What are friends for | Noa

La journée s’annonce sous de bons auspices quand j’ouvre le message reçu. Une invitation de Fiona à venir la rejoindre à la galerie avec à la clé un déjeuner ensemble. Fiona c’est une de ces personnes rencontrées au Centre Nautique qui donne envie de partager des moments avec elle. L’avantage d’avoir un intérêt commun pour le surf. Nous nous sommes croisées bien des fois là-bas quand je donnais des cours. Maintenant, j’y passe rarement. Parfois pour saluer quelques personnes. Parfois par habitude, c’était à une époque ma seconde maison. C’est loin tout cela. J’ai la sensation que ça date d’une éternité. Heureusement que j’ai gardé le contact en dehors des plages. Je serais bien triste de ne plus revoir Fiona. Un plaisir à chaque fois de la revoir.

Rendez-vous à la galerie. Au travers de la vitrine, je regarde ce  qui est exposé tout en cherchant mon amie. Quand je la repère, elle est déjà en train de me faire un signe. Elle me rejoint aussitôt. Est-ce que j’étais en retard ? Pas le temps de vérifier l’horaire. Elle me prend dans ses bras et je lui rends la même attention. Salut. Ben oui, le temps passe trop vite ! Ça va et toi ? Aussitôt la question vient sur la nourriture. Je n’ai pas de préférence. Le premier resto dans le rue m’ira. Enfin s’il ne ressemble pas à une ruine prête à être fermée par les services d’hygiène. J’ai cette faculté de m’adapter que ce soit au style du resto, du snack au truc hyper branché du moment en passant par les chefs autant étoilés que leur tarif sont salés, que par la diversité des saveurs, pizza, japonais ou vegan me conviennent autant. Le plus important a toujours été la ou les personnes avec lesquels je partage le repas. J’émets aussi une restriction pour la brasserie bavaroise qui vient de s’ouvrir. J’ai des potes qui ont oublié de se concerter, je m’y suis retrouvée deux jours consécutifs. Si tu as prévu de me la faire découvrir toi aussi, je pose un joker. J’éclate de rire. De toute façon, je ne lui en voudrais pas si c'est un lieu où elle souhaite vraiment aller. Sinon je vais devoir jeûner pendant une semaine pour m’en remettre ! C’est bon ce qu’ils servent, mais un peu trop copieux pour mon estomac.

Ma remarque sur le resto louche ouvre la porte au rire et à la plaisanterie. D’un autre côté, les restaurants atypiques ont souvent un charme particulier qui vous emmène de leur univers. On aime ou on n’aime, mais c’est le genre de lieu qui ne laisse pas indifférents. Cependant j’ai parlé davantage de restos louches en mode, les vers ce sont des protéines en plus ou la sortie c’est la bourse ou la vie. Je t’en ferais connaitre peut-être une de ces portes dans une ruelle. On sait comment on y entre, mais la sortie... imprévisible. L’image de la porte d’entrée du Black Dog me revient en mémoire. Si le bar peu passé, l’arrière-salle par contre, il faut connaitre quelqu’un qui y a déjà accès ! Pizza, c’est parfait pour moi. Personne ne niera l’avantage d’une pizzeria pour la diversité des possibles. Très souvent ce type de restaurant ajoute des pâtes et des salades. L’art de plaire et de capter une clientèle qui vient en groupe. Souvenirs de l’époque universitaire !

La question de Fiona m’étire un sourire. Quoi de neuf ? Déjà je dois m’y retrouver avec les dates et les enchainements d’histoires qui ont étoffé ma vie depuis la dernière fois que nous nous sommes vues. Il y a le suicide d’Helsie, ma collègue de travail avec qui j’étais très lié. Je n’en ai parlé à personne. Je garde ça pour moi, comme les photos que nous avons prises lors de notre dernière escapade ensemble. Et puis surtout, elle veut du croustillant, alors pas d’histoires tristes. Hum... Tu veux qu’on parle de ces deux mecs sublimes que j’ai rencontré dernièrement ? J’éclate de rire. Mais il n’y a rien de croustillant. Des rencontres comme on en fait tous les jours, enfin, pas tout à fait. Mais je ne sais pas pour l’instant s’il y aura d’autres rendez-vous, alors... haussement d’épaules. Pas grand chose à dire sinon qu’ils sont beaux à tomber par terre. L’un d’ailleurs est marié si je ne me trompe pas. Peut-être que tu le connais ou au moins que tu en as entendu parler. Wesley Carter. Il possède les casinos Carter. Il y en a un à Wellington. Est-ce que je t’avais raconté qu’on s’était rencontré la première fois en plein milieu d’une forêt pour le sauvetage d’un écureuil blessé ? Je ne me souviens pas si c’est le cas. J’en ai discuté avec beaucoup de personnes de cette mésaventure au point de ne plus trop savoir avec qui précisément.

