○ event saint valentin (timo, cassie & romi)

Quand il avait reçu l’invitation dans sa boîte mail, Timo avait d’abord cru à une blague. Qui offrait des nuits comme ça ?! C’était sans penser au fait qu’il se rangeait désormais dans la catégorie « influenceur » et que beaucoup de boites de communication s’intéressaient à lui. Lui qui détestait être considéré comme un bout de viande voyait sa vie se transformer en une vitrine de magasin et cette idée ne lui plaisait pas. Des invitations pour passer un week-end dans une hôtel quatre ou cinq étoiles avec vue sur la mer ou sur un parc naturel, il en avait refusé un paquet. Hors de question qu’il devienne un instagrameur obsédé par le fait de se prendre en photo. Pourtant, cette invitation n’avait rien d’un placement de produit première classe. Le mail ne lui demandait pas de contrepartie : pas de photo sur instagram ou de « room tour » dans ses vidéos. Surprenant. Comptaient-ils uniquement sur la qualité du service ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que la proposition le sortait de ses habitudes. Ainsi, il ne fallut que quelques minutes pour se décider à accepter. Il ne risquait pas grand-chose et de toute façon, il avait besoin de respirer un autre air que celui du loft. Les derniers jours avaient été mouvementés et prendre un peu de recul ne lui ferait que du bien.

En deux temps trois mouvements, il avait préparé un sac de voyage avec les essentiels : une tenue de rechange, ses chargeurs de téléphone et de console et sa trousse de toilette. Il laissait un mot sur la table pour avertir ses colocataires de son départ précipité et se hâta pour rejoindre la Tesla. Après plus d’une demi-heure de route, il était arrivé sur les lieux. Son sac dans la main, il découvrit les alentours ; l’endroit semblait charmant et il y avait suffisamment de monde pour espérer ne pas être tombé dans un traquenard. Quelques pas plus tard, il se présenta à l’accueil, montrant le mail qu’il avait reçu et présentant sa carte d’identité. « Meghan, meghan ! » dit l’employé qui lui faisait face à sa collègue qui était déjà bien occupée « Je crois que le site a merdé… ». Timo avait beau positiver, il se doutait que cette coquille était pour lui. « En fait, vous avez reçu une invitation solo, mais le site vous a placé dans une suite trio… avec deux autres personnes. Je suis vraiment désolée… ». Alors ça, c’était bien sa veine.

Elle se mord l’intérieur de la joue, un regard lancé sur le bâtiment sans avoir quitté le taxi. Elle sent l’impatience du chauffeur, ses doigts qui tapent contre le volant (sans doute pour se retenir de la foutre dehors). C’est qu’elle craint que ce ne soit une embûche. Une invitation, sortie de nulle part, pour passer la nuit à la (presque) belle étoile dans une cabane haut perchée, ce n’est pas habituel, pour elle. Cassie, elle n’a pas l’habitude à ce qu’une personne inconnue (un admirateur secret selon sa mère) lui offre ce genre de chose – elle a déjà pas tellement l’habitude des bouquets de fleurs, alors une nuit pile comme elle les aime… « J’voudrai pas vous obliger à descendre, hein, mais j’ai le compteur qui tourne, moi. » Elle lance un sourire pauvre en direction du chauffeur, opine finalement avant de lui tendre ses billets et, son maigre sac contenant le strict minimum récupérer d’un bras, elle quitte l’habitacle du véhicule. Inspire profondément. Se force à avancer jusqu’à l’accueil où deux standardistes échangent des regards paniqués devant un homme (jeune ? vieux ? elle a du mal à le distinguer, de dos). Elle attend, sage, docile, en profite pour jeter un regard à la décoration intérieure, de quoi piquer une ou deux idées pour son nouvel appartement, les doigts accrochés les uns aux autres. « Madame, on peut vous renseigner ? » Tirée de sa fascination pour la plante exposée devant un long couloir menant, vraisemblablement, aux cuisines, Cassie tourne vivement la tête en direction de l’accueil. « Hm, oui, j’ai eu une invitation pour une nuit ? » Elle farfouille dans son sac, les sourcils plissés jusqu’à tirer le mail imprimé avec un large sourire victorieux – sourire qui s’estompe quand ses yeux se posent finalement sur le jeune homme qui patiente maintenant à ses côtés. « Timo ? Mais… Qu’est-ce que tu fous ici ? » Les chances de retrouver un (quasi) membre de sa famille dans ce presque hôtel le soir de la St Valentin sont minimes – surtout lui et surtout après le vent envoyé il y a déjà quelques temps. « Oh. Il semblerait que vous ayez également souffert du bug informatique et que vous êtes l’une des trois personnes placées dans la suite trio. » Ah. Elle ouvre la bouche sans qu’aucun son n’en sorte, comprend au regard de Timo qu’il est probablement une autre de ces trois malchanceux, se dit qu’elle aurait pu tomber plus mal. « Ca nous rappellera les nuits à la belle étoile chez mes parents, » tente-t-elle avec un sourire forcé, se demandant si c’est, justement, pas un coup de ses parents (Alexie lui a bien dit qu’ils cherchaient à faire entrer Timo de façon plus officielle dans la famille, après tout).

