauf envie de se morfondre. Et de toute façon, elle savait qu’il fallait qu’elle apprenne à s’ouvrir à nouveau au monde qui l’entourait. Elle avait vécu tellement de temps sous l’emprise de Nathan qu’elle avait presque oublié ce que c’était que de socialiser. Alors sur un coup de tête, Mia avait décidé de revêtir l’une de ses plus belles robes d’été, large pour être à l’aise, avant de se rendre au parc. Elle adorait cet endroit quand elle était petite. En s’approchant, la vétérinaire se sentit un peu intimidée par l’aspect animé inhabituel de l’endroit à cette heure-ci. Inspirant profondément, elle franchit l’entrée, se retrouvant presque aussitôt avec du pop-corn salé sur les bras. Murmurant un mot de remerciement, elle s’éloigna un peu. Jetant un coup d’oeil autour d’elle, elle comprit que, bien évidemment, la plupart des personnes présentes étaient venues en couple. Elle voulait bien admettre qu’en plus de la date, un cinéma en plein air faisait un rendez-vous plutôt romantique - c’était bien pensé. Ne se sentant pas tellement à sa place, Mia continua à regarder autour d’elle et finit par repérer une place libre, relativement à l’écart - ce qui était tout à fait pour elle. Ce n’est qu’une fois près de l’endroit convoité qu’elle se rendit compte que quelqu’un était déjà assis à côté. Un jeune homme, lui aussi avec son pop-corn. « Oh, bonsoir… Je suis désolée, je croyais qu’il n’y avait personne. Vous attendez peut-être votre amoureuse ? » Votre amoureuse. La blonde venait de parler comme une fille venant d’entrer en maternelle. Il fallait croire que le fait de s’adresser à des inconnus la rendait un peu nerveuse. « Je ne veux pas déranger, si cette place est prise, je vais chercher ailleurs bien sûr. »

Heureusement que par principe, un cinéma en plein air n’était pas très éclairé, sans quoi celui à qui Mia s’adressait n’aurait pas manqué de remarquer que ses joues venaient de se colorer. Quand elle était une adolescente puis une toute jeune adulte, à l’époque où elle était pleinement épanouie, Mia ne manquait pas de caractère. Elle n’était pas non plus réservée, s’exprimant avec une certaine assurance en public. Les choses avaient bien changé après son mariage. Sa personnalité avait changé. Obligée de se faire toute petite pendant trois ans, la plupart du temps réduite à des contacts virtuels avec le monde extérieur, Mia était devenue une personne effacée et presque timide. En réalité, elle aurait peut-être changé de place pour être encore plus isolée si elle n’avait pas eu peur de paraître malpolie. « Merci beaucoup. » Elle prit place tranquillement, se demandant si elle devait se présenter ou pas. Il lui facilita la tâche en engageant la conversation. « Love Actually. Un classique, on peut difficilement faire plus cliché pour cette soirée, n’est-ce pas ? » Elle lui adressa un sourire. « Au fait, je m’appelle Mia. Et si vous voulez des pop-corn, surtout, n’hésitez pas à piocher dans les miens, ils sont salés. Je n’ai pas l’intention d’en prendre du tout, je n’ai juste pas… Osé le dire à la fille qui me l’a mis dans les bras quand j’ai dit non merci aux pop-corn sucrés. » Il devait déjà commencer à la trouver un peu bizarre, alors elle n’allait pas non plus lui expliquer qu’elle ne consommait pas de produits laitiers et qu’il y avait probablement du beurre dans les pop-corn. Mais au moins, s’il aimait le salé, il ne risquait pas d’en manquer.

Comme le jeune homme refusait gentiment sa proposition, Mia se rendit compte qu’elle devrait certainement rapporter son pop-corn à la maison - il y en aurait au moins qui serait content. Son voisin de soirée lui retourna la proposition, qu’elle déclina à son tour d’un geste de la main. « Merci, c’est gentil. » Depuis combien de temps n’avait-elle pas tenu échangé plus de quelques mots non nécessaires avec un inconnu ? Ce qui était sûr, c’était que ça remontait à l’époque d’avant son mariage, au moment où elle nouait encore des relations à peu près normales. « Enchantée Spencer. » Elle était à peu près sûre de ne jamais l’avoir rencontré avant, malgré la petitesse d’Island Bay. « Vous avez un accent… Américain, je ne me trompe pas ? Vous êtes ici depuis longtemps ? » Même en termes de ragots, Mia était encore loin d’avoir rattrapé le temps passé à l’étranger, mais ce n’était probablement pas une perte.
« Je ne sais pas du tout si vous êtes du genre à aimer les comédies romantiques, mais il me semble quand même que celle-là est difficile à détester » sourit Mia tandis que les lumières baissaient, signalant l’imminence du début du film. Un ombre se déplaçait entre les rangées, intriguant la jeune femme. Celle-ci finit par comprendre qu’il proposait des roses à offrir. C’était romantique. Nathan lui en aurait probablement offert une, avant de la gifler à la maison parce qu’elle ne s’était pas comportée correctement. Alors à cet instant, Mia ne put s’empêcher d’envier un peu les femmes qui avaient un couple stable et une vie amoureuse tout à fait saine. Au milieu de ses pensées, elle entendit Spencer se débattre avec des mots. Puis finalement, elle se retrouva avec une rose dans la main, ses joues se teintant à nouveau de la même couleur. « Oh, merci beaucoup, Spencer… Vous n’étiez pas obligé, vous savez… Je n’ai même pas de pièce sur moi pour vous rembourser… » Il aurait été difficile de dire lequel des deux était le plus gêné. « Ne vous inquiétez pas pour ça, je… Je suis toute seule. » Puis elle se rendit compte qu’il avait peut-être aperçu l’alliance qu’elle avait gardée à son annulaire, aussi se sentit-elle obligée de se justifier. « Enfin, je… Je suis en train de divorcer. Bref, c’est juste pour vous dire que vous n’avez pas à vous en faire. »