La rencontre avec Wesley fut hors norme, sans conteste. Ce n’est pas tous les jours qu’on part pour une promenade en forêt et qu’on tombe nez à nez avec un grand gaillard presque paniqué, oui quand même pas mal paniqué, un petit écureuil dans les bras vous demandant t’appeler un vétérinaire à la rescousse. Fiona n’a pas tord, c’est une bonne introduction pour une comédie romantique, sauf que dans notre cas, ce ne sera que de l’amitié. Marié, et je n’ai pas l’intention de venir perturber son bonheur, d’autant que pour les rencontres, il y a effectivement le numéro deux.

A sa question sur l’autre mec sublime, je ne peux m’empêcher de soupirer. Fabian Jones. Je la regarde une seconde en me reposant la question qu’elle vient de formuler. Est-ce qu’on peut dire que Fabian est sublime ? C’est le patineur artistique, vedette d’un spectacle sur glace. Je le trouve plein de talent. Evidence, il ne serait pas tête d’affiche sinon. Et physiquement, je le trouve... Et là aussi ça devient une évidence. Tout à fait à mon goût. Donc oui, sublime sur toute la ligne. J'acquiesce en même temps de la tête. Pour lui aussi c’est une rencontre pas banal. Je suis abonnée aux rencontres surprenantes depuis quelque temps. En remontant de quelques mois, il y avait eu aussi Luana la dame vampire croisée dans une faille spacio-temporelle, plus prosaïquement lors d’une soirée déguisée, mais ce fut surprenant. Mais pour en revenir à Fabian... Je crois que ma rencontre avec lui a été aussi rocambolesque.

Le mot “flexible” se met tourner dans ma tête. De plus Fiona a ajouté du “très, très”. Evidemment un sportif... sauf que sur cette image de la prestation sur glace du patineur se superpose une activité tout autre, qui se pratique dans un lieu privé, certainement pas entourés de spectateurs qui applaudissent, même l’artiste est très très flexible et se permet des prouesses pour exécuter toutes les postures du Kamasutra. Je jette un regard sérieux vers Fiona et pose ma main sur son épaule pour la pousser légèrement. Oh ! Ne me mets pas d’images en tête qui ne sont pas au programme. Nous n’en sommes pas là, ce serait abusé qu’avancer aussi vite. Mon amie veut en savoir plus sur la rencontre avec Fabian. J’ai à peine le temps de lui dire que ce fut un pur hasard alors que je prenais une boisson en compagnie du fils d’amis. Nous sommes arrivées à destination. Fiona semble déjà avoir quelques habitudes ici, elle n’a pas l’air dépaysé quand nous traversons la salle.

Une fois installées et nos commandes de boissons passées, jus d’oranges pour moi, je peux lui donner davantage de détail sur la première rencontre. Tim, le fils de mes amis, s’est mis à s’exciter comme une puce en disant que l’homme, à la table à côté de nous, était le Roméo d’un spectacle. J’ai eu du mal à le retenir, il voulait absolument lui demander un autographe. Au final, c’est moi qui y suis allée pour lui faire signer une serviette en papier. Il s’est montré tellement adorable. Il nous a invité à sa table. Non, je ne passe pas en mode fangirl. Non, je n’ai pas insisté sur le adorable. J’explique, c’est tout. Nos boissons déposées sur la table par le serveur, sont un bon intermède pour me ressaisir et afficher un sourire normal. Le sourire qu’on offre au serveur serviable et à l’amie amicale. Voilà pour l’épisode un de notre rencontre. Est-ce que je dois... Je soupire. Et puis on s’est revu. Tim voulait revoir son idole. Je l’ai accompagné, il ne pouvait pas y aller tout seul, tu comprends. Moi aussi je comprends que je suis en train de noyer le poisson alors que je sais que j’attends avec impatience de le revoir.