Elle avait pensé à ne pas y aller, passer outre cette drôle d’invitation. Elle était arrivée de nul part, véritable surprise que Romi n’était pas certaine de réellement apprécier. Romi ne savait pas, si c’était une bonne idée. Partir à l’aventure, se laisser surprendre par ce cadeau inespéré. Elle avait besoin de s’éloigner un peu, pour mieux se recentrer. Pour retrouver l’inspiration sur le prochain tome de sa bande-dessinée. Sa soeur, Louisa, avait insisté pour qu’elle s’y rende - on ne refuse pas un cadeau, qu’elle avait dit, quand bien même cela pouvait être un drôle de traquenard. C’était l’occasion de sortir, c’était gratuit en plus. Louisa avait su trouver le bons arguments pour qu’elle accepte d’accepter cette nuit insolite, en pleine forêt. Elle allait sortir de sa zone de confort.
Sa soeur l’avait déposé, avec la promesse de revenir la chercher le lendemain. Pas avant, elle ne pourrait pas. Romi redoutait le moment où elle serait complètement seule. Elle aurait dû lui dire de rester, profiter de cette soirée avec elle. Elle aurait pu inviter quelqu’un aussi, une amie avec qui elle aurait pu partager ce cadeau. Elle n’y avait vu que l’occasion de travailler, d’être concentrée dans une environnement différent. Peut-être que Millie - son personnage - pourrait avoir droit à un chapitre dans une cabane perchée dans un arbre, au milieu d’une jungle. Ou d’une forêt néo-zélandaise, plutôt.
Son sac de voyage à son bras, le mail d’invitation entre ses mains, elle avait hésité à partir en courant. Cette nuit insolite était une mauvaise idée. Elle avait un mauvais pressentiment, quelque chose d’indescriptible qui lui tordait l’estomac. C’était trop inconnu pour être pleinement sereine. Elle avait pris une longue inspiration avant d’aller à la réception, d’y découvrir deux autres personnages et des réceptionnistes affolées. Un bref salut, toujours aussi incertaine sur ce qu’il allait se passer. « Bonjour Madame. Vous devez la troisième personne. » A arriver, certainement. Elle avait regardé l’interlocutrice avec un air suspicieux. A présent, elle était certaine qu’il y avait effectivement un problème. Elle l’avait ressenti bien avant de franchir ces murs. « Pardon, la troisième personne ? » La situation lui échappait, Romi commençait à sentir le malaise s’installer plus intensément dans son ventre. « Nous sommes désolés, il y a eu un confusion dans les réservations. Vous êtes tous les trois dans la même suite. » Elle avait regardé les deux autres personnes qu’elle avait jusqu’à présent ignoré. Elle avait imaginé un couple venu profiter de la Saint Valentin dans un lieu insolite. Et la surprise de le voir parmi les malheureux. Cet homme qu’elle avait rencontré peu de temps avant pour ce rendez-vous qui allait bousculer sa vie. Leur vie. Romi n’avait pu cacher sa surprise, son regard la trahissait obligatoirement, elle était restée muette pour autant sur tout cela, sur sa présence, sur ce lien qu’ils avaient. « Et il n’y a pas moyen d’avoir une autre chambre ? C’est particulièrement étrange de devoir passer la nuit avec des inconnus. » Romi avait espéré un instant qu’elle dise oui, qu’on trouverait une solution. « Toutes les autres chambres sont réservées, c’est un soir important … nous sommes désolés pour cet incident. Néanmoins, la chambre est à votre disposition. A tous les trois. » Elle lui tendait une clé, un sourire presque persuasif sur les lèvres. Romi la détestait, d’une certaine. Plus encore parce qu’elle ne pouvait pas faire de quelconques réclamations. Un cauchemar, sans doute. Elle n’avait pas le choix, apparemment. Pas de moyen de rentrer chez elle, pas d’autres solutions pour passer une nuit correcte. Elle s’était contentée de soupirer et d’accepter, d’écouter les indications et de partir devant. Elle allait passer pour une sauvage, sans aucun doute.