« Quinze ans ! Vous êtes tombé amoureux du coin ? Ça doit être tellement différent de ce que vous avez connu. » Mia avait déjà l’impression qu’il y avait un contraste entre la vie dans le centre-ville de Wellington et la vie à Island Bay, alors entre New York et ici, il y avait tout un monde… « Born and raised, oui. J’ai fait la première partie de mes études à Wellington puis j’ai continué à Sydney. J’ai passé quelques années là-bas et croyez-moi, je suis bien contente de ne pas avoir attrapé l’accent australien ! » La jeune femme souriait en disant ça. Elle trouvait que c’était facile de discuter avec Spencer et elle savait que, plus tard, quand elle y repenserait, elle se répéterait à quel point elle avait perdu du temps en laissant son monde se réduire uniquement à son mari. Elle avait été une adolescente plutôt expansive et il n’avait presque rien laissé d’elle. Mia ré-apprenait petit à petit à vivre et même si ce n’était pas toujours évident, elle ressentait ce vent de liberté comme un véritable soulagement. « Merci à vous pour la compagnie… Et encore une fois, pour la rose. »

La blondinette décida de laisser son voisin un peu tranquille. C’était la première fois qu’il voyait le film, alors il avait besoin d’être un minimum concentré. Elle allait essayer de ne pas le déranger, mais cette pensée fut tout à fait inutile vu qu’elle aimait beaucoup les comédies romantiques. Elle se prit totalement dans les différentes histoires et se surprit à rire aussi fort que les autres spectateurs, tout en faisant tourner sa rose dans les mains. Il y avait une éternité qu’elle n’en avait pas reçu une et cette attention la touchait. « Regardez bien cette scène, c’est l’une des meilleures ! » Elle avait du mal à se retenir totalement de parler, ce qui avait le don d’agacer les membres de sa famille à l’époque.

« Je la comprends aussi. Quand je vivais à Sydney, je ne rêvais que d’une chose, c’était de revenir ici. Je ne suis peut-être pas très objective, mais je crois vraiment que la Nouvelle-Zélande est l’un meilleurs endroits au monde pour vivre. » Et bien entendu, elle avait des raisons particulières de vouloir fuir l’Australie. Mais elle n’en démordait pas : son pays était peut-être le paradis sur Terre, sauf lors des hivers un peu trop rudes. En termes de climat, leur voisin remportait évidemment la palme. « Je ne sais pas si l’accent australien est vraiment horrible, mais… Il est prononcé, c’est sûr. Et un peu nasillard. Surtout au début. Après, on s’adapte vite, en fait. Ils ont aussi des mots un peu spécifiques, mais ça s’apprend vite aussi. » En réalité, l’Australie était un pays magnifique dont Mia avait gardé de bons souvenirs de ses voyages en famille, notamment sur la Gold Coast, quand elle était plus jeune. Malheureusement, ils étaient entachés par d’autres souvenirs, bien moins bons. Elle se reprocherait probablement jusqu’à la fin de ses jours de ne pas avoir terminé son cursus à Wellington, ou encore à Auckland, ou même à New York d’où venait Spencer. « J’ai fait une école vétérinaire. Long et laborieux, j’ai passé des nuits blanches à plancher, mais c’était mon choix et aujourd’hui j’en suis bien contente. »

Le film était visiblement apprécié par l’assistance. Oubliant ses propres déboires amoureux, Mia riait de bon coeur, jusqu’à ce qu’elle se retrouve avec plein de pop-corn au caramel sur la robe. Elle étouffa une exclamation de surprise, se retint de retirer sa main quand celle de Spencer se retrouva malencontreusement sur la sienne et au final, se retrouva aussi avec du pop-corn salé sur la robe. Le jeune homme se confondait en excuses, face à son emportement maladroit, la blonde ne put s’empêcher de rire. Quelques secondes plus tard, ils se retrouvaient dehors, jugés trop bruyants. « Oh, je vous en prie, ce n’est pas très grave. Je peux regarder la fin sur Netflix. En fait, je voulais surtout… Sortir, voir du monde. J’ai rencontré une personne sympa, c’était déjà inespéré. » Elle lui adressa un clin d’oeil, désireuse de mettre fin à son malaise. « Et surtout, j’ai rencontré une personne encore plus maladroite que moi, vous imaginez même pas à quel point c’est rassurant ! » Elle se moquait gentiment de lui. « Vous ne me devez absolument rien. Si vous voulez, on peut aller au cinéma et vous pouvez même choisir un film d’action ou d’horreur, mais il faut pas du tout vous sentir obligé ou quoi que ce soit. »