Fiona n’y va pas par quatre chemins ! Ses allusions sont claires. Il fut une époque où la question ne ce serait pas posée. Je jouais dans l’instant. J’ai envie, je prends. En l’écoutant, en y repensant, j’ai changé. Tellement changé. Je suis devenue bien sage. Pas au point de mon frère qui aurait déjà rougi de tous les feux des carrefours de la ville en comprenant une heure après les sous-entendus de mon amie, mais sage par rapport à ce que j'ai été. Les échecs successifs, les coups durs de la vie, le désert qu’est devenue la maison, le boulot qui accapare mes jours, ma quête de vengeance qui accapare mes nuits. Tout cela laisse peu d’énergie à dépenser pour la conquête d’un homme. Je souris. Ouais. On a moyen de se joindre si on en a envie. On a convenu de se revoir à son spectacle, pour un resto. On a établi un arrangement pour l’addition des prochains déjeuners. Je lui ai dit que je lui enverrai une carte pour son anniversaire. Je soupire. Un gros soupir en me rendant compte de ce programme qu’on a mis en place sans qu’il n’y ait rien entre nous. Rien de dit verbalement ou physiquement pour le sens dans lequel peut aller cette relation naissante. Si ça se trouve, il est homo et il ne veut qu’une amie pour faire joli dans le décor. Pour poser sur des photos qui alimenteront les journaux et les potins. Je devrais pas prendre cette rencontre au sérieux. C’est malsain. Je regarde Fiona avec un air presque suppliant. Ah dis-moi que je devrais remplir mon coffre de voiture de bouteilles de bière, prendre ce mec super flexible, capable de prendre les positions les plus rocambolesques pour fournir un max de plaisir et l’emmener sur une plage déserte pour toutes les essayer. Et ensuite, on reprend notre chemin de notre côté jusqu’au moment ou l’un ou l’autre imagine une position qu’on n’a pas expérimenté. Je me laisse littéralement tomber en avant, le front rejoignant mes avant-bras posés sur la table. La vie est trop dure. Les sentiments c’est de la merde. J’en veux plus. J’veux plus de projets. J’veux pouvoir claquer mon boulot demain matin et partir n’importe où. J’veux plus penser à rien. Raconte-moi des choses marrantes.

Fiona ne me raconte pas d’histoires drôles pour faire virer le déjeuner dans une partie de rigolade sans fin. Par contre ses conseils me font relever le front. Pensive et attentive. Je prends toutes les idées qu’elle me donne. Elle est elle-même un exemple. Elle a tout plaqué pour voyager. Je suis en période à me poser masse de questions sur tout et sur rien, sur mon avenir. Est-ce que je tiens à ce que je fais, au lieu où j’habite, à mon train train quotidien ? Qu’est-ce qui me retient ici ? Après tout ma famille s’est dispersée entre le Japon et l’Italie. Je hausse les épaules. Ouais jeune ! Une moue cependant. Jeune et avec déjà trop de routine. Fiona fait partie des quelques bouffées d’oxygène de mon existence qui s’est rangée sans que je m’en rende compte. Mon boulot dans un lieu bien feutré où l’apparence et la rigueur nuisent à l’excentricité qu’il a muselé en moi. T’imagines que je ne sors quasiment plus ma planche de surf ni ma vieille Mustang. Je roule en BMW et je vérifie trois fois ma tenue, quand j’en change pas en cours de journée parce que je dois faire la meilleure impression à la personne que je dois rencontrer. Je soupire. Ouais, c’est loin de l’idée que je me faisais ma vie. Tu as raison, c’est surement le moment de changer des choses. Merci pour tes conseils. Je prends mon verre et l’avance vers elle pour trinquer. Aux plus belles années de nos vies qui sont devant nous et qui nous attendent impatiemment. Je dois peser ce qui me convient et ce qui me déplait dans ma vie. Je dois aller au bout de ce qui m’entrave et briser les chaines. Quitte à retourner bosser chez la toiletteuse “Au toutou parfait” si ça doit me ravir tous les matins de me lever pour y aller.