C’était désormais sûr, Timo passerait la Saint-Valentin en trio. Lui qui n’avait jamais profité de cette occasion accompagné allait rattraper des années de disette. Cependant, l’idée de se retrouver dans la même pièce que deux inconnus ne le mettait pas à l’aise. Il se voyait déjà faire un planning pour le passage à la salle de bain. Ces plans furent rapidement compromis par l’arrivée d’un visage familier : Cassie. Cassie Holt. La sœur d’Alexie, la même qu’il avait ignorée volontairement plusieurs années auparavant. Il avait entendu dire qu’elle était revenue à Island Bay et savait qu’il devrait la confronter à un moment donné, mais il ne s’imaginait pas devoir le faire dans ses conditions. Au moins, ils seraient en terrain neutre. « Cassie. » dit-il avec une intonation qui en disait long sur son état d’esprit. « J’imagine qu’on aurait pu trouver pire comme souvenir commun. » continua-t-il tout en se rapprochant d’elle, son sac de voyage à la main.

Il aurait bien échangé des banalités, mais c’était sans compter l’arrivée de la troisième personne, celle qui viendrait compléter leur trinôme. Immédiatement, Timo avait reconnu la silhouette de Romi, la mère porteuse qu’on lui avait présentée un peu plus tôt. De son côté, elle l’avait ignoré. Volontairement ou non, il ne pouvait se positionner. Il restait néanmoins surpris de voir que le destin les avait rassemblés de cette façon. Son ouïe fine lui permit d’entendre qu’elle l’avait désigné comme un inconnu. Pourtant, ils étaient loin de n’être rien l’un pour l’autre. Du moins, pour lui, elle n’était pas une étrangère. Il ravala sa fierté et attendit qu’elle les rejoigne. Ensemble, il formait une sorte de triangle de désespérés. « Salut » dit-il avec beaucoup moins d’entrain que Cassie. Le terme d’inconnu lui restait encore en travers de la gorge. Il ramassa son sac de voyage et proposa à celle qui faisait presque partie de sa famille de porter son sac. « Tu veux que je prenne ton sac, Cassie ? » demanda-t-il sans même adresser un regard à Romi. La soirée et la nuit s’annonçaient longues.

En quelques minutes de marche, le trinôme infernal arriva presque à destination. La cabane était grande, mais il leur fallait traverser un pont suspendu pour la rejoindre. Timo espéra immédiatement que les toilettes étaient bien à l’intérieur. Il s’imaginait mal faire un parcours du combattant, à moitié nu, avec une envie pressante comme seule compagnie. Il emprunta le pont le premier en évitant de regarder en bas et arriva rapidement de l’autre côté, sur ce qui semblait être le seuil de leur logement provisoire. D’un œil discret, il surveilla les deux jeunes femmes. L’une parce qu’elle demeurait importante pour lui malgré la distance qu’il avait mis entre eux et l’autre parce qu’elle était un pont – sans mauvais jeu de mots – entre son présent et son futur.

Elle pince les lèvres, essaie d’enfouir la sensation de malaise – et le début de panique – qui voudrait la rendre tremblante. Son regard fuit celui de Timo, un faux sourire étirant brièvement les traits de son visage. Elle voudrait lui demander s’il pense à son silence soudain après qu’ils se soient revus au Japon ou s’il vise plus ancien (Cassie, elle n’a pas souvenir qu’ils aient vécu quoique ce soit de gênant, plus jeunes, parce qu’elle l’a pas mal évité, le Timo, à l’époque) mais n’a pas envie d’instaurer une mauvaise ambiance dès les premières minutes. Elle se tait, donc, tandis que les hôtesses leur demandent de bien vouloir patienter jusqu’à l’arriver de la dernière roue du carrosse. Le silence s’impose, perturbé par le pianotement sur l’ordinateur et Cassie, elle s’occupe l’esprit en baissant le nez sur son téléphone, ne relevant la tête que lorsque la dernière personne se présente à son tour. « Ne vous en faîtes pas, on ne mord pas. Enfin je ne mords pas et Timo ne fait pas bien mal. » Elle force un sourire sur ses lèvres, essaie de paraître chaleureuse, de mettre tout le monde à l’aise – la nouvelle n’a pas l’air beaucoup plus enthousiasme qu’eux à l’idée de cette soirée en trio, elle ne peut pas l’en blâmer. Elle essaie encore de composer avec, rassurée parce qu’elle en connaît au moins un sur les deux. « Moi ? Oh euh, merci, ça devrait aller. Garde la proposition en tête si jamais on doit grimper sur une échelle. » Un sourire en coin pour chasser les pensées parasites.

Guidés jusqu’à leur chambre de fortune, Cassie s’émerveille de la construction, le nez en l’air, les souvenirs de ses escapades aux quatre coins du monde en tête. Elle s’empresse de suivre le seul homme de la bande, rejoint l’esplanade qui les accueille pour la nuit et prête une attention superflue aux informations qui leur sont données. Des sanitaires dans une pièce voisine, deux lits superposés et un troisième, le petit déjeuner servi jusqu’à onze heures le lendemain matin, ne pas hésiter à les contacter en cas de problème. Les mains posées sur la rambarde du maigre balcon, elle se penche légèrement, évalue la distance qui les sépare du sol, ignorant le départ de la réceptionniste. « Je sais pas vous, mais moi, ça me plaît. » Elle fait volte-face avec un sourire plus large, plus sincère aussi, une meilleure humeur retrouvée maintenant qu’est passée le choc de la nouvelle perturbante. Pénètre finalement à l’intérieur de la chambre spacieuse, dépose son sac au pied d’un lit sans vraiment réfléchir. « Je m’appelle Cassie, au fait. Puisqu’on va passer la nuit ensemble, autant apprendre à se connaître un peu. » Au moins commencer par les prénoms – parce qu’elle se voit mal appeler la nouvelle you ou stranger.

Elle ne sentait pas bien, Romi. Elle pouvait ressentir la panique dans chaque pore de sa peau. Ce n’était pas comme ça qu’elle s’était imaginé cette soirée. En recevant l’invitation, elle avait cru à une jolie initiative pour lui permettre de s’évader, pourtant incertaine de sa provenance. Romi avait senti le traquenard se refermer sur elle, sans possibilité de s’enfuir à toute jambe - ce qu’elle aurait sans doute faire si elle en avait eu l’occasion. Elle était restée impuissante, face à cette mauvaise situation. Et quand bien même elle ne serait pas en mauvaise compagnie, elle ne pouvait s’empêcher d’être mal à l’aise. A cause de Timo, sans aucun doute, et de leur dernière rencontre. De ce qu’ils s’étaient dit. De cette décision qu’elle avait préféré laisser en suspens. Romi n’avait pour autant pas cessé d’y réfléchir, de songer à cet avenir qu’ils pourraient avoir en commun. Sa présence était déstabilisante. Plus encore que cette nuit qu’il devrait passer tous les trois. Romi avait même pu remarquer que ses compagnons de chambre se connaissaient déjà, bien plus qu’elle ne pouvait le penser.

Elle avait eu l’occasion d’admirer les environs le temps du trajet. C’était un endroit véritablement beau, presque hors du temps. Un endroit que Romi n’avait pas l’habitude de fréquenter. C’était peut-être une chance, finalement, de pouvoir vivre une telle expérience malgré un contexte perturbé. Elle suivait le mouvement, se remerciant de ne pas être sujette au vertige. En arrivant devant la chambre, Romi tentait encore de se faire à l’idée. D’accepter le fait de devoir passer la nuit avec des gens qu’elle ne connaissait pas - ou pas assez en tout cas. L’intérieur était beau, agréable, chaleureux. Pourtant trop petit pour s’y sentir pleinement à l’aise. Romi avait déposé ses affaires, inspectant encore les lieux. « C’est charmant, oui. » Elle rendit le sourire à la jeune femme. Probablement qu’elle finira par s’habituer à cette situation, Romi. Avec un peu de temps. « Moi, c’est Romi. » Elle ne s’adressait qu’à Cassie, Timo la connaissant déjà. « Je suppose que c’est dans ce genre de circonstance que l’on crée des liens. » Elle n’était pas sûre que ce soit une bonne façon, pour autant. Romi ne savait pas comment se comporter, incapable de se détendre totalement

On avait promis l’exotisme à Timo et il était servi. Il se retrouvait avec son ancien flirt et la mère porteuse – si toutefois il pouvait toujours espérer qu’elle le serait – dans un lieu trois fois plus petit que son appartement. La situation était encore plus oppressante que le nombre de mètres carrés qu’on lui avait annoncés. Ils ne s’étaient même pas salués. Elle avait évité son regard, il avait évité son prénom. Après tout, malgré l’éloignement forcé qui avait tenu Cassie à distance de lui, il comptait bien s’appuyer sur cette dernière pour que la soirée vire au cauchemar. Il était d’humeur joviale, prêt à partager une expérience, et ce même s’il prenait conscience de la difficulté de la situation.

La cabane était confortable. Elle lui donnait presque envie de faire un pas vers Romi. Presque, parce qu’il ne se sentait pas capable de passer à l’acte. « Ouais. » fut sa seule réponse. Il n’allait pas s’enthousiasmer pour si peu et de toute façon, il ne voyait pas quel autre adjectif ajouter. « Timo, comme annoncé plus tôt » dit-il en complétant le tour des présentations. Tout cela était hypocrite puisque les deux autres protagonistes le connaissaient déjà et de façon plus ou moins intime. Créer des liens. La simple évocation de ce terme le fit sourire et pourtant, il se passa de faire le moindre commentaire. La seule chose qu’il voulait éclaircir, c’était avec Cassie. Il ne se voyait pas laver leur linge sale devant Romi, pas comme ça. Il prit alors l’initiative de lui demander un moment en tête-à-tête, comme au bon vieux temps : « Cass, j’aimerais te parler. En privé. » dit-il en montrant l’extérieur de la cabane du regard. Il alla s’asseoir sur le petit banc adjacent à la cabane dans l’attente de retrouver son amie d’enfance tout en tentant de clarifier sa pensée. Qu’allait-il bien pouvoir lui dire ? Il lui fallait être clair afin d’éviter les incompréhensions. Une fois Cassie assise près de lui, il prit la parole. « Je suis désolé de t’avoir ghostée du jour au lendemain. A l’époque, j’avais un petit crush, une attirance, un truc envers toi, et j’ai pas su gérer. Je sortais d’une longue relation et j’avais peur d’affronter tout ça alors j’ai préféré m’effacer en espérant que tu ne m’en voudrais pas » conclut-il avec soulagement. Il avait joué cartes sur table avec elle.  

Elle prend sur elle, Cassie, le cerveau fumant pour essayer de lancer la conversation – un domaine dans lequel elle n’a jamais vraiment excellé, son naturel introverti l’empêchant souvent de faire le premier pas vers de parfaits inconnus – parce qu’elle le voit bien, que Timo n’a pas l’intention de la faire et que l’inconnue, Romi, ne semble pas forcément plus à l’aise. Un sourire sur le bout des lèvres, la bouche déjà ouverte pour proposer quelque chose, n’importe quoi pour tuer les silences qui se multiplient, mais elle est prise de court par Timo. Ses yeux papillonnent, fixés sur le jeune homme sans comprendre ce qu’il peut bien lui vouloir. Elle jette un regard incertain en direction de Romi, esquisse une grimace désolée pour elle. « Euh, oui, bien sûr. » Elle a les sourcils qui se froncent, pourtant, parce qu’elle s’attend à ce que Timo lui balance que Romi est une stalkeuse (ce qui expliquerait pourquoi il s’efforce de l’ignorer, peut-être ?), qu’il avait une soirée prévue avec quelqu’un qui devrait venir le rejoindre ( ????), un scénario catastrophe, peut-être. Elle est encore hésitante quand elle le rejoint à l’extérieur, la langue passant sur ses dents de façon répétée avant qu’elle ne se mette à mordre l’intérieur de sa joue. L’aveu est balancé sans aucun détour et (de nouveau) la prend de court. Ses doigts serrent le banc sur lequel ils sont assis, le rouge lui monte aux joues et elle tourne la tête avec l’espoir (sans doute idiot) qu’il ne le remarque pas – s’il savait. « Oh. Waoh. Définitivement la meilleure méthode pour draguer. Ghoster, je veux dire, » ajoute-t-elle pour clarifier sa pensée. « Mais non, t’inquiète, pas de rancœur. » Elle a pourtant cette boule amère logée dans la gorge, partagée entre de trop nombreux sentiments contradictoires pour être complètement certaine de ne pas avoir de le planter là avec Romi (elle ne ferait pas ça à Romi, ceci dit). C’est idiot de lui en vouloir – encore plus parce qu’elle ne sait même pas si elle lui en veut de l’avoir ghosté pour une raison aussi idiote (mais elle serait mal placée pour le juger) ou pour ne pas lui avoir parlé de ce crush plutôt – parce que son propre béguin pour lui est passé depuis de longues années.

Elle s’apprête à ajouter quelque chose, elle ne sait pas bien quoi parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire en réalité, mais il y a un petit bruit qui provient d’en-dessous d’eux. Un couinement ou quelque chose qui gratte. Elle baisse les yeux, relève les pieds en sentant quelque chose lui frôler la cheville. « Ah, put… Y a un truc qui m’a touché Timo ! » Elle se relève d’un coup, un doigt pointé sous le banc où une forme plus sombre se fait remarquer. « Je crois que c’est un chien ? » Elle fronce les sourcils, agenouillés sur les lattes de bois et ses suspicions sont confirmées. Le chiot tremble, jappe, lui offre son plus regard triste et Cassie relève la tête. « Romi ? T’es pas allergique aux chiens, dis-moi ? » Les mains tendues vers le chien, elle le laisse la renifler, lui caresse le bout du museau et parvient, finalement, à le faire quitter sa cachette. « T’es bien mignon mais un bon bain te ferait pas de mal, à toi. » Elle plisse le nez avant de le récupérer entre ses bras, une main sur le sommet de sa tête. « Quelqu’un a toujours rêvé d’avoir un chien ? »

Romi était profondément mal à l’aise dans cette situation. Gênée de devoir passer la nuit avec des inconnus - ou presque. Gênée plus encore de se retrouver avec Timo alors que leur dernière conversation n’avait rien eu de plaisant. Elle ne l’avait toujours pas recontacté, sa carte précieusement conservée pour ne pas oublier. Elle n’avait pas changé d’avis pour autant, toujours pas, trop nerveuse pourtant d’envisager sérieusement une nouvelle confrontation pour le moment. Romi hésitait encore à fuir, à partir de cet endroit pourtant agréable et si différent. Fuir cette situation qu’elle ne se sentait pas capable de gérer pour l’instant, elle n’avait pas de moyen de maîtriser ce moment, imprévisible et déconcertant. Romi refusait de regarder Timo, réellement. Inutile d’ajouter un malaise supplémentaire, de dévoiler le lien qui pourrait les unir dans quelques mois. Elle voulait rester anonyme, quitte à se montrer impolie. L’ignorance s’était voulue mutuelle, pour le bien sans doute de ce projet qu’elle supposait toujours secret.

Romi ne pouvait s’empêcher de se sentir de trop. Il était bien trop évident que ses deux compagnons se connaissaient déjà, depuis plus longtemps qu’elle ne pouvait l’imaginer. Chose confirmée alors que Timo voulait discuter avec Cassie, loin de ses yeux. Romi avait ressenti une nouvelle vague de gêne s’insinuer en elle, une désagréable sensation dans sa poitrine. Légèrement curieuse, elle avait cherché à entendre, à comprendre, à mettre des mots sur cette relation qui les unissait. Plus forte qu’elle ne l’aurait imaginé, en comprenant qu’il y avait eu une attirance entre eux. Seule dans la chambre, Romi venait de prendre sa décision. Elle allait partir, leur laisser l’opportunité de rattraper des années de malentendus. Jusqu’à entendre la voix de Cassie l'interpeller. « Non, pourquoi ? » La curiosité l’avait conduite auprès d’eux, pour y découvrir un nouveau compagnon à quatre pattes, apeuré et dans un état qui laissait à désirer. Pourtant, Romi le trouvait déjà si beau. Si touchant. L’amour des animaux, sans doute. Cette nouvelle présence lui faisait oublier les circonstances de sa venue ici, ce sentiment d’inconfort et de gêne qui l’avait envahi depuis la découverte de la situation. « Quel amour ! Après un bain, il sera tellement beau. » Elle avait tendu sa main, avec douceur, pour que l’animal puisse la renifler, découvrir qu’elle ne lui voudrait aucun mal. Ses yeux ne quittait plus le chiot, il devait avoir un pouvoir sur elle. Elle se sentait bien plus apaisée à présent. Plus sereine. « Si vraiment vous n’en voulez pas, je peux l’accueillir chez moi. Un animal de plus, ce n’est rien. » Un sourire s’était logé sur ses lèvres et son regard était passé de Timo à Cassie, curieuse de savoir lequel pourrait vouloir de l’animal auprès de lui. « En tout cas, il ne restera pas sans toit. »

Intérieurement, Timo repassait en boucle l’altercation qu’il avait eue avec Romi. Il savait que les mots qu’ils avaient échangés étaient à l’origine du silence qu’elle gardait et des regards qu’elle ne lui accordait pas. Tant pis, il s’en accommoderait. Il n’était pas du genre à insister. Pas lui. Il avait suffisamment couru après d’autres âmes par le passé et avait compris qu’il ne servait à rien de s’acharner quand le mal était fait.

Il était soulagé que les choses soient mises au clair avec Cassie. La discussion avait été gênante, mais elle appartenait maintenant au passé. « Tu me connais assez pour savoir que j’ai jamais su draguer, de toute façon » ajouta-t-il avec humour. L’auto-dérision, c’était définitivement son truc. Peut-être qu’ils auraient continué à discuter de son comportement si un corps étranger n’était pas venu se joindre à la fête et surprendre Cassie. En quelques secondes, le blond repéra l’ami public numéro un. Une boule de poils apeurée et sûrement affamée. Son cœur se mit immédiatement à fondre. L’ami des bêtes… Bien que l’envie de le couvrir de caresses lui traversa l’esprit, il laissa Cassie s’en occuper. Plus par galanterie que par volonté sincère de ne pas s’attacher à la bête. Une fois dans les bras de la jeune femme, il posa sa main sur le museau du chiot et le récompensa de s’être montré aux yeux de tous. Ils étaient trois, mais ils ne seraient pas de trop pour réconforter l’animal. Il avait senti le regard de Romi se poser sur lui pour la première fois depuis qu’ils étaient arrivés ici. S’il devait coucher sur papier ce moment de leur histoire, il intitulerait ce passage « le miracle du bouvier bernois ». Timo leva l’oreille du chiot pour vérifier qu’aucun tatouage n’y était inscrit et ce qu’il espérait secrètement s’était réalisé. « Il n’est pas tatoué, mais il est peut-être pucé. On devrait passer à l’accueil pour vérifier que personne ne le cherche. Et puis chez un vétérinaire ensuite ». Timo avait bien conscience de jouer le rôle du rabat-joie de service, mais il ne voulait pas que ses camarades d’une nuit se fassent une fausse joie. « Je vais aller voir à l’accueil, j’avais quelque chose à leur demander de toute façon. Vous restez ici pour surveiller les affaires ? » demanda-t-il sans grand espoir que quelqu’un ne veuille l’accompagner.

Elle a un petit sourire sur les lèvres, Cassie, mais pas les mots pour lui répondre – ni même temps l’opportunité, en réalité, parce qu’elle sent quelque chose lui frôler la cheville et ça suffit à la faire s’éloigner du banc pendant deux secondes. Le cœur affolé retrouvant un peu de sa paresse tandis qu’elle découvre un chiot de sous sa cachette, rapidement conquise par sa bouille (moins par l’odeur nauséabonde qu’il dégage et ce, même si elle devrait être habituée avec une enfance à la ferme). Elle jette un regard par-dessus son épaule pour découvrir que Romi les a rejoint à l’extérieur et elle lui adresse un sourire. « Parce qu’il semblerait qu’on ait de la compagnie. » Sa main s’attarde derrière les oreilles de la bête qu’elle gratte légèrement, le sourire s’élargissant devant l’enthousiasme de Romi – sans doute qu’elle n’en aurait pas espéré tant de sa part, vu sa timidité affichée jusqu’à présent. « Oui, ça doit faire un moment qu’il erre tout seul. » A en juger par la crasse, les feuilles et traces de boue qui le couvrent. Elle s’apprête à répondre, à avouer qu’elle n’a – hélas – pas la place pour un animal dans son petit appartement (même si s’occuper d’un chiot pourrait être une première étape pour apprendre à s’occuper d’un enfant) mais Timo la prend de vitesse et elle lève les yeux au ciel. « Pourquoi tu joues les troubles fête, uh ? » Elle a conscience, pourtant, qu’il a raison, qu’il y a peut-être une famille qui cherche son animal de compagnie. La bouche tordue en une moue triste à l’idée que les propriétaires se trouvent, effectivement, quelque part dans les niches. « Je reste ici, si je l’accompagne à l’accueil, je pense que je le kidnappe dans la seconde. » Ou elle aura juste beaucoup trop de mal à s’en séparer si elle passe ne serait-ce que quelques minutes supplémentaires avec lui. Lève les yeux vers la troisième personne présente. « Tu veux l’accompagner ? Comptez juste pas sur moi pour préparer le repas pendant votre absence. » Non pas qu’elle en ait le moindre talent – certainement pas Monica Geller sur ce plan-là de sa personnalité.

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C’était inattendu, cette arrivée. Cette apparition aussi adorable que soudaine. Romi les avait rejoint, abandonnant son projet de s’enfuir, pour découvrir l’animal. Un chiot. Sa simple présence venait de changer sa façon d’envisager cette soirée. Un poids s’était enlevé de ses épaules. Elle se sentait mieux, à présent. Amoureuse des animaux qu’elle avait toujours été, elle ne pouvait que se montrer enthousiaste face à cette adorable créature. « Il a l’air perdu, le pauvre. Et complètement effrayé. » Romi s’imaginait déjà le ramener chez elle, sans penser au reste. Lui offrir des caresses étaient tout ce qui importait. Jusqu’à revenir à la réalité, trop rapidement. « Oh … » Romi n’était pas franchement ravie de devoir se séparer de la petit boule de poils. Timo venait de briser cette bulle paisible dans lequel ce chien les avait plongés. Une moue triste s’était logée sur son visage. Elle aurait voulu ne pas se séparer de l’animal. Pourtant, il avait peut-être une famille, quelqu’un pour l’attendre avec inquiétude. Peut-être s’était-il simplement égaré. « Oui, c’est sûrement ce qu’il y a de mieux à faire. L’accueil, le vétérinaire. » Malgré la déception, Romi savait que Timo avait raison, qu’il fallait faire les choses dans les règles avant de s’enthousiasmer sur le futur foyer de ce chiot. « Je … je ne sais pas. Tu veux que je t’accompagne ? » Elle n’était pas certaine que ce soit une bonne idée, d’une certaine façon, de se retrouver seule avec lui. Ou peut-être que si. Pour leur permettre de parler, d’oublier leur dernière conversation. Romi pourrait expliquer son silence, ses regards fuyants. « Enfin, ça me gêne pas … mais je voudrais pas m’imposer. » Elle ne voulait pas l’importuner plus encore. Elle pouvait tout aussi bien rester ici et attendre le retour de Timo de son expédition vers l’accueil.

Devant un chiot, Tommy ne restait jamais insensible. Enfin, sauf devant les Yorkshire et pour cause, il les trouvait toujours trop hargneux pour s’attirer sa sympathie. De toute façon, le chien qu’ils avaient devant eux étaient loin d’être de petite race. Au terme de sa croissance, il jouerait dans la même catégorie que son golden retriever et pèserait dans les 30 à 40 kilos. Le blond se voyait déjà avec deux chiens de cette taille dans son loft. Ses colocataires – bien qu’officiellement locataires – feraient certainement une drôle de tête à cette idée. « Tu sais très bien que si ça ne tenait qu’à moi, il ferait déjà partie de la famille, Cassie ». Les Holt et les Walker ne partageaient pas le même sang, mais leur amour pour les animaux faisait office de point commun. Néanmoins, le moment d’euphorie passé, ses partenaires d’un soir revinrent à la raison et lui donnèrent raison. Il fallait l’emmener à l’accueil. Cassie s’était désistée et il ne restait plus que Romi pour l’accompagner, une situation qui n’enchantait pas particulièrement le jeune trentenaire. Elle faisait en sorte de l’éviter depuis le début de leurs retrouvailles et il se demandait bien quel serait le ton de cette excursion si elle se joignait à lui. Quoi qu’il lui en coûte, il ne s’imaginait pas bien lui refuser ça et encore moins devant Cassie. Son amie d’enfance comprendrait rapidement qu’un malaise existait et exigerait sûrement des explications. S’il y a bien une chose que Tom voulait éviter, c’était ça : les explications à n'en plus finir. « Allons-y » dit-il froidement en prenant le chiot des bras de Cassie. Tant pis pour sa chemise propre. « On va essayer de faire vite, Cass. Pendant ce temps, tu n’as qu’à aller voir ce qu’ils ont pour dîner. Pour moi, ne t’embête pas, prends une pizza ou un truc dans le genre. Je mangerai ici. » déclara-t-il avant de partir devant sans même insister auprès de Romi. Même si cette attitude n’était pas des plus charmantes, il ne se voyait pas ramper une fois de plus après lui avoir déjà tendu une perche en lui donnant son numéro. Il avait une mission : trouver d’où venait le petit être qu’il tenait dans les bras et qui tremblait encore de peur.